MAGNE, Jean-Henri (1804-1885) : Des races animales en Algérie (1853).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (01.IV.2015)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : nc) des Annales de la Colonistion algérienne, n°13 - Janvier 1853.
 
Des races animales en Algérie
par
Jean-Henri Magne
___________________


M. Magne, professeur à l'école d'Alfort, dont tout le monde connaît les savants travaux sur l'hygiène du bétail domestique et sur d'autres bran-ches de la science vétérinaire, a fait, dans l'automne de 1852, un voyage en Algérie. Désireux d'avoir l'opinion d'un juge aussi compétent, nous avons prié M. Magne de nous faire connaître le résultat de ses observations sur la valeur intrinsèque des races animales indigènes de l'Afrique du Nord, et sur leur valeur relative comparées à celles d'Europe. Voici la réponse qu'a bien voulu nous faire à cet égard M. Magne ; elle est de nature, nous en avons l'espoir, à épargner aux colons algériens qui la méditeront, de coûteuses expériences et d'onéreuses déceptions :
Alfort, 20 décembre 1852.

MONSIEUR,

Vous désirez savoir ce que je pense des animaux domestiques, entretenus dans la partie de l'Algérie que j'ai visitée dans le courant de septembre. Les idées, me dites-vous, sont très-indécises dans ce pays entre les races indigènes et les races étrangères ; vous me demandez mon opinion sur ce sujet.

Les questions qui se rapportent à la production animale ne peuvent être résolues qu’après une étude approfondie, non pas seulement des animaux, mais encore du sol, du climat et des conditions économiques du pays. Vous savez combien j'étais loin d'être dans des conditions favorables à cette étude : c'est assez vous dire qu'il ne faudrait pas ajouter une grande importance à mon opinion. Je ne vous la livre que sous cette réserve.

Les hommes peu familiarisés avec les occupations rurales sont les mêmes dans tous les pays. Ils trouvent que les améliorations agricoles ne marchent jamais assez vite, et ils voudraient faire des changements à vue, en agriculture, comme ils pouvaient en faire dans le commerce ou l'industrie, qu'ils ont abandonné pour la plupart. Les animaux ne conviennent pas ; ils sont trop petits, ne donnent pas assez de lait, n'engraissent pas assez vite ? On fera venir des types reproducteurs appartenant aux races perfectionnées. Les terres ne rapportent pas assez, la culture n'est pas assez active ? On changera les assolements, on introduira des cultures nouvelles, on défoncera les terrains, et tout cela .sans prendre aucune des précautions qui pourraient faire connaître si ces opérations sont convenables, ou les faire réussir.

L'expérience ne tarde pas à prouver, qu'en agriculture, il faut marcher progressivement, que les efforts de l'homme n'ont d'efficacité qu'autant qu'ils sont en rapport avec les puissances de la nature ; mais, malheureusement, les mécomptes des uns profitent rarement aux autres.

Les colons algériens, mécontents de leur bétail, se persuadent que, pour l'améliorer, il suffirait de le croiser avec des races étrangères. Des essais nombreux ont été tentés : ont-ils été heureux ? pouvaient-ils l'être ?

C'est pour le bœuf et le mouton que cette question offre quelque intérêt ; et, pour la résoudre,  il faudrait 'comparer les formes et les qualités des animaux aux conditions hygiéniques dans lesquelles ils vivent ; examiner s'il est possible de les améliorer et rechercher quels seraient les moyens les plus propres à produire ce résultat. Je ne saurais, dans cette note, qu'effleurer ce sujet.


I.
Espèce bovine.

Les bêtes bovines manquent de taille, mais elles sont d'une rare perfection de formes : corps petit, trapu, assez long ; côtes rondes, garrot épais ; poitrail large et bien sorti ; abdomen peu développé ; flanc court ; épine dorso-lombaire large et bien soutenue ; croupe bien musclée ; fesses et cuisses charnues et descendant près des jarrets ; tête moyenne ; cornes relevées, arquées ; pelage maure ; jambes et tête noirâtres; côtes et dos fauves, grisâtres ou rouges. Ou voit assez souvent des animaux à robe pie.

Les races perfectionnées de l'Europe, malgré les soins qu'elles reçoivent, sont à peine supérieures à quelques taureaux que nous avons vus dans la province de Constantine, par la direction horizontale de la ligne dorsale, par les muscles prolongés près des jarrets, par le développement de la poitrine.

Un colon, habile dans l'exploitation d'une belle propriété qu'il possède dans la province de Constantine, nous a montré, comme bêtes remarquables, un taureau et quelques génisses qu'il avait fait venir de Tunis pour améliorer son troupeau. C'est à la race napolitaine, très-renommée dans l'est de la Barbarie, qu'appartenaient ces animaux.

