A la mémoire de A.-A. Hardel, imprimeur libraire à Caen, 1834-1864…- Caen : De l’Imprimerie de F. Le Blanc-Hardel [1864].- 11 p. ; 20,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (30.XII.2005)
Texte relu par : A. Guézou
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire d'une coll. particulière.

A LA MÉMOIRE
DE
A.-A. HARDEL
IMPRIMEUR-LIBRAIRE A CAEN
1834-1863
Son gendre respectueux et
reconnaissant

F. LE BLANC
~*~
                       
LE 9 février 1864, s'éteignait à Caen une existence des mieux remplies et des plus méritantes. M. AIMABLE-AUGUSTIN HARDEL, imprimeur-libraire-éditeur depuis 1834, succombait à une fluxion de poitrine que toutes les ressources de l’art médical n'avaient pu conjurer.

Nous avions eu le bonheur de vivre dans son intimité pendant plus de sept années et de partager ses travaux. Appelé à lui succéder, nous nous sommes fait un devoir de reproduire, pour les amis intimes, en une plaquette à laquelle nous avons apporté tous nos soins, la Notice biographique publiée dans l'Annuaire de l'Association normande par M. Julien Travers.
    
Puisse ce témoignage de piété filiale être agréé des amis de celui que nous regretterons toujours ! Nous saisissons cette occasion pour les remercier d'avoir bien voulu nous continuer les mêmes marques d'estime et de dévouement.

L'Imprimeur-Éditeur,
F. LE BLANC-HARDEL.


NOTICE BIOGRAPHIQUE
SUR
M. AIMABLE HARDEL
IMPRIMEUR-LIBRAIRE

PAR M. JULIEN TRAVERS

IL n'y a pas de vie plus simple, il n'y en a pas de plus honorable que celle de ces ouvriers actifs et intelligents, artisans de leur fortune, qui se dévouent à la tâche qu'ils se sont imposée au début de leur carrière, surtout quand leur carrière est un continuel concours de leurs efforts au progrès des sciences, des arts et des belles-lettres. Faire de grandes oeuvres avec génie donne l'immortalité ; les éditer avec talent n'est pas sans gloire. De là ces réputations de quelques imprimeurs et de quelques libraires : celle de M. Hachette, à Paris, celle de M. Hardel, dans notre province. Tous deux ont été enlevés, à peu de mois de distance, l'un à la littérature universelle, l'autre à la littérature normande.
   
M. Hardel, au moment où il accroissait ses ateliers et rêvait d'améliorations incessantes, a succombé le mardi 9 février 1864, à onze heures du soir, à une implacable maladie. Sa vie laborieuse et les services qu'il a rendus, pendant plus de trente années, ont été retracés dans les discours prononcés sur sa tombe. Nous les reproduisons d'après un article de L'Ordre et la Liberté, du 13 février 1864, article sincère et vrai de tout point, auquel nous sommes heureux d'ajouter ce qui suit :

Les craintes qu'avaient eues d'abord les amis de l'art typographique, au sujet de l'imprimerie de M. A. Hardel, se sont entièrement dissipées. Cette imprimerie-modèle est passée aux mains de M. Le Blanc, gendre du défunt, et nous avons pu apprécier les débuts d'un homme qui n'a pas moins d'instruction, de goût et de probité que son beau-père. Nous le disons de grand coeur, car les morts n'ont pas seuls droit à notre justice.

« Hier, ont eu lieu les obsèques de M. Hardel, dont nous avons annoncé la mort jeudi dernier. Malgré une pluie battante, un long cortège d'amis a suivi jusqu'au cimetière la dépouille mortelle. Les coins du poêle étaient tenus par M. Théry, recteur de l'Académie, M. de Caumont, M. Julien Travers et M. Domin. » (L'Ordre et la Liberté.)
   
Au moment où la tombe allait se refermer à jamais, M. de Caumont, d'une voix profondément émue, a prononcé le discours suivant :

DISCOURS DE M. DE CAUMONT.

L'homme de bien, l'excellent père de famille, l'ami dévoué que nous perdons et auquel nous venons dire un dernier adieu, était né à Canisy, arrondissement de St-Lo (Manche), le 2 mai 1802.

Après avoir fait de bonnes études, il se maria très jeune, le 21 février 1822, et vint habiter Caen.
    
Encore indécis sur la carrière qu'il devait embrasser, il entra comme compositeur dans l'imprimerie de la maison Chalopin, une des plus anciennes de notre ville.

Théodore Chalopin, mon camarade au collège de Falaise, voulant soutenir un nom depuis longtemps connu dans la typographie caennaise, avait passé plusieurs années chez Firmin Didot, et il venait d'introduire dans son établissement des améliorations que le progrès de l'art avait rendues nécessaires. Il reconnut bientôt dans M. Hardel un coopérateur d'un mérite rare, qu'il fallait attacher à sa maison. Bon latiniste, sachant aussi le grec, M. Hardel pouvait, en effet, rendre à l'établissement des services exceptionnels ; et lorsque, à trente-deux ans, une phthisie pulmonaire frappa M. Chalopin, il vit venir la mort avec calme, en songeant qu'il avait mis à la tête de ses ateliers un homme d'une probité à toute épreuve, d'un dévouement sans bornes, toujours le premier au travail, le dernier à le quitter.
    
