TISSOT, Amédée (1816-1887) : Étude biographique sur Jean Le Fèvre, ouvrier tisserand, astronome, membre de l'Académie des Sciences.- Paris : J.-B. Dumoulin, 1872.- 69 p. ;15 cm. (Imprimé à Lisieux par Lajoye-Tissot).
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Étude biographique sur
Jean Le Fèvre
par
Amédée Tissot
 
~*~
 
Conférence faite à Lisieux, le 15 mai 1870
sous le patronage de la Société d'Èmulation de cette ville.
 
JEAN LE FÈVRE
 
I

Il y a six semaines environ, - deux mois peut-être, - dans cette enceinte même où vous avait réunis le docte professeur d'histoire du lycée de Caen, vous avez entendu l'exposé clair et précis de ce vaste projet d'expédition au Pôle Nord, qui préoccupe en ce moment le monde savant. Grâce au charme de la parole, que M. Launay possède à un remarquable degré, vous n'avez rencontré que plaisir et agrément dans cette excursion scientifique à travers les brouillards et les glaces, où vous avez, pour ainsi dire, devancé le chef même de la future expédition, l'intrépide Gustave Lambert.

Je n'ai pas l'intention de vous conduire aussi loin, impuissant que je me reconnais d'ailleurs à vous guider dans une route aussi difficile, aussi périlleuse.

Nous ne quitterons pas la vieille Europe, - et je crains bien que, malgré la brièveté du voyage, vous ne trouviez que déception en ma compagnie.

Le personnage dont je me propose de vous entretenir n'est point, en effet, un de ces hardis explorateurs, dont les entreprises, toujours audacieuses, souvent même téméraires, en témoignant tout à la fois et d'un dévoûment absolu à la science et d'une imperturbable vaillance, charment et captivent l'imagination.

C'est un savant, modeste autant qu'ingénieux, dont les multiples travaux, après avoir eu le ciel entier pour champ d'observation et l'Observatoire de Paris pour théâtre, se sont résumés par d'innombrables calculs et se sont terminés, à la lueur vacillante de la lampe, dans le laborieux silence du cabinet.

C'est un astronome, en un mot, que je désire vous présenter ; un astronome, dont le nom, à peine cité dans quelques biographies, - pas même dans toutes, - est à peu près complétement oublié aujourd'hui, encore bien que le savant qui l'a porté ait rendu à la science d'importants services.

Si j'essaie de jeter quelque lumière autour de ce nom presque effacé, c'est qu'il me semble que tirer de l'oubli, où ils sont ensevelis depuis un temps plus ou moins long, les noms des hommes qui, par la seule force du travail et de la volonté, se sont élevés des plus humbles conditions à certains rangs exceptionnels et distingués de la société, - rappeler leurs études, leurs efforts, leurs talents, - les présenter enfin comme exemple aux générations qui se pressent à nos côtés et qui nous suivent, - c'est faire oeuvre utile et féconde, - en même temps que c'est répondre aux généreuses intentions de la Société d'Emulation dont je m'honore de faire partie.

C'est cette pensée qui porte les nations civilisées à dresser des statues aux hommes illustres qui remplissent leur pays, et le monde entier même, du bruit de leurs oeuvres, de leurs exploits ou de leurs vertus.

Ce que la reconnaissance d'un peuple fait pour ces grands génies, la reconnaissance locale doit, - à mon sens, - le faire aussi, dans une certaine mesure, pour les hommes moins célèbres, dont les travaux, pour être moins retentissants, sont cependant précieux, et dont le nom jette sur les localités qui les ont vu naître, sinon un rayon de gloire, du moins un reflet honorable. Si pour ces derniers des statues ne s'élèvent pas sur nos places publiques, nous n'en devons pas moins hommage et respect à leur mémoire, et je regarde, pour mon compte, comme un pieux devoir, de leur consacrer des notices biographiques destinées à prolonger, - je n'ose dire à perpétuer - le souvenir de leurs travaux qui est aussi, la plupart du temps, le souvenir de leurs peines, de leurs fatigues et de leurs tribulations.

C'est un hommage de cette nature que j'entreprends de rendre aujourd'hui à la mémoire de l'astronome Jean Le Fèvre ; car il a non-seulement droit à notre estime comme savant, mais il possède un double titre à notre sympathie et comme fils de ses oeuvres et comme enfant de la vieille et chère cité que nous habitons.

 
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II
 

Jean Le Fèvre est né à Lisieux vers 1650. - Malgré les recherches assez nombreuses auxquelles je me suis livré depuis quelques années, il ne m'a pas encore été donné de rencontrer un document qui me permette de préciser la date de sa naissance, d'indiquer sa paroisse, son domicile (1). Ce nom de Le Fèvre, si multiplié dans nos contrées, rend difficiles et délicates les investigations de cette nature, car la multiplicité engendre la confusion et expose à l'erreur ; et je pourrai vraisemblablement être fixé sur ce détail biographique que si je parviens à mettre la main sur l'acte de décès que je fais, du reste, rechercher en ce moment dans les archives de la ville de Paris, et encore à la condition qu'il mentionnera les prénoms du père et de la mère (2).

On ne connaît de la jeunesse de Jean Le Fèvre qu'une seule particularité, mais elle a pour nous un grand intérêt et elle explique en partie la difficulté qu'on rencontre pour retrouver les traces de l'état civil de notre astronome, - c'est qu'il exerçait à Lisieux l'humble profession de tisserand, d'ouvrier toilier.

Ce n'est qu'en 1682, c'est-à-dire alors qu'il avait déjà 30 ou 32 ans, qu'on entend parler de lui pour la première fois.

C'est dans les derniers jours de septembre ou au commencement d'octobre de cette année qu'il quitta Lisieux pour se rendre à Paris, où l'appelait le savant astronome Picard, qui fut le fondateur de l'Observatoire de Paris, et qui, le premier, donna la mesure exacte de notre méridien terrestre.

Ce n'est qu'à partir de ce moment que commence, en réalité, la biographie de notre compatriote.

 
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III
 

Où Le Fèvre avait-il appris les mathématiques ? - Qui lui avait enseigné cette science ardue des calculs, qu'il possédait à un assez haut degré pour attirer sur lui l'attention d'un homme aussi distingué que l'abbé Picard ?

Les Écoles Chrétiennes n'existaient pas encore. Instituées à Reims en 1680, par Jean-Baptiste de la Salle, - à Rouen en 1718, dans la maison de Saint-Yon, - elles ne furent ouvertes à Lisieux que le 1er avril 1777, sous l'évêque Caritat de Condorcet, qui les avait établies et dotées.

Jean Le Fèvre n'avait point été l'un des deux écoliers lexoviens qu'une fondation de Pierre Cauchon, - le fameux évêque persécuteur de Jeanne d'Arc, - permettait d'entretenir au collége du Bois, à Caen.

Il n'avait pas davantage été appelé à profiter de l'une des vingt-quatre bourses fondées, dès 1336, au profit des écoliers pauvres de son diocèse, par notre évêque littérateur, Gui de Harcourt, en léguant mille livres tournois, - soit quinze mille francs environ de notre monnaie actuelle, - pour la création du collége de Lisieux à Paris.