Pour une bête des contrées méridionales, le taureau napolitain , d'un poil bai et maure, n'était pas mal conformé ; mais nous croyons avoir démontré au propriétaire qu'il y avait, dans son propre troupeau, une dizaine de bêtes au moins qui étaient supérieures à celles qu'il avait fait venir de l'étranger, par la largeur des lombes, l'épaisseur des cuisses, le développement de la croupe, l'ampleur de la poitrine, l'écartement des membres antérieurs, la proéminence du poitrail, la rondeur du garrot, la finesse des membres.

Plusieurs vaches et génisses de ce troupeau étaient, comme les jeunes mâles, d'une rare perfection. Et cependant ces animaux n'avaient reçu aucun soin particulier.
A cette belle conformation correspondent de précieuses qualités ; les bêtes bovines de l'Algérie sont, rustiques, agiles et fortes pour leur taille ; sobres, se nourrissant bien et d'un entretien très-facile, elles sont admira-bles pour l'engraissement. Expliquons-nous.

A l'époque où nous étions en Afrique, nous n'avons vu sur les marchés d'approvisionnement aucune bête de boucherie passable : les meilleures étaient à peine comme devraient être les bêtes de travail. Ni à Philippeville, ni à Bône, ni à Constantine, nous n'avons vu un seul bœuf qui parût avoir été engraissé.

Mais aussi de quelle manière ces animaux sont-ils entretenus ? Ils vaguent par centaines sur les flancs des montagnes, sur les coteaux, errent dans les chaumes, dans les friches, quêtant quelques brins d'herbe sèche, broutant quelques broussailles et léchant avec précaution les chardons durcis par le soleil pour en détacher quelques folioles. Ces malheureux animaux avaient dévoré les feuilles de ces plantes épineuses, et, ne pouvant manger ni la tige, ni les fleurs, protégées par les énormes épines de l'involucre, ils cherchaient à en détacher quelques parcelles.

Tous les animaux de l'Algérie ne sont pas, sans doute, dans d'aussi pauvres herbages, mais on peut cependant parcourir quinze, vingt, vingt-cinq lieues et en voir des milliers, sans trouver un seul troupeau qui soit dans de meilleures conditions.

Et ceux qui pâturent dans les plaines ne sont guère mieux partagés. Nous en avons vu, qui étaient cachés par l'herbe dans laquelle ils broutaient, également réduits à manger des plantes rudes, fortes et complétement sèches. Qu'on se figure les roseaux, les carex de nos marais ou les plantes fortes, des haies complétement desséchées sur pied, et on aura une idée de la nourriture que trouvaient ces animaux dans des terres dont l'herbe, fauchée à temps, aurait donné, à profusion, un foin, dur sans doute, mais de bonne qualité.

Les Arabes n'engraissent pas leurs bestiaux ; ils prennent dans leurs troupeaux et conduisent aux marchés, d'abord les bêtes qu'ils craignent de perdre pour cause de maladie, et ensuite celles dont ils veulent se défaire pour besoin d'argent ou pour tout autre motif.

Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi les colons n'engraissent-ils pas ?

Ceci est une autre question. Disons seulement que quand la main-d’œuvre est chère, il n'est pas facile de faire concurrence, pour la production des bêtes de boucherie, à ceux qui vendent les bœufs à un prix tel que les bouchers peuvent livrer la viande en détail pour 50 centimes le kilogramme.

Et qu'on ne compte pas sur les hautes montagnes, comme dans le midi de la France, pour estiver les bestiaux ; car à 1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le mont Emtaya, nous avons trouvé les pelouses aussi sèches, aussi arides que dans les collines des bas-fonds. On ne voyait un peu de verdure, de gazon frais que là où coulait du sol un filet d'eau. Revenons aux qualités du bœuf algérien.

Nous disons que, malgré l'état de graisse peu satisfaisant des bœufs exposés sur les marchés, ces animaux sont d'un facile entretien. Ils prennent la graisse avec une très-grande rapidité, tous les colons s'accordent à le dire, quand arrive la saison des herbes. Nous avons vu les attelages de quelques colons soigneux en très-bon état. Ce n'est pas sur les marchés d'approvisionnement des villes que nous avons trouvé les bœufs les plus gras; c'est dans les rues de Guelma, sous le joug et attelés à des tombereaux.

Ainsi, d'une conformation parfaite pour bien élaborer les aliments et pour fournir de la viande dans les parties du corps où elle est la meilleure ; d'une aptitude prodigieuse à vivre dans les plus maigres pâturages et avec les herbes les plus grossières, telles sont les qualités éminentes du bœuf que nous avons vu dans la province de Constantine.

