LEPIC, Vicomte Ludovic Napoléon (1839-1890) : Les Armes et les outils préhistoriques reconstitués : texte et gravures.- Paris : C. Reinwald et Cie, 1872.- 58 p.– [24] f. de pl. ; 35 cm.

Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.XII.2004)
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LES ARMES
ET
LES OUTILS PRÉHISTORIQUES
RECONSTITUÉS

TEXTES ET GRAVURES

par
Le Vicomte Lepic

Vers l'image agrandie (306 ko)

Dédié à Monsieur de Saulcy
Membre de l’Institut

Par son tout dévoué élève,
Le Vicomte Lepic
1870.


RECONSTITUTION DES ARMES ET OUTILS PRÉHISTORIQUES.

Lorsque l’on parcourt les salles du musée de Saint-Germain et que l'on voit alignés dans les vitrines cette énorme quantité de haches en pierres, ces marteaux, ces pointes de lances, ces flèches, ces percuteurs, on se demande comment tout cela pouvait s'utiliser, et à quoi pouvaient être bons de semblables outils ou de pareilles armes. Cette question, faite par le visiteur, n’ayant pas encore reçu de réponse, un grand nombre de curieux quittent les salles en haussant les épaules et en se moquant de cette collection de cailloux. Le public est comme les enfants ; il ne faut jamais lui dire : « Je ne sais pas ; » mieux vaut lui dire une chose fausse ou incertaine, surtout quand son intérêt ou sa curiosité s'attachent à une science aussi neuve que la science du préhistorique. On a donc essayé, à l'aide des trop rares documents encore subsistants, de refaire tout ou partie de ces outils ; les gens fort compétents qui ont tenté des essais jusqu'à ce jour n'ont obtenu que des demi-résultats, parce qu'ils avaient plutôt recours à une théorie savante qu'à une pratique irréfléchie, mais plus certaine.

Ayant été souvent à même de manier, grâce à la parfaite obligeance de MM. Bertrand et Morillet, conservateurs au musée, les nombreuses pièces de la collection et de pouvoir les observer de près, j'ai été moi aussi, pris du désir d'essayer une reconstitution possible et pratique, sinon probable,  de ces outils primitifs, et c’est le résultat de mes travaux que je viens aujourd’hui faire connaître et placer sous les yeux du public qu'ils intéressent, heureux si j'ai pu trancher une difficulté utile à la science ; et si mes travaux pèchent sur certains points, ce qui est probable, j’espère que la discussion à laquelle ils donneront lieu pourra faire avancer cette question.

Voici comment j’ai procédé durant tout le cours de mes recherches : quand j'avais ébauché une hache, je la portais à un bûcheron, qui la critiquait au point de vue pratique ; rentré chez moi, je modifiais ou complétais mon oeuvre, puis, une fois terminée elle était reportée à l'ouvrier, qui s'en servait devant moi. Si elle ne se brisait pas, si elle remplissait bien le but, auquel je la croyais destinée, je la tenais comme bonne, et je passais à une autre ; de la sorte, en portant au charpentier les haches de bronze, au jardinier les outils aratoires, les cognées au bûcheron, j’ai pu bien m'assurer que si je n'avais pas retrouvé des choses sur lesquelles il n’existe souvent aucune donnée, j’avais au moins créé des objets parfaitement pratiques, et que nos manoeuvres pourraient encore employer utilement, si par impossible le fer ou l’acier venaient à disparaître.

J’ai tenu à faire mes reconstitutions sans me servir en rien d'outils modernes : un vieux ciseaux en silex du Danemark, des couteaux de la Dordogne et du Grand Pressigny, tels furent mes auxiliaires. Mon apprentissage fut long ; dans le principe, je coupais plus facilement mes doigts que le bois ; mais la pratique me vint avec de la patience, et je me mis alors sérieusement à l’oeuvre.