Il existait bien déjà un collége à Lisieux même, à l'époque où Jean Le Fèvre eût pu en fréquenter les classes. Fondé en 1570 par les soins de la municipalité lexovienne, et malgré les difficultés suscitées par l'évêque Jean Le Hennuyer, ce collége, établi dans une maison nommé le Manoir de Coquainvilliers assis en la paroisse Saint-Germain, rue du Bouteiller, - sur l'emplacement qu'occupent aujourd'hui les récentes constructions élevées par les soeurs de la Providence, - ce collége, dis-je, un instant tombé en décadence, avait été relevé par les soins intelligents de l'évêque Léonor 1er de Matignon, en 1653. Le principe de la gratuité de l'enseignement avait bien été l'une des premières conditions posées par le prélat, aussi éclairé que généreux, lorsqu'il avait traité avec les Eudistes pour la direction de l'établissement régénéré ; mais la gratuité n'avait alors, pas plus qu'aujourd'hui même, cette conséquence que beaucoup d'entre nous, - et je suis de ce nombre, - s'efforcent d'en faire sortir dans un jour prochain ; elle n'entraînait pas pour le chef de famille l'obligation de donner à ses enfants l'instruction élémentaire, à plus forte raison l'instruction d'un collége. La gratuité n'était alors, comme aujourd'hui encore, qu'une invitation gracieuse, - si je puis parler ainsi, - faite aux parents ; elle ne leur imposait pas ce que nous regardons aujourd'hui comme un devoir à remplir envers la famille et envers la société.

D'ailleurs, aux termes de l'acte d'institution passé entre les Eudistes et l'évêque de Matignon, il est stipulé que les jeunes gens de LA VILLE avaient, EUX SEULS, droit à l'enseignement gratuit. Or, il n'est pas impossible que la famille de Jean Le Fèvre habitât en dehors du mur d'enceinte. Et lorsqu'on connaît, en outre, l'humble condition sociale de cette famille, lorsqu'on sait que Le Fèvre était un simple artisan ; quand on le voit travailler à son métier de tisserand jusqu'à l'âge de trente ou trente-deux ans, on ne saurait s'arrêter à l'idée qu'il ait profité de l'enseignement gratuit du collége de Lisieux, réservé vraisemblablement aux jeunes fils des bourgeois de la cité.

Mais quand bien même Le Fèvre eût fréquenté les classes du collége, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, on trouve dans l'état même de l'enseignement à cette époque, - aussi bien à Lisieux que dans les autres colléges, - la preuve certaine qu'il n'aurait pas même pu puiser à cette source les connaissances mathématiques dont il fit, pendant sa jeunesse, une provision si abondante.

Ecoutez ce que dit à cet égard M. Châtelet, dans sa Notice historique sur le collège de Lisieux, dont, vous le savez, il fut successivement l'un des plus studieux élèves, l'un des plus savants professeurs et aussi l'un des chefs les plus distingués.

«Par suite des traditions du moyen-âge, dit-il, le latin était la langue savante, au moyen de laquelle on devenait apte à tout apprendre. Le latin était donc, dès le début et jusqu'à la rhétorique, l'objet à peu près exclusif de l'enseignement. On faisait aussi du grec ; mais il fut généralement abandonné vers le milieu du XVIIIe siècle. Malgré les justes plaintes que Rollin avait fait entendre, on n'apprenait de géographie et d'histoire que ce que les auteurs expliqués en pouvaient enseigner, c'est-à-dire quelque chose de la Grèce et de Rome, mais rien de la France et des autres États fondés depuis la chute de l'empire romain. Les mathématiques ne faisaient point partie du programme des classes ; elles n'étaient cultivées que par les hommes qui s'y consacraient par amour de la science. Il en était des langues vivantes comme des mathématiques, et, ce qui était moins pardonnable, le français n'était point jugé digne d'un enseignement spécial».

Vous voyez qu'il y a loin de ce programme restreint de l'enseignement dans la dernière moitié du XVIIe siècle au programme si vaste, si varié, trop compliqué peut-être, imposé aux collégiens de 1870.

 
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IV
 

J'ai parlé tout à l'heure de la gratuité de l'enseignement ; permettez-moi, messieurs, avant d'aller plus loin, d'ouvrir ici une parenthèse pour rappeler un fait qui est tout à l'honneur de notre ville et qui fait l'éloge du corps municipal de Lisieux. C'est de cette époque, c'est-à-dire de 1653, que le principe de la gratuité a été admis dans les établissements scolaires de la ville. En 1571, lors de la fondation du collége, le corps municipal, qui se composait de Pierre Delaporte, vicomte et bailli vicomtal, président, et de Robert Lefebvre, Michel Le Bezeur, Germain Lemarquant, Robert Jouen, Guillaume Mauduit et Guillaume Deraine, conseillers, contribua pour sept cent cinquante livres, c'est-à-dire pour la moitié du prix, à l'acquisition du Manoir de Coquainvilliers.

En 1653, lors de la régénération du collége par l'évêque de Matignon, le corps municipal, composé alors de Nicolas Desperriers, bailli vicomtal, conseiller de la reine (Anne d'Autriche), maître des requêtes ordinaires, président, et de Guillaume Dubois, Jean-Baptiste Inger et Robert Pierre, échevins, contribua pour deux cents livres de rentes à l'entretien des Eudistes pour que la jeunesse lexovienne reçût gratuitement l'instruction.

Depuis cette époque, les officiers municipaux qui se sont succédé ont toujours admis le principe de la gratuité ; ils n'ont jamais cessé de l'appliquer, et vous savez que de nos jours encore ce principe est libéralement consacré par de généreuses allocations qui placent notre ville à l'un des premiers rangs, sous ce rapport, parmi les autres cités de l'empire.

Mais revenons à notre astronome.

 
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V
 

Dans les conditions que je viens de faire connaître, le tisserand Jean Le Fèvre se trouvait donc sans maître, réduit à ses seules forces ; il fut donc, dans toute la sincérité du mot, le fils de ses oeuvres. Entraîné par une vocation irrésistible, le laborieux toilier employait à la lecture de livres de mathématique et d'astronomie les rares loisirs que lui laissait l'exercice de sa profession, et il parvint néanmoins à acquérir ainsi assez de savoir, assez de réputation pour attirer sur lui l'attention des savants.

Peut-être, Messieurs, la profession même de Jean Le Fèvre contribua-t-elle à faire naître chez lui cette inclination si prononcée pour les calculs mathématiques, cet amour passionné pour la science astronomique.

Qu'on se représente, en effet, le tisserand tel qu'il était à l'époque dont nous nous occupons, - tel que quelques-uns d'entre nous ont pu le voir encore dans leur enfance, - c'est-à-dire avant l'invention des métiers mécaniques. Enfermé dans une chambre basse et humide - une cave bien plutôt qu'une chambre - à demi éclairée par une lumière vague, indécise, pénétrant à grande peine au travers de quelques verres verdâtres et grossiers, fichés de distance en distance dans l'épaisseur du mur ou garnissant une étroite fenêtre, quand ils n'étaient pas, dans ce dernier cas, remplacés par un morceau de papier huilé, il se trouvait isolé des siens, loin du bavardage des voisins et du bruit de la ville. En voyant cette énorme quantité de fils étendus sous ses yeux, se déroulant infiniment sur son métier ; en faisant manoeuvrer de droite et de gauche son industrieuse navette, est-ce que l'ouvrier toilier, pour peu qu'il fût enclin à la méditation, à la réflexion, pour peu que son intelligence fût ouverte, ne devait pas se sentir entraîné naturellement à des supputations nombreuses, à des calculs, pour ainsi dire, infinis ? - Et, quand, la journée terminée, à l'heure du crépuscule, il promenait au ciel son regard fatigué, lorsqu'il contemplait cette multitude de globes célestes, les uns s'élevant ou disparaissant à l'horizon, les autres scintillant au firmament, est-ce qu'il ne devait pas se sentir porté à en comparer l'infinité à l'infinité des fils garnissant le métier qu'il venait de quitter ? Est-ce qu'il ne se trouvait pas enclin à en supputer les mouvements si harmonieusement combinés, comme il avait calculé déjà les mouvements de sa rapide navette ?

