ORNANO, Rodolphe-Auguste-Louis-Maurice (1817-1865) : Le sportsman parisien (1841).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (05.XII.2009)
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Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 2 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
Le sportsman parisien
par
Rodolphe d'Ornano

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ON disait autrefois : Le Français né malin créa le vaudeville ; je propose de réformer cet adage en disant : le Français né Français créa l’anglomanie : si cette vérité notoire et ce fait patent pouvaient être mis en discussion, le titre seul de cet article, en serait la démonstration la plus convaincante ? Nous voudrions esquisser un type, l’analyser, le nuancer même ; il est destiné à une collection éminemment française, et sous quel titre le présentons-nous à nos lecteurs français ; sous un titre tellement anglais qu’il est composé d’un adjectif welsche et d’un substantif d’origine saxonne, sorte de contraction grammaticale ou logomachie qui ne saurait appartenir qu’à la langue de Shakespere et de Milton. Et pourtant quel lecteur ne devinera pas la chose dont nous allons parler et que nous voulons peindre ? Qui demandera si le Sportsman est une profession inconnue que le livre de M. Curmer va nous révéler : on aurait de la peine à trouver un Français assez béotien pour demander si notre héros est un surveillant aux écorces d’orange des Funambules ou une nouvelle édition du fabricant de cigarettes en papier de réglisse ?

La France est certainement le pays du patriotisme, mais ce patriotisme nous permet de ne jamais rester français : sous la république et le directoire, nous étions Grecs et Romains ; les femmes portaient des chlamydes à méandres, et nous avions des courses olympiques ; toutes les proclamations finissaient par des prosopopées en l’honneur de Léonidas ou de Phylopoemen ; et dans les fêtes publiques on nous montrait des vieillards couronnés de feuilles de chêne, et chantant en choeur des odes d’Horace bien ou mal traduites. Sous la restauration nous sommes devenus néo-Grecs. Jamais héros français a-t-il fait battre les coeurs de nos femmes à l’égal du brave Canaris ? La bataille de Waterloo nous a-t-elle fait répandre autant de larmes que les désastres de Missolonghi ? Je le demande et j’en réfère à la notoriété publique. Toutes ces belles générosités nous ont coûté l’entretien d’une expédition de vingt-quatre mille hommes, grâce à laquelle nous jouissons du privilége d’être rançonnés avec prédilection quand nous visitons les champs de Sparte ou les vestiges d’Argos. Depuis 1850, nous avons prodigué les trésors de nos sympathies, aux Belges, Polonais, Italiens, Lusitaniens, Espagnols, Mexicains et Canadiens, et il est certain que pendant ces neuf dernières années, nous n’avons pas été plus Français que sous la république ou sous l’empire et la restauration. Mais de toutes nos sympathies exotiques, une seule est durable et profondément enracinée parmi nous : c’est l’anglomanie. Nous pouvons voir de nos jours que le style antique est descendu dans la tombe avec M. David : être philhellène n’est plus une profession libérale, et sympathiser avec la Belgique et le Canada, n’est déjà plus de si bon goût.

J’arrive à la monographie du sportsman ; mais avant de porter la main sur cette arche sainte, il est bon de s’arrêter un instant. Le cadre dans lequel on m’a circonscrit est bien étroit, mais le beau titre de sportsman n’en est pas moins un symbole de l’infini : le sportsman n’est-il pas de tous les âges, de tous les sexes et de toutes les conditions ? N’offre-t-il pas autant de variétés que la race des quadrumanes depuis les orangs jusqu’aux ouistitis ? N’avons-nous pas le sportsman à cheval, le sportsman à pied, le sportsman riche, le sportsman ruiné et même le sportsman qui n’a jamais eu rien à perdre ? Qu’est-ce que le jeune duc et pair qui possède un harras et l’attelage le plus irréprochable de Paris ? Un sportsman. La fraction d’un agent de change qui va se promener au bois sur une haridelle qui a traîné son cabriolet pendant toute la semaine, le clerc du notaire, et le commis-marchand qui vont équiter à Romainville ou à Montmorency, ne sont-ils pas des sportsmen ? La jeune vicomtesse toute exquise et dont la tenue à cheval est d’une si délicieuse hardiesse est encore un sportsman femelle. Sportsman est aussi la demoiselle entretenue qui galope à tort et à travers sur un locatis ; et que l’on n’aille pas croire que cette énumération contienne le sommaire de l’innombrable tribu des sportsmen : nous les retrouvons jusqu’au tir-aux-pigeons, et même en deux classes, savoir le sportsman qui tire et le sportsman qui regarde tirer. Nous rencontrons les sportsmen à l’école de natation, dans les salles d’armes, au tir du pistolet, à la joute des coqs chez M. Tourel, et jusqu’à la petite Villette où l’on fait militer des cochons d’Inde.

