VÉREL, Charles (1857-1917) :  Le Bréviaire des Normands.- Alençon : Veuve A. Laverdure, 1910.- X-298 p. : couv. ill. en coul. ; 19 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (05.VI.2012)
Texte relu par : A. Guézou.
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 1665). Ne sont reproduites ici que les œuvres de fiction contenues dans ce recueil. Le Dictionnaire du parler bas-normand pourrait faire l'objet d'une saisie ultérieure (17.08.2012).

Le Bréviaire
des
Normands
par
Charles VÉREL

Bréviaire des Normands (1910) - Couverture

~*~

A Monsieur Auguste LOUTREUIL
Industriel à Moscou
                           L’un des Présidents d’honneur
                      de la Société d’Agriculture de l’Orne

                                    Hommage respectueux,
                                        CH. VÉREL.

Nonant-le-Pin, décembre 1909.

Préface
___


A l’époque lointaine où j’étais parisien, je fus arrêté un jour par une toute petite brochure aperçue à l’étalage d’un libraire. Elle s’intitulait : Rimes percheronnes. Ma joie fut grande d’abord de découvrir, au milieu de l’exil de Paris, ces vers écrits dans le parler que j’avais entendu pendant mon enfance et une partie de ma jeunesse. Mais je fus vite déçu. Je parcourus ces poésies, et je ne les entendis point : le sanscrit m’était à peu près aussi familier.

Je me suis rappelé cet incident en lisant les Contes de ma Voisine et les Scènes Normandes, de Charles Vérel, récits que j’ai suivis le plus aisément du monde, encore que le parler des environs d’Alençon me soit un peu moins connu que celui des environs de Mortagne. Le vocabulaire, il est vrai, ne se modifie pas bien profondément à sept ou huit lieues de distance, parmi une population volontiers voyageuse et qu’un négoce actif mêle par une pénétration réciproque. Mais, d’où vient que le poète avait été inintelligible, tandis que le conteur est lu à peu près couramment par le premier venu, ainsi que j’en ai fait l’expérience sur des lecteurs qui n’ont jamais mis le pied en Normandie ? C’est que le poète avait fait une œuvre qui n’était qu’érudition, tandis que le conteur a mis dans la sienne le mouvement et la vie. Pour écrire en un certain patois, il ne suffit pas d’en avoir appris la grammaire et le vocabulaire et de les appliquer scrupuleusement à un travail littéraire. L’érudit qui procède de la sorte traduit tous les termes du français correct par tous les termes spéciaux qui ont le même sens. Et, comme il y a peu de mots vulgaires ou d’idées courantes qui n’aient, en patois, leur expression, le simple érudit ne produit, au moyen d’éléments vrais, que des œuvres sans vérité. Notre poète avait oublié un point : c’est que dans le Perche, et généralement dans l’Orne, surtout dans les arrondissements d’Alençon, le langage n’est pas composé exclusivement de patois, mais d’un mélange d’expressions françaises et d’expressions de terroir, où le français figure pour la plus grande part. Le paysan de l’Orne n’est pas illettré : aussi a-t-il pour chaque idée deux mots à sa disposition, le mot littéraire et le mot populaire ; et il emploie l’un ou l’autre, tantôt suivant l’instinct ou l’humeur du moment, tantôt pour se faire mieux entendre de son interlocuteur, parfois aussi, assurent de méchantes langues, pour être mal compris. Mais, si l’on néglige la prononciation, qui est vicieuse ou, plus exactement, incorrecte, c’est le français moderne qui domine et reste, à peu près, la langue de cette contrée. On pourrait comparer les termes de patois qui s’y introduisent aux bleuets étoilant un champ de blé. Les bleuets y sont nombreux, mais pas au point de l’empêcher d’être un champ de blé. Aussi M. Vérel, qui est du pays, s’est-il contenté de semer ses récits, dans la dose modérée qu’il connaît, de locutions de patois, locutions qui sont les fleurs agrestes du langage.

Le conteur qui veut écrire en patois entreprend une tâche plus malaisée que celui qui écrit en français. Celui-ci, exprimant sa pensée personnelle, y met son âme telle qu’elle est, l’esprit dont il est doué, l’éducation de fond et de forme qu’il a acquise. Il n’a point à sortir de lui-même. Mais celui-là, lorsque son éducation l’a mis au-dessus de la culture ambiante, doit se faire pour la circonstance une âme pareille à celle des paysans qu’il fait agir et parler ; il lui faut revêtir leur humeur, s’assimiler leur tournure d’esprit. Or, nulle science et nulle faculté d’assimilation ne sauraient improviser cela. Il faut, pendant de longues années, avoir habité parmi les paysans, participé à leur vie, les avoir suivis dans leurs travaux, s’être fait le témoin de leurs actes, louables ou non, pour apprécier leur nature, bonne ou mauvaise, connaître leur véritable physionomie et mettre sur leurs lèvres les discours qui les peignent en traits d’une parfaite exactitude. De longues années même y pourraient-elles suffire ? Pouvons-nous à notre gré nous faire une âme à l’image de celles parmi lesquelles nous avons été transplantés, même depuis longtemps, par notre volonté ou par le caprice des circonstances ? Pénétrer ces âmes, cela se peut faire si l’on est doué de l’esprit d’observation ; s’assimiler à elles paraît une transposition impossible.

Un compatriote seul est donc capable de penser et de parler, sans rien d’artificiel, comme ses compatriotes. Tel est le mérite des scènes et des récits ornais de Charles Vérel. L’auteur est né dans l’arrondissement d’Alençon ; il y a presque constamment vécu. Normand, et non des moins déliés, admirablement renseigné sur la langue et les usages à dix lieues autour de son clocher, il a, de naissance plus encore que d’éducation, tout ce qu’il faut pour écrire ces contes, auxquels il pourrait donner ce titre collectif : Les Habitants de l’Orne peints par eux-mêmes. A un ou deux récits dont le fond est légendaire, mais qu’il a illustrés de cette gaîté narquoise qui est le caractère de l’esprit normand, Charles Vérel en a ajouté d’autres de son invention, joignant ainsi à la malicieuse bonhomie de ces histoires sa propre malice, qui ne détonne pas, puisqu’il est normand. D’ailleurs, il n’est tributaire de personne pour les Scènes normandes, charpentées par lui de toutes pièces, et fort ingénieusement. Mais on y retrouve la même bonne humeur, la même naïveté de langage, avec une malice égale, mais qui s’affine ici de qualités remarquables d’observation comique et satirique.

Exprimons le vœu qu’il se révèle, dans chaque région de notre Normandie, un esprit curieux et fin qui, à l’exemple de l’auteur des Contes de ma Voisine, ait la pensée de fixer dans des livres ces parlers pittoresques : ils ne sont rien de moins, en général, que les reliques de notre vieille langue, reliques que l’enseignement, aujourd’hui généralisé, du français moderne, aura fait disparaître dans un temps peu éloigné.

Stanislas MILLET
Professeur honoraire du Lycée de Lorient.

~*~


Les Contes de ma Voisine

I

LE CURÉ CONSTITUTIONNEL

A Louis Duval.

Y avait eune fouais, dan eune commeune des environs d’Courtomer, un curé qu’les gens héyissaient pasqu’il avait été nommé par les Révolutionneîres pour prenne la place d’un vieux curé qu’était parti vêquir bin loin, bin loin, dans des pays, ousqu’en mettait pus d’un an pour aller-et-d’véni, et éioù qu’i mourit d’miseîre... Qué l’bon Guieu ait son âme à ç’pauvre cher homme !...

Quand l’faux curé s’apercieuvit qu’en l’hubissait d’tous côtés, qu’en disait partout qu’i n’avait point l’drait d’dire la messe, i s’plaignit au comité révolutionneîre, ousqué y avait des gâs qui, bin sûr, n’étaient poin-en-tout c’modes. I li donnîtent souvent reîson, et m’nîtent eune venue d’hommes à la prison d’Alencon, qui pourtant n’était point à chomme dé monde, à c’qué j’ai ouï conter.

Çà qu’allit bin comme çà quioque temps ; mée v’la-t-i pas qu’un tour l’curé dénonçit un godivellier, qui n’v’lait point v’ni à ses offices !... Ah bin ! el comité n’en fit ni eune ni deusse, i happit l’malhûreux gâs dans son lit et l’conduisit en prison, malgré les cris d’sa pauve bourgeouêse, qu’était en train d’bin fêire, et qui n’allait pus aver personne pour nourri ses six p’tits t’éfants.

A mais qu’les gens sûtent d’en par éioù qu’i n’n’était, i chongîtent à feîre parti l’faux curé en li jouant des tours et en li feîsant d’villaines crasses. I n’savaient, en vérigousse, quai s’inventionner pour l’éluger : i li disaient des reîsons quand i l’joignaient entré quate z’yeux, i chantelusaient des chansons sus li en pâssant à rase dé sa porte, pendant qu’les éfants d’chœu, véyant bin qué l’bon Guieu n’était pus là, feîsaient la couplette dans l’mitan d’l’église, jouaient à guignettes dans les confessionnals, s’mettaient à caliberda sus la cheîre et j’taient des piâcrées d’poix sus la selle ousqué l’curé s’assisait, si bin qu’un tour i s’démouletit quasiment l’génou quand i v’lit s’erléver.

*
*   *

Quioque temps apréé, l’faux curé v’lit feîre l’catéchime ès èfants, mée i z’étaient si endemnés, si malgestés, qu’i n’sut jamée leus apprenne eune seule leçon, bin qu’i z’eut menacé leux gens d’les rende responsabes de leus conduite. Mée, ça n’servait à rin d’rin, et chaque fouais qué l’curé v’lait s’flonner, les maigniers n’manquaient pas d’l’atticocher en criant : Kss ! Kss !... Ç’qui li feîsait bin deu, comme dé juste.

A la fin des fins, quand i vit qu’i n’savait v’ni à bout d’toutes ces quenâilles, il essayit d’les aniqueter :

- V’nez quant et mai dans l’chœu, qui leus y dit comme ça, j’vas vous montrer queuqu’affeîre.

V’là les gâs partis en feîsant un grand câbris ové leux bourbettes, et en rûchant des birons et des canettes ava l’église. Alors l’curé leus montrit deux magnieîres d’estatues taillées dans l’mur et qu’les guerdins d’Révolutionnêires n’avaient point su décrucher :

- Véyez-mon ces deux saints qui sont en face l’un d’l’aute (qui leus y dit comme ça). Çtilà qu’est amont la murâille, à draite, lève les mains et lé z’yeux au ciel, pendant qu’l’aute étale les bras et regarde par terre. Eh bin, ceûtes-là qui m’diront, d’anuit en huit, c’qué ces deux saints s’enteracontent, je leus y donnerai des cornuyaux et dé d’quai d’bon à manger.

Ça dit, l’curé les renvéyit sez ieux et s’n’allit au preubytêire en s’disant bontivement :

- J’ai réussi à l’z’apîper, et c’est bin hâsa si, en feîsant caôser les saints, jé n’trouve pas l’moilien d’donner eune bonne leçon d’catéchime ès éfants sans qu’i s’en aperçieuvent.

*
*   *

Vlà don les maigniers bien embarrassés et qui houêlent la question dans toute la commeune, mée personne en tout n’sut la d’vigner. Pourtant l’peîre Teiller, du village dé la Gravelle, dont qué l’freîre était en prison pa la faute du faux curé, s’mit à ruminer pendant trâs jous d’affilée, saôtit tout d’un coup et dit à son p’tit gâs la réponse à la d’vinade.

L’jeudi d’aprée, les maigniers avolîtent tertous au catéchime et l’faux curé arrivit, sieuvi d’sa domestique, qui portait eune pleine géronnée d’cornuyaux et un p’tit pagnier bien plombant.

Aprée aver chanté quioques cantiques, l’curé d’mandit lesqueulx qu’avaient trouvé ç’qué les deux saints s’disaient.

L’p’tit gâs au Teiller s’lévit sans s’émoïller et i li réponnit en l’ergardant un brin d’bicoin :

- J’sais bin ç’qui dîsent, mai, mée jé n’vas vous l’conter qué si jé m’promettez dé n’point vous fâcher.

- Ouai, qu’i li réponnit un brin blard.

- Eh bin, qu’dit l’petit gâs, v’là l’affeîre : l’saint, qui lève les mains et lé z’yeux au ciel, dit comme çà à l’aute qu’est en face dé li : « Hélâ ! qu’j’avons don un curé qu’est beîte !... ». L’aute li répond en étalant les bras d’un air fourgonné : « Dé quai don qu’tu veux qu’j’y fasse ! »

Quanté l’euré ouït ça, i rabattit ses chapes et remançait si fo qu’il en baubait. Il en était, en bonne vérité, déconnaissabe. Aussi quand l’gâs au Tellier vit qu’i v’nait pou li remuer l’câsaquin, i s’ensauvit dans l’çumequeîre, et l’z’autes éfants s’jétant sus la servante, li sourniguîtent ses cornuyaux, li nettîtent son pagnier et décanillîtent vitement dé d’dans l’église.

Le curé s’dépêchit d’aller au Comité pour sé plaindre du peîre Tellier, mée les Révolutionneîres, véyant qu’i n’en finissait point d’les érucer d’ses raprônages, l’renvéyîtent d’éioù qu’i v’nait. Et ça fut bon emplié !...

Quanté l’faux curé vit ça, i r’tournit au preubyteîre, chergit son bassic et ses bâclages sus eune banne, et partit durant la nuit.

Dedpis, jamée, au grand jamée, en n’ouït parler d’li.



II

L’ABBÉ MARTIN


A Léon Berthaut.

Y avait eune fouais, dan un grand sumineîre, un abbé tout plain farce, qu’en appelait Martin d’son nom : i n’savait quai s’inventionner pour jouer des tours ès maîtes qui n’li piaîsaient point. Anuy, i mettait des souris-chaudes dans la poche du Supérieur : un aute coup, i j’tait du poive dans la touine du curé qui montrait à feîre lé prône, si tellement qué l’pauve homme en trustait à s’dépendre la courée ; et un tas d’autes gnoles. Comme dé juste, en n’pouvait saver, au grand jamée, dé qui qui manigançait tous ces affuts-là.

L’abbé Martin était itout à plein saffre, un vrai faimvallier : il aigrippait dans les jerdins du sumineîre du raisin, des guignes, des gadelles, des groiselles et un guiâbe d’affeîres raides-bonnes à manger. Malgré çà, pourtant, i n’pouvait point s’erteni dé r’garder d’bicoin, d’la feneîte dé sa chambe qui donnait sus eune méchante vénelle, des peîches manifiques qui venaient tous l’z ans amont l’gabe d’la meîson d’un voisin. Mée son honnesté li défendait d’y biter, ç’qui l’feîsait bin dauner, li qu’en était d’eune grand’vie.

- Il est permis à un curé d’eîte allouvi, qu’i disait comme ça, mée i n’a point l’dreit d’eîte voleus... Faudra tout d’meîme qué j’trouve el moyen d’aver des peîches aussi gouléyantes.

