Du Mariage par un philosophe du XVIIIe siècle avec préface par Octave Uzanne (1852-1931).- Paris : E. Rouveyre, 1877.- 91 p. ; 13 cm.


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Du Mariage

par

[un philosophe du XVIIIe siècle]

Préface par Octave Uzanne

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PREFACE

A Monsieur V***, Membre de plusieurs académies savantes.

A ROTTERDAM.

Il y a quelques mois, Monsieur, nous discutions sur le Mariage, et, dans notre longue conversation sur ce sujet inépuisable, après avoir cité tous les Matrimoniographes depuis Saint Augustin, le savant casuiste Thomas Sanchez, Erasme et Montaigne, jusqu'à Larochefoucauld, La Bruyère, J.-J. Rousseau et Voltaire, nous demeurions d'accord sur ce point, qu'il n'existait pas, à notre connaissance, dans une forme succincte et claire, une analyse morale de cet important contrat civil, sur lequel on a brodé tant de jolies choses, écrit tant de boutades, paraphrasé tant d'aphorismes, versé tant d'infamies, et qui n'en reste pas moins la loi la plus fondamentale et la plus essentielle de notre société.

Jugez quel fut mon étonnement et ma joie lorsque quelques jours après cette agréable dissertation, je reçus ce manuscrit que vous me chargiez de publier sans le moindre commentaire, persuadé, me disiez-vous, que les «érudits malins» sauraient en deviner l'auteur, dont la sage conception, le style sobre et correct, les pensées fines et élevées font, à n'en pas douter, l'un des plus fameux philosophes du commencement du siècle dernier.

Pour moi, je l'avoue, après avoir lu et relu les feuillets que vous m'adressiez, je fus longtemps à me consulter, à faire revivre mes souvenirs littéraires, à évoquer les beaux esprits du temps passé, à passer en revue les philosophes dont la lecture m'est le plus familière, et, bien que j'aie pesé la valeur de chacun d'eux, que je me sois inspiré de la manière et du style des uns et des autres, je n'ai fait que compulser des montagnes d'ouvrages divers, sans rien découvrir de précis, et, je dois le confesser, je demeure en grande perplexité.

Comment ne serais-je pas indécis, Monsieur, lorsque, loin de me mettre sur la voie, vous semblez prendre un malicieux plaisir à me dire : cherchez, et que, en dépit de l'Evangile, je ne trouve que suppositions, doutes et points d'interrogation. - Me voici donc contraint de répéter après vous au public cette froide et sévère parole, toujours terrible à dire : cherchez.

Voyez-vous d'ici cependant toute une armée de lettrés et de savants se mettre en campagne en quête d'informations et de recherches ! c'est une véritable petite guerre civile que vous allez sans doute susciter avec le mutisme de cette publication anonyme, et il pourrait se livrer autour de cet ouvrage une furieuse polémique, une avalanche de lettres, un déluge de brochures, que sais-je ? Ah ! monsieur, que le silence est coupable dans un cas si grave.

Le champ des «peut-être» est vaste, si vaste qu'on renonce souvent à le parcourir, et puisque votre résolution semble inébranlable, puisque vous n'osez nommer ni même supposer l'auteur philosophe de : Du Mariage, je me fais un cas de conscience de ne pas mettre au jour ce manuscrit sans l'accompagner de quelques remarques préliminaires.

Sans vouloir offenser votre sagacité, je me permettrai de vous faire observer, Monsieur, que le manuscrit que j'ai entre les mains me paraît avoir été écrit plutôt vers la fin du XVIIe siècle que dans les premières années du XVIIIe. La forme surannée de l'écriture, l'orthographe en elle-même, le format in-quarto avec sa couverture parcheminée, tout indique une date antérieure à celle que vous me donnez ; les manuscrits de Conrart, comme aspect, diffèrent peu de votre plaquette, et si je me laissais entraîner par les croyances de mon imagination, je dirais, de prime saut, que l'auteur dut écrire cet opuscule dans les doctes délices de ses veillées laborieuses, vers l'an de grâce 1680.

L'écrivain de ce Traité du Mariage a sûrement parcouru les codes Théodosien et Justinien ; il connaît les sentiments des pères de l'Eglise les plus accrédités et il possède une érudition solide et brillante, non cette érudition qui s'étale et se proclame à grands fracas de livres ouverts et refermés, mais cette science aisée, large et profonde, qui se répand doucement et de façon pondérée dans les ouvrages de celui qui la contient. - Si j'ai songé un instant à entrevoir le nom de l'auteur, j'ai hésité entre Bayle et Lamonnoye, et je dois dire que mes doutes se sont arrêtés plus particulièrement sur le premier de ces deux savants.

La division des chapitres de cet ouvrage, l'intérêt que procure la seule lecture des sommaires, l'art particulier avec lequel ils sont développés, la facilité d'un style nourri de citations, la conduite même de l'oeuvre, tout indique un tempérament littéraire que l'auteur des Nouvelles de la République des Lettres n'eût certes pas désavoué.

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Mais j'oublie, Monsieur, que je n'ai pas à discuter le mérite de ce Traité, et peut-être me suis-je déjà attiré votre blâme en écrivant ces quelques lignes en manière de préface. Vous aviez daigné me prier de surveiller l'impression de ce petit volume, j'espère que je m'en suis acquitté à la satisfaction de tous vos goûts de bibliophile sincère, et si j'ai enfreint vos ordres en donnant cours à mes suppositions, je pense que vous ne sauriez m'en tenir rigueur et que vous voudrez bien me considérer toujours,

Monsieur,

Comme votre fidèle confrère et ami.

Octave UZANNE.

Paris, 10 mars 1877.


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