GLATIGNY, Albert (1839-1873) : Les Folies-Marigny : Prologue.- Paris : Alphonse Lemerre, 1872.- 19 p. ; 18,5 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (13.III.2001)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur l'exemplaire de la bibliothèque (Bm Lx : n.c.), recueil factice comprenant aussi Prologue d'ouverture des Délassements comiques, Vers les saules, Le compliment à Molière.
 
LES FOLIES-MARIGNY
PROLOGUE
Représenté pour la réouverture de ce théâtre
le 08 Mars 1872.
par
Albert Glatigny

~~~~

 
Musique de Mme UGALDE.
 
DISTRIBUTION :
Le Mois de Mars - Mmes L. Magnier
La Fantaisie - Dortal.
L'Opérette - A. Collas.
Guignol - M. Verlé.
 
La scène est à Paris, aux Champs-Élysées.
 
~*~
 
SCÈNE PREMIÈRE.
MARS, seul.

Bon voyage, bonhomme Hiver ! ne reviens pas !
Le manteau de brouillard dont tu m'enveloppas
Se déchire aux rayons du soleil ; la verdure
Va poindre, le bourgeon sort de l'écorce dure.
C'est un printemps encor qui se met en chemin,
Et le plus beau de tous, le printemps de demain,
Celui qui verse aux coeurs l'espoir à pleine tasse !
Mais, d'abord, il siérait que je me présentasse.
Mesdames et Messieurs, Théophile Gautier,
Ce parfileur de mots si docte en son métier,
Raconte, en une fraîche et riante odelette,
Comment le mois de Mars prépare la toilette
Nouvelle du printemps, et dans chaque buisson
Serine au choeur ailé des oiseaux leur chanson !
Or c'est moi qui suis Mars ! et, précurseur des roses,
J'efface nuitamment les empreintes moroses
Dont le pied de l'hiver souilla le vert sentier.
Je ravive les tons pâlis de l'églantier
Et je repeins à neuf la coupole céleste !
Lutin joyeux, je vais à droite, à gauche, leste,
Dérobant un rayon, ranimant une fleur,
Faisant courir sur tout un souffle de chaleur.
O larmes des jets d'eau, sources cristallisées,
O gais bosquets, orgueil de mes Champs-Élysées,
Réveillez-vous ! je veux entendre le clic-clac
Des cochers mordorés qui reviennent du lac !
Que la foule circule et que les harmonies
Des concerts, de la brise et des massifs fleuris,
Célèbrent à la fois le Printemps de Paris !

CHANSON.
 
I
 
Sur les toits bleus où s'accroche
Un gai rayon de soleil,
Le moineau franc, ce gavroche,
Se pavane, aux dieux pareil !
Dans la lumière tremblante
Court sa chanson insolente.
Mansarde et trou de souris
S'ouvrent à l'aube galante :
C'est le Printemps de Paris !
 
II
 
Sur le pont des bateaux-mouches
On verra Mimi-Pinson
Et les belles peu farouches
Qui ne font point de façon,
En plein midi, sans mystère,
Se diriger vers Cythère.
Tous nos chagrins sont guéris ;
J'aime, je ne puis le taire :
C'est le Printemps de Paris !
 
III
 
Ah ! que Lycoris s'en aille
Avec Gallus dans les bois
Chercher la fleur qui tressaille
Au contact des petits doigts ;
Le seul printemps qui m'enflamme
Le coeur et me grise l'âme,
L'Avril à qui je souris,
Celui-là seul que j'acclame,
C'est le Printemps de Paris !

 
SCÈNE II.
MARS, GUIGNOL,
puis LA FANTAISIE
 
GUIGNOL.

Bien dit, ô cher lutin, car la séve écumante
Bout dans cette cité formidable et charmante,
Et comme la forêt, Paris a son réveil
Lentement préparé par cinq mois de sommeil.
Un nid, c'est bien : pourtant j'aime aussi la fenêtre
Aspirant les rayons qui viennent de renaître,
Et regardant au loin dans le vague horizon !
Car c'est un nid humain que le premier frisson
Du printemps vient de rendre à la vie, et de blondes
Têtes d'enfants rosés, franches et toutes rondes,
En sortent, qui me font oublier les oiseaux.
Je suis homme après tout, et jusqu'au fond des os
Je sens pour mon semblable une forte tendresse !
Tu vois, toujours fidèle à mon poste, je dresse
Ma petite baraque où reviendront encor
Rire mes spectateurs naïfs aux cheveux d'or.

MARS.

Bien, Guignol ! redis-nous cette histoire éternelle
De la mère Gigogne et de Polichinelle
Qui fait si bien pâmer ton public de sept ans.
Mais, chut ! dans ce bosquet, on dirait que j'entends
Des soupirs étouffés.

 
Ils aperçoivent la Fantaisie étendue par terre derrière un buisson.
 
GUIGNOL.

Ciel ! une jeune dame !

MARS.

Elle est évanouie !

GUIGNOL.

