GADEAU DE KERVILLE, Henri (1858-1940) : Observations relatives à ma note intitulée Perversion sexuelle chez des coléoptères mâles....-Rouen : Impr. Julien Lecerf, 1896.- 12 p. ; 26 cm.
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OBSERVATIONS
RELATIVES A MA NOTE INTITULÉE
PERVERSION SEXUELLE
CHEZ DES
COLÉOPTÈRES MALES
(avec une figure dans le texte)

Note communiquée au Congrès annuel de la Société
entomologique de France (séance du 26 février 4896) et publiée
dans le Bulletin de cette Société (n° 4 bis, p. 85)

par

Henri Gadeau de Kerville

~*~


La note en question, dans laquelle je signale des cas d'accouplement entre insectes males, qui constituent de véritables actes de pédérastie, en ajoutant que, d'après de curieuses observations, je crois pouvoir diviser cette pédérastie des insectes en pédérastie par nécessité et pédérastie par goût, a déterminé, quand je l'ai lue, quelque étonnement et quelques murmures chez plusieurs de mes collègues, étonnement et murmures dus sans doute à la nature du sujet.

Je n'ai, en aucune manière, à m'excuser d'avoir traité une pareille question. Dans une réunion composée uniquement de naturalistes, l'un d'eux a tous les droits d'aborder n'importe quel sujet d'histoire naturelle, du moment que le sujet est sérieux et sérieusement traité. Ne pas, dans une telle circonstance, employer les mots techniques, et recourir à des périphrases, sous prétexte de convenance, serait, à mes yeux, un acte de pudibonderie toujours ridicule et souvent hypocrite. Il ne faut pas oublier que les termes scientifiques sont chastes, et que la vérité nue ne saurait offenser les yeux ou les oreilles d'un véritable naturaliste. Ce que je viens de dire pour une communication verbale est évidemment applicable à toute communication imprimée faite pour un publie spécial.

Si, à mon avis, le sujet dont j'ai parlé ne peut faire rougir le front d'aucun entomologiste, et, au double point de vue du fond et de la forme, ne saurait être blâmé au nom de la pudeur, il en est tout autrement de certaines critiques verbales que m'ont faites plusieurs de mes collègues, à la suite de cette communication. Toujours avec une attention très-grande et beaucoup de reconnaissance pour les personnes qui me les formulent, j'examine les critiques qui me sont adressées. Il va sans dire que les critiques en question, émanant de membres distingués de la Société entomologique de France, avec lesquels je m'honore d'entretenir d'excellentes relations, si profitables à mon instruction zoologique, méritaient de ma part une étude spéciale. Ne pouvant, cela va sans dire, insérer cette réponse dans les publications de la Société entomologique de France, je l'ai fait imprimer à part, ainsi que je l'avais annoncé dans la note en question.

Ces critiques concernent l'emploi du mot de pédérastie pour des insectes, et la division en pédérastie. par nécessité et pédérastie par goût.

1° D'après son étymologie, m'a-t-on dit, le mot de pédérastie n'est pas applicable aux faits que vous signalez, c'est-à-dire à l'accouplement entre insectes mâles, puisque pédéraste vient de παι ̃ς, παιδο ́ς, enfant, et d'ἐραστη ́ς, amoureux ; ce terme ne doit être employé que pour l'espèce humaine.

Si le mot pédéraste ne désignait que des hommes amoureux d'enfants, il serait, de toute évidence, absolument impropre pour désigner des accouplements entre insectes mâles. Mais ce terme, comme beaucoup d'autres mots de notre langue, a changé, quant au sens , depuis sa formation. Actuellement , dans le langage scientifique, l'expression de pédéraste est réservée aux hommes qui introduisent leur pénis dans l'anus d'un autre homme et à ceux qui , dans cet accouplement hideux, jouent le rôle passif, quel que soit l'âge de l'individu actif et de l'individu passif.

A l'égard de la véracité de cette assertion, je ne puis mieux faire que de citer une grande autorité dans la question, le Dr A. Moll, qui dit ce qui suit dans son ouvrage classique sur les perversions sexuelles (1), ouvrage que le sénateur Bérenger a commis l'injustice et la maladresse de faire poursuivre en la personne de l'éditeur, M. Georges Carré, à Paris, dont l'acquittement a rendu quelque peu ridicule le pudibond sénateur.

