VASNIER, Louis-François. (1802-1861) : Petit dictionnaire du patois normand en usage dans l'arrondissement de Pont-Audemer.- Rouen : A. Lebrument, 1862.- IV-72 p. ; 22,5 cm.
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PETIT DICTIONNAIRE
DU
PATOIS NORMAND EN USAGE
DANS L'ARRONDISSEMENT DE PONT-AUDEMER.

Par L.-F. VASNIER.


PROVERBES

Beaucoup de proverbes ont cours dans l'arrondissement de Pont-Audemer. Nous ne citerons ici que ceux que nous n'avons pas entendus ailleurs.

l. - PROVERBES EMPRUNTÉS A LA VIE DES CHAMPS.


Quand il aura hersé ce que j'ai labouré. - C'est-à-dire : quand il aura travaillé autant que moi.
Les petits sillons produisent plus que les grands. - Une affaire médiocre bien conduite rapporte souvent plus qu'une affaire importante mal dirigée.
Etre échauffé comme un flés (un fléau) qui n'a battu de six semaines.-Etre froid et glacé.
Etre sâs (saoul) comme une beine.- La bine est un réservoir en fortes tresses de paille, ayant la forme d'une barrique et qui servait principalement autrefois pour conserver le blé.
Il y a du déchet dans la filasse. - La chose n'est pas ce qu'elle paraissait être d'abord.
Avoir d'autres pois à lier. - Avoir quelque chose de plus pressé à faire que ce qui est proposé.
N'entendre ni à dia ni à hue. - Etre entêté ou ne rien comprendre.
C'est un sac à tout grain. - C'est un mangeur peu difficile ou un homme qui prend de toute main.
Le plant aime le hant. - La fréquentation du bétail favorise la végétation.
Manger comme un batteur en grange.- Avoir grand appétit.
Faut pas tant de beurre pour faire un quarteron.- Il ne faut faire d'embarras pour une chose de peu d'importance.
Il sont camarades fauqueux, ils trempent dans le même buhot. - Ils ont la même maîtresse. Allusion au récipient en corne dans lequel les faucheurs humectent leur pierre à aiguiser.
Faire une chose mais que (lorsque) les poules pisseront. - C'est-à-dire : jamais.
Pain tendre, beurre frais, cidre doux et jeune femme, c'est le bonheur de la vie.
Manger pain chaud, boire cidre doux, brûler bois vert, c'est mettre la maison au désert.
Pour filer, faut mouiller.- Pour travailler fort, il faut boire.
Retrousser la queue sans feurre. - Donner un coup de fouet, une correction. Allusion à l'usage de retrousser la queue des chevaux avec une tresse de paille, lorsqu'on les conduit à la foire.
Bourgeon n'est pas fleur, fleur n'est pas pomme, pomme n'est pas beire (cidre). - Il ne faut pas se fier aux apparences.

2. - PROVERBES TIRÉS DU RÈGNE ANIMAL.


Sérieux comme un âne qu'on étrille, - comme un âne qui péte, - comme un chat qui pisse dans du son.
Tirer une chose comme des mésangles de dans un creux. - La mésange fait son nid dans le creux d'un pommier et l'on a beaucoup de peine à dénicher ses petits. On applique le proverbe principalement aux personnes qui semblent tirer à regret leur argent de leur poche.
D'un homme et d'un cheval ne faire que deux morceaux. - Faire beaucoup de bruit pour rien..
Epouser la vaque et le viau.- Prendre une femme enceinte ou déjà mère.
Faire un collier au viau avant qu'il soit né. - Faire prématurément une chose.
Vendre chat en pouque. - Vendre une chose sans la montrer, ou en dissimulant ses défauts.
Avoir une fièvre de renard. - Etre affamé. On dit souvent : il a une fièvre de renard, il mangerait bien une poule.
Vendre du lait de boeuf. - Tromper.
Se tenir comme des crottes de mouton. - Former une étroite association, se tenir unis, se défendre envers et contre tous.
Reprendre du poil de la bête. - Passer de l'état maladif à l'état de santé. C'est une allusion à cette croyance que la morsure faite par un chien enragé peut être guérie au moyen de l'application d'une partie du poil de l'animal sur la plaie.
Ne pas valoir les quatre fers d'un chien. - N'avoir aucune valeur, aucune qualité.
Aller débrider un chien. - Faire une démarche inutile.
Noble comme les quatre quartiers d'un chien.
Si on savait les trous, on prendrait les loups. - Si l'on connaissait le côté faible d'une chose, on en viendrait aisément à bout.
Etre plus embarrassé qu'une poule qui n'a qu'un poussin. - Se donner pour une affaire plus d'embarras qu'elle ne comporte.
Faute de poisson, on mange des moules.-Quand on n'a pas ce qu'on désire, il faut se contenter de ce qu'on a.
Etre comme quien et cat.- Etre en état d'hostilité.
A l'épine fleurie, adieu alose, mu mie. - La présence de l'alose dans les eaux de la Seine cesse lors de la floraison de l'aubépine.
Il est capé comme le c-l d'un singe. - Equivalent de la locution moderne : « Il est pané ».
Etre adroit de sa main, comme un cochon de sa queue. - N'avoir aucune dextérité.