Il manque à ces animaux de la taille au point de vue de la boucherie, il serait à désirer aussi qu'ils fussent plus forts pour le travail ; mais com-ment peut-on espérer les améliorer, en augmenter le poids ? Est-ce par des croisements avec des races étrangères ?

Il serait dangereux de le tenter, et toutes les fois qu'on voudra l'essayer on échouera, à moins que, préalablement, on n'ait perfectionné l'agriculture, amélioré les herbages, arrosé les prés. Le pays, dans l'état actuel, ne comporte pas des animaux de plus forte taille ; ils n'y trouveraient pas leur subsistance.

L'élévation de la taille est une des améliorations qu'on ne doit jamais chercher à produire en croisant les races ; elle doit être la conséquence d'une nourriture plus abondante. Le perfectionnement de l'agriculture seul peut augmenter le poids des animaux. Nous en avons vu assez d'exemples en Angleterre, en Allemagne et dans la plupart de nos départements.

Parfaites de formes, d'une facilité d'entretien admirable, s'engraissant rapidement, les bêtes à cornes de l'Algérie sont très-mauvaises pour le lait. Et nous croyons que ce défaut existe dans les races des trois provinces. Peut-on espérer leur communiquer, par des croisements, l’aptitude à donner du lait ?

Quoique la sécrétion du lait ait de nombreux rapports avec le climat et avec la nourriture, elle est cependant subordonnée à la constitution des vaches, qui peut être profondément modifiée, et d'une manière favorable à l'activité des mamelles, par des croisements.

D'un autre côté, il serait facile de trouver une race, celle de la Bretagne par exemple, qui appareillerait très-bien la race algérienne et pourrait lui communiquer les qualités laitières qu'elle possède. Cette race française n'est pas la seule qui, à ce point de vue, pourrait être introduite en Afrique ; nous en trouverions aussi au pied des montagnes de l'Est comme dans les Pyrénées et dans l'Ariège, qui, sans être exigeantes pour la nourriture, sont bonnes laitières.

Et cependant, malgré ces conditions favorables, quoique les facultés laitières se donnent facilement par métissage, nous n'oserions conseiller ce moyen d'amélioration ; car, si comme nous l'avons dit, la sécrétion du lait dépend beaucoup de la constitution des vaches, elle est puissamment subordonnée aussi au sol, au climat, qui, dans tous les pays, modifient si puissamment le tempérament des animaux. Les vaches les meilleures laitières importées dans les climats chauds, ne donnent jamais autant de lait que dans les régions tempérées où elles se forment ; et leurs descendants n'en donnent pas longtemps plus que les indigènes, à moins qu'on ne les élève avec des soins extraordinaires et toujours fort dispendieux (1).

Et pour que ces effets se produisent, il n'est pas nécessaire de transporter des vaches d'Europe dans les montagnes de la Barbarie ; il suffit d'en conduire du sud-ouest de l'Écosse, du comté d'Ayr, dans le sud de l'Angleterre ; de la Bretagne dans la Gironde ou la Haute-Garonne ; de la Normandie sur les plateaux de la Beauce.

La dégénérescence des races laitières est depuis longtemps connue en Italie. Le fromage de Parmesan est fait avec du lait de vaches suisses, mais de vaches suisses élevées sur les montagnes de l'Helvétie. Les Lom-bards savent que les vaches, nées dans leurs étables bien qu'issues de père et de mère suisses, ne donnent jamais, malgré les irrigations qui mouillent le sol et adoucissent le climat, les quantités de lait que fournissent les bêtes formées sous un climat plus favorable au relâchement des tissus, à la prédominance du système lymphatique et au développement des appareils glandulaires.

Résumons. Le croisement, inutile pour améliorer les formes du bœuf algérien, dangereux si on le mettait en usage pour élever la taille des animaux, nuisible en diminuant la sobriété et l'aptitude à se nourrir dans des herbages très-peu succulents ; le croisement disons-nous, ne pourrait produire sur les qualités laitières des vaches que des effets passagers.

Pourrait-il convenir aux colons d'importer des bêtes bovines étrangères plus fortes, exclusivement pour le travail en conservant leur race pure pour fournir les bêtes de rente ?

Les colons, mieux partagés que les Arabes pour le terrain, trouveraient certains avantages à labourer leurs terres, presque toujours assez en plaine, avec des bœufs de plus forte taille que ceux de l'Algérie ; en outre, les excellentes terres argilo-calcaires de l'Afrique nécessiteraient de forts attelages ; et cependant, malgré ces circonstances, nous doutons qu'il fût avantageux de recourir aux bestiaux étrangers. Les animaux im-portés seraient moins sobres, moins rustiques que ceux du pays ; et quoi-que, en général, les bêtes à cornes s'acclimatent dans toutes les régions du globe, il est rare que celles qu'on importe en Afrique ne souffrent pas-du climat.