Le choix de mes bois m’arrêta longtemps ; je dus proscrire tous les bois blancs et tous les arbres à fruits ; le chêne, l'orme et le frêne seuls me donnèrent de bons résultats. Il se peut que bien d'autres soient également favorables ; mais, ne les ayant pas expérimentés, je n’en parle pas ; si pourtant je devais avoir une préférence, c'est le frêne que je choisirais, parce qu'en séchant il est moins enclin à se fendre.

La première question à se faire était celle-ci : les hommes primitifs employèrent-ils des bois verts ou des bois secs ? A cela je crois pouvoir répondre qu'ils employaient certainement du bois sec, et qu'ils en mettaient en réserve chez eux, soit dans leurs grottes, soit dans leurs huttes, plusieurs années d'avance. N’ayant pu me procurer du bois convenable remplissant les conditions voulues pour le montage, j'ai dû travailler avec du bois frais : le retrait, les fentes, l'humidité de la sève, m'ont créé souvent des difficultés qui ont mis ma patience à une rude épreuve ; mais je suis pourtant parvenu à mes fins, et ce que j'ai pu faire avec du bois vert, on peut le faire, à plus forte raison, avec du bois sec.

Une fois mes bois trouvés et mes outils emmanchés, je n'avais encore qu'un instrument incomplet, qui se brisait facilement, ou dont le manche se fendillait en huit ou dix jours, quand bien même il était de bonne qualité ; l'outil était donc impossible avec le bois seul : que manquait-il ? Une arme de la Nouvelle-Zélande me montra dans quelle voie je devais entrer pour vaincre cette difficulté : il me fallait des nerfs d'animaux pouvant tout à la fois consolider la pièce après l’avoir ajustée au manche, et presser sur le bois pour l'empêcher de se fendre, ou tout au moins empêcher cet incident si fréquent de préjudicier à la solidité de l'arme ou de l'outil.

Les nerfs d'animaux étant difficiles à se procurer, je me suis rejeté sur la corde faite en boyau de chat, dont se servent les tourneurs pour leur tour, et sur le nerf de boeuf ; les résultats que j'ai obtenus ainsi m'ont pleinement satisfait, et toutes mes pièces ont été garnies de la sorte, sauf les haches de bronze, que j'ai monté avec de la corde graissée et cirée, ce qui est aussi bon. Si je n'ai employé que rarement, ce dernier procédé, c'est que le chanvre est venu tard en Europe, et que, pour rester dans les données vraies, je ne pouvais faire cet essai d’attache que sur un outil relativement moderne. J'ai donc employé la corde de chanvre pour le bronze et la pierre polie, bien qu'on ne soit pas certain que cette plante fût alors connue dans les pays d'Europe qui nous fournissent des armes préhistoriques.

On s'est souvent demandé comment les sauvages pouvaient tendre autour de leurs armes ces lianes, ces cordes qui les serrent et leur donnent une solidité nouvelle ; employaient-ils leurs mains seules pour arriver à ce résultat, ou bien avaient-ils un procédé à eux ? Je puis encore répondre à cette question, car c'est avec mes mains que j'ai tendu les boyaux ou nerfs qui entourent mes outils, et ils ne le cèdent en rien, comme tension, aux oeuvres des sauvages de l'Afrique, ou de l’Océanie. Le procédé, pour cela, est bien simple : il suffit de laisser quelques jours dans l’eau le lien dont on veut se servir ; il se gonfle, se détend, et quand il est ainsi amolli, on le serre autant que possible autour de la partie de l’arme qu'on veut consolider ; lorsque l'évaporation a lieu, le nerf ou le boyau se retire en pressant uniformément sur le bois ; et quand il est sec, il acquiert une rigidité extraordinaire. Je dirai la même chose pour les cordes ; seulement il faut, après les avoir mouillées, avoir bien soin, avant de s’en servir, de les graisser et de les cirer ; sans quoi il y a toujours dans le chanvre quelques fils qui se relâchent, d'autres qui se cassent, et la pression qu’on attend est manquée.

