SMITH, John Spencer (1769-1845) : Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie, lue en 1820 à l'Académie Royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de la Ville de Caen.- Seconde édition.- Caen : Chalopin fils, [1820].- 27 p.-[5] f. de pl. + 1 f d'Errata ; 20 cm.

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PRÉCIS
D'UNE DISSERTATION
SUR UN
MONUMENT ARABE
DU MOYEN AGE
EN
NORMANDIE,

LUE EN 1820 A L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE LA VILLE DE CAEN ;

PAR

J. Spencer-Smith

Membre de l'Université d'Oxford ; de la société Royale pour l'accroissement des Sciences Naturelles,
 de la société des Antiquaires, et de la société d'encouragement,etc., etc., de
Londres ;
 des sociétés Asiatique et de Géographie, de
Paris ;
de l'Académie Royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres, de la ville de
Caen ;
 des sociétés Linnéenne du
Calvados, et des Antiquaires de la Normandie ; etc.

In tenui labor.
VIRG. Georg. iv, 6.

SECONDE ÉDITION.
_____

CAEN,
CHALOPIN FILS, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE


~ * ~

Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie, lue en 1820

~ * ~

ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
DE LA VILLE DE CAEN
______________

Extrait du Procès-verbal de la séance du 14 avril 1820.

Présidence de M. le comte DE MONTLIVAULT.
___________

M. SPENCER SMITH, Associé-correspondant, lit
une dissertation sur la Cassette orientale de Bayeux.



ON conserve depuis un temps immémorial, dans le trésor de l'église cathédrale de Bayeux une relique que l'on appelle la chasuble (1) de St.-REGNOBERT, accompagnée d'une étole et d'un manipule qui sont tous les trois évidemment d'une grande ancienneté, et très-remarquables sous le triple rapport de la forme de la matière et du travail.

La chasuble diffère de celles en usage de nos jours qui laissent les bras découverts : elle est absolument infondibuliforme ; c'est un demi-cercle dont le rayon est de quatre pieds de roi, ployé en deux , formant ainsi un quart de cercle, et ayant les deux bords cousus depuis la circonférence jusqu'au centre à l'exception d'une fente laissée au sommet de l'angle pour y passer la tête. Cette forme conique ne permettant pas à la personne revêtue de la chasuble l'usage de ses mains un ruban attaché sur chaque épaule au croisillon de l'orfroi (2) sert à retrousser le bas du vêtement. Cet orfroi paraît très-ancien, plus même que l'étoffe dont la chasuble est faite : son tissu est formé de losanges ; il a deux pouces de largeur sur le devant et sur le dos trois pouces et demi. L'étoffe de la chasuble se rapprocherait, par sa contexture, des étoffes de soie de la Chine, nommées lampas, façonnées à peu près comme les gros de Tours brochés ; elle est à fond bleu , parsemé de pois blancs de deux lignes de diamètre, régulièrement espacés par groupes de trois, ou, en terme de blason, deux et un, de manière à former des petits triangles. La chaîne et la trame sont de soie extrêmement torse ; de sorte que le grain de l'étoffe est très-saillant. En dernier lieu, la chasuble est doublée de soie plus légère, couleur violette unie.

L'étole (3) a sept pieds huit pouces de longueur sur un pouce huit lignes de largeur ; vers les extrémités elle s'élargit insensiblement d'environ un pouce et demi de plus et les bouts sont garnis d'une petite frange en soie verte. Son étoffe est composée de bandes alternatives de quatre pouces de longueur, l'une en soie violette l'autre en drap d'or toutes les deux brodées en semences de perles et bordées d'un galon de soie verte : le dessein de la broderie présente une série de carreaux dont les entrelacemens forment des croix en sautoir ; et l'ensemble du travail porte le cachet oriental. Le manipule (4) a la même forme que l'étole : comme elle il s'élargit par le bas ; mais il n'a que quatre pieds de long et n'est pas brodé en perles.