Mais comme un traité complet et raisonné de toutes les variétés de l’espèce nous conduirait à composer un ouvrage aussi volumineux que l’Histoire naturelle de M. de Buffon, on va se borner à la monographie du sportsman original et complet, qu’on pourra considérer comme l’archétype de l’espèce.

Le sportsman ne s’embarrasse pas d’être gentilhomme, il est gentleman, et c’est beaucoup plus dire, à son avis. Il a hérité de M. son père, ancien négociant, d’une trentaine de mille livres de rente qu’il mange honorablement en avoine, en paille, en éponges et en étrilles. Il a changé son nom de Corniquet ou de Grosbedon, pour un nom de terre ; mais, par un sentiment de saine philosophie, de simplicité modeste et d’équité qui fait beaucoup d’honneur à son caractère, il s’est abstenu de prendre le titre et d’arborer la couronne de comte. Son abord est froid et cérémonieux, quoique assez poli : par une faiblesse qu’on rencontre assez généralement chez les grands hommes et qui lui est commune avec Louis XIV et Napoléon, il cherche à produire une profonde impression sur les gens qu’il voit pour la première fois. Le grand Roi et l’Empereur arrivaient à leur but, l’un en déployant une majesté toute royale, l’autre en affectant une brusquerie qui n’était pas toujours dépourvue de grâce et d’aménité. Le sportsman atteint le sien par une simplicité charmante. Ainsi donc à votre première entrevue, vous lui demandez des nouvelles de son ami, ce pauvre M. Fleury d’Arbois qui vient de se casser les deux jambes en tombant de cheval. – Ce n’est rien pour l’homme, répond le sportsman de sa voix lente et anglaisée, j’ai eu la cuisse droite et la jambe gauche toutes brisées dans une chasse du Leicester-Shire. – Mais vous conviendrez, monsieur, que s’il a, comme on dit, deux énormes trous à la tête, il peut y avoir du danger. – Cela peut être dangereux : en tombant avec Little-Boby dans une chasse du duc de Buccleugh, nous nous sommes ouvert le crâne, tous les deux, et me voilà ! mais ce pauvre Boby en est mort !!! Si vous n’êtes pas frappé d’admiration pour un si beau stoïcisme, c’est que vous n’avez pas en vous le moindre germe du sporting-Character.