Je ne sais si je m'abuse, mais je suis tout porté à croire que la profession de tisserand qu'exerçait Le Fèvre, qu'exerçait sans doute aussi son père, ne fut pas sans avoir une influence sensible sur la vocation qui l'entraîna irrésistiblement vers les sciences mathématiques et astronomiques.

J'ai dit que Jean Le Fèvre n'avait pas reçu les leçons régulières d'un professeur, dans l'acception que nous attachons aujourd'hui à cette expression, mais il avait très vraisemblablement rencontré dans l'un de ses compatriotes un sage conseiller, qui avait pu guider ses premiers pas dans l'étude des sciences exactes.

Il y avait, à cette époque, au collége de Lisieux, à Paris, un professeur de rhétorique, nommé Pierre qui était d'origine lexovienne, et qui, dans les moments de répit que lui laissait le professorat, s'occupait, lui aussi, avec quelque succès, d'astronomie. Il est parfaitement admissible que, avant d'aller prendre possession de sa chaire à Paris, Pierre avait fait ses humanités à Lisieux même, qu'il y avait connu Jean Le Fèvre, un peu plus jeune que lui, et qu'il lui avait donné quelques premières notions de calcul que le travail et l'intelligence de ce dernier devaient faire fructifier.

Varignon, professeur royal de philosophie et de mathématiques au collége Mazarin, géomètre distingué, devenu en 1688 le collégue de Le Fèvre à l'Académie des sciences, nous apprend que Pierre était resté à Paris le confident de Le Fèvre, qui lui avait plusieurs fois soumis ses travaux, notamment divers calculs d'éclipses qui s'étaient assez bien accordés avec les observations. Ces relations amicales furent pour Le Fèvre une bonne fortune. Le professeur de rhétorique était lié de son côté avec les astronomes de l'époque, avec Picard et La Hire entr'autres, au commerce desquels s'étaient développées ses connaissances astronomiques.

L'abbé Picard, qui était né en 1620 à La Flèche et qui avait fait des travaux nombreux et considérables, se plaignit un jour à Pierre de la fatigue que lui causait le travail de la Connaissance des Temps, et lui demanda s'il ne connaissait pas quelqu'un capable de continuer cette publication annuelle, dont le premier volume avait paru en 1679.

Peut-être un mot d'explication sur cet ouvrage n'est-il pas inutile ici.

La Connaissance des Temps était, - c'est le titre même que je rapporte - un Calendrier ou Ephémérides du Lever et du Coucher du Soleil, de la Lune et des autres planètes, avec les éclipses calculées sur Paris et la manière de s'en servir pour les autres élévations, contenant, en outre, plusieurs autres tables et traités d'astronomie et de physique, et des Ephémérides de toutes les planètes en figure.

C'est cette publication, modeste puisqu'elle ne formait qu'un volume in-12 de 60 pages environ, mais précieuse au point de vue scientifique, qui a servi de modèle à tous les almanachs nautiques ; c'est d'elle aussi qu'est extrait, en grande partie du moins, l'ouvrage périodique qui lui a succédé et qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de : Annuaire du Bureau des Longitudes.

Le professeur Pierre se garda bien d'oublier son compatriote et, sinon son élève, assurément son ami. Il parla de Jean Le Fèvre à Picard. Le savant abbé désirant s'assurer par lui-même du mérite de l'astronome lexovien, lui fit proposer, par Pierre de calculer une table du passage de la lune par le méridien (3).

Le Fèvre accepta l'épreuve avec une ardeur facile à comprendre de la part d'un homme qui voyait ses efforts persévérants à la veille d'être couronnés de succès, ses espérances réalisées. Il laissa, pour un moment, reposer sa navette et se mit résolument au travail qui lui était demandé.

L'abbé Picard fut tellement satisfait des calculs de notre compatriote qu'il lui fit immédiatement proposer de venir à Paris pour continuer l'oeuvre de la Connaissance des Temps, moyennant une pension qui lui serait accordée, - laquelle pension, soit dit en passant, devait être fort modique, puisque les académiciens eux-mêmes n'avaient chacun qu'un appointement de quinze cents francs.

Le Fèvre accepta avec empressement cette proposition, qui, en même temps qu'elle était la récompense de ses premiers efforts, lui fournissait l'occasion, inespérée peut-être jusqu'alors, de suivre exclusivement désormais son inclination pour les calculs astronomiques. Il se prépare donc à quitter sa ville natale pour se rendre à Paris où il allait trouver dans le savant abbé Picard le maître qui lui avait manqué jusqu'à ce jour, et dans le professeur Pierre le compatriote dévoué, un ami véritable.

 
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VI
 

Mais tandis qu'il se disposait à abandonner son métier, une nouvelle douloureuse vint le surprendre. Un instant il put croire que la proposition qui lui était faite demeurerait sans effet. L'abbé Picard était tombé dangereusement malade : toutes les espérances, tous les projets caressés par Le Fèvre semblaient devoir s'évanouir.

Il n'en fut rien. L'astronome La Hire, je l'ai déjà dit, était à la fois l'ami de l'abbé Picard et du professeur Pierre ; il n'avait, comme tel, rien ignoré des propositions faites à Le Fèvre pour le travail de la Connaissance des Temps. Il les renouvela lui-même directement et offrit en outre à notre compatriote de l'accompagner dans le voyage scientifique qu'il allait entreprendre en Provence.

Les lettres de La Hire, conservées parmi les manuscrits de Le Fèvre qui sont aux archives de l'Académie des Sciences, portent toutes la date du mois de septembre 1682. La Hire avait reçu l'ordre de se rendre en Provence au mois d'octobre. Le Fèvre n'avait pas de temps à perdre pour prendre une résolution : toute hésitation pouvait lui devenir fatale.

Il n'hésita pas : il agréa les offres nouvelles de La Hire et partit pour Paris où il n'arriva que pour assister aux funérailles de celui qui devait tout d'abord être son maître, de l'excellent abbé Picard, mort le 12 octobre 1682.

 
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VII
 

Je ne saurais m'empêcher de m'arrêter un instant ici pour déplorer à tous les points de vue, et tout particulièrement au point de vue de la célébrité de notre compatriote, cette catastrophe inattendue, ce décès imprévu, puisque l'abbé Picard n'était âgé que de 62 ans.

Dans la notice qu'il lui a consacrée, l'illustre et toujours regretté François Arago dit que Picard fut un modèle de désintéressement scientifique.