La chasuble, l'étole et le manipule sont contenus dans une cassette d'ivoire de forme oblongue ayant un pied trois pouces sept lignes de longueur, dix pouces cinq lignes de largeur, et quatre pouces huit lignes de hauteur non compris les quatre pieds qui sont hauts d'un pouce. Ce coffret est armé sur tous les côtés de plaques d'argent doré qui contribuent à sa solidité et qui sont ornées d'arabesques relevées en bosse d'un travail fini ; parmi ces ornemens on retrouve le plus fréquemment des paons disposés par paires ayant leurs queues palmées et contournées de manière à se lier aux formes variées de l'arabesque : on y voit aussi, mais moins répétés, d'autres oiseaux qui se rapprocheraient de l'ordre naturel des gallinacés. Le couvercle est composé de deux planches d'ivoire liées tant par le prolongement des charnières (qui sont également de vermeil ciselé) que par diverses plaques placées en équerre entre les coins. Au milieu de la face antérieure du coffret se trouve une grande plaque qui a cinq pouces de largeur, des deux bords de laquelle sortent deux pivots d'argent, saillans de huit lignes, dont les têtes arrondies sont taillées à facette et percées à jour pour y laisser introduire une petite verge ronde du même métal, servant à maintenir un écusson à charnière qui protège la serrure. Cette pièce est percée, dans le centre, d'un trou cruciforme (-|-) qui répond à celui de la serrure ; et sur son revers on voit gravé un dessin léger de fleurons dans le genre arabesque. En relevant l'écusson on découvre un disque d'argent dans le centre duquel se trouve l'entrée de la serrure, entourée d'une inscription en caractères orientaux : la forme des lettres en est déterminée par deux traits de burin : l'espace entre ces deux traits ou l'épaisseur des lettres, est en grande partie noire, et il semble qu'elle ait été dans le principe tout-à-fait remplie de cette couleur laquelle paraît avoir été produite par un vernis qui a oxydé la surface du métal (5).

Telle est la description en détail de trois raretés renfermées dans une autre ; et ces quatre objets constituent un monument du moyen âge curieux et intéressant au plus haut degré.
L'inscription n'avait pu être déchiffrée jusqu'en 1714, quand on s'avisa d'imiter ces caractères inconnus et de les envoyer à Paris au sieur PETIS-DE-LA-CROIX, qui n'hésita pas d'en donner la version suivante : -

Bismillah !an coumna lilla caouman len na coum hou cama y a lik fana coum hou bilismi,

Ce qui signifie : -

« Au nom de Dieu ! quelque honneur que nous rendions à Dieu, nous ne pouvons l'honorer autant qu'il le mérite ; mais nous l'honorons par son saint nom. » (6)

M. SPENCER SMITH, qui a long-temps habité Constantinople , reconnut l'inscription pour être une variante de cette ancienne écriture arabe bien différente de celle actuellement en usage ; il crut que la traduction de l'orientaliste français était trop longue et partant inexacte. Il fit faire un fac-simile de l'original et l'envoya au célèbre orientaliste allemand M. DE HAMMER, à Vienne : celui-ci l'a renvoyé avec cette leçon en caractères européens : -

Bism'illah er-rahmân er-rahym ! Birruhu kamilet ve niamihi schamilet,
Et l'interprétation qui suit : -

« Au nom de Dieu clément et miséricordieux ! sa justice est parfaite et sa grâce immense. »

Ou mot à mot en latin : -

In nomine. Dei miseratoris misericordis ! justifia ejus perfecta et gratia ejus comprehendens (7).

L'ancienneté de ce monument ne peut se déduire que par des rapprochements. L'écriture arabe usuelle du siècle de MOHAMMED laquelle auparavant avait porté les noms des villes les plus considérables où elle était employée prit alors le nom de koufy à cause du perfectionnement qu'elle reçut dans les écoles de Koufa ville de l'Irak babylonien, fondée l'an 17 de l'hégire (8), et qui devint siège des premiers khalifes (9). Avec le temps, cette écriture éprouva, à différentes reprises des changemens considérables, et reçut divers noms particuliers. Les arabes distingués par leur activité et par l'esprit de conquête, ont tellement répandu leur écriture que des inscriptions, dans le caractère avec lequel celui du monument de Bayeux a le plus d'affinité ont été trouvées non seulement en Afrique mais encore à Malte, en Sicile, en Italie en Espagne, et même en France ainsi que des médailles , des pierres gravées , et des pâtes de verre qui offrent des caractères koufiques qui sont toutes des premiers siècles de l'islamisme ; ce qui donne à la cassette de Bayeux de six à neuf cents ans d'antiquité (10).