Le sportsman en question n’est plus de la première jeunesse ; sa mise est simple et pourtant de la plus grande recherche. Son linge est toujours d’une aussi entière blancheur que les organdis de M. Planard. Ses bottes sont toujours satinées et lustrées par un vernis fulgurant. Jamais il n’a adopté les cravates longues ni quitté les cols de chemise ; ses pantalons, scrupuleusement collants, annoncent une jambe sensiblement arquée, et semblent accuser une longue habitude du cheval. Il est revêtu d’un new-market vert foncé, lequel est d’une coupe irréprochable, et lequel est illustré par des boutons au timbre du jockey-club. Il porte, suspendue à une énorme chaîne d’acier, une montre, véritable chronomètre à seconde indépendante, qui lui permet d’apprécier avec une rigueur astronomique la vitesse des chevaux de course, et d’apporter la ponctualité la plus minutieuse dans toutes les prescriptions de l’hippiatrique. C’est que le sportsman est essentiellement un homme d’ordre et d’économie ; sa frugalité est aussi supérieure à celle des anciens Lacédémoniens que notre grand Paris est au-dessus de la ville de Lycurgue (c’est, bien entendu, sous le rapport de l’étendue superficielle et de la subtilité dans les larcins). Ainsi, vous le voyez, pour se faire maigrir de quelques livres, avaler avec une résignation surhumaine les aposèmes les plus acerbes et les préparations les plus révoltantes. Pour soulager son individu d’un abdomen un peu trop saillant, ou d’une cuisse un peu trop charnue, vous le verrez pendant quinze jours ne manger que de la salade, ne boire que de l’infusion de bourrache, et faire deux fois par jour la route de Paris à Saint-Cloud, couvert de flanelle, et par un dévorant soleil d’août. Qu’on n’aille pas croire qu’il soit insensible aux plaisirs gastronomiques, aux doux charmes d’un vin de bon crû ; invitez-le, après une chasse, à un repas de gentleman : vous le verrez manger avec un appétit féroce, en buvant comme un Silène ; et puis il quittera la table d’un pied ferme, y laissant au-dessous de lui tous ses compagnons endormis. C’est qu’il s’est imposé la loi de ne jamais sortir du flegme qui lui a fait improviser cette réponse en style laconien. Une belle dame lui demandait, au retour d’un steeple-chase, si l’un des gentlemen-riders, mortellement blessé dans une chute, était déjà mort : « No, répondit-il. C’est cet air de sang-froid permanent qui lui donne l’apparence de l’égoïsme, et qui marque la supériorité du sportsman pur-insulaire ; c’est à cette inaltérable sérénité qu’il doit de n’engager son argent dans les paris qu’avec une parfaite connaissance de cause, et de rendre cinq yards au chasseur le plus consommé pour le tir aux pigeons ; ce dont il augmente infailliblement son revenu de cinq à six cents louis par an. Le sportsman, comme tout homme spécial, est d’une conversation très-monotone (lorsqu’il consent à parler toutefois). Je ne sais quel auteur anglais a dit qu’il ne connaissait rien de plus ennuyeux qu’un sportsman, à moins que ce ne fussent deux sportsmen. Mortellement taciturne lorsqu’il se trouve dans une société étrangère aux améliorations de la race chevaline, le sportsman devient d’une intarissable loquacité lorsqu’il rencontre un autre homme aussi spécial que lui : leur conversation roule exclusivement sur les favoris du Darby et surtout sur le stud book. C’est que la superstition du pur sang est pour lui plus qu’un axiome, un théorème incontestable : c’est une religion, un fanatisme, un fétichisme ! Il la proclame, il la soutient avec une égale énergie pour ses chevaux, ses bull-dogs, ses coqs de combat, ses lévriers et ses pigeons pattus ; Il en soutiendrait la suprématie, fût-il en rivalité avec une altesse royale, fût-il dans la boîte à clous de Régulus, ou sur le gril de Guatimozin ! Ne croyez pas que nous nous présentions ici comme adversaires des chevaux de pur-sang, et que nous ayons intention de proposer, comme je ne sais quel grand journal, de remplacer les courses de chevaux par des courses d’ânes, ces dernières devant fournir des résultats beaucoup plus philanthropiques et plus avantageux à l’industrie de notre pays : tout ce que nous voulons établir, c’est que la question de la prééminence du pur-sang est la seule chose sur laquelle un sportsman ne puisse raisonner avec son calme habituel. Il vous permettra d’être républicain, saint-simonien, fouriériste ; de mépriser la charte constitutionnelle, de traiter Louis XIV de charlatan, et Racine de polisson ; il vous passera de regarder l’obélisque de Luxor ou Louqsor, si vous l’aimez mieux, comme un tuyau de machine à vapeur ; et même il vous laissera dire que les paves d’asphalte sont une sottise un peu trop dispendieuse pour être excusable ; mais, de grâce, n’allez pas lui parler d’un cheval sans généalogie, et ne lui dites pas qu’il pourrait offrir les mêmes qualités qu’une bête pur-sang,  un descendant d’Arabian Godolphin : vous le verriez s’emporter, rugir, écumer ; et personne n’ignore combien est terrible la colère des gens habituellement placides. J’oublie de citer un autre sujet sur lequel un sportsman ne souffre jamais la discussion : c’est la supériorité de l’école anglaise sur l’école française. Il affecte le plus profond mépris pour tout ce qui est écuyer, exercices de manége, et prétend que, sauf M. le marquis Ou....., il aimerait mieux confier un cheval au dernier courtaud de boutique qu’au premier écuyer de la France et de la Navarre, en y joignant la Corse et l’Algérie par-dessus le marché. Sur tout autre sujet, le sportsman est de la plus parfaite indifférence, je pourrais dire de la nullité la plus complète, et je n’en serais pas démenti. En littérature, il croit encore aux classiques et aux romantiques ; la musique lui est ce qu’il appelle insipide, et quant à ce qui regarde la politique, ses idées, fort peu distinctes d’ailleurs, ont une légère tendance aristocratique, attendu qu’il a visité l’Angleterre, et que les meilleurs chevaux qu’il ait jamais connus étaient possédés par des Noblemen, ou tout au moins des Gentlemen : c’est la seule observation qu’il ait rapportée de ce pays-là. Il n’a jamais pardonné au général La Fayette sa préférence exclusive ou son engouement pour les chevaux blancs, il pencherait assez volontiers du côté d’une forme de gouvernement despotique qui supprimerait la garde nationale, parce qu’une de ses chevaux a reçu une atteinte dans les rangs de la milice citoyenne ; mais il n’en accorde pas moins l’honneur de son estime à M. le duc d’.... depuis qu’il en a reçu une garniture de boutons de chasse en bronze argenté. Pour compléter cette esquisse morale du sportsman français, nous dirons aussi qu’avec toutes les apparences de l’égoïsme, il est au fond très-humain, serviable, assez reconnaissant des services qu’on lui a rendus, et très-susceptible d’attachement pour les hommes, et principalement pour les bêtes. Il a nourri dans la plus molle oisiveté jusqu’à la fin de ses jours Counter-Part son premier cheval, mort à l’âge de vingt-quatre ans, de vétusté non moins que de vieillesse. Nous voici parvenus aux linéaments les plus délicats de notre portrait, et les détails vont manquer à l’historien. Vu l’insuffisance des documents, il va présenter sous la forme du doute ce qu’il a cru voir des rapports du sportsman avec la plus aimable partie du genre humain. Jamais le sportsman, homme de continence et de convenance, ne s’est affiché avec des femmes suspectes ou décriées ; jamais aussi il n’a couru les salons et la haute, comme on dit au club. Tout tendrait donc à nous faire croire que le sportsman est destiné à mourir dans le même état de pureté que le chevalier Newton, seule analogie qui doive jamais exister entre lui et l’illustre auteur du Binôme. Il y a pourtant des gens bien informés qui soutiennent que, depuis la première jeunesse de cet homme impassible, il entretient la même passion pour une femme de condition mitoyenne avec laquelle il a l’air de se conduire à peu près maritalement, sans qu’il existe aucuns dérivés connus de cette conjugaison. Ce qui peut faire admettre cette supposition téméraire, c’est que tous les jours, et très-exactement, il quitte le club après son dîner vers sept heures et demie, pour n’y revenir que vers onze heures du soir, et que pendant tout cet intervalle on n’a pu l’apercevoir en aucun lieu de la ville de Paris où l’on rencontre infailliblement tous ceux qui se promènent incognito. Ces gens bien informés ne manquent pas de citer à son sujet une historiette assez excentrique ; mais c’est l’unique velléité de galanterie qu’ils aient à lui reprocher. Il paraît qu’il s’était épris de passion pour une de ces charmantes femmes qui fourmillent dans tout Paris, laquelle personne était ou se faisait passer pour espagnole. On entendait continuellement notre ami chanter avec frénésie, et à l’éternelle gloire de M. de Musset, cette romance alors en vogue :

