Jules Janin par Flameng
Jules JANIN, romancier et critique français né à Saint-Etienne le 16 février 1804 et décédé à Paris le 20 juin 1874.
Oeuvres principales : L'âne mort et la Femme guillotinée (1829), La Normandie historique (1843), Histoire de la littérature dramatique (1853-1856), La Fin d'un monde et du neveu de Rameau (1860),...

Le voyage imaginaire : "VRAIMENT, c'est une honte d'être ici tout seul. Des murs couleur de manteau, des hommes fort laids, et quelles femmes ! Je suis las du fracas de la ville, de la boue, de l'Opéra, des rumeurs. Si l'on n'avait pas tant abusé de ce mot nature (beau mot !), je dirais que je veux plus de nature. Je l'ai vue quelque part..."

Le Rendez-vous : "ELLE hésita d'abord, mais il y avait tant de résignation et d'amour dans mon regard qu'à la fin elle consentit. «A ce soir, me dit-elle, vis-à-vis de Notre-Dame !» Et, vive comme l'éclair, elle disparut pour me dérober sa rougeur, me laissant dans un de ces moments d'ivresse que l'on n'éprouve qu'une fois..."

L'Éclipse : "IL y a trois ans de cela, il y avait à Montmartre, dans la maison du docteur Blanche, cet infatigable guérisseur de toutes sortes de folies, qui traite ses malades par les bons soins, par le bien-être et par la liberté, comme d'autres par l'isolement, les douches et la misère ; il y avait une femme dont la folie était singulière et attachante..."

Le Duel en pleine mer : "Ils avaient passé la nuit dans le même hamac. Le même roulis les avait bercés dans leur lit comme une mère attentive berce son jeune enfant pour l'endormir ; à voir ces deux hommes ainsi rapprochés et réunis, personne n'aurait pu dire que le lendemain l'un d'eux devait mourir de la main de l'autre ; cependant telle était, en effet, leur destinée, et à peine le vent frais du matin et le cri des gardes qui se relevaient leur eut-il annoncé l'aurore qu'ils se précipitèrent tous les deux, se préparant à s'égorger avec toute la dignité d'hommes d'honneur..."

Une Femme à deux têtes : "Ritta et Christina n'existent plus ! Christina-Ritta a cessé de vivre, cette âme unique s'est envolée, ce double coeur a cessé de battre, et déjà M. Geoffroy Saint-Hilaire a procédé à l'autopsie de l'étrange phénomène ; cette charmante création, ces deux jeunes enfants en un seul corps, a été soumise au scalpel de l'opérateur : le scalpel aujourd'hui répond à toutes les questions au delà du monde habituel, il tranche sans pitié le noeud qui attache le possible à l'impossible, le fini à l'infini, cette âme unique à ce double corps. Il semble que lorsqu'on a dit : «Voilà un monstre !» on n'ait plus rien à dire ; grave malheur, en vérité, car, avec cette manière de résoudre un problème par une opération physique, il n'y a plus de problème dans le monde moral, il n'y a plus rien, pas même de paradoxe, de ces longs paradoxes si favorables à la pensée..."

La Première soutane (fragment) : "En même temps il s'avançait là-bas, sous les grands peupliers, et, après avoir descendu la colline, il se trouva sur le bord de la rivière où le bac se balançait mollement sur les ondes vertes et transparentes, attendant que l'heure fût venue de porter le dîner aux laboureurs de la rive opposée..."

Moeurs parisiennes : "La comtesse de *** est une de ces jeunes femmes élevées dans l'esprit de la Restauration ; elle a des principes ; elle fait maigre ; elle communie : mais elle va très parée au bal, aux bouffes et à l'Opéra. Son directeur lui permet d'allier ainsi le profane et le sacré. Toujours en règle avec l'Église et avec le monde, elle offre une image exacte du temps présent, qui semble avoir pris le mot légalité pour épigraphe. Il y a dans la conduite de la comtesse précisément assez de dévotion pour qu'elle puisse arriver, sous une nouvelle Maintenon, à la sombre piété des derniers jours de Louis XIV, et assez de mondanité pour qu'elle adopte insensiblement les moeurs galantes des premiers jours de ce règne, s'il revenait..."

Consolations : "Si vous aviez assisté à la belle leçon qu'a faite le docteur Broussais sur le choléra, vous auriez appris qu'il regarde la peur comme aussi meurtrière que le mal. Voilà tout ce que vous saurez de la leçon de M. Broussais pour aujourd'hui. M. Broussais est un homme qui parle bien, qui raisonne nettement, qui va droit au but, mais qui est terrible. Quand il a eu fini sa leçon, l'auditoire était pâle et blême ; plus d'une joue était marquée au signe fatal. Il n'y a pas d'oraison funèbre de Bossuet prononcée par Bossuet lui-même en pleine chaire, qui ait produit dans son temps un effet aussi terrible que cette leçon. La médecine, voyez-vous, dans les temps où nous sommes, c'est la seule éloquence qui se comprenne, c'est la seule puissance qu'on redoute, le seul maître auquel on obéisse..."

Une Histoire de revenant : "Nous étions réunis l'autre jour quelques amis français et étrangers qui ne nous étions jamais vus, et qui cependant nous connaissions depuis longtemps : poètes, écrivains, hommes riches, tous gens qui se conviennent au premier abord et qui se comprennent tout de suite à la première poignée de main. Comme personne n'était venu là pour se mettre en scène, on ne parla de rien, c'est-à-dire qu'on parla de toutes choses : poésie, politique, amour même ; si bien qu'à force de déraisonner, et les imaginations se chauffant à mesure que le champagne se frappait de glace, on en vint à parler de revenants..."

Le Philanthrope au bagne de Brest : "Quand les gardes de la chiourme eurent examiné avec soin les ordres positifs du gouvernement qui ouvraient au philanthrope l'entrée de toutes les prisons et de tous les bagnes du royaume, il arriva que ces honnêtes geôliers, tout étonnés d'un titre si inouï et d'une curiosité si étrange, se permirent quelques questions avant d'ouvrir au sentimental voyageur les portes de fer de la chiourme..."

Polichinelle à l'index : "Avant que le ministère se perde entièrement, résumons, s'il se peut, toutes ses grandes actions depuis son premier pas dans la carrière ; mettons-les en bloc comme pour un jugement solennel : le jour du jugement est peut-être arrivé. Ce fut M. Mangin qui le premier donna le signal du mouvement. M. Mangin n'avait pas encore écrit ses fameuses lettres ; il brûlait de se distinguer par une action d'éclat : il fit casser, pour commencer, les lanternes du Messager des Chambres au profit de la Gazette. Telle fut la première action de vigueur dont le ministère eut à se louer..."


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