« On emploie souvent, dit le Dr A. Moll dans l'ouvrage en question (p. 16), l'expression de pédérastes pour désigner les hommes à tendances homosexuelles. Pourtant je ne me servirai pas de ce terme, en général, car scientifiquement il ne désigne qu'un groupe particulier de ces individus, c'est-à-dire ceux qui membrum in anum immittunt (2) ; de même la pédérastie ne désigne qu'une espèce bien déterminée d'acte génital entre les hommes, à savoir l'immissio penis in anum. Comme cela se voit souvent, le mot a dévié de sa signification primitive. Pédéraste vient de παιδο ́ς, ἐραστη ́ς, et signifie amateur de garçons : c'est sous ce nom que les anciens Grecs désignaient d'une façon générale, qu'il s'agit ou non d'un acte génital, les amateurs de garçons et. de jeunes gens. » On pourrait croire, d'après ce passage, que le mot de pédérastes est réservé aux hommes qui introduisent leur pénis dans l'anus d'un autre homme, mais ce terme est applicable à celui qui joue le rôle actif, comme à celui dont le rôle est passif, ce qui, d'ailleurs, est l'avis du Dr Moll, puisque, au cours de l'ouvrage en question, il emploie les termes de pédéraste actif et de pédéraste passif (p. 136, etc.).

En résumé, on voit très-nettement, par cette citation, que les accouplements entre insectes mâles dont je parle dans la note critiquée en question, accouplements constitués par l'introduction du pénis de l'un dans l'anus de l'autre, sont semblables aux accouplements des pédérastes humains, beaucoup moins rares hélas ! qu'on le croit généralement.

De plus, puisque le vice des hommes appelé masturbation porte, avec raison, le même nom chez les animaux, où il s'accomplit d'une manière analogue, parfois d'une façon identique (chez les Singes et les Ours, par exemple), je considère comme absolument légitime d'employer aussi pour les animaux l'expression de pédérastie, puisqu'il s'agit d'un acte qui, au point de vue physique, se passe de la même manière dans l'espèce humaine et chez d'autres animaux.

2° Il me reste maintenant à justifier ma division de la pédérastie des insectes en pédérastie par nécessité et pédérastie par goût.

Nier qu'il existe une pédérastie par nécessité, aussi bien chez les insectes que dans les classes élevées de l'animalité, l'homme compris, c'est nier des faits évidents et maintes fois constatés. Prétendre, comme on me l'a dit, que les accouplements entre mâles chez les insectes sont dus au hasard, n'est vraiment pas une opinion soutenable. L'accouplement ne se fait pas plus au hasard chez les insectes, animaux fort élevés en organisation au point de vue psychique, qu'il ne s'opère au hasard chez les vertébrés supérieurs. S'il en était autrement, nous verrions à chaque instant des accouplements anomaux chez les insectes, ce qui n'a pas lieu. Le fait que les mâles de certains insectes viennent parfois de très-loin pour s'accoupler avec des femelles de leur espèce, joint à d'autres faits tout aussi démonstratifs, prouvent très-nettement que ce n'est pas le hasard qui préside à l'accouplement chez ces animaux.

Un besoin physiologique qui a une intensité très-variable, non-seulement chez les mâles de différentes espèces animales, non-seulement chez les mâles d'une même espèce, non-seulement aux différents âges du mâle, mais encore, à tel ou tel âge, suivant la saison, et même suivant l'état psycho-physiologique dans lequel ils se trouvent à un moment donné, pousse les mâles à s'accoupler. Il est aisé de comprendre que les mâles qui éprouvent irrésistiblement ce besoin et qui alors n'ont à leur disposition, pour une raison ou pour une autre, ni des femelles de leur espèce, ni des femelles de genres plus ou moins voisins ayant une conformation et une taille appropriée à la leur, s'accouplent, pour satisfaire ce besoin impérieux, avec des mâles de leur propre espèce, voire même avec des mâles appartenant à des espèces assez éloignées dans la classification. Nombre d'observations de ce genre prouvent indubitablement l'existence de la pédérastie par nécessité chez des insectes, chez des oiseaux et chez des mammifères, y compris l'espèce humaine.

J'ai encore à justifier l'expression de pédérastie par goût, ce qui est beaucoup moins facile que de prouver la justesse du terme de pédérastie par nécessité. Il est, en effet, très-malaisé de prouver que c'est par goût, par préférence et non pour une autre raison, que tel insecte mâle s'est accouplé avec un mâle de son espèce ou d'une espèce différente, lorsqu'il avait à sa disposition des femelles de sa propre espèce.

