VENANCOURT, Daniel de (1873-1950) : Hégésippe Moreau (1903).

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Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux : n.c) du numéros 4 (avril 1903)  de la Revue Le Penseur, 3ème année.
 
Hégésippe Moreau
par
Daniel de Venancourt

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Si l'on a raison de glorifier les écrivains sublimes, il est juste d'honorer les écrivains charmants, et surtout ceux qui moururent en pleine formation, avant l'âge où leur talent aurait pu grandir jusqu'au génie. Ainsi pour Hégésippe Moreau. La fidélité avec laquelle les générations successives ont conservé sa mémoire, cette tendre fidélité parait aisément explicable. Même quand soixante, cinq années ont passé, la fin douloureuse d'un jeune poète continue d'exciter dans l'âme du lecteur, non seulement une tristesse profonde, mais encore un amer regret. Et, pour rétrospective qu'elle soit, la désolation est bien légitime, lorsqu'on songe que l'oeuvre si vite interrompu avait eu un si beau commencement.

Tous les vers d'Hégésippe Moreau tiennent dans un mince volume, à peine grossi par l'adjonction de ses contes. Mais comme le livre est délicieux ! En vérité, il n'a pas vieilli ; il demeure infiniment aimable et touchant, en sa grâce le plus souvent modeste et pure. On ne saurait l'appeler un chef-d'oeuvre, car il ne forme pas précisément un tout et les morceaux qui le composent offrent peut-être trop de variété dans l'inspiration. A tout le moins, il suffisait, il a suffi pour immortaliser son auteur ; et il nous permet de penser, par manière de consolation, qu'un tempérament véritable, qui a pu s'exprimer une fois, laisse toujours assez de lui pour durer.

On se rappelle que le Myosotis parut en 1838, quelques mois seulement avant la mort d'Hégésippe Moreau. Le poète était né à Paris en avril 1810. Dès ses premières années, il avait été emmené à Provins par son père, qui fut professeur dans cette ville et qui le laissa bientôt orphelin. Pour vivre, sa mère dut se placer chez une dame, Guérard. Celle-ci, femme de grand coeur, prit l'enfant en affection ; elle le mit au collège de Provins, puis au petit séminaire de Meaux et à celui d'Avon, près de Fontainebleau. Hégésippe Moreau venait de terminer ses études quand il perdit sa mère. Sans autres ressources que les bienfaits de Mme Guérard, il se décida à entrer en apprentissage dans l'imprimerie Lebeau : c'est la fille de ce patron provinois qu'il nommait plus tard sa sœur en lui dédiant les Contes.

A dix-huit ans, il connut Lebrun, dont la famille habitait Provins, et il lui fit lire des vers juvéniles. L'auteur de Marie Stuart conseilla au petit ouvrier d'adresser à Didot l' « Épître sur l'Imprimerie ». L'année suivante, Hégésippe Moreau était admis comme compositeur dans les ateliers Didot, mais il n'y resta guère. Tour à tour reprenant et quittant le métier de typographe, entre temps se faisant maître d'études ou devenant rédacteur au Journal des jeunes personnes, il eut, à partir de 1830, une existence extrêmement précaire, dont les meilleurs instants furent, hélas ! ceux qu'il passa à l'hôpital. Il disait « L'hôpital, mais c'est du luxe pour moi ! » Il devait y succomber. En 1838, comme il venait de découvrir enfin un éditeur pour son livre, la maladie le força de rentrer à la Charité, où il mourut le 20 décembre.

Dans sa fatale affliction, il avait eu une souveraine joie. Un article publié par Félix Pyat au National, avait fait vendre en une journée toute l'édition du Myosotis. Mais Paris vit s'éteindre cette nouvelle lumière aussitôt qu'elle eut commencé de briller.

*
* *

Lorsqu'on lit Hégésippe Moreau et qu'on songe à quelle époque il écrivait, on s'étonne de ne rencontrer dans son oeuvre aucune trace des grandes idées romantiques, alors en complet épanouissement. D'où vient que ce poète, esprit sensible et enthousiaste, semble avoir ignoré les luttes littéraires de son temps ?