Maintenant que j'ai parlé des objets indispensables au montage d’une arme ou d'un outil, à savoir du manche et des cordes ou boyaux, je passe à quelques considérations sur les outils que j'ai eus à ma disposition pour mon travail. J'avouerai d’abord qu'ils n’étaient pas brillants. Un ciseau en silex, pièce de rebut du musée, et quelques couteaux également de rebut, plus un marteau fait avec une racine de chêne. Pour utiliser le ciseau, je l'ai introduit pour les deux tiers dans une gaine de bois, destinée à recevoir les coups du percuteur ; sans quoi il eût cassé. Malgré cette précaution, j'ai dit l'employer avec les plus grands ménagements.

J’ai constaté alors qu'un ciseau en silex coupe les bois, même les plus secs et les plus durs, et peut en enlever de larges copeaux à une profondeur assez grande ; le bois de mon établi, fait d'un vieux chêne, et qui avait quatre-vingts ans au moins de sécheresse, 30 centimètres d'épaisseur, ne résistait pas mieux que les écorces des arbres. Ce ciseau entame également la corne de cerf, et c’est avec un outil pareil, sans aucun doute, que l’homme primitif a percé les trous carrés sur les andouillers qu’il utilisait pour monter ses haches. L’entaille n'est pas nette ; quelle que soit la perfection de l'outil, elle est comme arrachée et toujours irrégulière ; pourtant le résultat obtenu est bon, et j’ai vu un menuisier intelligent, au bout de quelques jours d'essais, se servir du mien, absolument comme s'il était en acier.

Quant aux couteaux, j’ai dû, pour les utiliser avec fruit, faire une étude fort ennuyeuse. Mon premier soin a été de les monter ; mon résultat alors était des plus défectueux : ou la pièce se brisait ou le manche se détachait ; bref  j'ai fini par supprimer tout montage, et je les ai employés simplement en les tenant à la main ; alors, j'ai réussi. Peut-être l’emmanchement est-il indispensable pour ces silex en demi-cercle, comme on en trouve dans le Danemark ; mais je n’en ai pas eu à ma disposition, je ne puis donc rien en dire.

M. de Mortillet m’ayant rappelé qu’à l’exposition de 1867 un anglais avait exposé un couteau en silex garni de mousse fraîche pour être manié sans danger; j’en ai refait l'expérience. Je dois avouer que l'outil est très-facile à manier alors, et que les doigts sont protégés quand le tranchant est frais ; maintenant, je n'ose pas dire que l’on s'en servait ainsi ; nul ne le sait, pas plus moi qu’un autre, et je répéterai ce que je dis sans cesse dans ce livre : « C'est possible, sinon probable. »

Comment doit-on se servir du couteau ?  Doit-on tailler, doit-on scier ? Voici ce que l’usage m’a appris.

Quand on vient de détacher une lame d’un nucléus, cette lame a un fil d’un coupant extraordinaire, tel que nos meilleurs rasoirs. On doit alors prendre les plus grandes précautions pour manier l’outil, sans quoi on se couperait jusqu’à l’os, et l’on pourrait s’estropier ; mais au bout de quelques instants, ce tranchant disparaît ; le fil est interrompu par de nombreux petits éclats, et le couteau ne coupe plus, il déchire ; son vrai usage est alors celui d’une scie ; il faut frotter diagonalement, croisant les lignes, et de la sorte on enlève le bois par petits triangles. Ce travail est long, demande beaucoup de patience, sans compter que le couteau s’use facilement et qu’il faut en changer toutes les dix minutes ; c’est ce qui explique la prodigieuse quantité de lames, d’éclats et de nucléus retrouvés dans les gisements. Le couteau s’échauffe vite ; il ne peut plus servir alors, et on ne peut travailler si l’on n’en a pas une vingtaine devant soi, qu’on prend et rejette au fur et à mesure. En somme mes observations peuvent se formuler ainsi :

1° Toute scie n’est pas un couteau, et tout couteau est une scie.
2° C’est par exception seulement que le couteau coupe et enlève les copeaux ; son usage le plus général doit être analogue à celui de la lime, à moins qu’un gisement voisin ne permette à l’ouvrier de faire à chaque instant des lames nouvelles.