Mais comment le coffret est-il venu en France, et à quelle époque ? Le père TOURNEMINE le regardait comme un présent de la reine HERMENTRUDE, épouse de CHARLES II, dit le Chauve, et comme ayant été trouvé dans le camp des Sarrasins après leur défaite près de Poitiers, en 752, par CHARLES-MARTEL, et que cette reine en fit cadeau à l'église de Bayeux pour renfermer la chasuble de St.-REGNOBERT à cause de sa vénération pour ce saint évêque par l'intercession duquel elle avait obtenu la guérison du roi son époux. Une autre tradition plus répandue même parmi le clergé de la cathédrale fait arriver cette cassette au temps des croisades, et on croit la devoir à la' libéralité de ST.-LOUIS.

Après avoir examiné scrupuleusement les probabilités qui militent en faveur de ces deux opinions, Mr. S. S. penche vers la tradition qui place vers l'époque des croisades l'arrivée de cette cassette à Bayeux ; et pour s'appuyer sur des faits historiques il rapporte une dissertation de M. l'abbé DE LA RUE sur l'origine de la tapisserie attribuée à la reine MATILDE (11) où ce savant écrivain, d'après lequel la cassette existait à Bayeux dès le XIe. siècle, observe que si la tapisserie eût été faite peu de temps après la conquête de l’Angleterre par GUILLAUME-le-Conquérant, il aurait été inévitablement brûlée dans le sacagement de Bayeux et de ses églises en 1106, ainsi décrit par un Fête contemporain :

« A Baieues ensemble alerent
« Li reis è li quens s'asemblerent
« Li bore firent tot alumer
« Dune véissiez flambe voler
« Chapeles arder è mostiers
« Maisons tresbuchier è celiers
« E l’iglise de l’eveskie
«  Où mult aveit riche clergie
« Tote fu l'iglise destruite
« Et la richesse fors conduite. »

(ROBERT WACE : Roman de Rou. A. D. 1160, l. 16220.)


ou selon Mr. D. L. R., si elle eût échappé à la destruction, qu'elle aurait été transportée en Angleterre, et que la cassette a pu être respectée à cause de la relique qu'elle renfermait. M. SPENCER SMITH dit au contraire que cette cassette était assez précieuse pour être un objet de convoitise ; et si elle eût échappé à l'incendie qui dévora Bayeux et ses édifices elle aurait été enlevée comme le furent d'autres objets tout aussi sacrés, et entre autres une soucoupe d'argent, trouvée en 1729 enfouie dans un parc vers le centre de l'Angleterre, et portant cette inscription en lettres onciales : Exuperius episcopus dedit ecclesiae Bagiensi (12).

Donc il est à présumer que si le coffret eût existé à Bayeux lors de cet événement, cet objet aurait éprouvé le sort de la soucoupe ; et par conséquent, il faut assigner son apparition dans cette ville à une date plus moderne. L'époque fixe en sera toujours incertaine : tout ce qu'on peut dire c'est que ce monument est très-ancien, et que notre savant associé a rendu un service signalé aux amateurs d'antiquité en s'occupant de le décrire.

(Signé) Hébert, Secrétaire.

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EXPLICATION DES PLANCHES.

Pl. I. La chasuble dite de St-REGNOBERT, conservée à, Bayeux, vue par devant et par derrière. (Voyez. Précis, p. 5. ) Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie
Pl. II. fig. 1 . L'étole censée avoir appartenu aussi à cet évêque, représentée en son entier. 2. Une portion de l'étole, copiée de même grandeur que l'original, et montrant tous les détails de la broderie. 3. Le manipule formant partie du même vêtement pontifical (Voyez pp. 6, 7). 4. L'inscription koufique de Bayeux, qui est décrite p. 8, est rendue ici dans le caractère arabe plus usuel dit nesky qui date du second siècle de l'hégire. Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie
Pl. III. La cassette qui contient la chasuble, l'étole et le manipule. Fig. 1, montre la cassette vue dans son ensemble, ayant la serrure cachée par son écusson. Fig. 2, montre une portion de la face antérieure de la cassette, avec l'inscription arabe autour de la serrure à découvert. Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie
Pl. IV. Un calque exact de l'inscription précitée. Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie
Pl. V. Huit specimen comparatifs d'écriture arabe, ancienne et moderne, qui présentent le conspectus des trois premiers mots de l'inscription de Bayeux : — Bism illah er-rahmân er-rahym. Précis d'une dissertation sur un monument arabe du moyen-âge en Normandie

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NOTES PAR L'AUTEUR DE LA DISSERTATION.

