Les Cafés de Lisieux (1834).
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Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque du n°46 du journal Le Normand du 14 novembre 1834


LES CAFÉS DE LISIEUX.


Le Normand, N°46 – 14 novembre 1834
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C'est un mot prodigieusement répandu que ce mot café ; aucun nom de notre vocabulaire, ne vient plus souvent que celui-ci, se glisser dans nos conversations ; en effet, deux individus se sont à peine abordés, qu'une de ces phrases se mêle à leur entretien : c'était hier au café ; je vous parie le café ; je vous verrai ce soir au café ; le café de un tel était délicieux ; avez-vous pris du café ? — N'est-ce pas là ce que vous entendez voler par les rues et les salons ? — Du reste, il faut assez en conclure, que dans notre siècle, la vie se dépense en grande partie au café, ainsi que les romains dépensaient la leur sous les portiques. Ce peuple ne parlait d'affaires qu'à l'ombre des frises et des chapiteaux. Aussi, toutes ses places publiques ne manquaient pas d'être entourées de belles galeries à colonnes, où la foule des promeneurs, agitait matin et soir les intérêts de la nation qui gouvernait le monde. Chaque pays a ses lieux de rendez-vous adoptés avec plus ou moins de prédilection pour y alimenter les relations communes de l'existence sociale. En Italie, tout se projette, se discute et s'arrête dans les loges (gli palchi) du théâtre ; en Espagne, c'est à l'église ; en Angleterre, à la taverne ou dans les clubs ; en Allemagne, à l'estaminet on chez le restaurateur ; en France, c'est au café que chacun accourt s'occuper de politique, de commerce, ou simplement se délasser des travaux du jour dans des causeries familières, et en dégustant cette liqueur voltairienne, dont un poète a dit que dans chaque goutte il croyait boire un rayon de soleil.

Les cafés sont venus de la capitale en province. Nos auteurs du siècle de Louis XV allaient faire cercle au café Procope. Lesage qui venait de mettre au jour son Turcaret, tenait le dé lorsqu'il s'agissait d'anecdotes piquantes et comiques. Lesage montait sur un tabouret pour être mieux entendu des groupes, et pour jouir plus à son aise des battements de mains, qui toujours couronnaient la fin de son discours, aussi gai, aussi facile et aussi spirituel que le style de son Gil Blas. Comme notre conteur était sensible à la louange, au-delà de tout ce qu'on peut s'imaginer, et qu'en même temps il avait l'ouïe fort dure, jamais il n'oubliait de se munir d'un cornet-acoustique qu'il se plaçait dans le pavillon de l'oreille, aussitôt que ses yeux devinaient sur les physionomies que les bravos allaient éclater. Depuis Martainville, qui, avant de rédiger le drapeau blanc, racontait dans les cafés des historiettes divertissantes, que les auditeurs lui payaient un verre d'anisette ou de kirsch, les gens d’esprit  ne sont guère communicatifs, ni parleurs dans les cafés. Ces établissements sont aujourd'hui des maisons publiques où la compagnie n'est plus assez bien choisie, pour que l'homme du bon ton y soit liant, au point d'établir des rapports de sociabilité avec la première personne qui s'y rencontre. A Paris même où les convenances font la loi partout, le café de Foi, celui de la Régence, la Rotonde, Tortoni, le café de la Bourse, tous ces asiles ne sont plus exclusivement le rendez-vous d'un monde dont les mœurs et les coutumes ne sont que polies et distinguées. Mais c'est principalement loin de la capitale, et surtout dans les petites localités, qu'il y a absence de cette urbanité ou de cette décence, sans laquelle les gens bien élevés ne se plaisent nulle part.

Il est vrai que les cafés des petites villes, ne sont établis que pour les buveurs et les habitants des campagnes, qui viennent au café, se mettre d'accord sur la vente d'un mouton ou d'un bœuf ; ce qu'ils ne font jamais sans disputer à tue-tête sur le prix, pendant qu'ils boivent un petit pot d'eau-de-vie, et se frappent au moins pendant une heure, force claques dans les mains ; tout cela en vantant la franchise et la probité d’assertions, auxquelles aucun de ceux même qui les donnent, n'ajoute la moindre confiance.

Cette affluence de marchands de toute espèce dans les cafés, prouve assez ce que nous avons dit d'abord ; savoir, que la plupart des affaires se discutent et s'arrangent dans ces établissements. Autrefois fort rares dans notre ville, ils y sont présentement multipliés hors de toute proportion avec la population.

Si l’on en croit diverses témoignages, il y a environ soixante-dix à douze ans, qu'un café s'ouvrit pour la première fois à Lisieux, dans une maison de la Grand'rue, occupée aujourd'hui par un faïencier, et portant le n° 109.

Cet établissement eut pour fondateur un nommé César Jardin, qui fut loin d'y faire fortune.

Le second café apparut dans notre ville, place Matignon, là où est le restaurateur Belcourt.