Il ne redoutait pas, en effet, de se créer des rivaux dans une carrière où il avait toute raison d'aspirer au premier rang. C'est à sa généreuse et chaude recommandation auprès de Colbert que l'Académie des Sciences et l'Observatoire de Paris ont dû de compter au nombre de leurs membres les plus distingués, le Danois Roemer et l'Italien Dominique Cassini qu'il avait connus et appréciés dans ses voyages en Danemarck et en Italie. C'est aussi à sa recommandation que Jean Le Fèvre dut d'entrer à l'Académie des Sciences dans cette même annnée 1682. - Et, qui le sait, peut-être notre compatriote aujourd'hui oublié, fût-il devenu, lui aussi, un des princes de la science, un astronome tout à fait célèbre, si le patronage aussi désintéressé qu'éclairé de l'abbé Picard ne lui avait fait défaut dès son premier pas dans la carrière ? Fortifié par les conseils d'un homme aussi savant, soutenu par ses bienveillants encouragements, Le Fèvre eût marché résolûment : il eût sans aucun doute avancé ; peut-être eût-il grandi.

La mort de l'abbé Picard, arrivée dans un pareil moment, est, à mes yeux, le plus fâcheux événement qui ait pu atteindre Le Fèvre : elle contribua certainement à l'empêcher de parvenir à la célébrité qu'il méritait.

Son nouveau patron, La Hire, ne semble pas, en effet, avoir pratiqué le désintéressement dont l'excellent abbé Picard avait donné plus d'un exemple, encore bien que Fontenelle, dans son éloge officiel, le représente comme un homme dont la probité, non moins que les talents, avait mérité la confiance de Louvois, et comme joignant à la politesse extérieure, la circonspection et la prudente timidité d'un italien. Il semble tout au contraire qu'il se soit plu à effacer son élève, à ne pas mettre en évidence son confrère. Jamais, en effet, dans les divers travaux qu'ils ont fait en commun et dont il se réservait toujours de rendre compte lui-même à l'Académie, jamais La Hire ne prononce le nom de Le Fèvre. - Aussi, peut-être, faut-il chercher dans cet oubli, assurément volontaire, dans cet effacement calculé, la cause première, le véritable germe des dissentiments qui se produisirent entre La Hire et Le Fèvre dans une circonstance délicate que j'aurai tout à l'heure occasion de rappeler.

 
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VIII
 

Quoi qu'il en soit, les deux académiciens se rendirent en Provence dans le courant d'octobre pour accomplir la mission dont La Hire avait été chargé ; mission qui consistait à relever la position exacte des côtes de France sur la Méditerranée et à compléter ainsi les observations astronomiques faites depuis trois ans par Picard et La Hire sur les côtes de France qui bordent l'Océan. «Il était nécessaire, dit le Mémoire publié dans le Recueil de l'Académie, d'avoir la position exacte de cette côte de Provence, à cause des ports de Marseille, Toulon et Antibes, qui sont les plus considérables de la mer Méditerranée et où séjournent ordinairement les vaisseaux et les galères du Roi».

La Hire et Le Fèvre visitèrent successivement Antibes, Toulon, Aix et Lyon et rentrèrent à Paris à la fin de décembre 1682 après avoir fait toutes les opérations dont le soin leur avait été confié.

A peine étaient-ils de retour et avaient-ils achevé leur travail sur la carte de France que La Hire fut chargé de continuer la fameuse méridienne (4) commencée par Picard. Cette fois encore il s'adjoignit Le Fèvre. Mais cette grande entreprise ayant été interrompue par la mort de Colbert, l'activité des deux académiciens reçut une autre destination.

Ils furent chargés de faire des nivellements pour amener l'eau à Versailles et aussi le nivellement du bassin de la rivière d'Eure ; travail qui se rattachait probablement à l'alimentation des eaux de Versailles.

Ces travaux les occupèrent pendant deux années consécutives : 1684 et 1685.

 
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IX
 

Toutefois Le Fèvre n'était pas tellement absorbé par les calculs de nivellement qu'il ne pût s'occuper de ses études personnelles sur l'astronomie. En 1684, il publia un volume in 4° qui a pour titre : Ephémérides pour les années 1684 et 1685, calculées pour le Méridien de Paris, par le sr Le Fèvre.

Cet ouvrage est complètement indépendant de la Connaissance des Temps qu'il publia également pour 1684, en un volume in-12, qui ne porte pas son nom, sans doute parcequ'il n'avait pas encore obtenu le privilège alors nécessaire pour cette sorte de publication. Mais il en était bien réellement l'auteur.

Le volume de la Connaissance des Temps pour 1685 est le premier qu'il ait signé, et dans l'Epitre dédicatoire au roi, il disait : «C'est la sixième fois que je prends la liberté de présenter ce petit ouvrage à votre Majesté».

Mais on ne saurait conclure de là qu'il avait commencé dès 1679 : il parlait, bien évidemment, tant en son nom personnel qu'en celui de son précédesseur Picard dont il avait continué l'oeuvre depuis 1683.

En 1685, il observa, de concert encore avec La Hire, l'éclipse de lune qui eut lieu le 10 décembre.

Mais cette collaboration ne devait pas être de plus longue durée. Des dissentiments éclatèrent bientôt entre les deux confrères et les éloignèrent pour toujours l'un de l'autre.

 
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X
 

La Hire ayant publié en 1687 la première partie de ses Tables astronomiques - Tabulae astronomicae, Ludovici Magni jussu et munificentia exaratae, - Le Fèvre se plaignit hautement de cette publication et alla même jusqu'à dire que ces Tables lui avaient été volées par La Hire.

Cette querelle fit dans le monde savant un bruit considérable, comme bien vous pensez. La Hire s'efforça de l'apaiser, et La Lande, dans sa Bibliographie astronomique, ajoute qu'il était bien capable de le faire, quand bien même il eût été accusé injustement. - Ce quand bien même ne semble-t-il pas assez dire que dans l'esprit de La Lande, La Hire n'était pas tout-à-fait innocent ?

Il est assez difficile de juger ce différend après avoir vu les deux astronomes collaborer pendant trois années consécutives ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que dans les manuscrits qu'il a laissés, Le Fèvre dit positivement qu'il avait reçu une Table d'équation de la lune des mains d'un astronome qui lui avait appris qu'il fallait augmenter d'une demi minute le mouvement séculaire du soleil qui était dans les tables Rudolphines (5) ; qu'il avait ensuite reçu de Picard une Table de l'équation du soleil et une autre de Cassini, et que c'est ainsi qu'il était parvenu à calculer la Connaissance des Temps avec plus d'exactitude qu'on ne l'avait fait avant lui.

Cette dernière allégation de Le Fèvre se trouve confirmée de tous points par un passage des Mémoires de l'Académie des sciences, à l'occasion de l'observation faite séparément par Cassini et par La Hire de l'éclipse de lune du 15 mars 1699, qu'avant prédite Le Fèvre et dont il avait, la veille même, fourni les calculs à l'Académie. «En comparant cette prédiction, disent les Mémoires, avec les observations de MM. Cassini et La Hire, on jugera de quelle précision est aujourd'hui l'astronomie et de quelle justesse sont les tables de M. Le Fèvre».