(1) La chasuble est un des vêtemens sacerdotaux que le prêtre met par-dessus l'étole pour officier dans les cérémonies de l'église romaine. Casula : minor casa. Casula : vestis cucullata. Casula : pro habitu rnonachico saepè sumitur. Casula : vestis sacerdotalis.
Casulaeque capox a forfice forma
Post longas habitura plicas contracta ministris.
Cassola : apud PETRUM abbatem cellensem , Lib 1. , epist. 12. Casueula : idem quod casula , undè vox formata  gall. Chasuble, vestis sacerdotalis.
“In celebratione missarum casubulam quâ induebatur lacrymis humectabat.” (Vita S. Popppni abbatis, n° 58.). Cassibula : testamentum WILLELMI LONGUESPÉE, comitis sarisberiensis anno 1225. « Item ego assignavi magnam capelllam scilicet cassibulam de rubco samito et unam capam chori de rubeo samito. » Casubla : occurrit in testamento BEATRICIS de ALBOREIA vice comitissae Narbonae. Casulula : parva casula, tunicella (DU CANGE : Glossarium ad scriptores mediae et infirmae latinitatis. Parisiis, 1733).
(2) Orfroi est un nom qu'on donnait autrefois aux étoffes tissues d'or, et qui s'est conservé dans l'église pour signifier les paremens d'une chasuble.
(3) L'étole est une longue bande d'étoffe sur laquelle il y a des croix de galon ou de broderie, que les prêtres se mettent au cou quand ils font certaines fonctions ecclésiastiques, et qui pend des deux côtés par-devant jusqu'à mi-jambe.
(4) Cet ornement est une petite bande que le prêtre porte au bras gauche lorsqu'il célèbre à l'autel.
(5) La plupart des objets d'argent, comme vaisselle, tabatières, etc., qui viennent de l'Orient, sont couverts de dessins indélébiles qui sont faits avec un vernis que l'on introduit dans les traits au burin faits sur l'argenterie. Ce fondant se prépare avec 14 parties d'argent, 68 de cuivre, 95 de plomb, 326 de fleurs de soufre, et 2 de sel ammoniac.
(6) Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts : recueillis par l'ordre de S. A. S. M. prince souverain de Dombes. A Trevoux , octobre 1714, page 1775, article cxxxi.
Lettre écrite par M. DE LA ROQUE à M. RIGORD, subdélégué de l'intendance de Provence à Marseille, sur des monumens antiques , etc...
 « On conserve depuis un temps immémorial dans la sacristie de l'église cathédrale de Bayeux, une relique qu'on appelle la chasuble de saint REGNOBERT, second évêque de Bayeux (qui vivait dans le IVe siècle, selon l'historien de cette ville. La relique est enfermée dans un petit coffre d'ivoire, de figure antique, et ce coffre est fermé d'une espèce de serrure d'argent en plaque de figure ronde, et sur cette plaque l'inscription dont il s'agit se trouve gravée autour de la serrure. De tous les curieux qui ont vu cette inscription en original, il n'y en a pas un qui ait seulement pu connaître les caractères. Le père MABILLON même, après l'avoir bien examinée, avoua, avec sa modestie ordinaire, qu'il n'y comprenait rien. Enfin, il y a sept ou huit mois qu'on s'avisa de copier, ou plutôt d'imiter parfaitement ces caractères inconnus, et de les envoyer à Paris pour les faire déchiffrer. Un ecclésiastique du même pays, qui reçut cette commission, s'adressa pour cela à M. PETIS-DE-LA-CROIX, interprète du Roi et professeur en langue arabe au collège royal ; il ne pouvait pas mieux rencontrer, car l'inscription est en cette langue, mais écrite en ancien caractère arabe appelé couphi ou cuphique, dont l'usage a commencé sous les premiers calyfes , et a duré environ jusqu'au XIIIe siècle de notre ère. J'étais avec M. PETIS quand l'inscription lui fut présentée ; il en fit sur-le-champ la traduction, qu'il donna à l'ecclésiastique de Bayeux, après qu'il m'eut permis de faire une copie de l'une et de l'autre. Voici ce que c'est :
