PROSPECTUS D’UN JOURNAL
PORTANT POUR TITRE :
LE COURRIER DE MADON
à l'ASSEMBLÉE NATIONALE permanente.
D
ANS le pays immense des Nouveautés, qui n'a pas entendu parler du
Courrier de Madon ? Ce Courrier modeste se contente de servir avec zèle
les Habitans d'un Village ignoré de cette grande Capitale. Cependant
les Amateurs ont connu le
Cahier de Madon, ouvrage qui fait l'éloge des
talens de son Auteur. Depuis peu de jours il vient de paroître
l'
Hermite de Madon, qui, pour l'intérêt de sa besace, & par une
tendre reconnoissance se déclare hautement le défenseur des Ordres
Religieux. C'est ainsi que la divine Providence a placé dans un petit
Hameau, sur les bords de la Loire, un Publiciste qui fait des Cahiers
de doléances, & un
Hermite qui se déclare le Champion du Monachisme
expirant. Voyez, Parisiens, avec quelle rapidité se propagent les
lumières & les talens ! Plein d'une noble audace, j'ai cru que je
peindrois aussi bien que
le Corrège ; j'ai pris le rôle actif de
Courrier. Observez, Messieurs, que je ne rougis point de ma petite
origine. J'aurois pu m'établir le Courrier d'une grande Province, d'une
Cité célèbre : qui auroit osé me disputer ces sublimes qualités ? Je
crois que si j'avois eu l'orgueil de m'en parer, je les aurais
défendues avec la tenacité la plus courageuse. Mais je suis de
Madon,
j'arrive de Madon, pour assister aux Séances de cette Assemblée, dont
je veux entendre les Orateurs. Le
Curé de Madon m'a assuré que j'avois
un peu de style & d'intelligence. Je l'ai cru ; car il est facile
de croire ceux qui nous flattent. Cependant, comme le proverbe a rendu
très - suspectes les louanges qu'un Parleur fait de sa docile brebis,
je veux essayer le goût du Public. Il est bien difficile, dit-on. Eh !
que m'importe ? Je ne l'ennuierai pas plus que tant d'autres
Journalistes qui n'ont pas le bonheur, comme moi, d'arriver tout
fraîchement de
Madon. Je dirai tout ce que j'aurai vu & entendu.
Quelquefois je me permettrai de penser, de causer avec mon Lecteur,
& mon Lecteur n'en sera pas fâché. Motions, Débats, Décrets,
événemens importans, tout sera écrit avec exactitude & rapidité.
Tous les matins j'éveillerai mes Abonnés ; ils m'aimeront à cause de ma
franchise ; & par une suite de la confiance qui s'établira entre
nous, je leur ferai part des nouvelles que je recevrai de mon Village.
Je ne puis commencer qu'au premier novembre ; mais pour satisfaire mon
Lecteur, & lui fournir une collection complète, je lui jure, foi de
Courrier de Madon, que je lui ferai un petit Ouvrage qui le mettra au
pair, jusqu'à l'époque de mes Feuilles. Eh ! comment ferez-vous,
Monsieur le Courrier ? me dira-t-on ; vous arrivez de votre Hameau.
Irez-vous compiler tous les Journaux, pour compléter votre Ouvrage ? Je
répondrai par mes œuvres à cet interrogateur pressant : s'il est
content de mon genre, il sentira que je puis lui tenir ma parole.
Ne me sera-t-il pas permis de répandre quelquefois le sel de la gaîté
sur quelques évènemens qui en feront susceptibles ? Eh bien, cette
partie sera destinée pour le boudoir philosophique d'une jolie femme.
Il faut bien amuser instruire ce sexe charmant qui fait les délices de
la vie. Je serai, le plus souvent, sérieux, & même énergique.
J'étois, dans mon Village, un Prédicateur infatigable de la liberté.
Enfin je ferai tous mes efforts pour acquérir un peu de gloire, afin
que dans tout l'Univers on dise : Voyez comme la France produit des
Hommes célèbres il s’est trouvé, dans un petit Hameau, un Publiciste,
un Hermite savant, & un
Courrier qui a fait gémir la Presse &
rempli la France du bruit de ses Productions.
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On souscrit, à Paris, chers GATTEY, Libraire de Son A. S. Madame la
Duchesse D'ORLÉANS, au Palais Royal, N° 13, 14, 15
, à raison de 6 liv. par mois pour la Province ,
& 5 liv. pour Paris, franc de port.
Cette Feuille, qui paraîtra tous les matins, fera composée au moins de
huit pages, du même caractère que ce Prospectus. La collection
complette de ce Courrier, depuis l’ouverture des Etats jusqu’au premier
novembre, formera deux volumes, pour lesquels on souscrit à raison de 6
liv., et de 8 livres pour ceux qui n'auront pas souscrit.
On prie d'affranchir le port des lettres & de l'argent.
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De l'Imprimerie de DEMONVILLE, rue Christine. 1789.