3.- PROVERBES SE RAPPORTANT AUX SAISONS, AUX MOIS, AUX JOURS.

A la saint Vincent,
Tout gèle et tout fend.

A la Chandeleur, les grandes douleurs ;
Les jours sont rallongés d'une heure.

Février remplit la fossés, mars les vide.

L'hiver n'est jamais bâtard ;
S'il ne vient tôt, il viendra tard.

Sil pleut le jour saint Marc,
Il ne faut ni pouque ni sac.

Quand il pleut en avril,
Appréte ton baril.

Jamais le mois d'avril
Ne s'en va sans épi,
Et le mois de mai
Sans épi de blé.

A l'Ascension, mâque de la chai tout tan saoul,
Pour étre plus fort au mois d'août.

S'il pleut le jour de saint Médard,
Il pleut quarante jours plus tard.

A la Madeleine,
Les noix seront pleines ;
A la Saint-Laurent,
Regarde dedans.

A la fête de sainte Luce,
Le jour croit du saut d'une puce.

Aujourd'hui jour de saint Thomas,
Cuis ton pain et lave tes draps ;
Dans huit jours Noël tu auras.

Il n'y a point de samedi,
Où le soleil ne luit.

4. - PROYBRBES DIVERS.

La centaine est mêlée. - Les affaires s'embrouillent. La centaine est un petit faisceau de fil qui fait partie d'un écheveau et sert à l'attacher.
Brailler comme une brouette mal graissée. - Pousser de grands cri.
Il est comme mon bonnet ; il a plus de goule que d'effet. - Il parle plus qu'il n'agit.
Liard à liard la coutume se ramasse. - Avec de l'économie, petit à petit, on acquiert de l'aisance.
N'être jamais du premier bateau. - Se trouver toujours en retard. Allusion aux divers départs des bateaux de la Bouille à Rouen.
N'y voir que du brouillard. - Ne rien comprendre à une affaire.
Mettre le grapin sur quelqu'un. - Le tenir sous sa dépendance.
Etre comme le c-l et la chemise. - Se suivre comme m... en chemise. - Etre inséparables.
Ils sont comme St Roch et son chien ; qui voit l'un voit l'autre.
Il beirait la mé et les peissons. - Pour exprimer un grand buveur, ou un homme très-altéré.
Il vaut mieux le charger que le saouler. Pour qualifier un grand mangeur.
Etre à pain et à pot avec quelqu'un. - Vivre en grande familiarité avec lui.
Vivre à hache et à mache (masse) avec quelqu'un. - Etre toujours en querelle avec lui.
Peter plus haut qu'on n'a le c-l. - S'élever plus haut que sa condition, dépenser plus que ses moyens ne le permettent.
Avoir les yeux plus grands que le ventre. - Vouloir plus de nourriture qu'on n'en peut manger.
Une épingle, c'est la journée d'une femme. Allusion à l'insuffisance du salaire des femmes, principalement dans le passé.
Ne pas se laisser mâquer le c-l par les mouques (mouches) faute d'un coup de queue. - Se dit de certaines femmes, par allusion à l'habitude des animaux de basse-cour de s'émoucher avec leur queue.
Elle tirerait mieux sans qu'minze (chemise) que notre jument sans collier. - Jeu de mots proverbial que l'on applique aux femmes suspectes.
Elle est couverte en ardoises, les crapauds ne montent pas dessus. - C'est la contre-partie des deux proverbes précédente.
C'est la famille à Riquiqui, tant plus il y en a, tant moins ils valent.
C'est un compliment de matelot, il est court et sot. - Une injure, une brutalité en peu de paroles.
Ses rentes sont hypothéquées sur les brouillards de la Seine. - Il ne possède rien.
Brûler sa chandelle par les deux bouts. - Faire des dépenses exagérées.
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. - Réponse proverbiale à des conseils dont les avantages sont douteux.
De voleur à voleur, le diable s'en rit. - Qu'importe qu'un fripon dupe un autre fripon !
Foure de quien (chien) qui s'alause ne vaut pas grand' chose. - Un homme sans valeur qui fait son éloge n'en est pas moins un homme sans valeur.
Il est comme Barrabas et la Passion, on le trouve partout. - Ou. bien : il est comme gloria patri, il est fourré partout.


PARABOLE DE L' ENFANT PRODIGUE.