Oui, son état réclame
De grands ménagements.
 
Brusquement.
 
Eh ! que faites-vous là,
Vagabonde ? Qui donc ici vous appela ?

LA FANTAISIE, effrayée.

Monsieur...

MARS, à Guignol.

Çà, qui te prend et quelle frénésie ?
Votre nom, mon enfant ?

LA FANTAISIE.

Je suis la Fantaisie.

GUIGNOL.

La Fantaisie ! Ah ! ah bien ! j'en suis enchanté
Et vous baise les mains avec civilité.
Mais que faisiez-vous là, sur le sol étendue ?

LA FANTAISIE.

Je mourais de frayeur, car je m'étais perdue
En cherchant un logis où l'on voulût de moi.

GUIGNOL.

Ah ! dame ! Écoutez donc ! On ne peut pas chez soi
Accueillir le premier venu.
Brutalement.
Vos papiers ?

MARS.

Cesse
Cet interrogatoire. Hé quoi ! pauvre princesse,
Vous êtes sans asile ?

LA FANTAISIE.

Hélas ! après avoir
Eu mon temps de splendeur et d'éclat, j'ai pu voir
Mes courtisans s'enfuir l'un après l'autre, en sorte
Que je me suis trouvée, un soir, à demi morte,
Cherchant en vain l'étoile hospitalière au ciel.

GUIGNOL.

Acceptez un bouillon. C'est très-substantiel.

LA FANTAISIE.

Bah ! je me sens déjà presque aux trois quarts remise.
Ces brouillards que la Seine emprunte à la Tamise
M'ont bien mouillée un peu, mais il n'y paraît plus !
Regardant autour d'elle.
Ah ! je me reconnais. C'est là que je me plus
Autrefois à chanter mes chansons étourdies.
Ah ! quels joyeux romans, et quelles comédies
Où l'Amour convié venait au dénoûment !
Ça durait un quart d'heure au plus, c'était charmant.

CHANSON.
 
I
 
O caprices éphémères,
Enfants sans pères ni mères,
O rêves pleins de chimères
D'un éclat de rire éclos !
Loin de la route pâlie
Que suit la mélancolie,
Votre riante folie
Agitait ses clairs grelots.
 
II
 
Comme on aimait ! Isabelles,
Colombines, les plus belles
Prosternaient les plus rebelles
Aux genoux de leurs vingt ans !
On voyait dans la nuit brune
Étinceler, ô fortune !
Les caresses de la lune
Sur de beaux seins palpitants.
 
III
 
Mais une voix inconnue,
De quel noir enfer venue ?
Un jour, déchirant la nue,
A dit à l'Amour : Va-t'en !
O joyeuses sérénades,
O galantes promenades
Dans le bois plein de Ménades...
Où sont les neiges d'antan ?
 
MARS.

Pourquoi désespérer, ô douce Fantaisie ?
Les beaux jours renaîtront. Vous restez là, saisie
Par le froid. Remuez-vous un peu. Nous allons
Donner, s'il vous convient, l'accord aux violons
Et chanter à plein coeur la Romance à Madame,
Allons ! de la gaîté !

LA FANTAISIE.

Non, j'ai la mort dans l'âme,
On ne veut plus de moi nulle part. Autrefois
Mes petits actes courts soumettaient à leurs lois
Vingt théâtres. Hélas ! aujourd'hui le Gymnase
Rit de mon ingénue à la robe de gaze ;
Il lui faut le grand drame et l'étude de moeurs.
Le Vaudeville aussi me repousse. Je meurs,
C'est ce que j'ai de mieux à faire.

GUIGNOL.

Elle me plonge
Dans la douleur !

MARS.

Allons ! dérision ! mensonge
Que tous ces désespoirs ! Il faut lutter. Je veux
Ébouriffer encor ton buisson de cheveux !
Vite, du rouge, et plus de ces pâleurs de spectre !
La Fantaisie errant ainsi qu'une autre Électre,
Ce serait du nouveau vraiment. Assez de pleurs !
Nous allons entonner les refrains querelleurs
Que tu savais jadis. On te repousse ! Ingrate !
Baisse les yeux et prends un air contrit, et gratte
A la porte en disant ton nom, on ouvrira,
Et le passé joyeux pour toi refleurira.
C'est ici le théâtre où tu pourras à l'aise
T'épanouir sans rien qui te gêne ou te lèse.
Le cadre est à souhait pour ces légers tableaux
Où le Caprice lance en l'air ses javelots.
Les échos te diront des vers de la Nuit rose,
Ce poëme rêvé loin du pays de prose.
Sur ces tréteaux alors d'éclat environnés,
Deburau, Paul Legrand, masques enfarinés.
Ont amené l'alerte et folle pantomime
Avec son coup de pied qui seul vaut une rime !
Déjazet, qui, pour nous, fait les sylphes réels,
A chanté la chanson des vingt ans éternels,
Et la Farce éclatante aux débordantes joies
Vous fait trembler encor, murs de Fouilly-les-Oies !