*
*   *

Ça n’manquit point. Un jou d’sortie, il allit vais Louison, eune meînageîre dé son pays, qui vendait au regrat dans la ville et qu’avait meîme, à c’qu’en dit, eune boutique bin accoursée.

I li dit comme çà :

- V’lous veni tras fouais par semaigne, à dix heu du soi, sous ma feneîte qui donne dans la venelle, et apporter quant et vous des peîches mûres et poin-en-tou godies ?... J’n’airiez qu’à miander amont l’mur et j’dévallerais, ovec eune ficelle, eune magnieîre dé pagnier éioù qué j’mettériez les frits... J’vous payerais tous les mouais à la sortie.

La bonne femme, qui n’était point bégaude, li tapit dans la main, et réponnit qu’ou li donnerait eune peîche d’achet par douzaigne. Là-d’ssus, i prîtent ensemble un p’tit dégout d’foutinette, histoueîre dé s’ravigotter.

*
*   *

Çà n’manquit point !... Deux jous après, à dix heu, bin qué l’iau versait à-pigra, la meînageîre rouaudait si bin dans la venelle qu’on aurait dit, pour le certain, qu’c’était un vrai marcaud. L’abbé Martin ouvrit sa feneîte, en s’guettant d’feîre du brit, descendit l’pagnier et lé r’montit quand y sentit dé d’quai d’dans.

Çà marchit bin comme çà eune bonne pause, mais v’là-t-i pas qu’un tour, eune prâe, eune villaine traîgnée comme i n’en chomme point dans les villes, sieuvit la bonne femme et qu’ou vit dé ç’qui n’n’était !... Ou s’mit à riocher et dit à son à-part :

- V’là un curé qu’eîme bin les pêches, j’y en apporterai eune géronnée la semaigne qui vient !...

*
*   *

Çà n’manquit point !... Quioques jous aprée, il arrivit dans la venelle eune vieuille quiâpine hourdée, qui marchait ovec eune crignoche, et qu’avait lé z’yeux comme el z’éfants qui s’amusent à faire pieurer la bonne Vierge. Ou s’mit à miander l’mieux qu’é pouvait, la sâdo !... L’abbé Martin dévallit vitement son pagnier, et l’rattirit, pendant qu’la bîlande s’ensauvait en hoûtant comme eune fersâs.

- Sarché noble gueux ! (qu’disait l’abbé, qui papait déjà dû), c’est bin b’sant à soi ! J’ai, en véricotte, peux qu’la corde n’s’en câsse ristibilli... J’vas jamée pouver manger tout ç’té nuit.

Oui mée, quand il ergardit c’qu’était dans l’pagnier, i s’mit à guerdiner et lé z’yeux li béluettîtent si fo qu’i manquit d’s’événoui... M’z amis, i vit, embobeliné dans d’méchantes chiffes trésalées, un p’tit gâs d’deux jous qui dormait !... Ah ! i n’avait point l’air résoud, l’innocent, ové sa pau p’tite teîte afillotie !...

- Nom dé d’là ! (qu’dit l’abbé en pognassant l’éfant ové ses grosses poques), c’est i pas daunant !... J’sais bin en soin d’saver d’quai qué j’vas feire dé ç’maignier là ! Hureusement qu’en a core iu la d’vignée d’mette dans l’pagnier un biberon et eune douzaine dé suçons : en avait quioque doutance qué les nourrices sont bin râles dans les sumineîres... Mée, mon Guieu, queu scandale ! L’Supérieur va m’dire des reîsons et l’Evêque va bin sûr s’en guermanter. J’sais bin fourbi... j’nai pus qu’à mette el fouet sous l’auge.

Tout d’meîme, comme i pouvait à peigne s’téni susbout, i s’mit à genoux et fit d’grandes prieîres à tous les saints qu’i conneîssait dans l’Paradis pour qu’i l’îdent à s’tirer dé d’là. Et aprée aver bin prié, i li vint eune idée tout-à-fait bonne : i défraquetit l’éfant dé d’dans l’pagnier et allit tout uniment l’mette à la porte de l’écolome.

- Ça t’apprendra, vieux nagre, (qu’i dit comme ça), à nous feîre manger des pouais et des patates toute l’année !

Pis, comme i s’en r’vénait sez li, i ouït co miander sous sa feneîte :

- C’est-i un deuxieîme maignier qu’i m’rarrive ? (qui dit comme ça d’un grand sens). J’vas l’sacquer dé c’té fouais... Véyons... Dé qui qu’est là ? (qu’i dit).

- La meîre Louison, qu’en li réponnit.

I descendit l’pagnier, l’é r’montit, prit les peîches, les prûlit, les mangit et s’couchit.

*
*   *

Oui mée, v’là-t-i pas qué, dans l’mitan d’la nuit, l’écolome entendit houiner l’guiâbe dé maignier sus son paillasson !... I s’lévit bin vite, tout échaubouillé, débarrit sa porte, et r’culit en drieîre comme s’il avait vu un mouron.

- Un éfant !... Un éfant ! (qu’i disait comme çà, bianc comme un linge).

A la fin des fins, aprée qu’il eut bin ruminé à son affeire, i prit l’maignier, l’bercit dans ses bras pour qu’i n’miche point, li mit l’biberon dans la goule, allit l’mette à la grand’porte du sumineîre, branlit la tintenelle et fouinetit. L’porquier arrivit ové son bonnet d’coton et créyant qu’ç’était un éfant perdu, i l’portit à l’hospice.

Quand l’abbé Martin apprit l’lendemain qu’l’écolome avait été aussi renârré qu’li, i s’dit qu’i li jouerait eune bonne tournée quand l’hivé s’rait v’nu !

*
*   *

Çà n’manquit point !... L’écolome disait la premieîre messe à cinq heu du matin et, pour réveiller l’z abbés, l’porquier fernâillait eune quioche dont la corde ballait au bas d’l’escalier qui m’nait à leux chambes. Eune nuit qu’la p’tite bonne femme pieumait ses oies (1), l’abbé Martin s’lévit à eune heu, descendit à guignettes, sonnit eune bonne branlée, et eune miette aprée les curés étaient tertous à la messe...

Mée v’la-t-i pas qu’en décampant d’la chapelle, les curés entendîtent jûper à la porte du sumineîre !... En allit vite ouvri : c’était les pompiers qu’avaient ouï la matigne dé quioche pertinter à eune heu aprée meînuit, et qui créyaient bontivement qué l’feu était dans la meîson. L’écolome ergardit à sa monte et en restit tout ébaubi, mée i jurit bien d’aiguetter jusqu’à tant qu’i happe le coupable.

- Allons bon ! (qué s’dit l’abbé Martin), i va sûrement surger ç’té nuit sous l’quiocher, mée, vingt gueux ! j’va co l’joinde s’i gna pas d’détourbe !

*
*   *

Çà n’manquit point !... Avant l’souper, l’abbé Martin s’mit à leuneter du côté d’la cuisigne et ramâssit un vieux gigot, éioù qué y avait co quioques brins d’chai et des p’tits bouts d’tirouesne ; et, en feîsant sembiant d’rin, il allit éioù qu’était la corde dé la quioche et y affûtit l’gigot à quate pieds en l’air. Pis, i s’mésaisit d’aller quéri l’chien du porquier, qui n’tait poin-en-tout c’mode quand en l’ergardait d’coigne en-cul ou qu’en l’agouçait. Il l’ménit à quioques pârs dé la corde, dan un racoin, mit à son collier eune ficelle, qu’i fit passer drieîre un pilier, et dont il attachit l’bout dans l’collidor d’en haut, ousqu’étaient les cham’bes. Çà fait, i décanillit et allit à quant et l’z’autes curés qui chapaient dans la cour.

Un coup qu’meînuit fut sonné, l’abbé Martin s’lévit, prit des cisiaux dans la liette dé sa tabe et coupit la ficelle qui r’ténait l’chien sous l’quiocher. Li, qu’était là, j’pensez bin, à s’défrire et qui sentait l’gigot dedpis eune pause, i s’mit vitement à saôter pour l’aveinde et l’roucher, mée à tous les coups qu’il essayait dé l’décrucher, la guiâbe de quioche rabâssait.

Quand c’est qu’l’écolome, qui guettait tout affribondi dan un vieux confessionna, entendit ç’câbre-là, i s’démussit bin vite et, créyant aver affeire a un abbé, i happit l’chien pa l’cou en li houêlant à tue-teîte :

- Vous n’pâsserez pas l’ordination ç’t’année !

Oui, mée, c’est qué l’chien était rudement furé : i v’lait absolument dévorer l’écolome !... I corsaient si fo tous les deux, qué, bardadaud ! v’là des grands bancs qui chessent et des tas d’cheîses qui décroûlent. Ç’à f’sait un boulvari !... Hureusement qu’les curés arrivîtent tertous et qui les séparîtent. Sans ça, en n’sait point, en conscience, dé ç’qui n’n’airait été !...

Allons, mon p’tit gâs, l’marchand d’sâbe est passé (2), j’té conterai l’restant eune aute fouais.

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NOTES :
(1) Une nuit qu’il neigeait.
(2) Tu tombes de sommeil... tu as du sable dans les yeux.




III

LA PIÈCE DE CENT SOUS
Ou les Tribulations de Benoît

A Jules Louail.

Y avait eune fouais un gâs du pays d’Amont, qu’en appelait Bénouêt d’son nom d’baptême, qui vint s’piacer comme domestique sez un veuv’homme du côté d’Tellières, en tirant sus Courtomer. Bin sûr, i faisait core à pu prée l’affeîre dé çtila qui l’avait loué, i n’était point feîgnant ni co tant beîte pour l’ouvrage, mée il était si bôné, si bôné, qu’un dimanche l’z aoûterons l’fîtent aller deux grands lieues d’chemin, ovec eune échelle dé 22 bârriaux sus l’épaule, pour serrer des sentines dans les bouais ! Jé n’n’airais, sarché vingt gueux, pour jusqu’à la quittée s’i fallait qué j’dîsîs tous les tours qui li jouîtent, et qu’défeux mes gens m’contaient bin souvent quand j’étais toute pau’ p’tite.

Un jour dé foueîre, son maîte, qui n’était point d’aplomb, l’envéyit à Sées porter le terme au propriéteîre, mosieu d’Ecuennes, qui restait au décoin d’eune grande place, tout conte le sumineîre. V’là l’gâs parti en honnant et en sublant, ové sa belle biouse de coitil et sa hanoche, et qu’arrive là-bas brouste et brouste, au quart moins d’médi...

Quand il eut pris son ergent, mosieu d’Ecuennes s’n allit à la cuisigne et dit à Laguitte, sa servante, dé servi un bon dîner à Bénouêt et dé n’lé leîsser manquer d’rin. L’gâs entrit dan eune salle manifique, qu’était si tellement guissante qu’i  manquait d’chais à tous les pârs, et s’assîsit à eune tabe, éioù qu’en vint y apporter un canard ès olives, un caniquet, un p’tit chanquau d’pain, deux norolles et eune bonne affeîre de cide mitoyen.

A mais qu’la bonne sut partie, Bénouêt s’att’lit aprée la vivature, mée quand i vit l’s olives, il en restit comme un viau d’six semaines : « Qué l’guiâbe n’saye pas d’leux tours, ès gâs d’bourgeouais ! qu’i dit comme ça en li-même. J’sais bin qui n’sont point co tant malaucurieux, pisqu’i mangent des calimaçons, et qu’i z’attendent qué les lieuves sayent pourris pour les feîre cuire, mais l’guiâbe mé brûle, j’n’airais jamée chongé qu’i pouvaient mette du gland dans leus fricot. » Là-d’sus, il ramarrit toutes les olives, les sucit crainte dé s’bader, et les mit dans sa poche pou n’point aver l’air d’eîte fûté d’la cuisigne à mosieu d’Ecuennes.

Quand c’est qu’il eut fini d’manger sa chai et pris un bon d’mi, Laguitte el ménit dans l’bureau, éioù qu’i trouvit eune vénue d’biaux messieurs qui caôsaient censément d’leux affeîres. Mée, pendant qu’Mosieu d’Ecuennes mettait la main à la pieume pour écrire sa quittance, Bénouêt, qui suait à d’gout, v’lit-i pas aveinde son mouchoué d’poche pour sé netti la goule. Crac !... v’là les mâtignes d’olives qui déroulent ava la chambe !... Quand l’gâs vit ça, i prit bien vite son érusée et s’mit à couri aprée l’z olives, qu’même il en accoîfrit quoiqu’eunes sus les tapis. Les messieurs qui n’y compernaient rin s’entergardaient en s’demandant c’que ça pouvait bin dire, mée Mosieu d’Ecuennes, qui n’était point si beîte, vit bin par ousqué l’piat courait. I s’mit à riocher, qu’i n’n’avait l’nez rouge comme eune roupie, et donnit l’mot d’billet au gâs, ovec eune belle pièce dé cent sous pour son vin.

*
*   *

Bénouêt s’en r’vint d’Sées à quant et l’peire Loyal, un vieux haricoquier qu’était si savant qué n’y avait pas d’loi qu’i n’conneîsse point, et pas un gâs d’avocat pour y en r’montrer.

- Eioù don qu’j’alliez à matin, peîre Loyal, qué j’couriez si fo ? qui li dit comme ça.

- Pagué, j’allais prenne el train d’Alençon, et, dans l’espèce, j’n’ai point perdu ma journée : j’ai gangné vingt bonnes pistoles dans mon procès... Ah ! quins ! vais-tu, n’mé parles point d’ces plaideux d’quate sous qui chanissent dans d’méchantes justices dé paix. En conscience, ça fait piquié !...

- Bon d’la, qu’réponnit Bénouêt tout éviôné, j’avez bin d’la chance d’aigripper deux cents francs comme ça tout d’un coup ; i faut qué j’eusse bin des mouais pou n’n’aver autant !... Faudra qué j’mé donniez-je des leçons là d’sus, je n’demande pas mieux qué d’m’assavanti.

- T’es pas assez malin, mon pauve éfant, qu’i li dit comme çà tout uniment : tu t’f’rais gourfouler par des gens bin pus r’nârrés qu’tai, et tu leîsserais beîtot ta piau dans les pattes des hussiers ! Tu veux piaider.. tu veux piaider, mée, dans l’espèce, tu n’connais seulement pas la loi !...

- Ah bin, qu’réponnit l’gâs, la Loué, ça n’mémoïlle pas !...

- C’est pourtant pus dûr à apprenne qué d’jouer à la galoche... Ecoute-mai bin : j’vas sus douze ans (1), s’pas, j’ai envéyé pus d’deux cents lettres de juge dé paix dans ma vie, j’ai piaidé pus d’vingt fouais au tribunal d’Alençon et rappelé tras coups à Caen ; eh bin, dans l’espèce, y a co bin d’z affeîres qué jé n’connais point.

- J’m’en fiche, qué dit Bénouêt, j’veux apprenne à piaider ; jé n’sais pas si rendoublé beîte qué jé n’n’air l’air, et aussi vrai qu’Mosieu d’Ecuennes m’a donné cent sous...