« Bis millah an coumna lilla caouman len na coum hou cama y a lik fana coum hou bilismi.
« Au nom de Dieu! Quelque honneur que nous rendions à Dieu, nous ne pouvons pas l'honorer autant qu'il le mérite ; mais nous l'honorons par son saint nom.
Quoique ces paroles soient édifiantes, il est moralement sûr qu'elles ont été mises là par un mahométan : le caractère arabe le prouve d'abord indirectement, aussi bien que la fabrique du coffret, qui selon la description qu'on nous en a faite, ressent fort son ouvrage moresque ; et il ne reste pas lieu de douter, si l'on considère que la sentence gravée dessus est tirée presque mot à mot des Hadis, ou du recueil des sentences de MOHAMMED. On sait assez que malgré l'impiété du faux prophète, ses sectateurs n'ont pas laissé de lui attribuer de bonnes choses, qu'il a empruntées de la véritable religion. Je n'entreprends pas de démêler ici comment, par qui, et en quel temps, deux choses aussi opposées comme le sont la relique de saint REGNOBERT, et le coffret à l'inscription mahométane, ont pu se rencontrer ensemble dans le lieu où elles sont aujourd'hui, etc. Je porte toutes ces conjectures à votre tribunal, et je les soumets à votre critique, me rapportant volontiers à tout ce que vous en jugerez. Pour moi, je ne suis pas fâché d'être contredit, persuadé que par la liberté qui doit régner dans la république des lettres, et surtout dans ces énigmes de l’antiquité, plus on agite un sujet, plus on est en état de l'éclaircir, ce qui peut mener enfin à la découverte de la vérité. Je suis, s Mr., etc. Paris, 7 mai 1714. » Notes de l'éditeur ( père TOURNEMINE) sur la lettre précitée : 1° On sait que CHARLES-Martel vainquit les Sarrasins proche de Tours, leur camp fut pillé ; la cassette marquée de l’inscription arabe aura été prise en cette occasion, et la reine ERMANTRUDE, femme de CHARLES-le-Chauve , à qui cette cassette s venait de la succession de son trisaïeul, l'ayant eue de son mari, la consacra à renfermer les reliques de saint REGNOBERT qui avait guéri le roi son époux. Cette guérison, et la magnifique reconnaissance d’ERMANTRUDE, sont marquées dans les historiens. Cette cassette était apparemment celle du prince sarrasin ABDARHAMAN. 2° L'historien du diocèse de Bayeux s'est trompé sur le temps où saint REGNOBERT a vécu. On ne le fait second évêque de Bayeux que sur la foi d'une légende pleine de fables. Il n'a vécu que dans le VIIe. siècle ; il assista, en 630, à un concile de Rheims. »
(7) Réponse de M. DE HAMMER à l'auteur (M. SPENCER SMITH) : « Je suis bien aise de pouvoir lire l'inscription qui se trouve sur la cassette d'ivoire renfermant la chasuble censée avoir appartenu à saint REGNOBERT, et de vérifier par-là l'erreur de la traduction de M. PÉTIS DE-LA-CROIX, que vous y avez jointe. Je présume que M. PÉTIS DE-LA-CROIX qui a donné cette interprétation arbitraire, est celui des trois orientalistes de ce nom, qui s'est rendu coupable de plus d'une imposture littéraire. La plus marquante en est celle des Mille-et-un-jours, contes Persans, lesquels n'existent point ni en persan ni en arabe ; mais qui sont pris en partie d'un livre de contes turcs, et en partie forgés par M. PÉTIS DE-LA-CROIX. J'ai vérifié cette imposture, soupçonnée long-temps auparavant, lorsqu'à la bibliothèque de Paris, j'ai demandé le manuscrit du derviche MOKLÈS, auquel il se réfère dans sa préface, et qui n'est lui-même qu'un conte bleu. J'ai dénoncé cette supercherie au public dans mon catalogue des manuscrits orientaux (inséré dans les Mines de l'Orient) ; et comme elle est peu connue, vous pourrez communiquer cette observation à la société académique de Caen, etc. Vienne, 26 janvier 1820. »