A une telle demande il n'est point nécessaire de chercher bien loin la réponse. Hégésippe Moreau n'était pas absolument ce que nous appelons un homme de lettres. Simple chanteur, il n'avait nulle ambition, si ce n'est d'être écouté par des gens simples comme lui. Il ne devait pas être susceptible de conceptions transcendantales, ni philosophiquement, ni esthétiquement. Qu'il plaisante ou qu'il s'attendrisse, voire qu'il déclame un peu, toujours il cherche à exprimer de façon claire des sentiments et des pensées qui sont dans un domaine très accessible. Il tient à la précision dans le langage ; c'est là son principal souci. Et puis, les difficultés de sa vie ne lui laissaient guère le loisir de se renseigner à fond sur les plus récentes formules poétiques.

S'il avait ressenti un goût personnel pour l'innovation, il eût certainement pris assez vite sa place parmi les romantiques de second ordre. Il se contenta d'écrire comme avaient écrit les maîtres qu'il connaissait le mieux. C'était d'abord Béranger, ce Béranger en qui aujourd'hui nous ne voyons plus qu'un chansonnier, mais que Hégésippe Moreau, d'accord là-dessus avec ses contemporains, estimait pour un grand aède :

Il faut, viennent les représailles,
Vienne un Juillet ou l'étranger,
Un Tyrtée aux champs de batailles !...
Ah Dieu ! si j'étais Béranger.

C'était ensuite Barthélemy, dont la Némésis l'avait enthousiasmé, et à l'exemple duquel il composa le journal rimé intitulé Diogène qu'il essaya de faire paraître à Provins en 1833 :

Pour être, jeune encor, vieux au métier de sage,
Il m'a fallu subir un rude apprentissage.
Comme Barthélemy, rapsode marseillais,
Dont la voix m'a troublé lorsque je sommeillais
Dans la brise soufflant de la Grèce ou de Rome
Je n'ai point respiré de poétique arome,
Et, né loin du Midi, je n'eus pas même, enfant,
A défaut de soleil, un foyer réchauffant...

André Chénier, il l'adorait, cela va sans dire. Et il affectionnait plusieurs poètes nouveaux, restés à demi classiques, Brizeux par exemple, à qui il a emprunté un distique pour l'épigraphe de « La Soeur du Tasse ».

Ayant vécu dans les milieux plébéiens, Hégésippe Moreau a employé volontiers des formes poétiques très familières. Beaucoup de ses stances sont à refrains ; et d'ailleurs, il a souvent fait des chansons. Il composait aussi des élégies et des épîtres. Somme toute, il accordait en lui la sincérité populaire avec la culture classique, car ses études avaient été excellentes.

Il ne ressemble aux romantiques que par son sens de la rime. Sur ce point-là, il montre beaucoup d'habileté. Toutes les rimes dont il se sert ont la consonne d'appui, à moins d'impossibilité absolue. Les alexandrins qu'on a lus plus haut, prouvent bien ce goût très vif pour la sonorité harmonieuse dans la fin des vers. En voici d'autres, que Banville eût réclamés comme siens avec joie :

Les tribuns précurseurs dont le nom nous est cher,
Dans leur forte poitrine avaient un coeur de chair :
Danton, l'ours montagnard, souffrant qu'on le muselle,
Grognait d'amour, charmé par des yeux de gazelle ;
Louvet, dans les déserts où la loi le traqua,
Comme la liberté pleurait Lodoïska;
Un ange blond veillait au chevet de Camille.
Vergniaud. pour parer un sein de jeune fille,
Condamné, détachait de son sein de martyr
La montre qui tintait le moment de partir ;
Et quand Chénier frappait sa tête volcanique,
Que livrait à la hache un tribunal inique,
Sentant battre son coeur qu'une image brûla,
Il pouvait dire aussi : « J'ai quelque chose-là ».

Quant à son inspiration, elle est de nature triple politique, badine, élégiaque. Toute la lyre, ou à peu près !
 
Sa muse politique, disons sa muse héroïque, est une bonne républicaine. Il n'avait que dix-huit ans quand il écrivait déjà le poème dont chaque stance débute par le cri : Vive le roi ! et finit par celui-ci, qui est une réplique : Vive la liberté ! Plus tard, dans le Diogène, il interpellait Joseph Bonaparte, le sommant de renoncer à tout espoir d'une restauration impériale. Au comte de Chambord enfant, à l'exilé qui ne fut jamais Henri V, il contait l'histoire de l'Aiglon ; puis il s'écriait avec une belle éloquence :

Mais que sert d'embrasser une vaine chimère ?
Ils sont perdus tous deux pour la France, leur mère.
Dans la grande cité qui leur donna son lait,
Ma pitié caressante en vain les rappelait :
L'un ne peut soulever la pierre sépulcrale,
L'autre, inhumé vivant dans sa pourpre royale,
Grelotte comme lui sous les brouillards du nord.
Je parlais à deux sourds : l'égoïsme et la mort.