        Avez-vous vu dans Barcelone
        Une Andalouse au sein bruni ?

Malgré cette touchante application, l’Andalouse lui tenait, comme on dit vulgairement, la dragée haute ; mais elle finit par lui avouer qu’elle mourait d’envie d’avoir une parure de tourmalines qui se trouvait chez Meller, et qu’elle lui désigna de manière à ce qu’il ne pût s’y tromper. Or, la parure devait coûter dix mille francs, et il avait sur-le-champ besoin de cette somme pour faire venir de Londres le fameux Saturnus, la perle des écuries de Tatersall. En outre, il fallait se hâter, car ledit Saturnus, pouvait lui être enlevé par Lord S..., ou par tout autre riche amateur. Grande était sa perplexité ! Il fallait, ou retourner chez l’Andalouse avec l’écrin, ou n’y pas retourner du tout. C’est le parti qu’il prit, et le jour suivant, il donna l’ordre d’acheter Saturnus, qu’on peut voir encore aujourd’hui dans son écurie modèle. Pour ce qui regarde les habitudes et la vie matérielle du sportsman, il habite une rue voisine des Champs-Élysées, prétendant avec raison que la traversée de Paris abîme les chevaux de selle : il se lève tous les jours à huit heures, il se couche entre une et deux heures du matin ; jamais il ne fréquente les bals masqués, il ne va presque jamais au spectacle ; vous le trouverez quotidiennement au bois de Boulogne entre deux et cinq heures, quand il n’est pas aux chasses de l’union ou de M. le duc d’..... Là, il fatigue d’ordinaire deux chevaux (qui l’attendent à la porte Dauphine) en leur faisant faire à chacun un tour de bois, et les lançant par-dessus tous les obstacles de la porte d’Auteuil, le chenil, c’est-à-dire le double fossé et la double barre (excepté toutefois la barre Potocki, bien entendu).

Pour qu’on ne puisse pas nous accuser d’avoir peint les sportsmen à leur désavantage, nous allons montrer celui-ci dans toute sa gloire, c’est-à-dire dans son écurie. C’est là qu’il triomphe ! Il est dans son écurie complètement beau, royal, épique ! Figurez-vous une petite maison en briques, bien exposée au plein midi, à l’extrémité d’une cour vaste, aérée et soigneusement sablée, où une demi-douzaine de chiens, tant lévriers que danois, griffons, bulls-dogs et terriers, ont l’air de traîner une existence assez inutile. On vous ouvre une porte ornée d’un bouton de cuivre éclatant, et vous êtes dan le tabernacle hippiatrique. C’est là que le sportsman passe toutes ses matinées ; aussi reconnaît-on partout l’oeil du maître : les litières sont fraîches et soigneusement renouvelées, les stalles d’un bois de chêne bien poli ; une paille blonde et consistante est suspendue dans les râteliers, une avoine sèche et farineuse circule dans les mangeoires. Voyez donc comme ils sont heureux et gracieux, les habitants de ce splendide logis ! comme ils ont l’oeil vif et brillant ! voyez comme leur poil est fin, souple et poli ! Peut-on blâmer un sportsman de passer une partie de son temps dans such a stall ? Que l’on ne me parle plus du mameluck pleurant sur son coursier, comme du type de l’affection qui peut unir l’homme à la bête : l’amour du sportsman pour ses chevaux me semble aussi supérieur à celui de l’Arabe que l’attachement du pélican blanc pour ses petits qu’il nourrit de sa chair, l’est à celui du sarigue qui se contente de porter les siens dans sa poche velue. Le mameluck aurait-il inventé, comme l’a fait le sportsman, de faire conduire un cheval de course en voiture au lieu du rendez-vous, et de faire voyager avec lui un tonneau rempli de la même eau qu’il a coutume de boire ? Mais continuons de visiter les écuries dont le maître fait les honneurs avec une prévenance si jubilatoire et si courtoise. Nous pouvons remarquer ses boxes garnis de bouches de chaleur moyennant lesquelles on peut procurer à des chevaux en condition la température la plus convenable ; la sellerie, véritable musée équestre ; les remises, immenses magasins où se trouvent réunis tous les chefs-d’oeuvre de la carrosserie britannique. Pour tout cela, le sportsman éprouve un sentiment vif et profond qui participe de l’amour qu’un jeune homme ressent pour sa première maîtresse, et de la passion qui pousse un avare à mourir de faim sur un monceau d’or.