Un père avait deux effants ; l'cadet li dit ment cha : - Man père, baillez mai ce qui deit m'erveni d'vot'bien. Et le bonhomme déguenassit s'n'ergent et leux sépartagit san de quoi.
 
Après que le pus jeune eut hallé à san père le pus qu'il put, il s'ensauvit dans un endreit oyoù qu'il mâquit tout ce qu'il avait, dans des dépotayers et des much'-tan-pot, avec un tas de braudées, de quaimands, et autres genées.
  
Drès qu'il eut tout envalé ment un saffre, et qu'il en fut hâqué au point de rebouquer dessus, il arrivit eune grande fameine ; et comme i n'avait point eune crôte à se fourrer dans la goule, il eut quasiment la faimvalle.

I dévala devers la ville, et trouvit à se placher cheux un moussieu, qui l'envéyit ava lés camps pour garder lés pourcias et lés treues.
  
Il eût bien voulu, ilau, pûcher à même les claffrées d'écales, de peires blèques et de pluquettes que les cochons baffraient, pour remplir sa falle ; mais pièches ne li en baillaient. Et pis sa pannée était en loques, il était nu-gambes ; il avait bein freid.

Il s'dit en tout par li : J'sieux un blot, un vrai atot ; y a dans la maison de nos gens des garchons de querrue et des batteux en grange qui mangent des pies et des flambées quand no cuit, tandis que mai, ichit j'nai tant seulement pas un miet de d'qui à me mettre dans le gavion.

Faut que j'prenne m'n'équeurce, et que j'men voige cheux nos gens. J'dirai à man père : - J'sieux un sotas, un piant ; j'ai tout mâqué ; j'en ai ben deu, allez, et je n'sis pus deigne d'être appelé vot' fils. Traitez mai ment le drenier des journaliers qu'os avez l'endreit.

I se levit et s'n'allit après san père, mais quand stichitte le vit si pitiable et si loquetu, il en crétit, et courant à li, i se j ettit à sen cô et l'embrachit.
  
L'éffant, qu'était pas mal coinche, li dit : - Man père, j'ai bigrement mal agi envers vous ; j'en bisque assez, marchez ; mais annuit j'sieux bien duit.
  
Le bonhomme li réponnit : - Pisque te v'là, n'causons pus de cha. Et i dit à ses gens : - Baillez li une plaude toute risant neuve et un capet ; mettez li des cauches aux gambes et des galoches ès pieds ; fourrez li le deit dans un annet.

Allez étout quérir un viau gras ; tuez le ; mêlez y le salé qu'est dans la tinette ; tirez de la meilleure bêchon et du pré ; faut que j'fachions eune fière boustifaille.
  
Pa'ce que man garchon, que v'la, avait mouru et il est ersuscité ; il était adiré et il est artrouvé. Et on c'menchit à bouffer le fricot d'eune rude fachon.
  
Pendant cha, l'ainné fils qu'était ava la campagne à réquer des pommes à beire, ervint cheux ses gens. Quand il approchit, il fut bein surprins de veir de la mâquaille comme si c'était dans les gras-jours.

Et il app'lit un des gens pour saveir qui que c'était que tout cha, et pour qui tout su feton là .

Stichitt li réponnit : - C'est vot' besot qu'avait fiché le camp et qu'est arvenu dans la débine ; et vot' père, au lieur de quêcher, l'a débraudé et requinqué , et pis il a c'mandé de tuer le viau gras .

Ah ! c'est ment cha ! qu'i dit ; i faut se dejuquer de la turne et mâquer san de quoi pour qu'on vous fasse des repas de Lisieux ! c'est de la gabegie; j'veux pas être témoin d'ces giries là.

Mais san père l' aperchut et li dit : - Vi t'en aveu nous, fieu.

Et stichitte li réponnit : - Man ch'pére, v'la tout plein des années que j'vos sers sans rebouquer sus ce que vous m'avez c' mandé ; malégré cha, vous ne m'avez jamais baillé ni chai, ni béchon, ni ergent, pour me régaler aveu d's amis ;

Mais vot' aut' effant s'ensauve ; i va mâquer tout san de quoi avec d'autres manjurias et des gouines ; il revient tout décaduit, et vous vous baillez n'sai cobein d'détourbier à s'n égard !

Le père li dit : - V'la ben du bagout, et su potin là c'menche à m'éluger. N'sais tu pas bein qu'tout ce que j'ai est à tai et qu' tu seras aussi bein étoré qu' là été tan frère ?

Mais quand le mauvais gas qu'était adiré est ertrouvé ; quand stila qu'avait mouru est ersuscité, fallait pas l'effoucher ni l'erbuter ; au contraire, fallait choquer pour fêter san retour.

FIN.


PRÉFACE & INTRODUCTION - A / M - N / Fin
PROVERBES & PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE


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