- Ah ! i t’a donné cent sous !... Eh bin, pisqué t’y quiens, qué tu m’fais tant d’prîments, j’veux co bin t’donner eune petite leçon qui t’profitera sûrement. Ecoute-mai bin : un supposé qué j’té prété cent sous et qu’tu n’veux pas m’les rende...

- Oui, j’comprends bin, j’vous dais comme qui dirait cent sous et j’é n’veux point v’les payer.

- Tout drait !... Mée j’y chonge, qué dit l’peîre Loyal, si, au lieu d’rester là à chouti comme des cantogniers, j’allions prenne un p’tit démion ?

I’z entrîtent dan eune auberge qu’était pleigne dé monde, et un coup qu’i sûtent assis et servis, l’peîre Loyal li dit tout-fin haut pour qué les gens ouïssent :

- Ervénons à note affeîre.. J’t’ai don prété cent sous ?

- Oui, j’en conviens, qu’réponnit Bénouêt..

- Tu n’veux pas m’les rende ?

- Non, qu’dit co Bénouêt en tapant un grand coup d’poing sus la tabe.

- Eh bin, mon gâs, j’vas t’feîre assiner, suffit que dans l’espèce, ç’tite-là qui dait, dait payer. En n’vait quasiment qu’ça d’écrit dans l’Code des Louais. Rumine bin à c’affeîre-là et tu n’s’ras pas bin longtemps à saver dé ç’qui n’n’est.

*
*   *
 
Dé qui qui fut malement supé tras jous aprée ? Ça sut Bénouêt quand i r’cieuvit eune lettre du greffier, qui li disait d’apporter les cent sous qu’il avait empruntés, ou qu’sans ça l’peîre Loyal allait l’entreprenne.

Vlà l’gâs qui s’met à démillionner, à dégouêner conte lé vieux bringand qui l’avait mis dans l’bafoin, et qui pousse des ébrais qu’en l’entendait du mitan d’Courtomer !... Mée, i n’calit point, il allit d’vant l’juge dé paix, li dit qu’i n’avait jamée d’mandé la caristade, et qu’en défénitive, i r’fusait absolument d’payer ç’qui n’devait point.

L’peîre Loyal fit v’ni les gens qu’étaient dans l’auberge et i dîtent tertous qu’en bonne vérité, Bénouêt avait conté d’vant ieux qu’i d’vait cent sous au bonhomme, mée qu’i n’sé soucissait pas d’les rende. L’juge dé paix, comme de bin entendu, condamnit l’gâs à payer les cent sous et pis les frais qui s’émontaient à deux ou tras francs.

En sortant de l’auguience, Loyal s’appreuchit d’Bénouêt, qu’était bin flonné, et qui s’n allait comme un bouret épatté :

- Mets-ça sus ton canepin, mon éfant, qu’i li dit, c’est ma premieîre léçon ; comme tu l’sais, j’n’en sais point l’homicide, c’est toué qui l’as demandée. L’prochain coup, ça t’coûterait pusché, j’peux t’l’acertener.

A la fin des fins, comme el peîre Loyal n’v’lait point co trop profiter d’l’innocence d’un méchant domestique, il emmenit l’gâs et tous les témoins à l’auberge, éioù qu’i passîtent la r’lévée à boueîre la pièce de cent sous à Mosieu d’Ecuennes.

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NOTE :
(1) Les septuagénaires ont l’habitude de supprimer 60 ans dans l’indication de leur âge : j’ai 10 ans, pour 70 ans, j’ai 18 ans pour 78 ans.




IV

LES MOINES DE SILLY
Ou la Bourrique à Théodore

A Léon Lhommas.

Y avait eune fouais deux gros moines dé l’abbaye d’Silly, qui s’en r’vénaient du Meslerault, éioù qu’en ieux avait donné en sous et en liâs pus d’cinq cents francs qui leus étaient dûs pa l’z uns pa l’z autes dans ç’pays la.

I z’étaient bin chergés comme dé juste : i hanequinaient si fo amont les côtes qué l’iau leus en pissait sus les joës, et qu’en les entendait grouller d’un bon quart dé lieue. Aussi, quand i sûtent arrivés dans les bouais d’Plais, i z’étaient si épouffés, i s’avaient l’s épaules si gourfoulées et les mains si glômies, qu’i s’assiessîtent sus l’bord d’un ari pour sé défatiquer.

Y avait bin eune grand d’mi-heure d’horloge qu’i z’étaient là à soulasser quand, à un p’tit hupet, i ouïtent eune cherrette qui v’nait du coté d’Alménesches.

L’freîre Ambrouêse ergardit et s’mit à guincher :

- Ah bin, qu’i dit comme ça d’un grand sens, j’apercieus la loin la bourrique à Thôdore, çà m’étonnerait co point quante çà s’rait lai qu’emporterait note ergent au couvent.

- Y chongez-vous, qu’réponnit l’frère Adrian, Thôdore est un gâs d’guiâbe, un hourloubier, i n’va bin sûr pas v’ler nous la préter.

- En bonne vérité, cher freîre, j’étes, en ç’moment ici, couenne comme un coq bairaud !.... Véyons, est-ce qué Thôdore n’est pas iun d’nos fermiers ? A vous quioquefois vu la couleu d’son ergent ? Non, pas dis ? Eh bien, moué, au jour d’aujourd’hui, j’vas sourniguer l’canasson dé ç’mauvée payeus. En s’arrangera ovec el supérieur pour qué l’fermier n’y perde point, ni l’abbaye nitout.

- Oui, mée, qu’réponnit Adrian, Thôdore va rester tout conte sa bête, et en n’va pas pouver débouiner d’ové lai sans qu’i s’en apercieuve quasiment tout d’sieute.

- Jé m’cherge dé l’affeîre, qué dit core Ambrouêse, mée i faut vitement nous cati pour qui n’nous vée pas.

La d’sus, les deux moines s’lévîtent, s’accouflîtent fouinassement drieîre un bisson, et surgîtent du côté d’la route.

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*   *

Thôdore v’nait dans les bouais d’Plais qu’ri des coîpiaux ou serrer d’la guinche à la d’mande qu’il en chommait. Quant il était arrivé dans un endreit bin dérossé, i dételait sa bourrique et l’attachait d’ovec eune grand longe autour d’un digon, d’éiou qu’ou pouvait  encorser des gians et quioques brins d’mangeâille.

Aussi, à mais qu’Ambrouêse vit qu’Thôdore était bin aménivé aprée ses coîpiaux, i s’démussit d’sa cache et allit sans feîre dé brit jusqu’à la bourrique, la détachit et la menit jusqué sus la berne de la route.

- Bon sang divin ! qu’dit Adiran, lé z’yeux égarouillés comme eune poule essauvadie, si Thôdore à la moindre doutance qu’en y a volé sa beîte, i va couri aprée nous et bin sûr nous doueller la piau.

- N’ayez don point peus, mon frère, qué réponnit Ambrouêse. Chergez bin vite les pouches dé sous et d’liâs sus la bourrique, mettous à caliberda et marchez v’z en à Silly.

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*   *

Adrian parti, son compagnon r’vint éioù qu’était la bourrique, prit sa place et s’atourottit la longe au cou... Il était grand’ment temps, car Thôdore avait fini d’cherger sa p’tite bagnole et i v’nait qu’ri sa beîte :

- Qué l’guiâbe m’empue, qu’i dit, v’la astheu ma bourrique changée en moine !

Mée, aprée aver réfléchi un p’tit brin, i s’appreuchit d’Ambrouêse et li bitit l’épaule :

- Dé quai qu’javez fait d’ma bourrique, hein, vieux farceus ?

- En bonne vrai, mon ami, je ne l’ai point vue...

- Allons, pas d’hans ! I n’faut pas faire l’enpeine ni bertonner d’ové mai, j’entendez, ou bin j’housse !

- Mon ami, écoutez-moué. J’avais fait comme qui dirait quioques méchants péchés et pour mé puni, l’bon Guieu m’avait changé en ânesse pour quinze ans, mée sûrement qu’il a iu piquié d’mon repenti, car i vient d’mé r’donner ma philomie d’chrétien.

- J’n’ai pas grand fiance dans les quate sous qué jé m’disez là : j’crais bin qu’c’est des nunus. Enfin, j’allez v’z en expliquer à quant et la bourgeoîse.

Là d’sus Thôdore traignit l’moine au bout de sa longe jusqué dans l’fin fond d’son village.

*
*   *

Quand c’est qu’i sûtent arrivés sez Thôdore, sa bourgeoîse, qu’en appelait Gélique de son nom, manquit bin d’s’évanouiller, créyant qu’son bonhomme d’homme avait iu d’méchantes reîsons ové les moines de Silly. Mée Thôdore racontit d’en par éiou qui n’ n’était, et Gélique en restit toute supée.

- Comment, c’est-i Dieu possible ! (qu’ou dit comme çà en feîsant de grands rabis). C’est vous, mon peîre, qui nous avez servi d’bourrique pendant pus d’trâs ans ! Eh bin, au respé d’vous, j’étiez un bin mauvais avéras, si ergulaîtu qu’en n’savait, en conscience, quai feîre pour vous équarri. En avait biau tirer sus vos grandes oreilles, vous f... iche des coups de d’pieds dans les pattes et des coups d’cro pa la goule, qu’en n’pouvait v’ni à bout d’vous coger... J’nous en avez ty donné du mal !... Quand j’étes arrivé sez nous, j’nétiez gueîre chairu, marchez, j’étiez même si équiamme qu’en s’attendait bin à vous vais coni d’un moment à l’aute, et, j’crais bin qu’sans les cherdrons et les freûles qué j’vous bâillais à pleines géronnées et dont qué j’vous délôsiez, jé n’vous seriez jamée embarni... Mée, c’est pas tout çà : sus ç’qué j’vai, j’en étons pour les six pistoles que j’nous avez coûtés à la foueîre Saint-Maquieu, à Nonant... J’étons ruinés, nous v’là ava les chemins !...

- N’séyez don point si beîtasse, qué réponnit Ambrouêse. Pisqué j’vous ai couté 60 francs, ça s’ra 60 francs, pour le moins, qué j’diminuerons sus vos prochains fermages. Et patati et patata...

I continuit à l’z endormi d’ses remprônages, et quand i vit qu’i z’étaient si créyants, i n’leus tint pas cognure longtemps ; i s’détourottit la longe d’environ l’cou, leus dit à vous r’vais, et s’ensauvit dans son couvent.

*
*   *

- A quai don qu’tu chonges, qué tu fais tant l’noir, qué dit deux jous aprée Gélique à son homme.

- A quai qué j’chonge ?... Eh bin, tant pus qué j’rumine à l’affeîre dé la bourrique, tant pus qué j’crai qu’c’est les moines qui m’l’ont aigrippée pour sé payer dé ç’qué j’leus d’vons... I seraient co bin capabes dé la méner demain à la foueîre de la Quasimado, à Ergentan, mée, vingt gueux ! j’irai itout à la foueîre, mai, et si j’y trouve note bourrique, l’guiâbe m’emporte si jé n’la ramène pas, quand tous les moines de Silly seraient là pour mé bourder !...

L’lendemain, Thôdore montit sus la jument d’son voisin et s’n’allit à Ergentan. Quand i sut arrivé sus l’champ d’foueîre à quant et sa j’ment, i vit eune magneîre dé p’tit moine qui t’nait sa bourrique ovec un licou et qu’en feîsait grand récit à tous les acheteux. A l’entende, gn’avait pas dans tout l’diocèse une beîte si peu harigneuse.

La bourrique qui reconnut son ancien maîte, s’mit à feîre des gestes, à dresser l’s oreilles, à houetter, et finablement à crier à longs hans.

- Combin qu’j’en demandez d’vote minisse ? qué dit Thôdore au p’tit moine.

- Six pistoles, mon ami, qu’i réponnit.

- Six pistoles ! qué dit Thôdore, eune villaine bourrique poussive qui n’pourrait s’ment pas s’téni susbout ovec eune somme de grain sus l’dos !... C’est famine cher !

- M’est avis qué j’vous trompez, mon ami, qu’réponnit l’moine, car oul est qualiteuse et bin résoude.

- A qui qué j’disez ça !... Eh bin ténins, j’fais la gageâille qu’ou n’vous porterait pas seulement eune demi-lieue, en sieuvant ma j’ment au pâr...

La d’sus l’moine sé présumit, et montit sus la bourrique, qui s’mit à sieûde dé bin prée la j’ment d’son maîte... Quand i sûtent arrivés à 200 mètes de la ville, Thôdore montit sus sa jument et la bringit si tellement qu’ou s’mit à couri, à couri, comme s’oul avait iu l’feu dans quioque endret... A mais qu’la bourrique vit çà, j’pensez bin, ou prit son envahie pour rattraper son maîte, mée comme oul était en foucade dé trimballer un homme, qu’était co bin b’sant sans n’n’aver l’air, ou s’mit à ruer si fo, en passant par sus un pont, qu’ou rûchit l’guiâbe dé moine, les quate fers en l’air, dans l’mitan de la rivieîre...

Hureusement qu’des gens piquiabes vîtent el pauve moine qui barbottait fallait vais ! et qui l’idîtent à s’tirer d’dans l’iau ; sans ieux, il était bin sûr néyé.

Aprée aver bu eune bonne affeîre dé vin chaud pour sé rémouver, l’moine, qui n’était pourtant pus gueîre bastant, s’en allit d’son pied jusqu’à l’abbaye, ousqu’i contit ç’qui li était arrivé. Quand ses compagnons entenditent çà, i s’mîtent à rire, à rire, qui n’n’avaient co mal au vente huit jours aprée, et i dîtent qu’en véricotte ! i z’envéyeraient à Thôdore un mot de billet, comme par lequel i l’ténaient quitte de ses fermages, et qu’même i feraient eune quête dans le couvent pour ageter eune cherrette toute pimpante neuve à sa gentie bourrique.



V

LE VOLEUR D’ABRICOTS
Ou le Jardinier du Grand-Séminaire

A Léon Boutry.

Y avait eune fouais amont l’mûr d’un grand sumineîre un abricoquier hurif qui rapportait tous l’z ans par couellées ; mée, malhureusement, quante Mathurin, l’jerdignier, s’n’allait pour les serrer, i s’apercieuvait qu’les pus biaux frits, ceutes-là qu’i donnait à manger au Supérieur, avaient été sournigués durant la nuit. Ça l’feîsait étriver, comme dé juste, et tous les matins en l’véyait feîre el guiabe, en déguenaçant conte les voleux.

- Vingt gueux ! qu’i dit comme ça un tour, c’est bin sûr des berlauds qu’amontent par sus l’mur du jerdin et qui font tout ç’carnage-là ! J’prendrai un balai, un fouet d’ovec eune bonne mîse, n’iporte quai, et j’les hourdanserai.

*
*   *

Quai qu’y fit m’z amis !... Eune nuit, i prit eune grand’housse et s’couchit adents drieîre un gros bouis qu’était tout conte l’abricoquier.