Terminons ce tableau de genre par une anecdote dans laquelle nous avons joué un certain rôle, et qui nous semble vérifier ce que nous avons avancé de l’attachement que le sportsman a pour ses chevaux.

Il y a un an à peu près je suivis une chasse assez brillante. Le cerf, lancé dans les bois de Versailles, alla se faire prendre auprès de Rambouillet ; nous eûmes sept heures de chasse, et je revins de l’hallali avec notre sportsman, lui à pied, tenant son cheval par la bride, moi monté ; car ayant un cheval de louage, et je le dis modestement, je me sentais fort peu disposé à épargner la fatigue de mon poids à cette vénale créature. Après une heure de marche par une pluie battante, nous arrivâmes à la porte d’une auberge où je laissai mon cheval entre les mains d’un garçon d’écurie ; et comme nous mourions de faim, je me chargeai de commander le dîner qui fut servi au bout d’une demi-heure. J’envoyai prévenir mon compagnon, que j’avais laissé pâle, exténué, harassé, bouchonnant son cheval avec un air de sollicitude exquise et d’agitation fébrile ou frénétique. Comme après un quart d’heure d’attente mon compagnon n’arrivait pas, et que je le savais d’ailleurs fort absolu dans ses résolutions, je me mis à table, je dînai bravement, et après un dessert un peu moins que modeste je m’endormis dans mon fauteuil. J’ignore combien de temps dura mon sommeil ; mais il dut être assez long, car la chandelle qui m’éclairait était réduite au tiers de sa longueur primitive quand je fus réveillé par mon ami, qui entrait avec fracas dans la chambre. Sa marche était alerte, sa figure était rayonnante de satisfaction ; il me prit les mains avec un air d’expansion surprenante et me disant : « Mon ami, mon bon ami !... (j’étais encore hébété par le sommeil et stupéfait par cet accès inaccoutumé d’affection cordiale) Coroner a mangé l’avoine, » dit-il avec une voix chevrotante et en me regardant d’un oeil humide.

A présent nous devons à nos lecteurs le portrait d’un de ces innombrables satellites qui gravitent autour de notre planète, en s’efforçant de mériter et d’obtenir le titre brillant de sportsman. Quel abîme entre les copies et le modèle ! La lumière de Phébus diffère encore moins de celle de la pâle Phébé, comme disaient les poëtes de l’empire. Quoi qu’il en soit, et malgré les scrupules de notre conscience, nous allons esquisser notre héros secondaire, à qui nous appliquerons ce que Voltaire disait des traductions qu’il appelait des revers de tapisseries. Le sportsman amateur est presque toujours pourvu de soixante à quatre-vingt mille livres de rentes ; il est de noble famille ; vous l’avez vu passer, et vous avez pu remarquer la considération, l’estime et la haute approbation dont il a l’air pénétré pour toute sa personne. Jusqu’à vingt-deux ans, il a vécu avec un cabriolet des plus simples et un cheval de selle, mangeant niaisement son pécule avec des actrices ; mais, le beau jour où il a acquis une preuve irrécusable de l’infidélité de son infante, il s’est fait à peu près les réflexions suivantes : « Depuis deux ans je vis comme un bourgeois, un croquant ; je ne fréquente que des femmes indignes de moi (traduisez : qui se moquent de moi) ; décidément je me réforme. Je veux me voir cité dans tout Paris de la manière la plus honorable : aimer les chevaux est tout à fait une passion de grand seigneur, et j’ai toujours senti que j’étais né pour être sportsman. »