Une dernière question qui se pose d’elle-même dans le travail des reconstitutions d'armes et outils préhistoriques, est celle-ci : L'emmanchement était-il uniforme, soit par époque, soit par type ? A cela je crois pouvoir répondre : non, avec certitude.

Que les sauvages, qui possèdent d’autres genres de bois que les nôtres poussant souvent dans des formes invariables et régulières, puissent trouver dans les branches de tel ou tel arbre un emmanchement commode et toujours tout prêt pour tel ou tel outil, j'en suis persuadé. Mais pour nous, avec les arbres de nos forêts et de notre zone, c'est presque impossible ; c'est très-rarement, et par exception seulement, que j'ai pu employer les branches ; presque tous mes spécimens sont faits avec le tronc et le noeud d’où partent les racines ; ce tronc et ce noeud ont des formes variables dont il faut profiter utilement, et l’armature de la pièce que l’on veut monter doit changer suivant les accidents qu’on rencontre dans le bois : je crois donc à un type général pour le Saint-Acheul, le Danemark, Abbeville ou tel autre centre de fabrication, mais avec des variations accidentelles infinies. Dans mes essais, j’ai dû tantôt consolider une hache avec des tendons, avec des chevilles même, tandis que d’autres s’enfonçaient dans le manche pour s’y fixer d’une manière indestructible. Du reste, si je peux aller chercher une preuve dans les rares spécimens subsistants encore, on verra que parmi les haches retrouvées, soit dans les lacustres, soit dans les dolmens, il n’en est pas une seule pouvant être comparée exactement à une autre. Dans quelle condition faut-il employer le bois pour obtenir de bons résultats pratiques ? Il y en a deux sortes : ou le bois de brin, qui est le tronc ou la branche même, dégrossi jusqu’à l’épaisseur voulue, et dont on respecte le coeur, ou le bois fendu en deux ou en quatre, dont on utilise les diverses parties en le taillant et l’arrondissant, et qu’on appelle bois de bout. De ces deux manières, la première est la seule bonne ; c’est donc le bois de brin dont il faut se servir, sans s’inquiéter des fentes qui s’y forment, malgré qu’on l’emploie sec ou vert, ce qui ne compromet en rien sa solidité et sa dureté. Du reste, tous les outils des bûcherons sont ainsi faits, et leur force de résistance est énorme, sans être en rien compromise par de nombreuses fentes ou sillons, qui pénètrent souvent jusqu’au coeur même des manches. Comme les haches préhistoriques servaient sans aucun doute presque exclusivement à abattre les arbres ou fendre les troncs renversés, j'ai pensé, justement je crois, que l'on pouvait s'en rapporter à l'expérience des bûcherons.

Telles sont les observations générales que j'ai pu faire, et que je relate ici comme renseignement scientifique et comme aide pour les personnes qui voudraient essayer après moi et mieux faire, ce qui me rendra très-heureux : ce me sera une preuve que la question que j'ai soulevée peut avoir une sérieuse et réelle utilité.
 
J'ajouterai encore que toutes les armes que je vais décrire ont été données par moi au musée de Saint-Germain, après avoir été essayées de toutes façons, soit sur des bois secs, soit sur des arbres sur pied, et qu'elles sont à l'épreuve. J’avertirai encore ceux qui voudront faire d'autres essais que moi que le maniement de ces outils est très-spécial, et qu’il faut agir avec précaution ; sans quoi la pierre se casse, en deux ; on doit frapper toujours de biais, de haut en bas autant que possible, légèrement avec les petites haches et sans roideur avec les grandes ; si l’on agissait avec elles comme avec celles en fer, on briserait, je le répète, la pierre en deux morceaux.