Dans la note aux critiques de laquelle je réponds ici, je mentionne l'observation suivante faite par mon excellent ami Paul Noel, le très-actif directeur du Laboratoire régional d'Entomologie agricole de Rouen : Parmi un grand nombre de Hannetons vulgaires mâles, qu'il tenait en captivité avec un grand nombre de femelles de la même espèce, quelques mâles s'accouplèrent avec des individus de leur sexe, bien qu'ils eussent à leur disposition quantité de femelles.

On pourrait supposer que les pédérastes passifs s'étant préalablement accouplés avec des femelles de leur espèce, exhalaient un peu de leur odeur, — on sait que l'olfaction joue un rôle considérable dans l'accouplement des insectes (3), — et que, trompés par cette odeur, les pédérastes actifs s'étaient accouplés avec eux. Mais, à la réflexion, il n'est guère possible d'admettre qu'un mâle accouplé avec une femelle, puis désaccouplé, exhale une odeur féminine plus forte que celle des femelles qui se trouvent auprès de lui. Évidemment l'on ne peut affirmer, d'après cette observation, que les pédérastes actifs étaient des pédérastes par goût, mais, à mon avis, cette supposition est acceptable.

Il est fort possible que l'état de captivité fasse augmenter le nombre des actes de pédérastie ; mais il n'en est pas moins absolument certain que des accouplements entre mâles se produisent également à l'état de pleine liberté. La science entomologique a enregistré, sur ce sujet, de nombreuses observations, dont une des plus intéressantes a été faite par Peragallo, et publiée dans sa Seconde note pour servir à l'histoire des Lucioles (Annal. de la Soc. entomol. de France, ann. 1863, p. 661). Il s'agit du Luciola lusitanica Charp.

Voici cette observation :

« A la date du 25 mai 1863, dit Peragallo dans la note en question (p. 661), l'un de mes correspondants de Menton, sur mes indications, ... m'avait recueilli un certain nombre de femelles de Lucioles accouplées,  et signalé un fait tellement extraordinaire, je dirai même tellement monstrueux, l'accouplement de Lucioles mâles avec des Téléphores du même sexe, que je me suis empressé d'aller faire à Menton une chasse sérieuse.

« Le 2 juin 1863, à huit heures et demie du soir, je pénétrai donc, avec mon correspondant, dans une immense propriété de citronniers au terrain assez inculte et humide... »
 
« Dans les champs de citronniers où se sont portées mes investigations, aussi bien à l'est qu'à l'ouest de la ville de Menton, dit plus loin Peragallo (p. 663), on prend pendant le jour, libres ou accouplés naturellement, de nombreux exemplaires d'une Ragonycha qui doit être la melanura de Fabricius.

« Or, dans ces mêmes champs, à dix heures du soir et rarement avant, nous avons, à chacune de nos chasses, capturé soit à terre, soit sur les plantes basses, des Lucioles mâles, positivement mâles, couvertes par des mâles de Ragonycha ; et ce n'est pas un fait isolé, puisque j'ai en ma possession douze de ces couples pris en trois localités différentes, à différentes dates, et sur ces douze couples trois, qu'il m'a été possible d'asphyxier instantanément au moyen du soufre, sont encore réunis. Le coït est même tellement complet, tellement certain, tellement intentionnel, que j'ai gardé pendant plusieurs heures de ces couples immobiles, immobilité extraordinaire dans un petit être aussi vif que la Ragonycha ; comme je suis positivement certain du sexe des deux insectes, et que ce sexe est le même, je ne puis admettre qu'une immoralité flagrante de la part de la Ragonycha, et une complaisance coupable de la part de la Luciole mâle.

« La Société pourra d'ailleurs se convaincre de ce que j'avance, car je joins à mon envoi trois de ces couples dont l'un encore réuni. »

Peragallo ajoute (p. 664) que, d'après ses observations, « jamais ces accouplements monstrueux n'ont été remarqués entre mâles de Ragonycha et femelles de Lucioles, entre mâles de Lucioles et femelles de Ragonycha, et que toujours la Ragonycha couvre la Luciole. »

Certes, il n'y a pas dans cette fort intéressante observation, émanant d'un entomologiste sérieux et distingué, la preuve que les Ragonycha mâles étaient des pédérastes par goût. Toutefois, il est très important de faire observer que ces mâles devaient avoir à leur disposition, sinon des femelles de leur espèce, tout au moins des Lucioles femelles, puisque les cas de pédérastie en question furent observés en des endroits où abondaient les deux sexes de la Luciole dont il s'agit. En conséquence, ces Ragonycha mâles étaient des pédérastes par goût et non des pédérastes par nécessité.