La querelle s'étant calmée, Le Fèvre entreprit un voyage en Allemagne. Il eut l'occasion d'observer, le 17 avril 1688, à Heilbrün, sur le Néer, un globe de feu. Ce globe de feu, dit-il dans sa communication à l'Académie, était fort éclatant et rendait une forte clarté, en sorte qu'on voyait distinctement les objets. On commença de l'apercevoir à 2 heures et demie du matin, sur le dos de la constellation de la Baleine et traversant l'écliptique vers le 7e dégré du signe d'Ariès. Il monta presque parallellement au Colure de l'Equinoxe et alla se perdre entre l'aile de Pégase et la tête d'Andromède. Ce globe laissa paraître une queue, ou, si l'on veut, une chevelure d'environ 40 degrés de longueur. Elle était ondée et ne s'étendait pas sur le chemin du globe même ; mais lorsqu'il disparut, elle passait sur la tête d'Ariès et se terminait presque aux étoiles qui sont à la racine de la queue. Tout ce phénomène ne dura environ qu'un quart d'heure».

Rentré en France, Le Fèvre reprit ses travaux ordinaires, rédigeant sa publication de la Connaissance des Temps, à laquelle il ajoute différentes choses curieuses et utiles relativement à l'astronomie, révisant sans cesse et perfectionnant ses Tables astronomiques, assistant enfin régulièrement aux séances de l'Académie.

Douze années de cette vie laborieuse s'écoulèrent ainsi dans le calme et la sérénité, sans qu'aucun incident remarquable vint troubler la quiétude de Le Fèvre.

Je rappelle cependant qu'il donna pendant cette période de temps le calcul de l'éclipse de lune du 15 mars 1699, qui lui valut, dans les Mémoires de l'Académie, la mention de parfaite exactitude que j'ai rapportée tout à l'heure.

Dans la séance du 3 mars 1700, il présenta à l'Académie le calcul de l'éclipse totale de lune qui devait avoir lieu le 5, à 5 heures 46 minutes 47 secondes du matin, et il accompagna sa communication d'observations judicieuses tendant à démontrer que la différence qui se trouve quelquefois entre le temps d'une éclipse déterminée par les tables et l'observation astronomique vient souvent de l'observation elle même et non des tables.

 
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XI
 

J'aurais volontiers passé sous silence ces observations scientifiques si elles n'étaient en outre, de la part de Le Fèvre, une allusion à un fait qui s'était passé quelques années auparavant, en 1685, et que Le Fèvre nous racontera lui-même dans une circonstance que je vais rappeler et qui eut pour lui les plus déplorables résultats.

La Hire, dont Le Fèvre avait été le collaborateur, avait un fils aîné qu'il destinait à la médecine ; mais ce jeune homme ne se sentant aucune disposition pour cette science, se livra exclusivement à l'étude des mathématiques. Il fut reçu à l'académie des sciences en 1699, à l'âge de vingt-deux ans, apportant pour bagage scientifique un volume d'Ephémérides, calculées sur les Tables astronomiques de son père, pour les années 1701, 1702, 1703.

Cette publication réveilla chez Le Fèvre tous les ressentiments qu'il avait eus autrefois contre La Hire père. Il ne manqua pas de renouveler ses griefs, de se plaindre, cette fois encore, de plagiat et de crier au vol ; - plaintes et cris auxquels La Hire fils avait en quelque sorte donné raison de se faire entendre de nouveau en attaquant le premier les calculs de Le Fèvre pour l'éclipse de 1699. La querelle commencée en 1687 avec La Hire père se continuait en 1700 avec La Hire fils. Mais cette fois, au lieu de la circonscrire dans l'enceinte académique, Le Fèvre eut la malencontreuse idée de la porter sur un autre terrain, sur le terrain de la publicité, et le tort grave de ne pas mesurer son langage.

Il donna libre cours à sa colère dans un avertissement publié en tête de son volume de la Connaissance des temps pour 1701.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire cet avertissement. Il est non-seulement curieux, mais il est aussi très rare, car il fut, par l'ordre supérieur du Chancelier Pontchartain, supprimé de tous les exemplaires de l'édition, et je l'ai moi-même longtemps cherché.

«Je ne puis, dit Le Fèvre, me dispenser de répondre aux invectives d'un certain petit novice...

Ce petit novice, c'est bien La Hire fils qui n'avait alors que 22 ans et qui était d'ailleurs d'une nature chétive.

.... auteur supposé......

Ce mot supposé indique bien clairement que l'idée de plagiat et de vol était toujours vivace dans l'esprit de Le Fèvre.

.... Auteur supposé d'une année d'éphémérides, imprimée et publiée depuis peu de temps. - Ce nouvel auteur, rempli d'un esprit de vanité, de présomption et de mensonge, dit, dans la préface de ces Éphémérides, que le grand nombre d'opérations de calculs dans lesquels il n'est pas possible qu'il ne se glisse quelques erreurs lui font toujours craindre de ne pas pouvoir répondre à l'attente du public, mais qu'il espère qu'on n'y trouvera pas au moins des éloignements du ciel aussi grands qu'on en voit dans des Éphémérides qui sont fort estimées et approuvées, et où leur auteur s'étant servi de ce qu'il a pu recouvrer de plus exact ne laisse pas que de donner l'éclipse du 15 mars 1699 qui s'écarte de l'observation qui en a été faite de plus d'une demi-heure, ce qui ne se trouvait pas par le calcul des Tables Rudolphines, quoique fort inexactes».

L'attaque était directe, comme on voit, de la part de La Hire fils ; elle devait blesser cruellement l'amour propre de Le Fèvre, qui avait une confiance inébranlable dans ses calculs et dans la valeur de ses Tables astronomiques, dont l'Académie elle-même avait reconnu et proclamé la justesse.

«On répond à ce jeune novice, continue Le Fèvre, et on lui dit que l'éclipse du 15 mars 1699, dont il est question, a été véritablement supputée par les Tables Rudolphines ; mais il est arrivé qu'après en avoir trouvé le temps du milieu de l'éclipse, pour avoir le temps de la demi-durée, l'on a pris par mégarde l'anti-logarithme de l'arc d'entre les deux centres de la lune et de l'ombre, sous le nombre 33, au lieu de le prendre sous le nombre 38 ; et la demi-durée s'est ainsi trouvée plus grande de 7 minutes. Mais quoique cette erreur soit jointe au défaut des tables, il n'est pas vrai de dire que le calcul que l'on a donné s'écarte de l'observation de plus d'une demi-heure. Ainsi l'on peut dire que ce nouvel auteur est un mensonger et un menteur qui impose le faux et qui ne saurait faire voir ce qu'il dit avec témérité dans la préface de ses Éphémérides».

- Vous voyez que notre compatriote n'y allait pas de plume morte !

«Or, poursuit Le Fèvre, puisque l'on prend une faute, faite par mégarde, dans le calcul d'une éclipse, je rapporterai ici une autre faute faite par un célèbre astronome dans une autre éclipse, pour faire voir que ceux qui condamnent sont quelquefois plus criminels que les autres».

- Ce célèbre astronome, auquel Le Fèvre fait ici allusion, c'est La Hire père.