Huit jours après avoir fait ces réflexions, notre jeune homme a pris un maître d’anglais, et il s’est formé une sorte de dialecte à lui, une langue tout à fait hippiatrique ; il applique à toutes les petites femmes le nom de ponette ; il parle du poitrail de madame Z, et de la crinière de mademoiselle R, tout comme s’il parlait de Miss-Annette. Ce peu de temps lui a suffi pour s’impatroniser chez les marchands de chevaux, et de plus il est devenu un adepte forcené de la religion du pur sang. Il trône en potentat dans les écuries de Crémieux ou de Bénédict ; là, il adopte, il accueille, il accepte sérieusement les éloges que lui adressent les maquignons sur ses connaissances hippiatriques. Il pense souvent à la reconnaissance que doit lui inspirer la manière dont il encourage et fait prospérer le commerce des chevaux. C’est lui qui a répondu à un de ses amis qui lui faisait remarquer combien son dernier cheval était poussif : Ceci n’est pas possible, *** (1) a trop de considération pour moi. Le voilà donc improvisé connaisseur ; et mettant tout son plaisir à vendre, acheter et brocanter ; à ne conserver jamais pendant plus d’un mois le même cheval, parvenant toujours à faire reprendre pour vingt-cinq louis l’excellent coursier qui lui a coûté 3,000 francs. Malgré toutes ses mésaventures, il n’en dit pas moins incessamment qu’il est en possession du premier trotteur de Paris ; il vous dira que c’est un cheval de chasse qui peut sauter six pieds... De la figure un peu chevaleresque du vrai sportsman il a fait un je ne sais quoi de burlesque et d’exhilarant qui révèle toute l’impuissance de l’homme à changer sa nature et à masquer son caractère. Ainsi, qu’on lui propose un pari sortable, vous le verrez réfléchir avec une profondeur digne de Descartes et de Galilée, refuser décidément, et pour accepter ensuite les chances d’une autre gageure extravagante. C’est ainsi qu’il parodie cette sagacité instinctive qui distingue le véritable sportsman. Autre travers : frappé du stoïcisme avec lequel celui-ci raconte ses désastres, frappé surtout de la profonde impression qu’il produit sur ses auditeurs, il cherche à rivaliser de catastrophes et d’impassibilité laconique avec son modèle et son rival. Il ne vous parlera jamais d’une chasse ou d’une course dans laquelle il n’ait pas éprouvé plusieurs malencontres, et tout son corps devrait en être couvert de cicatrices. Mais à force de malheurs il a rendu la compassion tout à fait impossible, et ses amis lui disent alors : « Allons donc, marquis, allons donc !... » Il a vidé jusqu’à la lie la coupe de l’infortune, car au jockey-club la mauvaise réputation de son écurie est tellement établie qu’aucun homme expérimenté ne voudrait parier pour un des chevaux du marquis, sans exiger 10 contre 1 ; il n’a jamais gagné qu’une seule course, et c’était un jour où son cheval se trouvait sans concurrents. Tout le monde sait l’unique encouragement qu’il ait reçu dans un gentlemen riders dont il s’était ingénié de faire partie. Il était rayonnant, sublime, au départ ; jamais pareil jockey n’avait relui sous le soleil ; à la fin du premier tour, en repassant devant les tribunes, un honnête spectateur le voyant distancé, et se trouvant saisi de compassion pour son pauvre cheval qu’il roulait avec rage, lui cria en manière d’applaudissement : « Ne vous pressez donc pas, monsieur, vous avez bien le temps. » Comme on peut le présumer, notre sportsman arriva le dernier, quoique son cheval fût un des premiers coureurs des trois royaumes.

Personne n’ignore la manière dont il a perdu son petit jockey Bill ; mais ayant été témoin de l’événement, on trouvera bon que je le raconte avec plus de véracité que ne l’ont fait les journaux du palais et le Moniteur des Halles. J’étais allé par un beau matin printanier chez le marquis de C. Je le trouvai en proie au plus furieux accès de misanthropie. Je m’informai avec anxiété de la cause de cette affection mélancolique. Tu sais bien, me dit-il, Atar-Gull, ce superbe cheval bai-brun que tout le monde m’envie, et que j’avais engagé pour courir demain au Champ-de-Mars ; tu sais bien aussi avec quel soin je le faisais entraîner et comme il est admirablement In condition ? et bien, mon cher, je suis obligé de renoncer au prix, mon jockey vient de crever comme un mousquet ! Comme je tenais à Bill, le roi des jockeys, suivant moi, et que je conservais l’espérance de faire diminuer son excédent de poids qui n’était que de dix livres et demie, j’ai d’abord commencé par le faire purger trois ou quatre jours de suite, et puis je l’ai tenu pendant trois semaines emmaillotté dans sept ou huit couvertures de laine, en lui faisant boire une demi-pinte d’eau-de-vie par jour ; j’employai tous les sudorifiques connus, et je crois que j’en inventai même ; Bill, qui jusqu’ici avait supporté merveilleusement bien toutes ces choses-là, n’a pu résister pour cette fois-ci..... Notre héros se leva brusquement, et se promenant à grands pas dans sa chambre gothique (la chambre à coucher d’un élégant sportsman est toujours du style le plus gothique), il reprit bientôt : Je n’avais pourtant rien négligé, pour qu’il ne diminuât que d’une demi-livre par jour, ce qui faisait mon affaire, et n’était pas trop exiger ; car enfin, j’avais expérimenté la prodigieuse bonté de sa constitution et je ne craignais pas que ce régime le rendît malade ; mais il faut que le drôle ait avalé la tranche de mouton rôti qu’on lui présentait chaque matin, et dont il ne devait que sucer le jus, suivant nos conventions : c’est sa gloutonnerie qui l’aura tué, et toujours est-il qu’il est mort d’indigestion, à ce que je suppose. – Je ne pus m’empêcher d’excuser ce malheureux garçon. – Voilà bien ta philanthropie malentendue, reprit le marquis, périssent mille fois tous les Bills, tous les jockeys français et anglais, pourvu qu’ils fassent gagner nos chevaux, à nous autres vrais sportsmen ! nous ferons des pensions à leurs familles s’ils en ont ? Notre héros était beau d’exaltation en ce moment ; il avait grandi de six pieds ! Bill était mort et notre sportsman avait constitué une pension de 700 francs à sa grand’mère, à qui l’on eut de la peine à faire comprendre que Bill était son petit-fils, car elle ne le connaissait que sous le nom de François Guillard.