Il me serait facile de mentionner d'autres observations analogues, mais je ne veux pas transformer en un mémoire cette simple réponse à quelques critiques.

Je sais bien qu'au premier abord cette idée de pédérastie par goût, chez des insectes, a quelque chose qui étonne, et que l'on est peu disposé à reconnaître la possibilité de ce fait. Mais, à la réflexion, cette idée devient de moins en moins inacceptable.

Il n'est en aucune façon douteux qu'il existe, dans l'espèce humaine, des pédérastes par nécessité et des pédérastes par goût. De plus, parmi ces derniers, s'il y en a chez lesquels cette perversion sexuelle est acquise, chez beaucoup d'autres elle est congénitale ; c'est là un fait très-important à mentionner. Il est certain qu'il y a des hommes nés avec des goûts homosexuels. Ceux qui en douteraient n'ont qu'à lire, pour s'en convaincre, les travaux spéciaux, entre autres le fort remarquable ouvrage du Dr A. Moll, indiqué dans les lignes qui précèdent. Ajoutons que l'existence de pédérastes par nécessité chez les insectes est tout aussi certaine que dans notre espèce.

Puisque la masturbation s'observe à la fois chez différents animaux et dans l'espèce humaine ; puisque des hommes, ainsi que des mâles de différents mammifères, lèchent les parties génitales de la femelle avant de s'accoupler avec elle ; puisque la pédérastie est commune à l'espèce humaine et à d'autres animaux, y compris les insectes ; puisqu'il existe des hommes et des femmes ayant des goûts homosexuels congénitaux, pourquoi ne pas vouloir admettre l'existence d'insectes ayant aussi des goûts homosexuels congénitaux, qui, chez les mâles, se manifestent par des actes de pédérastie ? Remarquons que ces goûts homosexuels congénitaux sont, cela va sans dire, irréfléchis, qu'il s'agit là d'une perversion et non d'une perversité, ce qui est complètement différent.

Je ne vois rien d'inacceptable dans l'hypothèse d'une pédérastie par goût chez les insectes. Certes, l'idée d'une perversité sexuelle chez ces animaux serait inadmissible, mais il s'agit là d'une perversion sexuelle Congénitale, par là même totalement irréfléchie, que je regarde comme très-possible.

En définitive, je crois avoir prouvé, par les lignes précédentes, que l'expression de pédérastie est tout à fait applicable aux insectes, et que, chez ces animaux, ont lieu certainement des actes de pédérastie par nécessité, et hypothétiquement des actes de pédérastie par goût.

Il me reste à remercier cordialement mes savants collègues de leurs critiques verbales, car, pour y répondre, j'ai dû faire deux choses parfaites pour l'esprit : examiner et réfléchir.


NOTES :
(1) Dr A. Moll : Les perversions de l'instinct génital, étude sur l'inversion sexuelle basée sur des documents officiels, avec une préface du Dr R.-V. Krafft-Ebing, traduit de l'allemand par les Drs Pactet et Romme, Paris, Georges Carré, 5e édition, 1893. — Je doute fort que sans les poursuites du sénateur Bérenger et les débats au tribunal de police correctionnelle de la Seine, ce livre, exclusivement scientifique et d'une forme grave et irréprochable, aurait été aussi vendu. Ces maladroites poursuites lui ont fait beaucoup de réclame, et M. Bérenger est arrivé à un résultat diamétralement opposé à celui qu'il cherchait à obtenir.
(2) N'est-ce pas une pudibonderie fort inutile de mettre ces mots en latin ? La plupart des lecteurs connaissent parfaitement leur signification, et ceux qui ne la connaissent pas, attirés par ces mots imprimés en italiques, par cela même très en évidence, chercheront à les traduire, ce qui, en l'espèce, ne leur offrira certes pas de grandes difficultés.
(3) Il serait très-intéressant de rechercher si l'ablation des antennes des insectes mâles, d'où résulte la suppression du sens olfactif, ne facilite pas les actes de pédérastie.


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