Extrait de la préface des Mille-et-un-jours : « MOKLÈS étant encore fort jeune, s'avisa de traduire en persan des comédies indiennes qui ont été traduites en toutes les langues orientales, et dont on voit à la bibliothèque du roi une traduction turque sous le titre de Alfarage Badal-Schidda, ce qui signifie la joie après l'affliction. Mais le traducteur persan, pour donner à son ouvrage un air original, mit ces comédies en contes, qu'il appella : Hezaryek Rouz, c'est-à-dire : Mille et-un-jours. Il confia son manuscrit au sieur PÉTIS DE-LA-CROIX, qui était en liaison d'amitié avec lui à Ispahan, en 1675 ; et même il lui permit d'en prendre une copie. Le Nouveau Dictionnaire Historique, par une société de gens de lettres, parle de cet orientaliste ainsi : — « PÉTIS DE-LA-CROIX (FRANÇOIS), secrétaire-interprète du roi pour les langues orientales, succéda à son père en cette charge, et la remplit avec honneur. Il fit plusieurs voyages en Orient et en Afrique, par ordre de la Cour. Louis XIV l'employa dans différentes négociations, et récompensa son mérite en 1692, par la chaire de langue arabe au collège royal. Ce savant mourut à Paris, avec la réputation d'un bon citoyen. Outre les langues arabe, turque, persanne et tartare, il savait bien aussi l'éthiopienne et l'arménienne. On a de lui : —  1°La traduction des Mille-et-un-jours, contes persans. — 2° État général de l'empire Ottoman, depuis sa fondation jusqu'à préssent, avec l'abrégé des vies des empereurs, traduit d'un manuscrit turc, à Paris, en 1683. — 3° L'Histoire du grand GENGIS-Khân, premier empereur des magots et tartares, tirée des anciens auteurs orientaux ,1710. — 4°. Histoire de TIMUR-Bey, connu sous le nom du grand TAMERLAN, empereur des mogols et tartares, etc., traduit du persan, à Paris, 1712. Il a traduit aussi du français en persan l'Histoire du roi par les médailles, qui fut présentée au roi de Perse, en 1708. »
(8) La fuite du fondateur de l'islamisme de la Mekke à Médine détermine l'ère mémorable de l'hégire ; laquelle, au bout de treize siècles, sert encore à computer les années lunaires des nations musulmanes. Cette ère fut instituée par OMAR, le second khalif, à l'instar de celle des martyrs parmi les chrétiens. Elle commence proprement soixante-huit jours avant la fuite de MOHAMMED, avec le 1er du mois Moharrem, ou le jour de l'an chez les arabes, qui répond à vendredi 16 juillet 622 de l'ère chrétienne.
(9) Le mot arabe khlifeh signifie littéralement : successeur, vicaire, lieutenant, et vient de la racine arabe khalafah, qui signifie : venir après, succéder, remplacer. Ce mot a été le titre de la dignité souveraine qui, chez les musulmans, comprenait à-la-fois un pouvoir absolu et une autorité entièrement indépendante sur tout ce qui regardait la religion et le gouvernement politique ou militaire. L'origine de ce titre vient de ce que ABOU-BEKER après la mort de MOHAMMED, ayant été élu par les Moslems pour remplir sa place, ne voulut pas prendre d’autre qualité que celle de khalyfeh-resoul-allah, c'est-à-dire, successeur de l'apôtre de Dieu. La succession de khalyfes dura jusqu'à l'an 656 (1258). La ville d'Yatreb (autrement dit par excellence Médineh), où MOHAMMED mourut et fut enterré, fut d'abord le siège du khalifat, qui y demeura fixé jusqu'à AALI, quatrième khalif : ce prince le transporta à Koufa ; et MOAVIAH, premier khalif de la race des Ommiades, le transféra ensuite à Damas. ABOU-L-ABBAS, surnommé El-Saffâ, premier khalife de la race rivale des Abbassides, le remit pendant quelque temps à Koufa ; puis il le transféra à Anbara, dans la province de l'Irak ; ensuite il l'établit dans une ville qu'il fonda, nommée Hachemyeh. Son successeur, ABOU-JAFAR-AL-MANSOUR, ayant ensuite construit Baghdâd, en fit sa capitale (Description de l'Égypte. — Mémoires).