Les officiers du régiment de la Couronne, le mirent en prospérité pendant l'année 78, époque à laquelle ce régiment vint en garnison dans notre ville. Bientôt la révolution fit que ces maisons publiques s'accrurent autant que l'exigea le changement subit que cette ère nouvelle apporta dans nos mœurs. Le peuple se mit à passer son temps dans les rues ; il lui fallut des asiles pour que quelquefois ses assemblés fussent à couvert des intempéries, et y faire en même temps des libations à la fraternité. Mais si en 90, il existait dans notre cité, plus de vingt cafés, on peut y en compter plus du double en 1834. C'est aux environs de nos marchés, qu'ils se rencontrent en plus grande quantité. Huit se partagent les alentours de la place où se vendent nos bœufs ; c'est là que les jours de marché s'assemblent tous nos herbagers, qui prennent des demi – tasses, comme on prend de la bière à Paris, pendant les journées les plus chaudes de l'Eté. C'est le café Conard, fort agréablement restauré, qu’ils fréquentent ordinairement. Le café Latour est réputé dans ce quartier pour l'excellent café qu'on y sert. Le café Corbière, situé à la porte d’Alençon, est un lieu de réunion qu'adopte une certaine classe de marchands. L'autre point, où dans notre ville se remarquent beaucoup-de cafés, est cette partie de la Grand'rue, qui fait face à la place Royale. Trois de ces établissements embellissent extraordinairement ce centre de Lisieux. Ce sont le café Lacroix Morin, le café Gourdault et le grand café de la Place, qui tous trois se suivent sans interruption. Quand vient le soir, les lumières qui rendent leur intérieur si brillant, répandent au dehors un éclat par lequel les promeneurs sont attirés devant leur façade. Le café Gourdault, nouvellement créé et le café de la Place, le plus ancien des trois, se disputent la foule. C'est dans ces deux cafés, que se réunissent de préférence ces flâneurs qui dépensent leurs soirées à jouer au piquet ou à l'impériale. Cependant bon nombre d'habitués restent fidèles au café Lacroix Morin. Il y a toujours nombreuse société au café Gourdault et à celui de la Place. Les amateurs de poule, sont enchantés de leurs billards, qui ne le cèdent en rien aux meilleurs et aux plus beaux de la capitale. La fraîcheur et le goût qui règnent dans les décors du café Gourdault, attirent beaucoup de curieux. Le café de la Place, n'a pas voulu rester en arrière de son nouveau voisin ; c'est par le luxe et la richesse qu'il a prétendu séduire les regards. Il y a réussi, depuis peu, tout est or dans ce somptueux établissement. La salle vaste et noble dans sa distribution offre un coup d'œil magnifique ; c'est une galerie tapissée de glaces, de colonnes, d’arabesques et de peintures d'un effet charmant. Le comptoir meublé de beaux vases d'argent, ressemble assez à un autel orné de tout ce qui peut plaire, et où nos élégants de Paris ne dédaigneraient pas de brûler un peu d'encens. On est servi au café Gourdault et au café de la Place, avec cette célérité et cette élégance qui frisent celles qui distinguent les cafés des grandes villes. Les amateurs d'une nouveauté quelle qu'elle soit, se rassemblent chaque soir devant les stores qui descendent sur les vitrages de ces cafés, et là se demandent lequel des deux temples l'emporte sur l'autre. La fioriture, la gentillesse, les agréments de caprice, reviennent de droit au café Gourdault ; la magnificence, le luxe et la richesse appartiennent au café de la Place. Telle est la décision unanimement prononcée. Ce qu'on s'accorde à dire encore, c'est que la vogue assure du succès à tous les deux. Je vais vous définir la vogue d'après un homme d'esprit, et vous verrez que peu de chose suffit pour appeler la fortune à soi. Il n'est pas de lecteur qui puisse me blâmer de terminer cet article par une anecdote dans laquelle bien des gens peuvent puiser l'espérance d'un avenir plus heureux que le présent dont ils jouissent.

« La vogue est un être bizarre qui n'a ni père ni mère ; elle naît d'elle-même, comme le champignon, sans semence et sans culture : témoin tous les miracles qu’elle a opérés à Paris depuis quarante ans. C'est toujours de l'obscurité que je l'ai vue sortir. Presque toutes les fortunes dont la vogue a été la source n'ont pas, eu d'origine plus brillante que celle du parfumeur Dulac, que les chansons de Collé ont rendu si célèbre. Une très jolie femme et d'excellents parfums n'avaient pu achalander sa boutique. Il imagina de creuser de gros navets, et d'y faire germer des oignons de jacinthe et de tubéreuse. Une femme de la cour en orna son salon. Cette niaiserie accueillie d'abord par le caprice, soutenue par la mode, devint bientôt une véritable fureur. Freneuse ne suffit plus à la consommation des navets, que Dulac transforma en pots de fleurs ; et l'auteur de cette admirable découverte, en profita fort habilement pour assurer à sa femme, à sa boutique et à ses parfums une vogue qui l'enrichit en peu d'années. »



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