«L'astronome, auteur des Tables astronomiques, dont ce nouvel auteur s'est servi pour supputer ses Ephémérides, ayant calculé, par ses tables, l'éclipse de lune qui arriva le 20 novembre 1695, cet astronome communiqua son calcul dans une compagnie où j'ai l'honneur d'avoir été présent, et l'on trouva que cet astronome faisait finir l'éclipse, le 20 novembre, à 8 heures 42 minutes du soir, et la grandeur de l'éclipse devait être de 6 doigts 15 minutes (6). - Une autre personne donna aussi un autre calcul de la même éclipse».

- Cette autre personne, c'était Le Fèvre lui-même, mais il se garde bien de le dire, comme vous le remarquez.

«Et on trouva que ce calcul faisait finir l'éclipse, à 8 heures 35 minutes 28 secondes, et que la grandeur de l'éclipse ne devait être que de 5 doigts 12 minutes.

» Cependant l'astronome ci-dessus observa l'éclipse dans la suite et il trouva, par son observation, que l'éclipse finit où il la fit finir, à 8 heures 41 minutes, c'est-à-dire à une minute près de son calcul. Pour lors, cet astronome triompha en faisant voir que son calcul était plus juste que celui des autres qu'il traita avec mépris.

» Mais il arriva que M. Cassini, étant à Bologne, en Italie, observa l'éclipse fort exactement et envoya à Paris son observation, laquelle étant réduite au méridien de Paris, donna la fin à 8 heures 34 minutes 30 secondes.

» M. Chazelles, hydrographe à Marseille, observa aussi la même éclipse et trouva que la grandeur de l'éclipse était justement de 5 doigts 15 minutes.

» Notre astronome, voyant ces observations, en fut extrêmement mortifié, car ayant comparé son calcul et son observation avec l'observation de M. Cassini, on trouva qu'il s'écartait de 7 à 8 minutes dans l'une et dans l'autre, et il fut aisé de voir qu'il avait accommodé son observation à son calcul. Quant à la grandeur de l'éclipse, on trouva que cet astronome ne s'était trompé que d'un doigt tout entier, car il avait dit que l'éclipse serait de 6 doigts 15 minutes ; mais c'est peu de chose pour lui.

» Enfin, que ce nouvel auteur ne dise donc plus que je me sers de ce que j'ai pu recouvrer de plus exact, puisque ni lui, ni le célèbre astronome son auteur, ne sauraient approcher en aucune manière de la justesse des calculs des éclipses que j'ai donnés depuis huit ou neuf ans ; je ne dis pas par les tables Rudolphines, car elles ne conviennent pas avec le ciel, comme je l'ai fait voir dans la dernière éclipse de soleil et dans quelques autres de l'année précédente, mais par mes nouvelles Tables astronomiques, dont on connaît assez la justesse, l'exactitude et la valeur.

» Pour ce qui est des éphémérides de ce nouvel auteur, on les examinera lorsqu'on pourra les comparer avec les observations ; mais en attendant ce temps-là, on dira par avance qu'elles sont très-défectueuses, et qu'elles sont entièrement indignes des titres spécieux que leur auteur leur fait porter».

La sortie, comme vous voyez, était véhémente. Si le fond était vrai, la forme, il faut bien le reconnaître, n'était pas convenable. Le langage de Le Fèvre n'était pas digne. Il trahit le défaut d'éducation première que le commerce du monde lettré n'était pas parvenu à lui donner encore. Il devait blesser et il blessa vivement, en effet, le sentiment de l'Académie qui tenait à joindre à son renom scientifique la réputation d'être courtoise.

Le Fèvre devait nécessairement succomber dans cette lutte inégale, où il n'avait pour second que son savoir, contre La Hire père et fils, qui possédaient dans le chancelier de Pont-Chartrain un protecteur tout puissant.

Il succomba. - Le procès-verbal de la séance du 17 septembre 1700 de l'Académie des sciences porte ce qui suit :

«M. le Président - l'abbé Bignon - a dit que, dans la préface de la Connaissance du temps pour 1701, composée par M. Le Fèvre, il y avait des choses dures et offensantes pour MM. La Hire père et fils qui étaient suffisamment désignés, quoiqu'ils ne fussent pas nommés. M. le comte de Pont-Chartrain, qui avait trouvé cette conduite entièrement contraire au réglement, avait voulu d'abord que M. Le Fèvre fût exclu de l'Académie, et cependant, à la prière de M. le Président, il s'était relâché à permettre qu'il continuât d'y prendre séance à l'avenir, à condition qu'il retirerait aussitôt tous les exemplaires de son livre qui étaient chez l'imprimeur pour en échanger la préface ; qu'il en ferait une autre où il rétracterait tout ce qu'il avait dit de MM. La Hire, et, que de plus, il leur demanderait pardon en pleine assemblée. M. le Président a ajouté que M. le Chancelier retirait le privilége qui avait été accordé à M. Le Fèvre, parce qu'il en avait abusé.

L'heure de la séparation de l'assemblée ayant sonné avant que M. le Président eût entièrement achevé de parler, M. Le Fèvre n'a rien répondu et on s'est séparé».

La punition ne s'était pas fait attendre ; - punition rigoureuse où la main puissante d'un ministre partial se laisse par trop apercevoir. Le Fèvre méritait sans doute une réprimande, un blâme sévère, mais la docte assemblée devait-elle laisser à tout autre, quelque puissant qu'il fût, le soin de rappeler aux convenances celui de ses membres qui s'en était écarté dans un moment de vivacité, excusable jusqu'à un certain point, et surtout alors que la compagnie n'ignorait pas d'abord que les allégations de La Hire fils, au sujet des calculs de Le Fèvre, pour l'éclipse de 1699, étaient en pleine contradiction avec l'avis par elle précédemment émis, - et qu'elle savait positivement, d'un autre côté, à quoi s'en tenir, quant au fond, sur la critique publiquement faite, mais peu habile, de Le Fèvre, à l'endroit des calculs et des observations de La Hire père, pour l'éclipse de 1685. En prenant sous sa protection deux de ses membres à la considération desquels on avait porté atteinte, devait-elle attenter elle-même à la considération d'un autre de ses membres ? Devait-elle souffrir, au point de vue de sa propre dignité, que, pour venger la dignité de deux des siens, on froissât celle d'un troisième, en lui imposant l'humiliation de demander pardon en pleine assemblée ? N'était-ce donc pas une satisfaction suffisante donnée à MM. La Hire que d'ordonner la suppression de l'avertissement, alors surtout que les exemplaires du volume qui le contenait se trouvaient encore chez l'imprimeur ? - Le retrait du privilége de la Connaissance des Temps n'était-il donc pas une punition suffisamment rigoureuse, sinon exorbitante, infligée à Le Fèvre, et fallait-il y joindre, par surcroit, l'obligation pénible d'une rétractation publique ?

En vain, le président déclare qu'à sa prière le Chancelier s'est relâché de sa première sévérité en ne prononçant pas l'exclusion de Le Fèvre ; je trouve que l'assemblée aurait dû protester, en repoussant la mesure du pardon comme outrageante pour la dignité de l'un de ses membres, non moins que pour la dignité de la compagnie tout entière. Et je ne sais pas même si l'on ne doit point voir une sorte de partialité, un indice de parti-pris dans ce fait, consigné au procès-verbal, que le président prend la parole à une heure assez tardive pour ne pouvoir achever son réquisitoire, mais assez à temps pour fulminer sa condamnation sans avoir entendu les explications de l'académicien incriminé. La chose, ce semble, était assez grave et assez délicate pour qu'elle occupât le premier rang à l'ordre du jour et que l'assemblée eût ainsi le temps d'entendre les explications contradictoires de Le Fèvre et de MM. La Hire.