M. Hardel dirigea encore l'imprimerie deux ans après la mort de M. Chalopin, et la famille put reconnaître combien elle avait à se louer de sa gestion. Ce fut alors qu'on proposa à M. Hardel de lui céder l'établissement, et qu'il en devint propriétaire après en avoir eu pendant plusieurs années la direction.
    
La plupart de ceux qui m'entendent savent combien d'améliorations successives out été opérées par M. Hardel : un matériel renouvelé, puis doublé, puis quadruplé, lui a permis d'augmenter le travail dans une proportion considérable, et son imprimerie est devenue une des bonnes imprimeries de province. On y a même publié des livres illustrés d'une exécution difficile, et M. Hachette, dont l'autorité est grande en pareille matière, me disait, il y a quelques mois, que M. Hardel avait imprimé des ouvrages qu'il n'aurait pas mieux exécutés lui-même.

Cependant M. Hardel n'avait pu faire ce qu'il avait conçu, car l'espace lui manquait. Par un sentiment que nous ne saurions assez approuver, il ne voulait pas quitter une maison illustrée par deux cents ans de labeurs. Ce sont, en effet, de beaux titres de noblesse que ceux des Poisson et des Chalopin, imprimeurs, rue Froide, depuis bientôt trois siècles, et que ceux des Le Roy, imprimeurs, hôtel des Monnaies, depuis plusieurs générations. M. Hardel, quoiqu'il ne fît que succéder aux Chalopin, avait compris qu'il héritait de leurs traditions et que sa maison était historique ; il ne voulut pas la quitter.

Hélas! au moment où il venait d'acquérir un terrain voisin, qui lui permettait de réaliser ce qu'il avait longtemps rêvé, une mort imprévue est venue l'arracher à notre affection !

C'est ainsi que, comme le sable qui s'écroule après avoir été péniblement amassé, nos projets s'évanouissent au moindre souffle : une courte maladie a suffi pour mettre à néant cette vie de labeur et de probité, qui avait mérité à notre ami les sympathies et l'affection générales.
    
Toutes nos Sociétés académiques savent ce qu'il a fait pour elles ; elles avaient apprécié son dévouement, son zèle, son inépuisable complaisance, son désir ardent de contribuer à la gloire littéraire et scientifique du pays, en donnant ses soins à la publication de leurs travaux.
    
Le nom de M. Hardel tiendra une place honorable dans les fastes littéraires de la cité, et sa mémoire ne périra pas.
    
Puisse-t-il recevoir dans un autre monde la récompense de ses vertus, de ses travaux et de ses excellentes qualités !
   
M. Julien Travers a pris ensuite la parole en ces termes :

DISCOURS DE M. J. TRAVERS.

L'homme de bien dont il faut nous séparer n'était pas un artisan vulgaire. Entré de bonne heure dans la plus noble des industries, celle qui confine aux productions de l'intelligence et qui contribue tant à les faire valoir, M. Hardel s'était préparé à la typographie, comme les grands imprimeurs du XVIe siècle, par de fortes études : il y apportait, comme eux, l'amour de son art, l'ardeur du zèle et le courage des sacrifices.
    
Sa conduite exemplaire et son talent incontestable lui firent livrer en toute confiance une imprimerie ancienne, justement célèbre, qu'un travail opiniâtre a payée en peu d'années.

En même temps qu'il donnait à sa maison des développements en rapport avec les progrès de la typographie, il élevait quatre enfants dont trois fils, qui lui ont fermé les yeux : trois dignes fils qui lui doivent, avec une éducation libérale, la grande éducation de la famille et des bons exemples.
 
Imprimeur de nos Sociétés savantes, M. Hardel mérita la haute faveur de ces Corps honorables. Avec lui les relations étaient sûres, toujours agréables, parfois profitables, et plus d'un de nos confrères eut raison de tenir compte de ses excellents conseils. Membre de plusieurs des Compagnies qui doivent leur existence et leur prospérité à M. de Caumont, il fut souvent un auxiliaire utile de cet intrépide fondateur. M. De Caumont le regrettera comme un de ses imprimeurs, comme un de ses collaborateurs. Nous le regretterons tous comme un modèle de franchise, de complaisance, de loyale affabilité. Vingt-cinq années de relations presque quotidiennes m'ont fait connaître la justesse de son esprit, la délicatesse de ses sentiments, sa piété solide et sa sincère tolérance, ses scrupules de conscience et sa droiture à toute épreuve ; elles m'ont permis d'apprécier ses vertus, et m'autorisent à lui dire, au nom de tous, ce solennel et dernier adieu.


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