Y avait bin tras heures d’horloge qu’i droguait en aiguettant du côté d’la muraille du jerdin, quand tout d’un coup i ouït dé d’quai au-d’sus d’li. Il ergardit en l’air et vit beîtot deux grand’ jambes noueîres passer par eune feneîte et s’mette à d’valler dans l’abricoquier absolutement comme ava eune échelle.

- Jésus Maria ! qui dit comme ça tout beîtasse, c’est un abbé qui ratiboise mes abricots !...

L’sang n’y en fit qu’un tour sus l’côrps, à c’qué j’ai ouï conter par défeue ma meîre.

L’abbé, j’pensez bin, qui n’sé guettait d’rin, s’mit bin vite à couler les pus biaux frits dans ses poches et à en engouler quioques-uns, dont que les essâs et les nouyaux chutaient jusque sus la teîte au jerdignier... Mathurin rondissait lé z’yeux, mée i n’y véyait quette, i n’pouvait point erconneîte el voleus : la nuit, s’pas, tous les curés s’enter’semblent...

Oui mée, v’là-t-i pas qu’l’abbé tréveuchit sus eune branche et qui manquit d’chais les quate fers en l’air !... Comme il était hinel, i s’rattrapit bin à un méchant sicot, mée i s’était côffi l’bras, dépiaustré eune jambe et égrimé les joës. Tout ça c’était rin, car l’malheur sut qu’en chessant, la queue d’sa soutane s’était défaite et qu’ou ballait à ric la terre.

- Dé ç’coup, qu’dit Mathurin à son-à-part, jé l’quiens !

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*   *

Quai qu’i fit, m’z amis ! Bin qui sût à son désamain, il avançit un bras, happit la guiâbe dé queue tout doucètement et d’ové son couquiau y fit une coupure dans l’bas.

- L’Supérieur saira bin d’main dé qui qui mange les abricots ! qui dit comme ça en li-même.

Oui mée, comme il avait gangné un rhieûme à eîte couché sus la terre, il n’put point s’erténi d’teîgler. Aussi, quand l’abbé entendit ç’brit-là, pensez bin, i sut rudement en fourgane, car i n’sé soucissait pas grandment d’eîte pris ; i r’montit bin vite, déboulit pa la feneîte du collidor et rentrit dans sa chambe. Oui, mée, v’là-t-i pas qu’en défaisant sa soutane pour s’ercoucher, i vit qu’la queue était mincée !

- Mon Guieu faut-i ! qui dit comme ça, en aiguettait l’voleus et c’est bin sûr pour m’erconneîte qu’en a hagé ma soutane !... Mée c’est pas geînant, qu’i dit l’instant d’aprée, j’vas donner d’l’ouvrage au tailleus du sumineîre.

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*   *

Quai qu’i fit m’z amis ! Comme l’z abbés dormaient tertous, i s’n’allit à guignettes dans leux chambes et coupit la queue de toutes les soutanes qu’i put aigripper. Pis, l’lendemain matin, en sortant de la chapelle, i s’coulit, sans feîre mine de rin, drieîre l’Supérieur et en fit autant à la sienne !...

Mathurin feîsait l’gros, comme dé juste ; i créyait bin aver pris la pie au nid ! Aussi quand i rapportit d’en par éioù qui n’n’était, l’Supérieur s’mit en coleîre et son nez devint rouge comme eune piône, c’qui n’était pas bon sine, à c’qu’i s’paraît.

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*   *

Quai qu’y fit m’z amis ! I sortit vite en clârant les portes et allit joinde els abbés qui caôsaient dans la cour.

- Mettous en rang. Messieurs (qui leus y dit comme ça d’un air point c’mode), et tournous la teîte du côté du mur.

L’z abbés, tout ébaubis, obéirent comme de bin entendu, et l’Supérieur passit drieîre eux pour erconneîte el coupabe... M’z amis ! quand il vit qu’les queues d’toutes les soutanes étaient abîmées, il en restit comme innocent !...

- Qué l’Guiâbe mé patafiole ! (qu’i dit comme ça), la mienne est coupée itout !

Là d’sus i s’en r’tournit bin couenne, et l’z abbés s’mîtent à guincher, bin en soin d’saver si leus maîte n’était point dévenu bettelé.

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L’mangeus d’abricots finit son temps au sumineîre, pis partit bin loin dans les missionneîres. Sûrement qui v’lit co feîre des tours ès gens dé d’par là-bas, car j’ai ouï dire qu’eune fouais les gâs d’Chinouais l’mîtent sous eune grosse quioche et tapîtent dessus d’leux cent dix mille forces ovec dé gros marquaux.

Quanté l’pauve curé s’tirit dé d’là dessous, il était sourd comme un mouron, et i n’vêquit pas bin longtemps après.

N, i, ni, mon conte est fini.


~*~



MON ONCLE RADIGOIS

(MONOLOGUE)

A Charles Pitou.

Bon sang divin !... Sarché nom dé d’là !... Qué y en a-t-i qui sont pourris chanceux !... Ainsi, c’est commé j’vous l’dis, note voisin, Minique Morel, vient d’hériter d’un cousin remué d’germain, qu’i n’avait jamée vu et qu’i créyait mo dans des pays bin loin, et l’peîre Thomas, du village dé la Brosse, qu’avait ageté quinze erpents de bien à fonds perdu, a tout juste payé un terme d’arriérages !... Bon d’là d’bon d’là !... cez nous ça n’tourne point dé d’même : j’n’avions qu’un bonhomme d’onque, le peîre Radigois, dont qu’j’étions-je les seuls héritiers, et ses écus s’sont ensauvés d’la famille !... Cà n’fait point piaisi, tendous bin ?

V’là-t-i pas que, y a deux ans, ç’vieux lubre-là s’mit à démener l’amour à quant et la Marceline ! eune grand’ sergale qui portait des bonnets-montés si tellement chergés d’bouquets qu’eune dé nos vaches y airait trouvé son nourri durant tout un hiver !... J’essayis dé l’dépersuader, de li raprôner qu’i pourrait mieux s’sorter, (car Marceline avait biau s’parluiser et faire des gestes, ç’n’était pas d’éluite), mée mon oncle était si rendoublé batévanne, si autorieux malgré son âge, qué jé n’pus arriver à m’en chevi :

- Tu comprends bin, mon gâs, qu’i m’disait comme çà, jé m’fais ancien et c’est bin triste dé s’téni tout fin seu dans l’fin fond d’eune campagne. Si j’veux eune femme jeune et bin d’aplomb, c’est uniquement pour soigner les dolaisons qui m’font sainti amont la hanche, et m’réchauffer les pieds quanté j’les ai gelés... Car, tu penses bin, mon neveu, qu’à 70 ans, jé n’sais pus gueîre d’âge... à compromettre ton héritage !... Quai qu’tu veux ! j’en serai quitte pour li feîre eune pétite donaison sus l’contrat... Oui mée, voilà ! c’est qu’la meînageîre ouve la goule si grande que j’en sais au d’zo : ou veut dix mille francs ou bin, comme ou dit, aguieu l’mariage... J’compte don sus tai, mon neveu, pisqué t’es intéressé dans l’affeîre, pour m’ainder à li feîre rabatte quioque chose et à rac-moder l’marché !

- Tout ça c’est bin des arriâs, qué j’li réponnis, çà n’m’avient gueîre d’eîte darin... et pis Marceline est un brin ergoline, à c’qué j’ai ouï conter.

- Bûth !... qui mé r’prit en chantûsant, tu russiras bin à l’apîper... Ecoute-mai : à force d’alos t’as quioquefois vendu à la foueîre un g’va cornard pour un g’va bin résoud, et eune taure bariotue pour eune génisse ameuillante !... Eh bin, mon gâs, gna point d’aute magnieîre dé reîsonner dans les mariages d’astheu !... Allons, pas d’hans, marche-t-en, et tu t’en tireras d’fin premieîre !

*
*   *

Pagué ! qué j’mé dis quand l’onque Radigois sut parti, Marceline n’mange pas l’linge, à c’qué j’crai ; en peut co bin li caôser ! J’mé mis bin vite en dimanches et mé v’la parti cheuz lai ; mée j’eus biau l’entreprenne qué jé n’pus la feîre rabatte d’eune centime... Ah, ou remançait dû !...

- Créyous par hâsa, qu’ou m’dit en rondissant l’œil, qué j’vas sacrifier bontivement ma jeunesse à soigner vote quiâpin d’onque !... Eioù don qué j’trouveriez une jeune fille qui s’marierait d’un homme d’âge, qui marche avec un bâton et core quand la jambe accidentée veut bin sieûde ! Ah bin oui, j’m’en cherge !

- En bonne vrai, j’exagérez, qué j’li réponnis. L’peîre Radigois veut bin vous reconneîte dé d’quai, mée faut pas li demander pusché qui n’peut donner. Créyez-mai, n’bacicotez point d’o li et jé n’vous en repentirez point... Bin sûr, mon onque est pâssé d’mûreur, i commence à s’adôssir et n’est pas tout-à-fait délibre, mée, j’en réponds, il a les pomons solides et l’cœur co bin attaché !

- Oh là là, qu’ou mé r’prit en feîsant la lippe, j’êtes bîcle pour le certain : j’avez mal ergardé l’peîre Radigois !... En défénitive, c’est bin unutile dé bertonner là-dessus pus longtemps : c’est dix mille francs ou j’en restons d’enpar...

Quand j’vis çà, j’m’en allis en clârant la porte :

- « Non ! non ! qué j’mé disais, jé n’veux pas mais la vais, esté grande poueîson là ! »

Comme de bin entendu, l’mariage s’fit quioques semaines aprée, et mon onque né s’conneîssait pas d’épouser eune si gentie quériature ! I la chérissait si dû l’jou des noces qu’il en jetit son bâton dans l’mitan d’la cour, et qu’i marchit durant quioque temps hinel comme eune bique. Oui mée, au bout d’six semaignes, i dut rehapper son bâton et, au bout d’six mois, s’traîgner ové deux béquilles !

*
*   *

Un dimanche, la r’lévée, pendant qu’ma bourgeoîse était ès vespres, v’là mon onque Radigois qu’arrive à la meîson et boîtant si bas qu’i n’eut qué l’temps de s’assîre.

- Mon gâs, qu’i m’dit tout unîment, j’viens t’démander un grand service... Tu sais qu’anuy, pièce en dehors dé mai n’peut porter l’nom d’Radigois, un nom qu’est, en peut l’dire, célèbre dans tout l’pays. Mon arrieîre-grand-peîre, Adrian Radigois, était maîte-chante dans l’église de Chalange ; mon grand-peîre, Minique Radigois, était bouilleur de crû à Montchevrel ; mon peîre, Thôdore Radigois, qu’t’as bin connu, était chercutier et conseiller municipal à Saint-Aignan, et mai j’ai gagné une petite fortune dans mon méquier d’affranchisseus ! Eh bin, en conscience, j’peux-t-y leîsser péri l’nom d’Radigois, porté par des gens qui furent tertous bin honnêtes et bin savants !... Ah ! si tu t’appelais Radigois d’ton nom, comme ta meîre, pagué, j’s’rais bin tranquille pisqué t’as déjà deux gâs solides, mée tu t’appelles Bourdeloie ! Des Bourdeloie ! n’mé caôse pas d’çà, y en a comme du chien-fou ava les chemins : y en a du côté d’Vimouquiers ; i n’en chomme point dans l’z’environs d’Laigle et dans bin d’autes endreits !

- Eh bin, mon onque, qué j’li dis, n’étous-pas marié ? Déjà d’un, quand en s’marie à pus d’soixante-dix ans ovec une forte fumelle dé vingt-trois ans, en a toujours eune vénue d’quégniots. C’est mai qui vous l’dis !

- P’t-ête cob in ! qui mé r’prit, mée appreuche-tai que j’té conte quioque affeîre dans l’oreille...

A mais qu’j’entendis c’qui m’dit, j’en devins tout blard et lé z’yeux  m’en béluettîrent.

- Bin, mon onque, qué j’li réponnis, faut qué j’séyez-je rudement innocent pour mé d’mander eune chose aussi farce ! Mée, véyons, si j’faisais çà j’perdrais toute espérance sus vote héritage !...

- Ecoute-mai bin, qu’i m’dit en sé r’lévant, c’est mon dergnier mot : j’té donne la préférence pisqué comme ça rin n’sortirait d’la famille, et pour ton vin j’té ferai cadeau de 5.000 francs l’jour du baptême... Tu n’airas qu’à v’ni d’anuit en huit, à dix heures du soir, la porte n’s’ra point crouillée et ta tante sera toute seule. Guette-tai bin d’manquer !...

*
*   *

Moué, qui m’sais marié devant note adjoint et devant note curé, jé n’pouvais point en conscience décider d’ça tout seu. Mée, un coup qu’j’eus conté à ma bourgeoîse d’en par éioù qu’i n’n’était, ou s’mit dan eune grande coleîre, fallait vais !

- En v’là-t-y un vilain sagouin, qu’ou dit, pour demander des affeîres aussi abominabes ! Non, non, jé n’veux point... Ah mée non, jé n’veux point... Et surtout qu’sa grande traîgnée n’s’inventionne pas d’veni cez nous, je n’n’airais pas pour longtemps à l’effouqueter.

J’étais bin en soin, comme dé juste, mée aprée aver disputé durant toute la nuit, en décidit qu’aprée tout cinq mille francs était bons à ramasser et qu’i faudrait eîte bin Nicodême pou n’point profiter d’l’occasion.

Au jour dit, j’encorcis un pot d’maîte-cide pour mé donner du ton, et, la cassiette sus l’oreille, mé v’la parti cez mon onque ; mée i feîsait si noir qué jé m’perdis dans les mauvais chemins et qu’jarrivis là-bas, tout consommé, ovec eune bonne heure dé retard. Aussi j’eus biau taper à la porte, rin n’mé réponnit.

- Oul est pa là quioque pa, qué j’mé dis.

Là-d’sus j’entris dans la cuisigne, j’pris un fallot sus la pente de la cheminée et j’mé mis à houter dans tous les bâtiments, mée jé n’pus rin apercieuve... J’radoublis don à la meîson, bin couenne comme dé juste, et çà n’sut qu’huit jours aprée qu’mon onque Radigois m’contit, qu’étant arrivé trop ta au rendez-vous, ma tante avait pris un aute ouvérier. Mée, qu’i m’dit, en compte bin sus tai pour eîte parrain.

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*   *

Quasiment un an aprée, v’là ma nouvelle tante qui vient cez nous à quant et mon filleu, déjà bin  éluché, bin effestoui.

- Bonjou, ma tante, qué j’dis, l’peîre Radigois dait eîte bin content d’aver un hériquier aussi hurif ?

- Bin sûr, qu’ou mé réponnit en riochant, mée Ugène est bin pus difficile à élever qué j’créyez : y a pas moilien dé l’feîre boueîre.