 
~*~
 
XII
 

Qu'allait faire Le Fèvre dans cette circonstance délicate ? - Allait-il protester contre la punition rigoureuse qui le frappait, ou bien, s'y soumettrait-il et l'accepterait-il purement et simplement ?

Il semble qu'il ait longtemps balancé sur le choix du parti qu'il devait prendre.

On lit, en effet, dans le procès-verbal de la séance tenue quinze jours après celle dont je viens de parler, on lit, dis-je, que le président chargea le secrétaire de donner lecture à l'assemblée d'une lettre à lui adressée par Le Fèvre.

Dans cette lettre, Le Fèvre mande au président que l'état de sa santé ne lui a pas permis de se trouver à l'assemblée précédente, ni à la suivante, mais qu'il se soumettra plutôt que de renoncer à l'Académie, et qu'il viendra, au premier jour, faire telle réparation qu'on lui ordonnera.

Cette lettre parait avoir produit sur l'assemblée une impression favorable et avoir même amené un certain revirement dans son opinion première ; car le procès-verbal mentionne ce fait, que je rapporte avec satisfaction, que «comme l'assemblée se séparait, MM. La Hire et tous les autres académiciens ont été, de propre mouvement, prier M. le Président de vouloir bien dispenser M. Le Fèvre de demander pardon en pleine assemblée ; M. le Président s'est laissé fléchir».

Cette démarche, quoiqu'elle paraisse tardive, fait néanmoins honneur aux sentiments de l'assemblée, je m'empresse de le reconnaître, tout en regrettant que la compagnie n'ait pas déclaré se tenir pour satisfaire des excuses implicitement contenues dans la lettre de Le Fèvre.

De son côté, Le Fèvre avait, lui aussi, changé de résolution depuis l'envoi de sa lettre. Il ne tint pas la promesse qu'elle exprimait de se présenter incessamment à l'Académie : Il ne reparut plus dans la docte assemblée.

Une année entière s'écoula ainsi, à l'expiration de laquelle on lui appliqua rigoureusement l'article du réglement qui prononçait «l'exclusion de tout membre absent plus d'un an sans congé du Roi».

Il est assez difficile de savoir le motif qui détermina Le Fèvre à ne plus reparaître à l'Académie.

Espérait-il, comme je le disais tout à l'heure, que sa lettre serait agréée comme remplaçant le pardon auquel il était obligé.

Etait-ce la maladie qui le retenait impérieusement chez lui ? - On ne saurait le penser, car l'Académie n'eût sans doute pas prononcé l'exclusion de l'un de ses membres pour une cause d'absence aussi légitime.

Etait-ce honte, dédain ou indifférence ? - Je ne saurais le dire, car on a peine à s'expliquer cette étrange résolution de la part d'un homme qui, parti de si bas, devait avoir toutes raisons de tenir à ce titre d'académicien, qui, dès cette époque, était vivement recherché, ardemment sollicité, et qu'il devait, lui, à la seule influence de son savoir, mis en lumière par l'abbé Picard.

Quoi qu'il en soit, ce fut, dit le célèbre La Lande qui devint plus tard un de ses successeurs à la rédaction de la Connaissance des Temps, ce fut une perte véritable pour l'astronomie. Calculateur habile, il supputait mieux les éclipses que La Hire, qui sut, par des influences étrangères à la science, triompher injustement de son adversaire.

 
~*~
 
XIII
 

Que devint Le Fèvre, à la suite de la brutale exclusion prononcée par l'Académie ?

M. Louis Du Bois, le seul historien que Lisieux possède jusqu'à présent, semble l'avoir perdu de vue depuis ce moment. Il se borne à dire qu'il y a lieu de croire que ce fut de douleur que Le Fèvre mourut cinq ans après son malheur.

Plus heureux que M. Louis Du Bois, j'ai la satisfaction de pouvoir aujourd'hui combler cette lacune dans la biographie de notre compatriote. Les recherches qu'il m'a été donné de faire dans les procès-verbaux de l'académie des sciences, grâce à la bienveillante recommandation de M. Joseph Bertrand, membre de l'Institut, m'ont permis d'apprendre et m'autorisent à constater de la manière la plus formelle, que s'il ne fut plus admis comme autrefois aux séances de l'assemblée en qualité d'académicien pensionnaire, Jean Le Fèvre y reparut encore, à diverses reprises, à titre d'inventeur.

Il continua de résider à Paris après sa disgrâce et il s'établit ingénieur pour les instruments de mathématiques, dans une maison située sur le quai de l'Horloge du Palais, et, suivant la mode du temps, il avait pris une enseigne qui avait pour légende : Aux deux globes.

Dès 1702, il présente à l'Académie un Planisphère de son invention, dont le Journal des Savants donne une longue et minutieuse description ; mais je crois devoir vous faire grâce de ces détails pour ne pas abuser de votre complaisante attention, déjà suffisamment mise à l'épreuve. Vous savez tous, du reste, que le planisphère, dont le nom est composé d'un mot latin qui signifie égal, plan, et d'un mot grec qui veut dire globe, est une carte où les deux moitiés du globe céleste sont représentées sur une surface plane, et où les constellations sont marquées. Le planisphère inventé par Le Fèvre se distinguait de ceux connus jusqu'alors en ce qu'il se composait de plusieurs pièces séparées les unes des autres qui se réunissaient suivant leurs divers usages. L'invention était des plus ingénieuses.

Quelque temps après, il imagine un almanach ou calendrier pour toutes les années depuis 1700 jusqu'en 1750.

Cet almanach, non moins ingénieux que le planisphère, a cela de singulier, dit le Journal des Savants, qu'il suffit de le disposer une seule fois pour toute une année et que cet arrangement est très facile à faire. - On y voit tous les jours de la semaine de suite, les fêtes mobiles, le lever et le coucher du soleil, les jours de la lune, la longueur du crépuscule, les jours du mois selon les latins, l'épacte, le nombre d'or, la lettre dominicale, le cycle solaire et l'indiction romaine. Il a la figure d'un tableau ; et les figures des quatre saisons, fort proprement gravées, ne contribuent pas peu à le rendre agréable à la vue.

Cette dernière phrase nous laisse apercevoir, si je ne me trompe, que dès le commencement du XVIIIe siècle, on pratiquait déjà, timidement il est vrai, ce que nous appelons la réclame qui a pris depuis de si vastes proportions et des allures beaucoup moins modestes.

Quoiqu'il en soit, je ne serais pas surpris que quelques uns de nos vieillards actuels eussent vu, chez leurs aïeux, des spécimens de cet almanach ingénieux qu'on pourrait appeler, à bon droit, un almanach ou calendrier séculaire, et il ne serait pas impossible qu'on en retrouvât encore quelque exemplaire enfoui dans l'un de nos vieux châteaux. Une pareille trouvaille serait curieuse et surtout intéressante pour nous qui connaissons l'inventeur de cet almanach.

En 1703, Le Fèvre communiqua à l'Académie les calculs faits d'après ses tables astronomiques particulières, qui n'ont jamais été publiées, pour une éclipse totale de lune, indiquée pour le 5 mars. Cette communication était accompagnée d'observations détaillées ayant pour objet de prémunir contre les différences qui pourraient se trouver entre les calculs et l'observation et d'en indiquer les causes probables.