Nous supposons, ce qui n'est pas toujours, que le cultivateur pourrait se donner de bonnes provisions de fourrages, appropriés aux animaux, pour les nourrir convenablement : difficulté grave qui doit engager les colons à se contenter le plus souvent des animaux indigènes, même comme bêtes de travail.

Il pourrait arriver cependant, à cause du prix élevé de la main-d'œuvre, qu'il y eût quelquefois avantage à employer en Algérie de forts attelages ; une étude de détail pourrait seule indiquer les exploitations qui trouveraient, dans la plus grande quantité de travail exécuté dans un temps donné, une compensation aux dépenses occasionnées par l'importation et l'entretien plus dispendieux des animaux. Quand on a intérêt à abréger le temps des travaux, il est probable que ce sont les chevaux, les mulets qu'il convient d'employer.


II.
Espèce ovine.

En général de taille moyenne, les moutons africains, qui varient du reste beaucoup plus que les bœufs, n'offrent rien de particulier par leur conformation.

C'est dans le lainage que nous trouvons les différences principales qui, les distinguent.

Les uns ont une toison assez fine, d'une bonne longueur et propre à la fabrication de bons draps ordinaires ; d'autres ne peuvent alimenter que les fabriques des étoffes les plus communes ou fournir de la grosse laine à matelas ; enfin il en est dont le pelage ressemble plutôt à de gros poils de chèvre qu'à de la laine. On ne pourrait trouver de pareilles toisons en France que sur quelques troupeaux des Pyrénées, d'Oléron, dont les animaux se rapprochent plus du mouton sauvage que des races domestiques.

Ces différences dans la laine peuvent s'expliquer, jusqu'à  un certain point, par le climat, par les herbages. C'est près de la mer, dans les vallées feriles, et peut-être sur les montagnes, qu'on trouve les mauvaises qualités ; les plus fines sont produites du côté du Désert, et les intermédiaires entre les deux régions.

Les moutons africains varient encore beaucoup par les cornes. Il y a des animaux qui en ont quatre, d'autres deux, et beaucoup en sont dépourvus : ceux à laine frisée en sont aussi souvent privés que ceux à laine longue et droite. Cependant, nous remarquons assez communément en Europe que les moutons à laine courte et frisée ont le plus souvent des cornes, tandis que ceux à laine longue n'en ont pas.

Du côté de l'Est, les moutons africains sont remarquables par le développement de la queue. Les os qui forment la base de ce prolongement sont entourés d'une masse graisseuse qui peut peser jusqu'à .3 ou 4 kilogrammes.

C'est dans la Syrie que cette masse graisseuse prend le plus grand développement ; elle se montre encore assez volumineuse du côté de Tunis ; mais elle diminue à mesure que l'on approche de l'Ouest : elle existe à peine sur les animaux de La Calle et de Bône.

Quelle que soit l'origine de ces moutons si divers, il serait fort intéressant d'en étudier les variétés au point de vue des pays qui les produisent et où elles se conservent ; de rechercher s'il existe en Afrique, comme cela est probable, des races à laine fine et des races à grosse laine, des races sans cornes et des races à cornes, et si les unes et les autres ont leurs contrées propres. Il serait très-possible que les individus des environs des côtes fussent indistinctement pourvus ou dépourvus de ces organes, quelle qu'en soit la laine, parce qu'ils ne sont que des métis résultant du croisement des races de l'intérieur des terres amenées vers le rivage par le commerce, les migrations ou la guerre. Ce qui tend à le prouver, c'est que, dans le voisinage de la mer, on trouve souvent toutes les variétés dans le même troupeau ; ces mélanges ont été produits par les razzias, dont l'habitude est fort ancienne, et par le commerce, qui tend à faire arriver vers les ports de mer les produits de l'intérieur.

Ces questions ne peuvent être résolues qu'en les étudiant dans les contrées les plus isolées, dans celles où se fait le moins sentir l'influence des relations que les populations entretiennent les unes avec les autres. Elles sont d'une grande importance au double point de vue de l'histoire naturelle et de l'économie rurale ; en expliquant l'origine des modifications offertes par les animaux, on arriverait à la connaissance des moyens les plus propres à les améliorer.

Nous n'entretenons les bêtes ovines que pour la laine et la viande. Il y a cependant en Afrique, du côté d'Alger, des brebis maltaises remarquables par l'abondance de leur lait. Et ce produit pourrait être d'une assez grande importance dans ces contrées, surtout si la petite culture parvenait à s'y établir d'une manière un peu générale. Nous ne parlerons toutefois de l'amélioration du mouton qu'au point de vue de la viande et de la laine.