Dans le ton badin, il a composé les plus aimables choses du monde. Il va quelquefois jusqu'à une grivoiserie fort peu hypocrite ; mais, en général, ses pièces légères sont de charmantes fantaisies, très élégantes, très spirituelles, avec une finesse de langage et une souplesse de facture réellement incomparables. Telles l' « Amant timide », les « Modistes hospitalières », le « Joli costume ».

Ce poète, qu'on se plaît à considérer comme le type du langoureux, était, en maints circonstances, un compagnon fort enjoué. Il fallut la maladie et la misère pour lui faire une âme mélancolique.

Ses élégies sont célèbres. Il en est deux au moins que chacun connaît : la « Voulzie » et « l'Isolement ». On admire, non sans raison, la « Fermière », cette jolie romance d'une si fervente tendresse ! La « Fauvette du Calvaire » est un délicieux fabliau. Il ne faut pas oublier les « Souvenirs d'enfance », dont le thème a été souvent repris avec succès, ni surtout les « Deux amours » :
 
Pourquoi donc, jeune Laïs,
Rêveuse au bord de ma couche,
Sur mes amours au pays
M'interroger bouche à bouche ?
J'ai pour eux, dans nos déserts,
Chanté sur toutes les notes...
Mais, à propos de mes vers,
Faites donc vos papillottes.
Vous soupirez, et pourquoi ?
Riez vite,
Ma petite ;
Vous soupirez, et pourquoi ?
Riez vite, et baisez-moi...

Hégésippe Moreau ne semble jamais plus touchant que lorsqu'il sourit dans sa douleur. Quelle pénétrante et lyrique émotion est contenue dans les vers suivants !

Bien qu'aux mansardes logés tous
L'Espérance nous reste ;
Habitante céleste,
De plain pied elle entre chez nous.
Sous la tutelle
De l'immortelle
Marchons unis : Encore un jour, dit-elle ;
Demain les roses fleuriront,
Demain les vignes mûriront,
Demain vos Christs du tombeau sortiront.

Tant d'accent marque un tempérament des mieux doués. Sainte-Beuve disait : « Moreau est un poète, il l'est par le cceur, par l'imagination, par le style ; mais chez lui rien de tout cela, lorsqu'il mourut, n'était tout à fait achevé et accompli .Ces trois parties essentielles du poète n'étaient pas arrivées à une pleine et entière fusion. Il allait, selon toute probabilité, s'il avait vécu, devenir un maître, mais il ne l'était pas encore. » Il était, à coup sûr, un homme,dont l'oeuvre et la mémoire méritent tout respect.

Cependant Sainte-Beuve le soupçonnait d'avoir manqué de principes et de caractère. On se demande quelle étrange querelle le grand critique cherchait à ce pauvre poète, mort sur un lit d'hôpital à vingt-huit ans. Puis, il le blâmait d'avoir eu l'âme fière et, en même temps, il lui reprochait certaines défaillances sentimentales. Que Hégésippe Moreau ait abusé du souvenir de Gilbert en l'évoquant à plusieurs reprises, est-ce là chose si étrange ? En pleurant sur son devancier, le poète du dix-neuvième siècle se désolait de sa propre misère : cela est naturel, et c'est le contraire qui serait faux.

Hégésippe Moreau avait le pressentiment qu'il mourrait jeune et malheureux. Son pressentiment s'est réalisé. Aujourd'hui, on doit rendre hommage aux esprits généreux qui ont fait de leur culte pour lui une sorte de réparation. Le zèle tout particulier des ouvriers typographes a permis l'érection au cimetière Mont-Parnasse du beau monument qui a été inauguré le 5 avril et dont les auteurs sont Mme Laure Coutan-Montorgueil, une des rares femmes-sculpteurs de talent, et M. Henri Guillaume, l'architecte distingué. En honorant l'auteur du Myosotis, organisateurs et artistes ont grandement servi la poésie française.

DANIEL DE VENANCOURT.

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