- Mettez-lé don dans la Chérité (1), qué j’li dis, et i boueîra bin !

Là-dessus ou s’mit à rire, en s’ramissit pour dé bon, et j’causîmes pendant eune grande heure d’horloge.

- A preupos, qué j’li dis comme çà, i n’n’est ni pus ni moins, pisqué l’mariage est fait et l’pêtit gâs arrivé, mée y a eune affeîre qué j’s’rais bin en soin d’saver. Disez-moué don, ma tante, pourquai qué jé n’vous trouvis point cez vous comme c’était convenu, j’savez bin l’soir qué... l’soir où...

- J’êtes bin curieux, mon n’veu, qu’ou m’dit en m’ergardant d’bicoin, mée j’veux co bin m’espliquer là-dessus sans feîre la baubelle... J’airiez dû comprenne combin qu’j’aviez été peu révérend ové mai, pisqué non-seulement j’n’arriviez point à l’heure, mée core qué j’demandiez cinq mille francs pour... J’n’étais point à chomme d’ouvériers bin moins regardants, tendous bin ?

- Beau d’mage ! c’est pas moué qu’avais fixé la somme, qué j’li réponnis. Mée, pourrious m’dire combin mon onque donnit à l’homme qui s’était mésaisé d’arriver avant moué ?

- Ah voilà, qu’ou m’dit, l’pauve gâs n’avait point chongé à feîre son prix d’avance et vote onque eut la mauvaiseté d’bacicoter pendant six mois pour le payer, sous prétexte que c’était mai, et non li qui l’avais commandé. Finablement, avec bin des si et des mais, i li donnit deux cents francs d’ergent blanc et un port d’armes.

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NOTE :
(1) Charité, confrérie paroissiale qui assiste aux inhumations ; la réputation des confrères laisse beaucoup à désirer sous le rapport de la sobriété.



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SCÈNES NORMANDES

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UNE VEILLÉE NORMANDE


PERSONNAGES

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LE FERMIER. – LA FERMIÈRE. – HONORÉ, père de la fermière. – MATHURIN, propriétaire. – ISIDORE, charpentier. – MICHEL, cultivateur. – RENOTTE, femme d’Isidore. – MARIENNE, femme de Michel. – LOUISON, vieille demoiselle. – ALEXANDRINE, jeune fille. – VALENTINE, fille du fermier. – CÉLESTIN et HENRI, enfants d’Isidore.

La veillée se tient dans une ferme des environs de Courtomer. Deux paysans, menant grand tapage, jouent aux cartes à l’extrémité d’une table longue et épaisse ; à l’autre bout, plusieurs femmes cousent ou tricotent ; des enfants s’amusent dans un coin et le fermier s’absorbe dans la lecture du Bonhomme Normand. Le père de la fermière, octogénaire qui a fait avance d’hoirie à sa fille, moyennant qu’il sera vêtu, nourri et logé sous son toit, sommeille doucement auprès de l’âtre. Sur le genou du vieillard, un chat aux moustaches tombantes ronronne en fermant les yeux, qu’il entr’ouvre parfois quand le bruit produit par les divers groupes se manifeste plus violent.



A Alfred Marre.


LA FERMIÈRE, à Mathurin, qui entre en secouant sa casquette.

Bin, en va sonner la crémâillieîre et vous feîre manger à la grand’cueiller ; j’n’avez pas été longtemps en riote !... (Palpant sa blouse) J’étes à plein confondu.

MATHURIN

N’m’en caôsez pas, i chait de l’iau à siaux !... Leîssez feîre, les gueîpes n’viennent point vionner à vos oreilles, et gna pas besoin d’mette des barbottiaux à la teîte des j’ments. Bonjou, la compagnie !

LA FERMIÈRE

Accouflous prée du feu qui mouronne sous la cende. J’vas aller qu’ri des parottes et des coîpiaux pour vous feîre eune bonne fouée qui va vous remouver.

MATHURIN

L’résan n’est point chaud, ténins ! J’en ai les leuves tout halitrées et mon rhieûme n’va co pas s’guéri dé ç’coup. Jé n’n’airais, noble gueux, fait la gageâille : l’vent était d’ava quanté j’sais parti et l’temps commençait à s’abômi sus Courtomer... M’z’amis, j’n’étais pas tant seulement rendu à la sapée qu’est amont la côte, qué j’étais saucé par eune ârée conséquente ; j’étais, en véricotte, endécis d’radoubler... Fious don ès erménas, l’temps n’s’est pas l’vé et l’solei n’a pas ri eune miette de la journée.

RENOTTE

Bin ! la mariée s’ra rudement lichouse.

LA FERMIÈRE, d’un air rogue, à son père.

Gence-tai dé d’là, vieux déguenaceux !... Il est là toute la sainte journée à aniqueter l’chat qui trouille sus son g’nou ;... gna pas d’danger qui s’dérange.

HONORÉ, essayant de parler.

Heu... Heu...

LA FERMIÈRE, de plus en plus montée.

Tais toué, tu m’fures ové tes remprônages... Y n’est bon qu’à s’chauffer jusqu'à tant qu’i s’périsse dans l’fouyer. Gna pas moilien d’li feîre entrer çà dans sa sarchée horgne !... N’n-a-t-i d’la mauvaiseté !...

LOUISON

Y n’sait p’tête pas ç’qué j’li disez, il entend si haut !

LA FERMIÈRE

Ouai ! I n’est pas sourd quand en rabâsse les assiettes, l’vieux faimvallier !

LE FERMIER, sentencieusement.

Un couquau d’adlaisi coupe toujous bin. (1)

HONORÉ

Heu... Heu... (Une larme glisse sur le visage du vieillard).

LA FERMIÈRE, à son père.

As-tu bintôt fini ové tes pigneries !... (A Mathurin) J’devez aver faim.

MATHURIN

Dame oui, j’sais fade, j’n’ai rin pris dedpis à matin.

LA FERMIÈRE

Véyons, dé quai qué j’vas v’s’offri ?... V’lous eune amelette, du gigier, ou un brin d’lapin ?... N’feites pas d’cérémonies, note lapigne est co chêlée dé çté nuit.

MATHURIN

Merci bin, j’sais fûté d’chai... Donnez-mai un brin d’pain et du fromage.

LA FERMIÈRE, apportant ce qui lui est demandé.

Jé n’sais pas si j’allez bin l’eîmer, note fromage ; y a des guillots à plein d’dans.

MATHURIN

Tant pus qué y a d’guillots, tant pus qué l’fromage est gouléyant.

VALENTINE, (bas, à Louison).

Disez-nous un conte.

LOUISON (haut).

Tu m’hébétes !...

ALEXANDRINE (à Mathurin).

Et la noce, ça c’est-i bin passé ?

MATHURIN

Bien sûr, c’était du grand, marchez ! J’étions cent quatre-vingt-sept, sans compter les serveuses, quinze garçons et quinze filles d’honneu. La messe était manifique : y avait là des gâs d’Montchevrel qui chantaient à tue-tête et l’sacriste nous a sonné six bonnes branlées !... Mée ont-i un drôle de curé !... C’est un bon homme bin sûr, mée qu’il est don farce, mon Guieu faut-i !... Comme il y vait tout à fait gros, i j’tait des tambourignées d’eau bénite par la teîte ès mariés et i d’mandait co d’un grand sens à l’éfant-d’chœu : « Gnen a-t-i ? gnen a-t-i ? » I n’n’étaient, en véricotte, néyés !... Pis, v’la-t-i pas qu’à la fin d’la messe, pendant qué l’chasse-coquin souffiait les cierges ové son démon, v’la-t-i pas qué l’curé montit dans la cheîre et fit un sermon ès mariés. I s’espliquait bin, mazette !... ah ! ah ! il en disait des paroles !... A la fin des fins, quand la meîre dé la mariée vit qu’i n’décessait point d’péronner, ou montit dans l’escaïer d’la cheîre et ou li dit comme ça : « Mossieu l’curé, il est midi ! » I devallit bin vite et allit vais à sa monte qu’était sus l’autel. Oui, mée, i sé r’tournit aussitôt et dit d’un air point révérend, en ergardant par sus ses leunettes : « J’vous d’mande bin pardon, Madame, i n’n’est qué l’quart moins, et à eune horloge bin réglée. »

(Longs commentaires).

VALENTINE (bas, à Louison).

Disez-nous don une histoire dé r’venants.

LOUISON (haut).

Tu m’héruces !

LA FERMIÈRE

Et la mariée, dé quai qu’j’en disez ?

MATHURIN

Oul est bin honnête, s’ment oul est ébréchée et oul a quioques taches de son.

RENOTTE

Faut qu’ça saye tout de même une bonne mêinageîre, car tout le monde en fait grand récit... Et ses gens ?

MATHURIN

M’est avis qu’c’est du bon monde. L’bonhomme surtout est très franc : il airait donné tout c’qué y avait cheux li, mée, malhureusement, il est d’meuré d’une estropisie. La bonne femme, lai, c’est eune grand’bécue, picotée d’la p’tite véreule ; gnen a trébin qu’ont l’air de dire qu’ou s’rait comme çà un brin nagre... Ç s’pourrait bin : ou guignait fo dé z’yeux quand ou vit qu’en mettait la quenelle à la trâsieîme pipe dé maîte-cide... Ou feîsait même si tellement la corne, à un moment, que les nociers en riochaient.

LOUISON

N’empêche que c’est étonnant que l’gâs Toussaint sait si bin rencontré. Faut dire qu’au commencement, malgré qu’Vincent saye son darin, çà qu’allait d’croc et d’hanches. Gnen eut même qu’essyîtent dé dépersuader la meîre, mée il était trop ta : y avait déjà du papier marqué d’piné.

MARIENNE (hochant la tête).

C’est un mariage qu’on doute pour le bonheur...

LE FERMIER

Ah ! pargué oui !... Véyons... dé d’quai qu’c’est qu’un gâs d’guiâbe comme çà ! I bouévait à tire-la-rigole, i virvouchait d’coin et d’autre, pâssait ses dimanches au bastringue, éioù qu’i mangeait tout ç’qui pouvait gangner. I n’était bon qu’à bricoler : i bougonnait pou l’z’uns, et sceillait pou l’z’autes !... Et son peîre don ! c’était un feîgnant qu’allait ès couesmes en été, et à la rêchée à l’arrieîre-seîson, mée l’pus souvent en l’véyait bîlander dans les fermes, un méchant balluchon sus l’dos. La meîre était à li r’véni : eune vieuille souille écrignée, eune petite boscotte qui chantait copinette à tout l’monde...

ALEXANDRINE

C’est qu’i n’est point c’mode l’gâs Toussaint quand il est en vin d’chien ; i n’fait pas bon veni environ li. I vous ergarde dé coin ové ses yeux égarouillés et sa goule pleine dé braue.

MATHURIN

I s’assagira p’tête bin, astheu qué lé v’la marié et à la teîte d’un commerce.

LE FERMIER

Ouai !... Ça qu’ira beîtôt à la dérive ; (solennellement) avant tras ans i sera déculotté, c’est mai qui vous l’dis.

ISIDORE

Atout ! Atout ! t’es fiambé !

MICHEL (avec humeur).

Gna rin qui m’fait deu comme dé jouer ové des cartes neuves, gna pas moilien d’les feîre téni dans mes douégts... A toué d’feîre.

VALENTINE

Moman !... Célestin m’a pris ma dône, i m’griche des dents et n’fait qué d’mé rebaubigner.

CÉLESTIN (bas à Valentine).

J’té vas fiche eune souffe, méchante couineuse.

MATHURIN

Mée, à preupos, dites-mai don, j’avez changé d’domestique ?

LE FERMIER

Ah ! pargué oui. Il était si tellement beîtasse qu’il airait fini par nous mette ava-les-chemins.

LA FERMIÈRE

En n’la jamée battu pa la teîte pour eîte trop fin.

LE FERMIER

Ténins, j’allez vais. L’autré jou, j’l’envéyis au Mesle vende eune de mes vaches, j’savez bin, la ribauguieîre, çté-là qu’était toujous en chasse ?

MATHURIN

C’était eune beîte pourtant bin empessée, oul avait eune belle apparaissence.

LE FERMIER

Bin oui, ou donnait co d’bons mochons... J’dis don au gâs avant qu’i n’quitte : « Méfious d’la j’ment, oul est poureuse, faut s’guetter d’ové lai. » Lé v’la parti quant et la bagnole, la vache attachée drieîre. Oui mée, m’n’ami, v’là-t-i pas qu’i rencontrit eune muète ! La j’ment s’appeurit et déboulit à fond d’train. Au lieu d’la r’téni ové les guides, l’gâs perdit l’estrémontade et s’mit à jûper : Bourdez-là ! Bourdez-là ! Oui mée, ou n’sarr’tit point, ou daguait tous ceutes-là qui v’laient l’apprécher. Quand la vache vit çà, j’pensez bin, ou donnit un bon coup d’saquet, câssit sa longe et prit du pu battu à travès les champs. Pis, enfin, la j’ment allit dauber amont un abre et bardaud ! vl’à la voiture berlin l’envès et l’gâs chû dan un mouciau au fin fond d’un abréout.

MATHURIN

En v’là-t-i du négoce !

LE FERMIER

Il avait biau giguer et crier hario, i n’pouvait point sorti dé d’là-dedans. Hureusement, qu’un homme qui pâssait l’long d’un champ l’entendit cusser et geigner, li j’tit un carriau, et l’défit de l’abréout. Il était grandement temps, l’gâs commençait à eîte asphyqué... Ma carriole est grugée, les r’sorts crochis et eune rôe d’berzillée... Aussi, quanté j’vis arriver l’gâs ové la j’ment qui boîtait bin bas, j’étais furé. Chongez don qué, pas quinze jous avant, oul avait été servie pa l’chéva pêchard à Zidore, à dix francs du saut !

HENRI (à Célestin).

Tu vais bin ces jerquiers là, qui sont sus m’n’épaule ! Bite-z’y don pour vais !... J’t’en dépite bin, p’tit pastre, p’tit calard.

CÉLESTIN

Grand trîte !

HENRI

P’tit dénicheus d’gueîpes !

CÉLESTIN

Grand épierreus d’biques !

RENOTTE

Les v’là co qui s’entechiénassent, ces mauvais trains-là ; i sont incarnés !... Si j’happe un scion, va y aver du défécit...

LA FERMIÈRE

Allons, v’là qu’il est bintôt meînuit... j’vas v’z offri eune idée d’goutte pour trinquer. (Elle verse du cassis à tout le monde, sauf à son père).

HONORÉ

Heu... heu...

LA FERMIÈRE (triomphante).

Véyous comme i n’entend quette, l’vieux gourmand !...

HONORÉ

Heu... heu...

LA FERMIÈRE

Y a tras heures qué tu devrais eîte couché. Quand en est ancien, en va pus tôt qu’çà dans sa guenasse.

MARIENNE

Allons, les hommes, finissez votre jouerie... Faut qué j’nous lévions d’main dépétrominette : l’affranchisseus vient au p’tit jou ennyer nos norturiaux.