Sobre et rustique, le mouton algérien est, quoique d'assez forte taille, d'un entretien facile. Il vit très-bien dans les pâturages arides de l'Algérie. Il souffre sans doute pendant la saison des sécheresses ; mais il résiste mieux que ne le feraient les races d'Europe, et s'engraisse rapidement quand arrive la saison de l'herbe.

Il laisse beaucoup à désirer, au point de vue de la précocité et de l'ap-titude à s'engraisser. Ayant les qualités des bêtes agiles, vigoureuses, il en a aussi les défauts. Quand il a pris son repas dans un herbage, au lieu de se reposer, comme font les moutons perfectionnés de l'Angleterre, il va et vient en attendant l'heure de rentrer au parc. Nous ne parlerons pas néanmoins de son perfectionnement à ce point de vue, car le pays ne comporterait pas de races supérieures aux races indigènes pour la perfection des formes, la précocité et l'aptitude à l'engraissement.

Les cultivateurs algériens doivent tendre, sans doute, à rendre leurs moutons meilleurs en choisissant bien les reproducteurs indigènes, et en soignant les élèves ; mais ils ne doivent pas employer le croisement avec les races d'Europe, que nous appelons perfectionnées, avant d'avoir changé, si toutefois cela était possible, le climat de leur pays, par les irrigations, le reboisement et -l'introduction d'une culture beaucoup plus active, ainsi que nous l'avons dit en parlant du bœuf.

Quant à l'amélioration de la race relativement au lainage, on sait que les contrées plutôt sèches qu'humides sont celles qui conviennent le mieux pour la production des belles laines. L'Angleterre est plus propre à produire de la viande que de beau lainage, tandis que nos collines, nos plateaux calcaires, nos landes, nous donneront plutôt de belles toisons que des moutons précoces.

Il en résulte que le climat et le sol d'Afrique sont favorables à l'amélioration des toisons : c'est même à cet heureux concours de circonstances naturelles que l'Algérie doit la conservation des laines passables qu'on y trouve encore. Avec le peu de soins que les Arabes donnent à leurs animaux, avec le parcage continuel, toutes les races du pays auraient dégénéré si les conditions hygiéniques eussent été moins favorables à la production des laines fines.

Nous pouvons donc considérer comme démontrée la possibilité de produire en Afrique les belles laines que réclament nos manufactures et, qu'elles tirent de l'étranger.

Mais par quel moyen obtenir ce résultat?

Sans doute l'amélioration serait possible par de bons appareillements entre les mâles et les femelles de chaque race, par des soins judicieux donnés aux animaux ; mais ce moyen serait très-lent, et on n'arriverait peut-être jamais, en l'employant exclusivement, à produire des bêtes d'une très-grande finesse. D'ailleurs, le changement du lainage est une des améliorations que le croisement peut produire en peu de temps, et rien ne s'oppose à l'emploi de ce moyen dans cette circonstance.

Dans le pays même, on trouverait les éléments d'une grande amélioration en remplaçant directement les mauvaises races par les meilleures, ou en les croisant les unes par les autres, quand il ne serait pas possible de réformer à la fois toutes les bêtes défectueuses. Après trois, quatre générations, par le croisement avec de bons béliers du pays on aurait des troupeaux passables.

Au prix peu élevé des animaux en Afrique, cette opération serait aussi peu dispendieuse que profitable.

On devrait chercher ensuite, et simultanément même, à donner aux bonnes brebis indigènes des béliers des races européennes supérieures, car il faut rendre la laine de tous les moutons de Barbarie plus fine, plus douce, plus tassée, et augmenter le poids de la toison en créant des bêtes dont la laine couvre à peu près la totalité du corps, comme cela a lieu dans les bonnes races françaises.

Quelles seraient, parmi ces races, les plus convenables ?

L'amélioration, pour ce qui se rapporte au lainage, ne nécessite, disons-nous, aucune précaution. Tous les essais ne peuvent avoir d'inconvénient autre que celui qui pourrait résulter de la dépense faite pour l'achat des types reproducteurs.

Le croisement ne serait nuisible qu'autant qu'on introduirait en Afrique des bêtes trop fortes ou habituées à un climat doux, plus ou moins humide, à des pâturages frais, toujours abondants.