(10) La dernière planche à la suite de ce précis offre des specimen comparatifs de la paléographie arabêque , qui sont, pour ainsi dire, les pièces justificatives de la version de l'inscription à Bayeux , contenue dans la dissertation dont on présente ici l'analyse.
(11) « On connaissait depuis long-temps dans la république des lettres ce monument en broderie, qui représente la conquête de l'Angleterre par les Normands, et que l'on conserve depuis plusieurs siècles dans la ville épiscopale de Bayeux. Il a été décrit et gravé dans le second tome des monumens de la monarchie française par MONT-FAUCON, dans deux mémoires de LANCELOT,  imprimés parmi ceux de l'académie des inscriptions ; enfin dans les antiquités anglo-normandes de DUCAREL ; et il a reçu depuis peu une nouvelle publicité par l'exposition qui en a été faite à Paris. M. DE LA RUE se propose, comme l'annonce le titre de son mémoire, de réfuter l'opinion presque générale, adoptée MONT-FAUCON et LANCELOT, qui attribue cet ouvrage à la reine MATHILDE. Ses premières preuves sont tirées de quelques pièces inédites, dont ses recherches sur les antiquités normandes lui ont procuré la connaissance ; telles qu'un état des effets précieux contenus dans le trésor de GUILLAUME le Conquérant, et que ce prince fit dresser étant au lit de mort, en 1087 ; un échange de GUILLAUME le Roux avec l'abbaye de St.-Étienne, consommé par HENRI Ier. , un testament inédit de la reine MATHILDE, qui ne font nulle mention de la tapisserie, et autorisent par là à croire qu'elle n'existait pas alors. Un second argument est tiré du pillage de Bayeux, en 1106, par les troupes de HENRI Ier., roi d'Angleterre ; fait suffisamment établi, malgré le silence des historiens normands, par un poème de quatre cents vers du chanoine PARISY, témoin oculaire, et par le récit de ROBERT-WACE.  L'incendie de l'église cathédrale de Bayeux, ainsi que de beaucoup d'autres édifices, attesté par ces écrivains, eût inévitablement détruit la tapisserie en question, si elle eût existé. On ne saurait alléguer contre cette supposition, la conservation de quelques monumens plus anciens, tels que la chasuble de saint REGNOBERT, et le petit coffre qui la renferme, parce que ces objets du culte purent être épargnés par l'effet d'une terreur religieuse, qu'une toile ornée des exploits des Normands ne pouvait inspirer ni aux Anglais leurs ennemis, ni aux Manseaux et aux Angevins jaloux de leur gloire.. (Rapport général sur les travaux de l'académie des sciences, arts et belles-lettres de la ville de Caen, jusqu'au 1er. janvier 1811, par P. F. J. DE LARIVIÈRE, secrétaire. Caen, 1811).
(12) Les deux saints évêques EXUPÈRE et RENOBERT nous sont mieux connus par leur culte, que par leur histoire, où les hagiographes qui font autorité n'ont trouvé presque rien que d'incertain. Il est probable qu'EXUPÈRE (en latin Exuperius) que le vulgaire de France appelle communément St.-SPIRE , doit être placé sur la fin du quatrième siècle. Quant à RENOBERT ou RAIMBERT (en latin Ragnobertus et Regnobertus), et qui passe pour le second évêque de Bayeux dans les origines obscures de cette église : ce prélat vivait réellement au septième siècle, du temps que CLOTAIRE II tenait seul toute la monarchie de France. Il assista à un célèbre concile tenu à Rheims sous l'évêque du lieu, SONNAT vers l'an 625.   