LE FERMIER

A vote santé, la compagnie !... (Aux joueurs) Eh bin, j’espeîre qué j’en avez fait du brit !...

ISIDORE

En s’est amusé à plein.

MATHURIN (ouvrant la porte).

L’iau pîsse en bonne vérité, et i fait un vent infoucable !

MICHEL

J’ai d’bons sabiots-à-botte et des talonnettes ; avec çà en n’a pas peus d’la patouille.

LOUISON

Les gorgettes de ma gouline vont eîte faîtes dé c’temps-là !

LA FERMIÈRE

Attendez un brin ! J’vas vous préter un parapi qui n’est pas conséquent, bin sûr, mée qui peut co bin servi.

TOUS (aux fermiers).

A vous r’voi !

LA FERMIÈRE

Bonne nuit et guettous bin d’vous engâser dans les augnieîres.

CÉLESTIN (à Valentine).

T’as la mite ! (Il s’enfuit).

Dans le lointain.

RENOTTE (à son mari).

Combin qu’tas gangné à soi ?

ISIDORE

A pu prée rin.

RENOTTE (soupçonneuse).

T’as perdu, j’parie ?

ISIDORE

Rin, pour dire.

RENOTTE (impatientée).

Combin ? Combin ?

ISIDORE (la tête basse).

Tras centimes.

RENOTTE (furieuse).

J’té défends dé r’jouer, entends-tu ?

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NOTE :
(1) Le fermier veut dire que l’adlaisi, c’est-à-dire le paresseux, a toujours bon appétit ; que s’il néglige ses instruments de travail, il a grand soin de son couteau de table.



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LE PRÉ DES MARETTES
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PERSONNAGES
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MARIN, propriétaire, fiancé de Marguerite.............................     MM. CHARRON.
THOMAS...................................                                                         GANGNON.
HENRI.......................................                                                 Le petit GIROD.
MARGUERITE...........................                                                Mlle Emiliennen GIROD.

La scène se passe dans un chemin du canton de Courtomer (Orne).

Cette pièce a été représentée pour la première fois à Saint-Michel-de-la-Forêt, le 14 juillet 1906.


SCÈNE I

MARGUERITE (entre et pose ses seaux par terre)

C’est tout d’même un rude méquier qué ç’ti-là d’eîte dans l’feîsant valoir !... En a eune ouvrage dé chien : c’est les vaques à tirer, c’est la soupe ès aôutrons, c’est les beîtes à affourer, qu’ça n’en finit en conscience pus. Aussi çà m’fait rudement dauner quand j’entends les bourgeoîses dire comme ça tertoutes : « Sont-i hureux les gens d’la campagne, i z’ont l’solei, i z’ont d’bonne air, i z’ont tout, quoi ! » Eh bin, vingt gueux ! qu’ces belles dames viennent don là, ovec eune devanqueîre et eune méchante gouline sus la teîte, feîre à manger ès cochons avant qué l’jou n’sait l’vé !... Çà s’rait quioque chose à vais !... Quiens ! dé qui don qui descend là-bas ava la côte ?... en dirait qu’ça s’rait Marin, mon pertendu... ah pargué, c’est li ; il est bin facile à reconneîte ové sa goule dé coin et sa barbiche rousse... ; en dirait quasiment d’un homme des bois !... Y a pas moyen d’eîte eune miette tranquille sans qué c’grand adlaîsi n’sait rarrivé là à m’égausser de ses dîries... (Avec un soupir). Ah, si c’était Thôdore !... en v’là un bon june homme, et adret, don ! c’n’est qu’eune voix dans la commeune pou l’alôser. I sait labourer qu’çà fait pleîsi, i fauche étonnamment bin, i chârrie sans bourder et herse dé fin premieîre... Oui, mée, i n’a pas éiou planter l’daigt d’bout, i n’a pas un liâs fendu en quate !... C’est bin pour ça, malhureusement, qu’popa n’sé soucie pas qué jé m’marie d’o li... Mée, quai don qu’est d’vénu mon p’tit freîre ?... il est sûrement dans quioque racoin à serrer des porions ou des pinvères... Henri ! Henri !

    (Elle sort) .

SCÈNE II

MARIN (entre et cherche de tous côtés).

Par éioù don qu’oul est coulée ?... oul était là tout-à-l’heu... Ah ! v’là ses siaux et son carcan, ou n’est pas loin... ou va bin sur er’véni. Assiessons-nous en l’attendant... Qu’i fait don chaud à soi, j’sue à d’gout !... Jé n’sais pourtant pas trop pouillé, j’n’ai qu’ma ch’mise et eune biouse minabe... J’crai, en bonne vérité, qu’j’airais mieux fait dé m’téni sus la bancelle qu’est d’vant not’porte à r’garder bavoler les souris chaudes, ou bin à lire l’Code des Lois... Mée, véyons, ruminons à not’affeîre. Tant pus qu’j’y chonge tant pus qué j’crai qué j’sais volé !... Les bons comptes font les bons amis, s’pas ? i n’est point défendu d’vais quair dans ses carculs. Comment qu’çà s’fait qué l’père Thomas n’donne que 500 pistoles à sa fille ! C’est i ça qu’est louche !... J’voudrais co bin saver dans queul endreit qu’il a mis ç’qui r’vient à Margrite du côté d’sa meîre... Faudra qu’ça trouve, dame ! Il a co l’air bin r’nârré l’bonhomme, j’ai pas grand’fiance dans li... Si l’biau-peîre n’était point co trop bastant, si n’vêquissait point trop vieux !... mée c’est qui va bin, mâtin !... Faudrait qué jé m’z’aise dé saver sans feîre sembiant d’rin, s’i n’a point quieuque méchante maladie qu’en n’connaît point ; ça n’s’rait point étonnant... il est un brin puissant... Ah dame oui ! si s’n’allait comme qui diraît l’année qui vient, l’affeîre n’s’rait point mauveîse : son pré des Marettes bordâille mon couchis, j’abats la haie et j’ai l’pus bel herbage du pays... C’est égal, j’crai qu’sans ç’pré là, qui m’convient d’fin premieîre, j’airais d’mandé la fille à Jérôme. Oul aira tout plain dé d’quai, lai, son peîre est potrineîre et sa meîre n’a pas la vie à deux jous : c’est l’pus biau parti du canton d’Courtomer... Ah ! v’là Margrite...

SCÈNE III

MARGUERITE, MARIN

MARGUERITE

(A part.) Jé n’sais pas ç’qu’est d’vénu Henri ; il est sûrement parti d’vant, il aira pris pa l’raccourci...

MARIN

Bonjou, Margrite, ça va-t-i commé j’vélez ç’té r’lévée ?

MARGUERITE

J’étes bin honnête, Marin, ça va d’un cherme... et vos gens ?

MARIN

Ma meîre est toujous bin mal. Dedpis quieuques jous, i li passe comme ça des dolaisons dans l’côté qui la font tant souffri, qu’en n’s’rait y biter sans la feîre crier. Oul a itout un fichu mal de teîte !... pas moyen d’clôre d’eil... oul a des lans qui li tapent dans l’tempe sans pour dire décesser... C’est eune méchante pâssée pour nous.

MARGUERITE

Dé quai qu’les méd’cins en disent ?

MARIN

N’mé caôsez pas des méd’cins, i n’y connaissent goutte. L’z’uns disent qu’oul a les pomons attaqués et l’z’autes qu’oul a quieuque chose dé méchant en d’dans qui l’a mine...

MARGUERITE

Li donnent-i des r’mèdes ?

MARIN

Ah pardé oui, i z’ordonnent des tas d’portions à n’en pus fini. Un tour, c’est d’l’obélisque des Carmes sus des nosses dé sucre, un aute c’est d’la salade dé magnésie, un aute c’est des sangsures !... C’est bin du coûtage, allez, et ça m’crucifie quanté j’vai qu’toutes ces drogues-là n’l’empêchent pas d’toûte à longueu d’jous et d’nuits qu’ça la rend déconnaissabe.

MARGUERITE

Pauv’ bonne femme, oul est bin accidentée !... Véyez-vous les gens grossiers, qu’ont comme ça trop d’corporence, i z’ont toujous quieuque chose... Mée ça s’pass’ra p’tête.

MARIN

Jé n’crai pas, oul est bin usée ; oul a tant travâillé et tant écolomisé durant sa vie... (On entend pleurer un enfant.)

MARGUERITE

Quiens ! c’est mon freîre !... Quai qu’il a core à cointer... il est co chû, j’parie...

SCÈNE IV

LES MÊMES, HENRI

MARGUERITE

Eh bin, té v’la propre, vilain pâssier, t’es tout dés’nâillé !... Eioù qu’t’as core été t’couler ?... Ta culotte est toute fin pleine dé canillée ?

HENRI

Jé n’l’ai pas fait par exprès : j’vélais aveinde un nic dé mêles sus l’bord du russiau, j’ai guissé ava l’âri et...

MARGUERITE

Tais tai, p’tit nâs, ton gilet est tout étaussé ; t’as tiré si fo d’sus qué l’bouton d’en bas a emporté la goulée... tu mérit’rais bin qué j’té douelle, ça s’rait bin emplié !... Quai qu’t’as core à encenser comme ça... vas-tu fini ? j’té vas bintôt fiche eune quiaque pa l’coin d’la teîte ; j’eîme pas qu’en reîsonne, entends-tu ?... Allons, sauve-tai à la meîson qué jé n’té vée pus... En ahanne bin à l’téni propre, il est toujous sale comme un mouciau. (Henri sort.)

SCÈNE V

MARGUERITE, MARIN

MARIN

Il est rude c’pétit gas-là !

MARGUERITE

Oui, mée il est bin endemné, c’est un vrai déluge !... En a biau l’régencer et l’housser, qu’ça n’l’empêche pas d’couri l’guérou ava les ch’mins comme s’il avait l’feu quioque pa.

MARIN

Dé quai qué j’vailez, les maigniers çà qu’à l’guiâbe dans l’côrps. J’ai itout un p’tit freîre qu’est bin malgesté, eune véritable mouvette ; i n’fait qué d’berdasser, y a pas moyen dé l’téni. Ah ! i nous coûte chai d’entréquin, il est si usurier !

MARGUERITE

I sont tous comme çà, l’z’éfants, ça n’fait qué d’goguer et d’rûcher ; i n’savent en conscience quai s’inventionner pour hager leux hardes... Mée, si on s’assisait sous ç’fouquau-là ?... J’ai amonté l’chemin ové deux siaux d’lait qu’j’en sais tout essavée... i fait si chaud !

MARIN

Les banvoles sont d’amont, j’é n’n’avons core pour quieuque temps dé ç’sec-là.

MARGUERITE

Bin sûr, mée si ça continue en s’ra obligé d’érusser. Y en a déjà qu’ont commencé, à preuve qué l’coureux d’pouches, qu’est v’nu qu’ri not’ monnée à matin, nous a dit qu’à l’aître des Noës, i n’ont pus ni d’herbe ni d’iau.

MARIN

C’est la miseîre !

MARGUERITE

Pargué oui, l’ergent né r’soudra co pas ç’t’année... Avous seulement des pommes par cheux vous ?

MARIN

Y en a et y en a pas... eune demi-année, quoi !... Jé n’n’avions pourtant eune belle appareîssence ç’printemps.

MARGUERITE

C’est pas comme chez nous, alors, y en a comme du souï, les branches en couellent ; nos solages sont tout à fait chanceux... Mée, à preupos, dites-mai don eune affeîre qui m’pâsse... c’est-i-vrai qu’en a fait la vendue à Miché ?

MARIN

C’est bin vrai, en a tout vendu, poil et bourre.

MARGUERITE

Jé n’y étons allés pièce, j’n’en savions rin en tout. En v’la-t-i eune drôle dé chose ! dé qui qu’airait dit qu’ces gens-là mangeaient leus bien ! Quand j’ai ouï conter ça, j’en sais restée toute jugée.

MARIN

Quai qué j’vailez, y avait un gaspi là-d’dans... tout était j’té ad çà ya d’là ; la femme était trop enhâsée et l’homme feîsait des tas d’commerces...

MARGUERITE

Trente-six méquiers, trente-six miseîres !

MARIN

Commé j’dites, faut mieux né s’guermanter qu’d’eune ouvrage et la feîre bin... Miché était un brin amuseux, à ç’qu’en dit, i s’bouessonnait dû, et qu’même qu’i parée qu’sa ménageîre et li n’cordaient gueîre ensemble.

MARGUERITE

Ah !... Çà c’est-i co bin vendu ?

MARIN

Ouai ! J’ai ajeté eune vaque amouillante, et une aute fraîche vêlée qu’a un père manifique, pour quarante-cinq pistoles, c’est pour rin... Jé n’m’en livrerai qu’la s’maigne qui vient.

MARGUERITE

Oui, mée, s’i n’allaient point v’ler vous les livrer astheu ?

MARIN

J’leus envéyerais eune lettre du juge dé paix, v’là tout ; j’connais la loi, leîssez feîre.

MARGUERITE

J’étes pas c’mode à ç’qué j’vai, j’étes core bin haricoquier, j’eîmez les procès à c’qué j’ai ouï dire pa l’z’uns pa l’z’autes.

(Ils se lèvent et se promènent.)

MARIN

Bin, vingt gueux, faut s’marier pou s’feîre atteler... Haricoquier, mai ? c’est trop fort ! jé n’sais core allé qu’dix-sept fois d’vant l’juge dé paix et j’ai bintôt vingt-six ans !... Mée, j’sais comme tout l’monde, comprenez bin, j’eîme pas qu’en m’fasse to d’eune centime. Quand l’fis à Pierre pâssit dans mon hivernage, j’n’avais-t-ipoint l’drait d’li d’mander des dommages-intérêts ?... Quand Louis tirit sus iun d’mes lapins, qu’i prénait pour un lieuve, fallait-i point qué j’lé leîsse tout bontivement égoïner mes avéras ?... Sarché nom dé d’là, çà s’rait tout d’même innocent !...

MARGUERITE

J’entends bin vot’ affeîre, mée quai qu’ça v’s a rapporté ?

MARIN

Cent sous d’dommages et c’était bin juste.

MARGUERITE

Bin sûr, mée j’avez dépensé pour ça eune vingtaine dé francs !... Et l’procès qu’j’avez d’ové Lambert, d’en par éiou qu’j’en étez ?

MARIN

Queu procès ?

MARGUERITE

Comment, est-ce qué j’n’avez point iu d’procès d’o li ?

MARIN

Si, deffet, j’en ai même iu... tras... oui tras... duquel qué j’vélez caôser ?

MARGUERITE

Dé çtite-là ousqu’en parle d’eune poule.