Bien qu'on ne pût voir sur l'horizon de Paris que le tiers environ de cette éclipse et qu'on ne l'ait observée que fort imparfaitement et avec beaucoup de peine, à cause des nuages dont le ciel fut couvert, le peu de phases que Cassini et La Hire purent saisir servirent à vérifier, une fois de plus, la parfaite justesse des calculs de Le Fèvre.

Enfin, le 1er juillet 1705, Jean Le Fèvre présenta à l'Académie un Micromètre de son invention. Sur la demande qu'il avait faite de nommer des commissaires pour examiner cet instrument, l'Académie, dans la séance du 5 août suivant, désigna pour cet examen Cassini et La Hire.

L'Académie, sur le rapport ultérieur de ces deux membres, approuva l'instrument ingénieusement perfectionné par Le Fèvre, mais dont l'invention première appartient de droit à Picard et à Auzout, qui avaient réuni à cet effet leurs savants efforts.

Le micromètre, qu'il ne faut pas confondre, bien entendu, avec le microscope, est un instrument d'astronomie qui sert à mesurer dans les cieux avec une grande précision, de petites distances ou de petites grandeurs, comme les diamètres du soleil, de la lune, des planètes, etc., etc. (7)

Je passe sous silence les modifications apportées au micromètre par Le Fèvre ; cette description étant hérissée de termes techniques qui vous seraient sans doute fastidieux. Mais je ne saurais me dispenser de vous signaler un fait qui témoigne une fois de plus du dédain persistant de La Hire pour les travaux de Le Fèvre.

Dans un mémoire sur la construction d'un micromètre universel, publié en 1717, c'est-à-dire quinze ans après l'expulsion de Le Fèvre, et douze ans après la présentation du micromètre perfectionné par ce dernier, La Hire parle, à diverses reprises, de l'instrument inventé par Picard et Auzout. C'est assez naturel ; mais ce qui l'est moins assurément, et ce qui sera pour vous significatif, c'est qu'il ne dit pas un mot des perfectionnements apportés par Le Fèvre, encore bien qu'il les ait lui-même constatés comme commissaire, que l'Académie les ait approuvés sur les conclusions d'un rapport fait par lui avec Cassini, et qu'enfin, dans ce mémoire, il propose à son tour de modifier en certaines parties les micromètres connus jusqu'alors, pour composer un micromètre universel.

De pareils faits n'ont pas besoin de commentaires ; ils suffisent pour permettre de juger un homme.

Cette communication est la dernière de Jean Le Fèvre dont fassent mention les procès-verbaux de l'Académie des sciences.

Il mourut l'année suivante, en 1706. J'ignore absolument s'il était marié et s'il a laissé des enfants.

 
~*~
 
XIV
 

Je m'arrête devant cette tombe. Mais la tâche que je me suis imposée n'est pas terminée. Il reste dans la biographie de Le Fèvre bon nombre de lacunes que je continuerai de m'efforcer de combler, afin de pouvoir un jour vous offrir une notice imprimée complète.

En attendant, je serais heureux que le peu que j'ai pu recueillir, et que je viens de vous exposer, suffît pour vous faire connaître et pour vous faire estimer un Lexovien qui a droit à prendre rang parmi les illustrations du pays ; car s'il ne s'est pas immortalisé par de brillantes découvertes, il a du moins aidé à quelques-unes, et il a laborieusement travaillé à en perfectionner d'autres.

Aussi, permettez-moi de vous inviter, en terminant, à vous associer au voeu que j'exprime à la Société d'Émulation, de vouloir bien consacrer au souvenir de l'astronome Jean Le Fèvre une plaque commémorative qui pourrait être placée dans cette salle même où nous réunissent tous périodiquement notre amour pour l'art et pour la science, notre commune sympathie pour le bien public et notre zèle pour la charité.

 
Notes :

(1) Le seul document que j'aie rencontré qui mentionne la naissance d'un enfant du sexe masculin ayant nom Jean Lefèvre, se trouve dans l'un des registres de l'Etat civil de la paroisse Saint-Jacques, conservé à la mairie de Lisieux. Cet acte est ainsi conçu :
«Le neuvième jour dudit mois d'avril 1652, fut baptisé par le sieur Campion l'enfant de Jean Le Fèvre, la mère Marie Barbeau ; le parrain Jean Duval, la marraine Jacqueline Barbeau. L'enfant nommé Jean par le sieur Duval».

(2) Ces recherches, interrompues par les événements, sont désormais devenues impossibles ; les actes de l'Etat civil de la ville de Paris ayant été, comme on sait, incendiés sous la Commune.
C'est cette circonstance qui me détermine à publier cette notice que je me proposais de ne livrer à l'impression que lorsque je serais parvenu à recueillir ces derniers renseignements biographiques.

(3) On sait que les méridiens célestes sont le prolongement indéfini et dans tous les sens du plan que forme sur la voute céleste qui nous entoure des grands cercles fictifs qui, en passant par les pôles de la terre, sont censés couper celle-ci en deux parties égales et qu'on appelle méridiens terrestres.

(4) La Méridienne d'un lieu est la ligne d'intersection contenue dans le plan de l'horizon et du méridien de ce lieu.

(5) On appelle Tables Rudolphines les tables astronomiques commencées par Tycho Brahé (1546-1601) et continuées par Képler, qui y travailla vingt six ans, - parce qu'elles étaient dédiées à l'Empereur d'Allemagne Rodolphe II, qui avait été le protecteur des deux célèbres astronomes. - Képler, né en 1571, mourut en 1630. Il fut l'un des génies scientifiques les plus féconds des temps modernes.

(6) Doigt, en terme d'astronomie, est une mesure qui sert à calculer la grandeur des éclipses, et qui représente la douzième partie du diamètre apparent du soleil ou de la lune. - Le diamètre de la lune étant de 869 lieues ou 3,475 kilomètres, le douzième ou le doigt, pour la mesure des éclipses de lune, représente donc 72 lieues ou 289 kilomètres environ. - Le diamètre du soleil étant de 357,290 lieues ou 1, 429,170 kilomètres, le douzième ou le doigt, qui sert à mesurer les éclipses de soleil, est donc de 29,774 lieues ou 119,097 kilomètres environ. - Le doigt se subdivise en 60 minutes.

(7) Un micromètre inventé par le sieur Le Fèvre, inventeur pour les instruments de mathématiques. La division en est telle que le mouvement du foyer répond toujours précisément et sans fraction à des minutes et à des secondes de degrés, quoique le micromètre soit appliqué à des lunettes de différentes grandeurs. Cette même division, pourvu qu'on change de numération, divise de 20 secondes en 20 secondes de doigt les diamètres apparents du soleil et de la lune, quoiqu'ils varient, et cela dans le temps même de l'observation.
Le sieur Le Fèvre proposa en même temps à l'Académie une autre sorte de division, qui rendrait le micromètre beaucoup plus simple, et qui aurait tous les avantages de l'autre, à cela près qu'elle n'irait pas à de si petites parties. Ces inventions sont nouvelles et ont paru fort ingénieuses. On n'en a point encore vu l'usage. - 1705. - Hist. de l'Ac., p. 138.


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