Une autre fois je la trouvai qui lisait une gazette anglaise et qui ruminait sur la nouvelle suivante : « Un vicaire du comté de Sussex avait égorgé le curé de sa paroisse avec le sang-froid le plus barbare. Ce jeune ecclésiastique passait pour aimer passionnément les chevaux, et l’on a découvert par les débats qu’il avait commis ce crime atroce uniquement pour se procurer l’argent nécessaire à l’achat d’un ouvrage en trois volumes in-folio, dont voici le titre :

Histoire de tous les chevaux qui ont remporté des prix aux courses en Angleterre, depuis leur établissement jusqu’à la présente année, avec leurs généalogies très-équitables et leurs portraits ; on y a joint les noms des particuliers qui les montaient avec ceux des gentlemen à qui ils ont appartenu, et pour l’agrément et l’instruction des lecteurs, on y rend un compte exact de tous les paris pour ou contre.

Sir John Bailey, juge of King’s bench et président des assises, a fait remarquer dans ses conclusions que la passion du clergé anglican pour l’hippiatrique avait été la source de soixante-sept condamnations infamantes pendant l’espace de sept ans. »

- Qu’es-ce que tu penses de ceci ? demandai-je  à notre anglomane. – Shocking, me répondit-il, my dear, very shocking, dreadfully shocking ! et voilà tout ce qu’il en résulta dans son jugement.

On peut supposer aisément que la fatalité qui conduit le marquis à des résultats si déplorables ne manque pas de peser sur lui dans les autres exercices qui forment la base du sporting character. Ainsi donc il est subitement épris de passion pour la chasse, il improvise une meute dans une de ses terres, devient la terreur de ses voisins, et le fléau de ses métayers ; il fait élever des renards pour se permette le fox hunting : il nourrit des sangliers dans une de ses écuries.

Voici du reste, une ou deux aventures de sa vénerie dont nous avons été les acteurs ou les témoins. Je me trouvais à la campagne en automne et dans le voisinage de son château, il m’invita pour courir un renard : l’animal apporté sur une petite voiture, fut placé dans un fourré dont les chiens se rendirent bientôt les maîtres en violonnant comme des forcenés. Durant trois heures environ, nous galopâmes à leur suite et ils nous ramenèrent à l’endroit même d’où nous étions partis : là ils nous annoncèrent par le redoublement de leurs cris que l’hallali s’approchait. Le piqueur s’élance pour s’emparer de l’animal, mais le pauvre renard était déjà raide mort et froid comme une pierre, attendu que la frayeur ou la contrariété l’avaient fait succomber à une de ces attaques morbides appelées vulgairement paralysies. Il n’avait pas bougé de dessus la motte de terre où il avait été posé, et nous, nous avions suivi au galop une belette, une fouine, un blaireau, que sais-je ? Un autre jour on avait lâché pour nous complaire un de ces sangliers si soigneusement élevés pour nos plaisirs. Les chiens accoutumés à son fumet et à la placidité de son caractère, ne se décidèrent à le chasser que lorsqu’ils en furent sommés à grands coups de fouet : la chasse s’entama enfin, mais ce fut tant bien que mal : il faisait le même jour une chaleur dévorante, et nous suivîmes pendant une heure à peu près, la voix de la meute. Tout à coup un silence profond et solennel succéda aux cris des chiens : meute et sanglier, tout était disparu, tout semblait tombé dans un abîme, et l’on aurait dit que la terre avait englouti les chiens et le gibier : après une recherche scrupuleuse nous trouvâmes le mot de cet énigme : les chiens et le sanglier buvaient amicalement à la même mare, et la plus parfaite intimité régnait entre eux. Le sanglier domestique fut ramené dans ses lares, et puis on l’égorgea comme un vil pourceau qu’il était ; on rossa vigoureusement les chiens et ils ne dînèrent que le lendemain : voilà la moralité de l’anecdote. On peut juger par ces deux aventures combien notre ami et sa meute sont dignes de figurer en première ligne dans l’institution des louvetiers ; société établie, comme chacun sait, pour la conservation, si ce n’est pour l’amélioration de la race des loups, à qui, des louvetiers de notre connaissance font tous les ans le sacrifice de quelques vieilles vaches et de plusieurs ânes, afin qu’ils ne soient pas tentés d’abandonner l’arrondissement. Notre héros continue jusqu’à vingt-cinq ans le cours de ses désastres ; à cette époque-là, sa fortune se trouvant dérangée par ses prodigalités, il se marie, réforme ses écuries, se prend de belle passion pour l’agriculture ou la musique, et finit à trente ans par être député de son département. Nous ne le suivrons pas dans sa carrière politique, nous nous contenterons de lui souhaiter plus de succès à la chambre qu’au Champ-de-Mars (deux arènes entre lesquelles nous n’avons l’intention d’établir aucune sorte de parité).