MARIN

Ah oui, mée c’est fini y a biaux jous. Mon affeîre était raide bonne, c’est en vérité vrai. Lambert a eune hâ qui bordâille mon couchis, comprenez bin. V’là-t-i pas qué l’jou d’la foueîre de Courtomer, des millauds, qui jouaient de la bouzine, perdent eune poule câille, qué çté poule vient ponde dans la hâ et qu’oul a des p’tits au bout d’quioque temps ! Lambert pertendait, li, qu’la couvée et la poule d’vaient li r’véni, pasqué les poulets étaient v’nus sus li. j’li réponnis tout uniment « qué jé n’vlais point bacicoter d’ové li, qué j’détestais les procès, mée qu’si v’lait garder tout, fallait qu’i m’paye les dégâts », pasqué, comprenez bin, la poule avait fait, d’aller-t-et d’véni, eune grand sente dans mon couchis, et qu’ou m’avait bin fait perde 200 bottes de foin pour lé moins. I n’v’lit point et j’allîmes dévant l’juge de paix : i gangnit ; je m’ostinis et en allit à Alençon.

MARGUERITE

Et j’avez gangné.

MARIN

Pargué non ! Figurous qu’en li donnit reîson et qué j’fus obligé d’payer à l’avoué 20 pistoles et six sous.

MARGUERITE

Bin, v’là eune poule, qui v’z a fait feîre du ch’min et qui v’z a coûté gros !...

MARIN

Séyez tranquille, j’n’eîme pourtant point les procès, mée i m’paiera ça : à force dé plaidâiller, j’finirai bin par y aggrimer un seillon de son champ.
                                       
           (Ils sortent).

SCÈNE VI

THOMAS (appelant.)

Margrite !... Margrite !... Hou !... Hou !... J’ai biau la houter dedpis eune grand’demi-heure d’horloge qué j’n’entends rin m’réponne... (Cherchant)... Y a co bin  d’l’espôsition à pâsser dans l’z’herbages... les tauriaux ballonnent par moments... (Il rit.) Ah j’avais bin to d’m’émâyer, j’l’apercieus là-bas qui chape ové son bon ami ; oul est bin gardée, j’n’avons qu’à nous en r’tourner cheux nous... Mée, j’y chonge, pourquai don qu’Marin vient toujous la trouver, comme ça à la quittée, quand ou r’vient d’tirer les vaches, c’est co bin drôle, çà. N’peut-i point licaôser à la meîson ?... Faut cresre qué ç’qui li dit est bin ségret... Si jé m’coulais pa là quioque pa pou l’z écouter quand i vont rapâsser... Véyons, p’t’ête qu’en brochant à través l’z épignes, j’pourrais m’accouver drieîre la hâ... V’la justement eune pétite coulée... (Il essaie de pénétrer.) Eh ! ça fonce par là... pis les gians et les cherdrons m’consomment les mains, y a d’quai s’péri... Eh pargué ! qué j’sais simpe, gna qu’à griper amont ç’t’abre-là et à s’hûcher ové les chahouts et l’z épivars... Essayons et tâchons dé n’point feîre la couplette... (Il grimpe.) Ceutes-là qui m’verraient chatonner à mon âge, diraient qué j’sais bettelé, i m’tireraient en poltrait pour lé certain... Allons bon, v’là des cherpleuses qui m’dévallent dans l’cou... Ouf ! mé v’la tout d’meîme arrivé... I n’s’agit pus qué d’bin s’gencer, pou n’point décrucher... Mettons-nous à caliberda sus la grosse branche... là... j’sais tout-à-fait à mon amain, j’sais comme un co dan un pagnier... Il était grand’ment temps pasqué les v’là qu’arrivent...

SCÈNE VII

MARGUERITE, MARIN, THOMAS

MARGUERITE

Avous été à Saint-Lomer ?

MARIN

Dame oui, et qu’même j’ai parlé l’greffier. J’y ai dit : « Jdais m’marier ové la fille à Thomas, j’viens vous prier à seul fin qué j’nous banîssiez-je. » Ça s’fait pas comme ça, qui m’réponnit en riochant, faut d’abord qué j’veniez-je à quant et l’peîre d’la future, et pis qu’aprée jé m’fournissiez-je un tas d’papiers pour vous marier à l’officier.

MARGUERITE

C’est bin des affiâs !

MARIN

Pardé oui, et c’est coûtageux... mée j’espeîre bin qu’vot’ peîre en payera sa part.

MARGUERITE

Jé n’mé soucie pas d’ces affûts-là, j’v’z’en arrangerez çtasoirant ové popa... Dites-mai don, airous beaucoup d’nociers d’vot’ côté ?

MARIN

Oui, eune tapée, soixante personnes pour lé moins ; en n’sé marie pas tous les jous, jé n’régarde point à la dépense, mai !

MARGUERITE

C’est qu’ça vous cout’ra gros !

MARIN

(A part.) Quai qu’ou dit co là ? (Haut.) Comment, c’est-i point vot’ peîre qui pâss’ra la noce ?

MARGUERITE

I pâssera la noce, bin entendu, pasqué vos gens n’sont point résouds, mée les frais sont à même el marié, c’est comme ça partout.

MARIN

(A part.) Aïe !

THOMAS

(A part.) Y a d’la trompe dans tes carculs, mon gâs.

MARGUERITE

Seulement, comme j’airons pus d’nociers qu’vous, popa a dit qui n’vlait point qué j’payiez-je pour nos parents et nos amis ; j’li donnerez simplement 100 sous par personne qué j’aménerez quant et vous... Oh ! popa n’est pas r’gardant, ç’n’est bin sûr pas la moiquié dé ç’qué ça coût’ra.

MARIN

C’est bin arrangé comme ça... (A part.) A c’prix-là j’n’amènerai pas grand monde.

MARGUERITE

Véyons, disez-mai au juste ç’qué j’sérez ?

MARIN

Pas tant qué j’créyais, j’n’ai pus gueîre de parents, j’sais bin esseulé...

MARGUERITE

Mée, j’avez des amis, des voisins ?

MARIN

Bin oui, j’pensais bin à mon-à-part inviter Marion, l’peîre et la meîre Clément, les Duval, les Gervais, mée ma fai j’viendrai tout seu ové mon p’tit freîre, qui s’ra garçon d’honneur ; i pass’ra bien par sus l’marché, li, un éfant, quai qu’ça mange !... J’donnerai don cent sous à vot’ peîre... à moins quin’mé fasse l’honnesteté dé m’nourri l’jou d’mes noces.
THOMAS

(A part.) J’crai qu’j’ai iu to d’m’affroquer dé ç’t’homme-là...

MARGUERITE

Ça sembler drôle, p’t’ête bin, si j’n’avez point pus d’monde...

MARIN

Ma fai, tant pire ! Les langueteries n’mé dérangent point ; j’nous marions, s’pas, ça né r’garde personne. Et pis, aprée tout, j’n’ai qu’des voisins qui m’enquineraient l’instant d’aprée qué j’leus airais fait feîre la noce pendant deux jous d’affilée. Les voisins, véyez-vous, jé l’z’abomine : en n’en chomme point quand j’êtes dans la joie, i n’déculent pas d’cheux vous, i mangeraient tout c’qué j’avez ; mée s’i vous arrive du malheu... à r’voi bernique, tout çà débouine comme des pâsses !...

MARGUERITE

Enfin, dé quai qué j’vélez qué j’vous dise ?... J’verrez ça d’ové popa, j’sais bin assez occupée environ ma toilette. Faut qué j’prenne la tâilleuse au moins pour huit jous, oul a deux robes à m’coûte : c’est l’cochelin d’marraine !

MARIN

La belle happe ! ça n’fait jamée qu’eune soixantaine dé francs d’gangnés.

MARGUERITE

J’étes tout d’même innocent, eune soixantaine de francs ?... Créyous par hâsa qué jé m’mettrai sus l’dos des robes dé popeline ou d’orléanse ? En en caôserait à pus d’quat’ lieues à la ronde... Pou l’jou des noces, j’airai eune robe de soie verte et un bonnet monté d’ovec des ribans roues. L’lendemain, j’mettrai eune robe câille à relles bleues. Tout ça coûte bin 350 francs.

MARIN (avec stupeur)

Tras cent cinquante francs !..... Mée, oul est folle vot’ marraine, fallait bin mieux qu’ou vous donne tras cent cinquante francs d’ergent blanc... (A part). Aprée tout, ça m’est égal, pas un lias à débourser.

MARGUERITE

Touton Octave donn’ra l’live dé messe et tétan Louise un châle qu’ou n’a porté qu’eune fois et qui n’a nu mal. J’véyez qu’ça fait déjà eune écolomie conséquente... I n’vous rest’ra pus qu’les orreries.

MARIN

(A part.) Aïe ! (Haut.) Des orreries !... J’voudrais bin saver pourquai feîre ! J’avez pas bésoin d’orreries pour aller à la mangeâille, j’avez pas besoin d’orreries pour tirer les vaches.

MARGUERITE

Ça s’peut, mée j’veux des orreries, c’est l’habitude...

THOMAS

(A part.) Est-i avaricieux !.... C’est bin la meîre toute crachée !

MARIN

Véyons, Margrite, éiou qué j’vélez qué j’pêche l’ergent pour ajeter tout çà ?

MARGUERITE

Avec ça qué j’n’étes pas soutu, j’avez bin deux mille francs d’rentes.

MARIN

Jé n’dis pas mée véyez-vous, j’ai ouï dire bin des fois à défeu mon grand-peîre qu’il était aussi malaisé d’garder son ergent qué d’la ganger... Véyons, à combin qu’ça peut r’véni vos orreries... Oh ! c’est histoueîre de saver...

MARGUERITE

Une bague et des pendants d’oreilles pour commencer... mettons 30 écus l’un dans l’aute.

MARIN

(A part.) Aïe !

MARGUERITE

Une broche, vingt écus à pu prée...

MARIN

(A part.) Aïe !

THOMAS

(A part.) Çà li fait rondi lé z’yeux, çà !

MARGUERITE

En peut bin aver la monte et la chaigne pour 15 pistoles.

MARIN

Et pis aprée ?

MARGUERITE

Mée, c’est tout.

MARIN

Non, fallait pas vous geîner, j’pouviez continuer, en vait bin qué j’parlez d’affeîres qué jé n’payez point.

THOMAS

(A part.) C’est li qui fait noir !... Bisque-t-i ! Bisque-t-i !...

MARGUERITE

R’merquez bin qué jé n’parle point du meube ni du linge, c’est popa qui les donne ; çà qu’a coûté pus d’quinze cents francs. Aussi, séyez tranquille, j’n’airons ni bâquaux ni chiffes.

MARIN

(A part.) Quinze cents francs ! I devient innocent, l’bonhomme, jé l’f’rai interdire : il airait bintôt mangé toute la bricolle. (Haut.) J’disiez don qu’ces orreries-là s’émontraient à eune... trentaine dé francs ?

MARGUERITE

Bin pusché qu’ça... mettons 30 écus, pis 20 écus, pis 15 pistoles, ça fait... 30 pistoles, j’crai...

MARIN

Véyons, Margrite, n’séyez don point si éfant !... Chongez don qu’tras cents francs à cinq du cent çà fait 15 francs d’rentes ! Quinze francs d’rentes par ci, quinze francs d’rentes par là, en finit par en aigripper mille. T’nez, jé n’veux point bacicoter, leîssez-mai feîre, jé n’vous en r’pentirez point : j’vous donn’rai des orreries moins cheîres et qui f’ront bin pus d’effet. Ainsi, l’aut’jou, à l’assemblée d’Sainte-Escolasse, j’ai vu des orreries qu’étaient si belles ! si belles !! qu’en n’n’avait des béluettes dans lé z’yeux rin qu’à les r’garder. Pour 4 francs, en avait eune broche manifique, pour 20 sous eune bague d’ové des diamants. Tout ça r’luisait, malheur ! cent fois pus qué d’l’or vrai.

THOMAS

(A part.) Des orreries d’Villedieu, quoi !

MARIN

Allons, c’est-i entendu ? Tapez dans la main, j’vous ajét’rai tout ça à Sées, la s’maigne qui vient, en m’nant deux coureux à la foueîre.

MARGUERITE

Non, non, j’veux d’vraies orreries ou j’en restons d’en par éiou !

THOMAS

(A part.) J’ai bin envie d’l’affronter.

MARIN

Allons, n’vous fâchez pas, j’vous donn’rai tout ça, pisqué jé l’vélez absolument : (à part) en rattrap’ra ça d’un aute côté. (Haut.) Mée, pou c’qui est d’la monte, leîssez-mai vous donner celle qui m’est v’nue d’mon onque. En vl’à eune rude monte ! C’est pas comme ces méchants affûts qu’en vend anuy, des montes lerges comme des pièces de 40 sous et qu’enporte toutes les s’maignes cheux l’orfeuve ; la monte dé d’cheux nous, véyez-vous, en n’n’a plein la main, ou pèse bin deux bons hectos et on l’entend marcher du mitan d’la cour ! En v’là eune monte ! oul a des r’sorts solides, lai !...

THOMAS

(A part.) Grand cro, va.

MARGUERITE

Allous m’éluger comme ça longtemps ? j’vous dis qué j’veux tout flambant neu... ou bin aguieu l’mariage.

THOMAS

(A part.) Oul est d’mauveîse  himeur, ou n’est pas facile à ramarrer !

MARIN

J’nétes gueîre révérende à c’qué j’vai... Eh bien ! ramissons-nous, j’airez tout ç’qué j’demandez, mée jé n’lé dirai pas cheux nous : moman f’rait les cent dix-neuf coups, ou mé r’mancerait, ou m’agonîserait d’mauveîses reîsons !... Mée, jé m’promettez d’bin écolomiser pour r’gangner çà ?

MARGUERITE

Séyez tranquille, j’savez qué jé n’sais point malaucurieuse et qué j’connais l’feîsant valoir. N’caôsons pus d’ergent, ça m’fait trop marronner, et pis, allez, l’ergent n’fait point l’bonheur.

MARIN (riant.)

L’ergent n’fait point l’bonheur !... Ah ! ah ! çtite-là qua dit ça n’avait point volé l’Saint-Esprit dans s’n’église.

MARGUERITE

J’lai pourtant ouï dire par des gens riches qu’étaient tout plein savants.

MARIN

Pargué, i l’contaient pour consoler ceux qui n’ont rin, créyez-lé bin. Mée, malgré ça, j’sais un brin d’leus sentiment, et la preuve, c’est qué j’sais à même tous les jous d’la fille à Jérôme, qui s’ra bin riche d’ici quioque temps.

MARGUERITE (vexée.)

La fille à Jérôme ?... Bin oui, parlez-mai de çté méchante gestieîre-là, oul est belle, ma foi ! eune petite nabotte.

MARIN

Son peîre li mettra dix mille francs sous chaque pied, ça la grandira.

THOMAS

(A part.) Véyez don comme i s’crampe !... I lève la teîte comme un co qu’est effalé.

MARGUERITE

Oul est rousselée comme un œu d’dinde, oul hacquetonne, oul est calorgne...

MARIN

Hein qu’ou n’bîcle point quand ou dort à côté d’ses écus !

MARGUERITE

Oul est maline comme un mouron.