Nous avons en France de nombreux troupeaux qui fourniraient des types pour cette amélioration. C'est dans nos, plateaux calcaires, où règne tous les ans une sécheresse plus ou moins forte, que nous trouvons les meilleures laines. Si on voulait agir avec plus d'assurance, on tirerait les reproducteurs des contrées méridionales. Les départements de la Haute-Garonne, des Pyrénées-Orientales, de l'Aude, de l'Hérault, des Bouches-du-Rhône, possèdent, quelques troupeaux qui fourniraient les types les plus convenables. Nous ne parlons pas des moutons que probablement on trouverait aussi de l'autre côté des Pyrénées.

Aujourd'hui le mérinos et ses dérivés sont assez communs et assez variés en France pour espérer d'en trouver qui seraient appropriés aux brebis algériennes. Cette introduction ne pourrait être que fructueuse. Originaire de l'autre côté de la Méditerranée, d'où elle a été introduite en Espagne par les Maures, la race mérine ne saurait souffrir de sa réimportation en Afrique. Depuis la fin du siècle dernier, elle a d'ailleurs suffisamment prouvé qu'elle peut facilement s'acclimater et se conserver dans les contrées les plus diverses (2).

A défaut du mérinos, nous conseillerons le croisement avec de bons métis provenant de nos races et de la race mérine. Nous voudrions qu'on donnât le choix aux uns ou aux autres, selon la convenance de la taille, des habitudes prises par les animaux et du prix d'achat. Sans doute, les métis seraient inférieurs aux mérinos comme types, mais, bien choisis, ils n'en produiraient pas moins, en très-peu de temps, l'effet le plus utile

Autant que possible cependant, on devrait préférer les croisements avec les mérinos de race pure. Les cultivateurs colons ou indigènes ont plus  d'intérêt que nos fermiers à produire des laines fines. En Afrique, pendant encore longtemps, la production de la laine sera plus importante que celle de la viande. Ces parages sont infiniment mieux placés que le Soissonnais, la Beauce et la Brie pour faire concurrence à l'Amérique, à l'Australie et à la Russie méridionale.

En conseillant ces mesures de régénération par le sang, je n'ai garde d'oublier les difficultés qu'on éprouvera, de la part des éleveurs, pour leur faire acheter des béliers d'un type perfectionné, quand ces éleveurs ne se donnent pas même la peine de choisir dans leur propre troupeau, où se trouvent cependant quelquefois des animaux infiniment supérieurs aux autres.

Mais n'en est-il pas de même .chez nous ? La plupart des cultivateurs de nos départements se donnent-ils la peine de choisir dans leur troupeau ?  Les brebis ne sont-elles pas couvertes par le premier venu des mâles, agneaux ou béliers, nés dans la ferme ?

Je suis bien convaincu que les plus grands obstacles proviendront de l'incurie de ceux qui seraient le plus intéressés à réaliser les changernents. Et ce n'est peut-être pas avant quelques siècles que sera accomplie une amélioration qui pourrait être complète avant quinze ou vingt ans.

La question, envisagée de ce côté, rentre dans le domaine des encouragements administratifs dont l'application exigerait une connaissance plus, approfondie de l'Algérie et de ses habitants. Je borne donc mes notes à la question purement physiologique, laissant à ceux qui s'occupent d'administration le soin d'indiquer les mesures propres à inspirer aux cultivateurs le désir de réaliser les améliorations possibles.


III
Espèce chevaline.

Vous m'excuserez de ne pas vous répondre aussi catégoriquement sur la question chevaline. Elle est plus difficile et moins susceptible d'être généralisée.

Nous avons trouvé une grande diversité dans les opinions sur le mérite des chevaux barbes. La plupart des militaires sont partisans de ces animaux, tandis que les industriels préfèrent généralement les races françaises.

Peut-être avons-nous été, nous Européens, un peu trop prévenus en faveur du cheval barbe. On nous en a fait si souvent l'éloge ; on nous donne si communément l'Orient comme le pays privilégié pour la production des chevaux, qu'en arrivant en Afrique, et en voyant l'Arabe se rendre au marché voisin assez tristement monté, nous éprouvons un désenchantement qui peut bien nous rendre injustes.

Toutefois, quand on connait les lois de la production animale, quand on sait combien sont rares, même dans les circonstances les plus favorables, les animaux de toutes les espèces qui peuvent être considérés comme parfaits, en comprend que tous les chevaux arabes ne sauraient être pa-reils aux quelques individus de choix qu'on amène en Europe. Il est même à peu près certain que les très-beaux chevaux ont toujours été fort rares en Afrique, quoique, et c'est dans le livre de M. le général Daumas sur les chevaux du Sahara que nous l'avons appris, les Arabes soient excessi-vement habiles dans le choix des chevaux. Disons en passant qu'on trouve dans quelques pages de cet excellent ouvrage plus d'instructions pratiques sur ce sujet que dans nos meilleurs hippiatres.