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APPENDIX.

ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE LA VILLE DE CAEN.

Séance publique du Jeudi 27 Avril 1820 présidée par M.GOUPIL DE PRÉFELN, procureur-général, Vice-Président, pour l'absence de M. le comte de MONTLIVAULT, conseiller d'état, préfet du département du Calvados, Président de l'Académie.

M. HÉBERT secrétaire a lu un rapport sur les travaux de l'Académie dans lequel il a présenté l'analyse de deux mémoires de M. de MAGNEVILLE : le premier sur des fouilles faites à Fierville près Vieux pour la recherche de monumens Romains ; le second sur la direction que devait suivre la voie romaine, à partir de Vieux pour se rendre sur les bords de la rivière d'Orne ;

D'un mémoire de M. LANGE sur l'état primitif de la vallée de l'Orne comprise entre Louvigny et la mer, et sur l'ancienne capitale des Viducasses ;

D'une dissertation sur le Gentilhomme de nom et d'armes où l'on explique le véritable sens de cette expression par M. LABBEY DE LA ROQUE ;

De deux mémoires de M. BACON le jeune, associé ; le premier est l'analyse chimique du ledum latifolium, et la comparaison de ses produits avec ceux du thé ; le second est une analyse thymique d'une concrétion calculeuse extraite de la vessie d'un homme attaqué de rachitisme ;

D'un mémoire de M. TROUVÉ, D. M., sur la Vaccine ;

D'une dissertation de M. RAISIN, D. M., sur l'usage attribué aux kistes apoplectiques suivie de quelques considérations sur l'application de l'analogie en médecine ;

D'un premier mémoire de M. LAMOUROUX, sur les Polypiers fossiles du Calvados.

Il a aussi fait mention d'un grand nombre de productions en prose et en vers par des membres ou des associés entr'autres de plusieurs mémoires de M. l'abbé DE LA RUE, sur la fondation des hôpitaux et hospices de la ville de Caen ;

D'une Observation de M. LE SAUVAGE, docteur-médecin sur le vers nommé Dytrachyseros, ou Bicorne rude ;

D'un Mémoire sur les coquilles fossiles des départemens de la Manche et du Calvados,  par M. LE HÉRICIER DE GERVILLE associé ;

De deux rapports par M. LANGE, sur deux ouvrages manuscrits : le premier est une statistique de l’île de France, par M. PRUDHOMME fils ; le deuxième une suite de mémoires sur les travaux de Cherbourg, par M. NOEL associé ;

De deux autres rapports par M. DE BAUDRE sur deux ouvrages imprimés ; le premier est une Grammaire classique, par M. DELARIVIÈRE, ancien secrétaire de l'Académie maintenant proviseur du collège royal d'Orléans ; le second est la traduction, par M. l'abbé JAMET, du poème du Père ALMEIDA , portugais , imprimé sous le titre de : l'Homme heureux dans tous les états de la vie.

M. le Secrétaire a encore fait connaître les travaux particuliers des deux commissions d'Antiquités et d'histoire naturelle de l'Académie et particulièrement la restauration du tombeau de la reine MATILDE, par les ordres de M. le comte de MONTLIVAULT, préfet du département 1, président de l'Académie , et le fac-simile lithographié par M. PATTU, de l'inscription gravée sur l'ancienne pierre tumulaire ;

La découverte d'un squelette de crocodile fossile, trouvé au village d'Allemagne près Caen et la création d'un Cabinet d'histoire naturelle dans la ville de Caen par les soins de M. le comte de VENDEUVRE , maire de la ville ;

Enfin la découverte, faite par le sieur MONIN d'un procédé pour transporter sur la pierre lithographique des gravures et des feuilles imprimées, sans altérer la gravure originale.

Il a annoncé les ouvrages en vers qui ont été lus par MM. BRUGUIÈRE DE SORSUM, de MALHERBE, PRUDHOMME fils et de BAUDRE, ainsi que les ouvrages imprimés offerts en présent à l'Académie.

Après ce rapport on a entendu :

1°. La lecture du programme d'un prix de poésie qui sera décerné dans la séance publique de 1821, à l'auteur du meilleur poème, ayant pour titre : le Deuil de la ville de Caen au sujet de la mort funeste de S. A. R. Mgr. duc DE BERRY ;

Un mémoire de M. SPENCER SMITH,associé, sur la cassette d'ivoire qui renferme la chasuble de St.-REGNOBERT évêque de Bayeux, et sur l'inscription en arabe-koufy qui est gravée sur une plaque de vermeil qui orne le monument;

3°. L'origine de Caen, premier chant d'un poème en vers de M. de BAUDRE ;

4° Un mémoire historique sur l'origine et les progrès de l'instruction des Sourds-muets en Europe, par M. l'abbé JAMET, instituteur des Sourds-muets à Caen.

FIN.

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ERRATA

Page 11, l. 7 du bas. Cathétrale. — lire : cathédrale.
P. 20, note (10). Arabêque. — lire : arabique.
p. 27, l. 4. avant les mots : Un mémoire, ajouter : 2°

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Cette édition n'a été tirée qu'à trois cents exemplaires.

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N°.


FIN.



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