MARIN

Çà s’peut bin, mée oul est forte, allez ; ou monte sans s’geîner eune somme dé grain d’la cour dans l’grégnier, qu’çà peut feîre l’écolomie d’un domestique : c’est à considérer...

THOMAS

(A part.) I n’connaît gueîre les nouvelles : la fille à Jérôme est mariée dé ç’t’arrieîre-seîson.

MARIN

Mée, n’caôsons point d’çà, nous v’là à la quittée, l’co du quiocher a tourné dedpis eune pause, i pourrait co bin chais d’l’iau d’acquard.

MARGUERITE

Çà s’rait pas une affeîre : en s’mettrait en tapis sous ç’fouquau-là.

MARIN

Mée, si preumier qué d’s’en aller cheux vous, j’chantions core eune fois la Chanson d’la Mariée ? (1)

MARGUERITE

J’veux bin, mée dépêchous... mettous là-bas en face dé mai... là... bin... J’fais la mariée, comme dé juste, et j’sais comme qui dirait assise sus la selle au haut d’la table. Vous, j’faisez les garçons d’honneu, qui sont dehô ovec lé joueux d’violon... C’est à vous d’commençer.

MARIN

De l’île de Bourbon,
Nouvelle mariée,
Nous venons sans façon
Chanter votre hyménée.

MARGUERITE

Jé n’mettez gueîre sus l’air.

MARIN

Ah dame ! jé n’sais pas chanter en musique, mai.

THOMAS

(A part.) Ah pargué non, i beugle comme un viau qua la teîte prise dans un échellier.

MARGUERITE

Ecoutez-mai... (Accentuant la cadence.)
Messieurs jé n’connais point
Ni vos chants ni vous-mêmes,
Pâssez votre chemin
Je vous en prie moi-même.

MARIN

Dites don, Margrite, jé n’sais pas si jé m’trompe, mée i m’semble qué vot’peîre a bin mauveîse mine dedpis quioque temps !

MARGUERITE

Mée non, il est bin courbaturé par ci par là, mée çà n’l’empêche point d’aller à son ouvrage.

MARIN

N’a-t-i point quioque étourditions ?

MARGUERITE

Ma fai, non.

THOMAS (furieux.)

(A part.) J’ai bin du mal à mé r’téni.

MARIN

Allons, tant mieux, j’sais bin aise dé saver ça... C’est qué j’l’eîme bin vot’peîre, un si bon homme !... Mée, quel âge qu’i peut bin aver ?

MARGUERITE

Il aira cinquante ans à la Mont-Carmel.

MARIN

Qué çà ? Ah bin ! i n’est point trop ancien.

THOMAS

(A part.) Il a sûrement envie dé m’détruire.

MARGUERITE

J’n’étons point près dé l’perde. Guieu merci ; il est d’eune famille ousque vêquit vieux : son peîre est mo à quatre-vingt-quatorze ans...

THOMAS

(A part.) C’est ça qu’est envéyé !... Mets-çà dans ta poche et ton mouchoué par dessus.

MARGUERITE

Sa meîre, lai, est morte à quatre-vingt huit ans et core pasqu’oul était chute dé sa hauteur.

MARIN

(A part.) Mâtin d’mâtin ! j’sais volé comme dans l’fin fond d’un bois.

MARGUERITE

Mée, éioù don qu’j’en étons restés d’not’chanson... C’est à vous dé r’prenne, j’crai...

MARIN

Avant dé nous r’tirer...

MARGUERITE

J’vous dis qué jé n’mettez point sus l’air.

MARIN

Quai qué j’vailez, j’ai la teîte un brin dure pour apprenne des chansons, c’est tout comme pour danser, j’n’ai jamée pu mettre eune jambe dévant l’aute.

THOMAS

(A part.) J’ai bin envie d’li feîre danser la malaisée, mai !...

MARIN

Avant dé nous r’tirer,
Madam’ la Mariée,
Permettez-nous d’chanter
Votre heureus’ destinée.

(A part.) C’est tout d’même un biau parti la fille à Jérôme, son peîre est potrineîre et sa meîre n’a pas la vie à quat’ jous...

MARGUERITE

Chantez, Messieurs, chantez,
La société s’empresse
A bien vous écouter,
Je vous en fais promesse.

(A part.) J’ai-ty un drôle dé bon ami ! I n’m’a s’ment pas core embrassée dedpis qu’il est là... Oh ! si c’était Thôdore !

MARIN

Vous vivrez très longtemps
Sans peine sur la terre,
Et votre époux constant
Sera doux et sincère.

(A part.) Faudrait qué j’véye si l’bonhomme n’a point l’cou un brin court...

MARGUERITE

Continuez de chanter,
Chevaliers qui voyagent,
Puisque vous connaissez
Les dons du mariage.

(A part.) C’est-i malhureux qu’Thôdore n’ait pas un brin dé d’quai !... Sans ça, pardi, popa voudrait bin.

MARIN

Dès l’âge du berceau,
Votre ange tutélaire
Vous prépara l’anneau,
Aussi le diadème.

(A part.) Sans l’pré des Marettes qui fait rudement mon affeîre...

MARGUERITE

Vous nous comblez de biens
De vœux et de richesses,
Et vos doux entretiens
Nous mett’ en allégresse.

MARIN

L’Eglise vient de bénir
Votre union époux tendres,
Et vous garde à venir
Des richess’ abondantes.

(A part.) Si son p’tit freîre n’était point là, j’n’airais point co trop à m’plainde, mée bin qui n’saye haut comme rin, i casse sans s’geîner les pièces dé cent sous pa l’mitan (2).

MARGUERITE

Le ciel soit adoré,
Les anges et Dieu lui-même
Et vous qui prédisez,
Soyez bénis de même.

MARIN

Vous tous qui contemplez
Votre jeune épousée,
Priez-là de bonté
Qu’elle nous permett’ l’entrée.

(A part.) Si l’peîre Thomas vêquit jusqu’à quatre-vingt-quatorze ans, j’n’étons point près, malhureusement, d’abattre la hâ qui nous sépare.

MARGUERITE

Entrez, Messieurs, entrez,
Partagez notre fête,
Car vous le méritez,
Sans savoir qui vous êtes.

MARIN

En vous remerciant
Madam’ la Mariée,
Oui nous allons entrer
Pour vous voir couronnée.

MARGUERITE

La d’sus j’entrez dans la meîson et j’chantez l’dergnier couplet.

Salut, respect, honneur,
Oh ! société aimable,
Nous entrons de grand cœur
Pour vous y voir à table.

THOMAS

Bravo l’z’éfants, j’chantez d’fin premieîre, j’en r’montrez, pour lé certain, ès curouges et ès mésigues.

MARIN

(A part.) J’parie qu’i nous aiguettait, l’vieux finassier.

MARGUERITE

Hélà ! qué l’Guiâbe n’sait pas d’ses tours ! v’là popa qu’est huché dans l’fin haut d’un fouquau ! Mée quai qu’tu fais don, as-tu envie dé t’péri ?... J’en sais en frague !...

THOMAS

J’vélais dénicher des pupus, mée l’nic est enhaï... N’aie point poux, va, j’vas bin descende, j’sais core soupe... (Il descend lentement.)

MARGUERITE

Prends bin garde dé décroûler... n’mets pas ton pied sus d’méchants sicots surtout... eh ! la branche berdance... l’corps m’en trute...

MARIN

T’nez, peîre Thomas, happez don la branche qui balle... là... sous vous, et pis leîssez-vous guisser tout doucétrment... V’lous qué j’vous ainde ?

MARGUERITE

J’en fruble !...

THOMAS (prenant son élan.)

Une..... deusse..... (sautant à terre) et mé v’là.

MARGUERITE

En v’la-t-i d’eune dévignée d’aller griper comme çà dans lé z’abres !... Ça qu’avient bin à un homme de ton âge.

MARIN

Boujou, peîre Thomas, comment qu’j’allez à soi ?

THOMAS

J’vas l’guiâbe, Marin... J’sais justement content d’vous vais, j’ai quioque chose à vous dire qui va vous feîre pleîsi... (A Marguerite.) Tai, va vais à la meîson si j’y sais... leîsse tes siaux, j’vas l’z’emporter. (Bas.) Fais dire à Thôdore que tu s’ras sa femme dans quioques jous ; j’f’rons les accords dimanche.

MARGUERITE (bas, à Thomas.)

C’est-i point eune attrappe, c’est-i point pour mé feîre enrager ?... Non ?... oh ! qu’t’es bon, popa. (Elle l’embrasse avec effusion et sort vivement.)

SCÈNE VIII

THOMAS, MARIN

THOMAS

Dame oui, Marin, j’vas vous dire eune affeîre qui va bin vous surprenne... j’vas profiter du mariage dé Marguerite pour feîre mes lots !

MARIN (stupéfait.)

Ah ! j’allez feîre vos lots !... (A part.) Mâtin ! si l’pré des Marettes allait m’échapper...

THOMAS

Véyous, jé m’sais dit à mon à part : « Jé n’mé soucie pas qu’mes éfants s’entechiénassent aprée ma mort à preupos de mon bien, et pour ça gna qu’un moyen c’est d’feîre les lots. »

MARIN

J’sais tout à fait d’vot’ sentiment, mée pourrious m’dire à qui qué r’viendra l’pré des Marettes... C’est histoueîre dé saver, j’pensez bin...

THOMAS

Les Marettes sont dans l’lot d’mon p’tit gas Henri.

MARIN (à part.)

J’l’avais bin dit qué j’s’rais volé ! Comment feîre pour mé tirer dé d’là ?

THOMAS (riant.)

(A part.) Il est au d’zo !

MARIN

C’est qu’çà change l’z’affeîres ça, peîre Thomas ; si j’avais iu la moinde doutance qué l’pré des Marettes n’mé r’vienne point un jou à v’ni, j’crais bin qu’en n’sé s’rait point entendu ès accords.

THOMAS

C’est bin ç’qué j’ai pensé, et la preuve c’est qu’il est v’nu anuy un gas m’demander Margrite et qué j’l’i ai promise tout de suite... I s’conviennent on n’peut mieux. J’leus donne la ferme qué j’ai à deux lieues dé d’là, pasqué, véyez-vous, les gens qu’y restent astheu la leîssent tomber en démence.

MARIN

(A part.) Bin, si j’m’attendais à ç’coup d’temps là... (Haut.) Mée, j’avez fait ça un brin à-la-va-vite, peîre Thomas, j’vous l’dis sans fâche, j’airiez co bin pu m’en caôser, en airait p’t’ête pu s’entende.

THOMAS

Ouai, c’était gueîre possibe, pasqué les Marettes n’iront jamée à Margrite.

MARIN

J’mentirais si j’disais qu’les Marettes n’mé conv’naient point. Pourtant, j’regrette bin qu’not’mariage saye manqué, j’airais été hureux d’eîte dé vot’famille... mée dès l’instant qu’les Marettes... (A part.) Mé v’la tiré, Guieu merci.

THOMAS

Consolous, allez, i n’chomme pas d’filles à marier dans l’pays...

MARIN

É sont co pu râles qué jé n’créyez.

THOMAS

Râles ?... ah ! bin oui, j’en connais eune masse, mai.

MARIN

J’voudrais co bin saver éiou qué j’les prénez ?

THOMAS

Y a d’abord la fille à Frédéric, eune belle ménageîre, dûre à l’ouvrage, écolome...

MARIN

Ou f’rait bin mon affeîre, ç’té-là, mée dites-mai don... a-t-é d’quai ?

THOMAS

Ah ! dame, pour ça non.

MARIN

C’est ennuyant... quelles sont l’z’autes dont j’vélez parler ?

THOMAS

Y a core la fille à Thôphile... En v’là eune belle fille ! Faut vais comme les gâs la r’luquent quand on sort dé la messe !... En dit qu’oul est bin travâillante et qu’ou conneît s’n’affeîre.

MARIN

J’en sais assez. Du moment qu’oul est gentille et qu’on s’conneît ès beîtes, j’vas aller la d’mander dé ç’pas ; ou d’meure tout prée dé d’la, j’crai... Mée, dites-mai don, a-t-é dé d’quai ?

THOMAS

Ou n’a pas grand chose.

MARIN

C’est ennuyant... en connaissous co d’autes ?

THOMAS

Y a itout la nièce à Bazile, la plus forte créature dé la contrée, ou pèse au moins deux cents.

MARIN (émerveillé.)

Deux cents ! Bou d’la, queue belle garcette... par éiou don qu’ou reste ? Jé n’connais gueîre l’pays, c’est pas ma tirée.

THOMAS

A la ferme des Lasserons, j’savez bin là-bas sus la côte, en tirant du côté d’Moulins.

MARIN

J’irai la vais dès demain. (Il serra la main à Thomas.) Merci, peîre Thomas, j’m’avez trouvé mon affeîre, à r’voi, et portous bin... (Revenant sur ses pas.) Mée, dites-mai don, a-t-é un brin dé d’quai ?

THOMAS

Ou n’a qu’ses dix daigts.

MARIN

C’est égaussant.

THOMAS

Pourquai qué j’n’allez point d’mander la fille à Jérôme... j’en étiez pourtant rud’ment entiché à ç’qué j’ai ouï dire... Çà ! ou n’est pas belle, ou n’est point c’mode nitout, mée oul est ergentée ; son peîre vient d’mouri et sa mère est bin bas.
MARIN

(Vivement.) Ah ! son peîre est mo !... Je n’sais pas si jé m’trompe, mée m’est avis qu’c’est l’plus biau parti du canton d’Courtemer.
THOMAS

C’est en véricotte vrai, les autes filles n’bossent gueîre auprée d’lai : c’est d’la grandeur... Mée, si j’la v’lez, courez vite, on n’dait point eîte à chomme dé bons amis... c’est amicablement qué j’vous l’dis.

MARIN

Eh bin, j’irai dès d’main matin au p’tit jou..... I s’fait tard, peîre Thomas, j’vas m’ensauver, j’n’eîme point nuitâiller sus les routes. A r’voi et bonjou cheux vous. (Il s’éloigne.)

THOMAS

A vous r’voi et bonne chance.

(Il prend les seaux et sort.)

THOMAS (revenant.)

Marin !... Marin !...

MARIN

Quai qu’y a ?

THOMAS

T’nez, jé n’sais point méfaisant, j’vas vous dire, c’était eune attrape...

MARIN

Quai qu’j’entendez dire par là ?

THOMAS (en s’éloignant peu à peu.)

La fille à Jérôme est mariée dedpis 8 mois et jé m’sais laissé dire qué, dans ç’moment-ici, ou cherche un parrain. (Il disparaît en riant.) Ah ! ah !...

MARIN (furieux.)

Mille milliasses dé sort, j’sais bringé !

_______
NOTES :
(1) Cette chanson est très connue dans l’arrondissement d’Alençon, où elle est encore dite à la campagne, dans la plupart des repas de noces.
(2) C’est-à-dire que la naissance de cet enfant nécessitera le partage de la succession paternelle.


BONUS : Le mal de Saint (1913), nouvelle en parler bas-normand de Pierre de Hertré (pseud. de Charles Vérel)

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