La production et l'amélioration du cheval, car il n'est pas possible de séparer l’une de l’autre, constituent une question fort compliquée en tout pays. Il ne suffit pas ici d'étudier une contrée et de déduire du climat, du sol, les animaux qu'elle doit naturellement produire. Le problème est plus   complexe : il faut rechercher     quelles sont les formes que doivent présenter les animaux destinés à nos besoins, et ce n'est pas toujours une question facile ; if faut ensuite s'occuper des conditions les plus propres à produire ces animaux. Et le moyen ne doit pas être cherché, en ayant égard seulement à son efficacité : il doit répondre aux conditions économiques dont on est entouré. Il ne suffit pas en effet, de produire d'excellents chevaux, ce qui est déjà fort rare, il faut les produire au prix du commerce, résultat non moins difficile, souvent impossible. Ne nous étonnons donc pas si les Arabes et les colons, imitant nos éleveurs, préfèrent produire des mules plutôt que des chevaux.

Tout ce qui se rapporte à la production chevaline est plein de difficultés. Sans parler du choix ni du prix d’acquisition, le simple entretien des étalons occasionne, avec de fortes dépenses, les plus grands embarras.

Et cette charge est lourde, surtout pour les Arabes, qui n'ont pas nos enclos, nos parcs, nos écuries, nos provisions de fourrages ; qui sont obligés de laisser leurs étalons à côté de la tente, attachés par les membres antérieurs à une corde tendue sur le sol et fixée à ses deux extrémités.

Les dépôts d'étalons de l'administration de la guerre rendront à cause de cela un grand service aux éleveurs algériens. L'administration s'est même chargée d'entretenir des reproducteurs appartenant à quelques tribus. Nous en avons vu au dépôt d'étalons de Constantine. C'est un encouragement qui, sans dépenses pour l'État, peut rendre d'éminents services aux producteurs. Nous approuvons complétement cette mesure.

Quand on a parlé de créer en Afrique des établissements hippiques, quelques producteurs français se sont alarmés ; ils ont cru voir la concurrence africaine venir porter le dernier coup à leur industrie languissante. Nous connaissons peu l'Afrique, nous n'avons pu en visiter que quelques contrées médiocres, nous ne voudrions donc pas porter un jugement qui serait téméraire sur le développement que peut prendre, et la transformation que peut éprouver la production chevaline dans ce pays ; mais nous croyons pouvoir assurer nos compatriotes qu'avec les besoins de notre époque, l'Afrique nous consommera plus de chevaux qu'elle ne nous en fournira. Nous voudrions pouvoir donner les mêmes garanties aux producteurs de viande du Midi et aux producteurs de laine de la France entière.

Mais qui ne verrait avec plaisir l'Afrique devenir notre Australie, et nos manufacturiers verser dans la bourse de nos compatriotes algériens les sommes énormes qu'ils donnent aujourd'hui aux producteurs de laine étrangers ?

On trouve en Afrique plusieurs races ou sous-races de chevaux forts distincts. Il suffit de passer quelques jours dans une ville pour s'en convaincre. Parlons de ceux que nous avons vus du côté de Constantine.

Ce sont d'abord des chevaux petits, épais, à crinière presque double, à crins gros, à tête assez forte, à croupe un peu avalée, à hanches effacées, semblables à peu près à certains chevaux que l'on trouve, dans quelques cantons de la Bretagne : si nous les eussions rencontrés du côté de Rennes, nous aurions eu de la peine à les croire, nous l'eût-on assuré, originaires de l'Afrique.

Ces petits chevaux, fort estimés, mais trop petits, sont , d'après quelques personnes qui les utilisent, tirés de contrées un peu éloignées de Constantine, du côté de Sétif et de Biskara.

Un autre type, beaucoup moins rare, c'est un cheval ressemblant assez au portrait qu'on nous fait du cheval barbe : grand, mince, à tête souvent busquée, à formes peu régulières, ayant cependant plus ou moins de distinction, remarquable par la courbure de son dos : ce cheval, qui a les lombes bombées supérieurement , n'est pas sans une certaine ressemblance avec le mulet.

Sans rechercher dans cette note la cause de cette ressemblance, nous dirons qu'il ne serait pas étonnant qu'elle fût le résultat de l'habitude qu'ont les Arabes de donner les mêmes juments à l'âne et au cheval ; mais comme ce n'est pas ici le lieu d'examiner cette question, disons seulement que ce cheval ne ressemble pas seulement au mulet par ses formes, qu'il en possède en partie les éminentes qualités.

On trouve beaucoup de ces chevaux dans la cavalerie et chez les Arabes ; quelques-uns, forts, courts, bien doublés, sont d'excellents animaux.