Les dernières courses de Paris nous ayant mis à portée d’observer certaines variétés du genre sportsman, nous croyons devoir en rendre compte aux Souscripteurs de M. Curmer : la scène se passe au Champ-de-Mars et dans la tribune à droite.

Première variété du genre. – Le sportsman à pied. Il est représenté par un tout petit jeune homme ayant une cravache et des éperons. Il fume avec un aplomb soldatesque, et s’adressant indistinctement et familièrement à tous ses voisins : – Il est inouï, dit-il, il est inouï, ma parole, il est inouï qu’on se permette de faire attendre le public de cette manière-là. Ces messieurs du club (prononcez claoub) se croient tout permis, et encore pour nous faire voir des courses qui font pitié quand on a assisté à celles d’Epsom, de New-Market et d’Ascott... Enfin la cloche sonne et les membres du jockey-club se dirigent vers leur tribune. Le petit monsieur reprend en s’adressant avec confiance à son voisin qu’il ennuie profondément : – Regardez donc, je vous en prie, voyez donc la conformation de Margarita, comme elle s’embarque au galop ; quelle bête ! que de race, que de sang elle a ! Le signal du départ est donné, le jockey du duc d’O... reste en arrière ; le jeune homme après un instant de silence répond à une dame qui s’étonne et s’afflige de ce que la casaque rouge est dépassée.... – C’est une tactique, madame, une tactique, une pure tactique ; et si vous aviez vu autant de courses que moi, vous sauriez que rien n’est jamais décidé avant le dernier tournant. Regardez comme Margarita allonge, voilà qu’elle les rattrape, elle a la corde ! elle a la corde ! (avec la dernière suffisance.) Tout est fini maintenant, et les autres sont distancés ; je l’avais bien dit.

Deuxième variété du genre. – Sportsman stupide. Un provincial en paletot noir avec des gants bleu de ciel. Il s’écrie au départ : – Oh ! ah ! oh ! ah ! au passage du premier tour, avec joie : – Mon Dieu, monsieur, que je voudrais bien savoir qui est-ce qui va gagner ?.... A l’arrivée des coursiers, avec un air d’ivresse : – J’en suis bien content, et c’est bien joli des courses de chevaux dont tous les journaux de Paris parlent tant !!!

Troisième variété du genre. – Le sportsman politique. Un monsieur entre deux âges, habit vert, canne à pomme d’or et cachet armorié. Il se parle à lui-même en finissant de lire son programme : – Casaque rouge, toque bleue, Arabella, au duc d’O...., c’est-à-dire au duc de Ch... – Quelle rosse !... A la fin du premier tour Arabella tenant la tête, il murmure : – C’est probablement une jument qu’il aura fait venir d’Angleterre ? ces gens-là sont capables de tout !.... A l’arrivée, Arabella étant ce qui s’appelle distancée, il s’écrie avec explosion : – Enfoncée, Arabella !  enfoncée ! Je l’aurais parié dès avant la course, et je ne donnerais pas cette satisfaction-là pour dix louis !.... Le sportsman politique s’éloigne en se frottant les mains.

On trouverait peut-être que j’ai fait beaucoup d’honneur à ces trois variétés en les décorant du nom de sportsman ; mais j’ai voulu prouver que le sporting-character a gagné toutes les classes de la société française, ce qui ne laisse pas que d’être un sujet d’amour-propre et de satisfaction pour mes amis et pour moi.

RODOLPHE D’ORNANO.
membre du jockey-club.


(1) Nous prions le lecteur de suppléer à notre réticence en remplaçant nos trois étoiles par le nom du dernier maquignon qui l’aura ce qui s’appelle enrossé. Il n’aura que l’embarras du choix.
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