Rouvrons ce gai théâtre enfoui sous les fleurs,
Voisin des nids perdus et des merles siffleurs,
Jeté comme une graine au vent, et qui persiste
A prouver par son rire et ses chants qu'il existe ;
Son babil manquerait, et vraiment le rond-point,
Si mes refrains ailés ne lui parvenaient point,
Serait triste. Collons sur les murs nos affiches,
Prodiguons les trésors dont nous nous sentons riches,
Et laissons faire aux dieux qui sauront maintenir
Le ciel toujours serein sur nos têtes frivoles.

GUIGNOL.

Rouvrons bien vite alors et dépêchons. Tu voles,
O Temps, et nous perdons en futiles discours
L'heure de la jeunesse et ses instants trop courts !

LA FANTAISIE.

Soit ! nous allons encor tenter cette entreprise.

 
SCÈNE III.
LES MÊMES, L'OPÉRETTE.
 
L'OPÉRETTE.

Pas sans moi !

TOUS.

L'Opérette !

GUIGNOL.

Oh ! la fâcheuse brise.
Qui nous l'amène !

L'OPÉRETTE.

C'est ici mon frais berceau,
C'est là que je naquis, humble et frêle arbrisseau.
Dont la racine plonge aujourd'hui sous la terre.
J'étais l'enfant terrible, enragé, volontaire,
Que l'on aimait d'abord sans trop savoir pourquoi.
C'était charmant et je me laissais vivre, moi,
Indolente et sans rien demander. Ma paresse
Acceptait cette vie ainsi qu'une caresse.
Les yeux clos, je laissais la bride sur le cou
A mes destins, courant gaîment je ne sais où.
Il paraît que j'étais fort criminelle.

GUIGNOL.

Certes Vous l'étiez, et très-fort.

L'OPÉRETTE.

Oui, des plumes disertes
Ont fait de moi le bouc émissaire. Je suis
L'auteur de tous les maux et de tous les ennuis,
Parce que l'on riait à mes folles cascades
Et que mes grecs bouffons, mes doges, mes alcades
Amusaient le public.

GUIGNOL.

Le public avait tort.

L'OPÉRETTE.

C'est possible, pourtant je ne sens nul remord !

CHANSON.
 
I
 
O censeurs moroses
Dont l'éclat des roses
Offense les yeux,
Sous votre anathème,
Je dis mon poëme
De muse bohême
Cher aux libres cieux !
 
II
 
Faiseurs de morale
A voix gutturale,
Sous les verts arceaux
Que le soleil dore,
Ma chanson sonore
Bat de l'aile encore
Avec les oiseaux.
 
III
 
Par-dessus les buttes,
Ivres de culbutes,
Au mois où renaît
L'espoir, où la sève
Trouble le coeur d'Ève,
J'ai, comme en un rêve,
Jeté mon bonnet !
 
IV
 
Mais la Muse antique
Aux bourgs de l'Attique,
Pieds nus et bravant
L'ardente poussière
En pleine lumière,
Courait libre et fière,
Les cheveux au vent !
 

Et, si vous le voulez, me voici toute prête
A reparaître encore ici.

MARS.

Chère Opérette
Volontiers, mais venez simple comme autrefois,
Sans cuivres et sans choeurs étouffant votre voix.
Rendez-nous les beaux jours de votre adolescence,
Alors qu'on vous aimait en parfaite innocence ;
Rendez-nous ces bijoux délicats : les Pantins
De Violette ; ayez l'éclat de vos matins,
Et nous applaudirons sans arrière-pensée.

GUIGNOL.

Eh bien, c'est entendu. Mais l'heure est avancée.
A l'action ! laissons là tout vain compliment,
Et que chacun de nous agisse bravement.

 
CHANSON
 
I
 
L'OPÉRETTE.
 
Voici le mois où l'hirondelle
Joyeuse revient d'Orient,
Comme elle, au rendez-vous fidèle,
Notre Muse vient en riant.
Voici le temps des primevères,
Voici le temps où tous les coeurs
Sont embrasés, où tous les verres
Sont pleins de brûlantes liqueurs.
 
II
 
MARS.
 
Nous arrivons, hardis fantoches,
Scapins, Agnès, groupe vermeil,
Le vide sonne en nos sacoches,
Mais nos yeux sont fous de soleil.
Malgré la saison inconstante,
Malgré les orages anciens,
Nous allons planter notre tente ;
Dieu garde les Bohémiens !
 
III
 
LA FANTAISIE.
 
Sois-nous indulgent, encourage,
O Public, nos pauvres efforts ;
Ne fais pas enfuir le mirage
Où nous entrevoyons des ports ;
Laisse-nous cacher sous la feuille
Nos ailes vierges de barreaux,
Et reçois-nous comme on accueille
Une bande de passereaux !

retour
table des auteurs et des anonymes