Un troisième type fournit à la remonte de la gendarmerie. Chevaux grands, bien musclés, à encolure un peu forte, à tête grande, busquée, à poitrail large, à garrot sorti et épais, à membres forts, ce qui n'exclut pas la finesse des formes. Quelques-uns de ces animaux nous ont paru fort remarquables, et nous ont rappelé ces belles juments fortes et en même temps distinguées qu'on trouve quelquefois, mais par malheur trop rarement, du côté de Vendôme, de Montdoubleau, de Courtalin.

Tous les chevaux que nous avons vus avec cette taille ne sont pas également étoffés, et tous ceux qui sont forts n'ont pas la même distinction ; mais ils n'en indiquent pas moins un pays qui peut produire des chevaux réunissant l'ampleur du corps à l'élégance des formes.

Enfin, nous n'avons pas à signaler le cheval de race, le cheval fin, une des belles variétés du cheval arabe, à la crinière soyeuse, à la queue ondoyante, au poil velouté, aux larges narines, à la poitrine ample, au garrot épais, bien sorti, aux cuisses admirablement musclées, aux jambes sèches, aux canons larges, à l'œil vif, à la peau transparente laissant apercevoir jusqu'aux dernières ramifications du système veineux. Ce cheval est malheureusement fort rare.

Nous ne voulons pas nous porter juge entre les partisans et les adversaires des races équestres de la colonie ; mais, nous le demandons, quand on parle du cheval arabe, est-il possible de s'entendre si on ne désigne pas d'abord le type que l'on a en vue ?

Allons plus loin.

Les chevaux arabes participent des qualités de leurs maîtres. Ils résistent admirablement aux privations, aux souffrances de toutes sortes ; ils supportent toutes les conséquences de l'état barbare : la faim, la soif, la chaleur, les coups ne sauraient les abattre.

Mais-pourraient-ils supporter également les bienfaits de la civilisation ?

Sont-ils susceptibles de consommer beaucoup, à condition de travailler encore davantage ?

Pour faire des excursions dans des montagnes abruptes, en portant un cavalier qui se nourrit de galettes, de pastèques et d'un peu d'eau, qui, pour tout bagage, a un burnous sur son dos, des armes fort légères, et très-peu ou point de munitions ; pour faire, avec cette charge, de fortes journées sans boire ni manger, à travers les précipices et par une cha-leur étouffante, le cheval barbe n'a pas son pareil. Il est infiniment supérieur à tous les chevaux européens.

Mais si, avec de belles routes, des aliments de bonne nature et régulièrement distribués, les chevaux ont de lourds fardeaux à traîner ou à porter ; s'ils sont montés par des cavaliers vivant bien et chargés de bagages, les résultats de la comparaison seront-ils les mêmes ?

Un militaire de grande expérience nous disait : Le cheval arabe pour l'Afrique, et le cheval français pour l'Europe. Parole pleine de sens, qui indique la nécessité de transformer le cheval africain, à mesure que nous rendrons l'Afrique européenne.

Excusez-moi si je vous ai parlé si longuement sans vous donner les affirmations positives que vous auriez peut-être désirées ; mais je dois laisser à ceux qui connaissent mieux le pays le soin de traiter des détails qui se rapportent aux diverses localités.


MAGNE, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort


NOTES :   (1) A l'appui de cette opinion, nous citerons un fait bien connu de nous. Il y a quelques années, M. de Montigny aîné, propriétaire à la ferme de Saint-Joseph près d'Oran, fit venir cinquante vaches bretonnes, qui lui revinrent, rendues à Oran, à 150 fr. l'une. Dans les premières semaines de l'arrivée, vingt-deux périrent ; les autres, après avoir mieux résisté à l'acclimatation, ont vu tellement diminuer leurs qualités lactifères, qu'au mois d'avril du dernier printemps, la production moyenne n'était que de 4 litres 7/10e par tête et par jour. Cependant, même avec ce faible rendement, la spéculation peut n'être pas mauvaise, le lait se vendant à Oran de 40 à 50 centimes le litre, et le beurre de 4 fr. 50 c. à 5 fr. 50 c. le kilogramme. Il est juste de dire que les conditions de nourriture et d'eau sont des moins favorables dans cette ferme. Un autre propriétaire de la province, qui a de meilleurs herbages, parait assez satisfait des bretonnes. N. R.
(2) Le croisement avec les mérinos se poursuit en ce moment dans la province d'Oran par les soins de M. Charles Bonfort, dans la ferme de Tensalmet, et par M. Dupré de Saint-Maur dans laferme d'Arbal. N. R.



retour
table des auteurs et des anonymes