LEMAÎTRE, Charles Ernest (1854-1928) :  La Migraine (1917).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.V.2006)
Relecture : Anne Guézou.
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 299) des Joyeux Bocains : contes drolatiques en patois bas-normand par Ch. Lemaître, le Chansonnier du Bocage avec préface d'Arthur Marye et illustrations de Levavasseur et R. Thurin. publié à Caen chez Bonnaventure et Jouan en 1917.

La Migraine
par
Charles Lemaître


~ * ~

A Monsieur Auguste Delanoé.


    Un biau matin, maîtr’ Louis Robin,
    Propériétair’ à Saint-Martin,
    Véyant qu’ san garçon Dominique
    Li paraissait mélancolique,
        Voulut saver
        Quoi qu’il avait.
« Dominiqu’ qu’i l’i dit, tu m’ baill’s bi d’ l’inquiétude,
    Depus quiqu’s jours, tu n’ manjus pas,
    J’ voudrais bi saver qui qu’ c’est qu’ t’as,
D’avec cha, tu bais d’ l’iau, cha n’est pas t’n habitude. »

« - Hélas ! qu’i dit, papa, d’avec vous j’ vas rêt’ franc,
Si vo n’ me donnez pas eun’ chinquantain’ de francs
Por em’ guéri d’ man ma, p’t’êt’ bi qu’ tout’ la famille
Et la commeune itou, jusqu’à la dernièr’ fille,
        Vont rêt’e comm’ mé
        Déshonorés. »

« - Ah ! diabl’, que dit l’ bouenhomm’, v’là eun’ vilaine affaire,
Je n’ veux pas te r’fuser, lé v’là té chinquant’ francs
Seul’ment tu vas m’ conter comment qu’ cha pourrait s’ faire
Que c’t’ affaire amèn’rait dé malheurs aussi grands. »

« - Vo savé bi, papa, que j’ fus, la s’main’ dernière,
Dans eune auberge, à Caen, porter un tonné d’ bère ;
D’apreux vo conventions, il était comm’ cadeau,
Bouchi, par un dé bouts, d’avec un biau picot (1).


Quand l’ bèr’ fut dépoté, lé ch’vas à l’écurie,
    Et qu’ nos eut bi dainné,
    No print un bon café,
Qui fut, comm’ de raison, bi’n’ arrosé d’iau-d’-vie ;
    Je m’ trouvis presque à moitié sâs,
    Et cha fut caus’ de m’n aventure ;
    Avec deux ou trouais autr’s jeun’s gâs,
    J’ nos en fûm’s vaie lé cairyatures.

J’airais p’t’êtr’ dû m’ méfier, mais comment supposer,
Qu’avec eun’ si bell’ dame, habillée comme eun’ reine,
J’airais, comme c’est qu’no dit, attrapé la « migraine » ,
Et portant c’est bi d’cha que j’ sieus déshonoré. »

« - C’est dont cha, qu’ dit l’bouenhomm’, v’là t’y pas eune affaire !
Où qu’ c’est qu’ tu vais là d’dans que n’y’ait du déshonneur ;
Tu vas bi vite aller trouver l’apothicaire
Et c’est cor li qu’aira tout l’ profit d’ tan malheur. »

    « - Hélas ! papa, qu’ fit Dominique,
    Vo n’ véyé pas plus loin qu’ votr’ nez ;
    Mé j’ vé la chos’ bi plus critique ;
    Lé plombs port’nt plus loin qu’ vo n’ cairyez.
    Voul’ous saver c’ qui m’épouvante,
    Hé bi, c’te sal’ migrain’ lanré,
    J’ vas la bailli à not’ servant’
    Qui va, bi sûr, vo la r’passer.
Apreux cha, vos allé la donner à ma mère,
Qui va bi trop souvent s’ prom’ner au presbytère ;
    Vo n’avé qu’ fair’ de vo gêner,
    C’est comm’ si not’ t’churé l’avait.

    Et por ach’ver notre inforteune,
    Du caractèr’ qu’est çu gas-là,
    Avant un mouais, bi sûr qu’y va
    Empouésonner tout’ la commeune ! »


(1) Le débitant retient dans son marché une ou deux volailles. Dans le premier cas, le tonneau est dit bouché par un bout, et dans le second, par les deux bouts.


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