PLANCHE I. : HACHES D'ABBEVILLE.
PLANCHE II. : HACHES D'ABBEVILLE.
PLANCHE III. : HACHES FIGURÉES DANS LES DOLMENS.
PLANCHE IV. : HACHES DE BRONZE.
PLANCHE V. : OUTILS TROUV
ÉS DANS LES PALAFITTES.
PLANCHE VI. :  OUTILS TROUVÉS DANS LES PALAFITTES.
PLANCHE VII. : HACHE DU DANEMARK.
PLANCHE VIII. : HACHE NORMANDE.
PLANCHE IX. : HACHE DU DANEMARK.
PLANCHE X. : MARTEAUX ET OUTILS DES TOURBIÈRES.
PLANCHE XI. : FLÈCHES.
PLANCHE XII. : HARPONS.
PLANCHE XIII.  : OUTILS ET OS PROVENANT DES TOURBIÈRES.
PLANCHE XIV. : HACHES ET POIGNARDS DU DANEMARK.
PLANCHE XV. : HACHES DES PALAFITTES, MARTEAUX.
PLANCHE XVI. : OUTILS DIVERS.
PLANCHE XVII. : HACHES DE PIERRES.
PLANCHE XVIII. : HACHES DIVERSES.
PLANCHE XIX. : HACHES ET ARMES DIVERSES.
PLANCHE XX. : HACHES ET POIGNARDS.
PLANCHE XXI. : HACHES DE BRONZE.
PLANCHE XXII.
PLANCHE XXIII.

Tout les modèles d'armes et d'outils que j'ai décrits et gravés dans ce livre ont été longuement expérimentés par moi ; chacun d'eux est resté pendant deux mois entre les mains d'ouvriers qui les ont mis à de rudes épreuves, et je les ai déposés au musée de Saint-Germain, juste dans l'état où il m'ont été rendus, sans rien y vouloir changer. On pourra donc voir par leur détérioration même quels efforts mes haches ont supportés, et cela victorieusement, je dois le dire. Un certain nombre d'entre elles ont été fendues, mais sans que leur solidité ait été en rien compromise, ces fentes étant le produit du retrait des bois verts que j'avais employés, sur le conseil même des ouvriers. La solidité de mes haches, je le répète, n'a donc pas été compromise ; au contraire, les pièce les plus fendues sont celles où le resserrement a été le plus fort, et le silex est presque impossible à arracher. On remarquera encore que certaines de ces haches ont leurs manches garnis de cordes ou de boyaux ; c'était une habitude chez les peuples de l'ancienne Égypte et de nos jours encore dans les îles de l'Océanie, de garnir ainsi quelques armes, ou certains outils ; mais pour les miennes ce n'est ni le désir d'imiter ces peuples, ni une vaine ornementation, qui m'ont engagé à ce surcroît de liens.

La nature seule de mes bois m'a forcé d'agir ainsi. Quand, après quelques semaines d'essais, je voyais que l'arme souffrait d'un côté ou d'un autre, que la force du coup porté tendait à faire échapper le manche malgré l'effort de la pression des doigts, j'avais alors recours à une garniture soit de corde soit de boyau, et je m'en suis bien trouvé ; une hache qui semblait devoir se détériorer assez vite, pouvait alors résister aux coups des plus violents. Je ne crois pas que l'on puisse donner une règle fixe pour établir ce genre de lien : l'usage, le besoin, la commodité, doivent seuls indiquer à l'ouvrier comment il doit enrouler ses cordes.

Ainsi la figure A de la planche 17 que j'ai gravée sans cordes ni tendons, et dont je me servais en cet état, une fois entre les mains d'un bûcheron a dû être, pour la commodité journalière de l'ouvrier, garnie dans toute la longueur de son manche par une corde ; de plus, l'homme qui s'en servait étant très-robuste et frappant le bois avec sa hache à coups secs et violents, j'ai dû par précaution entourer le noeud et décrire un 8 autour de mon silex, avec une corde bien cirée, de crainte d'accident ; ces précautions une fois prises, j'ai obtenu une arme bien conditionnée.

L'observation précédente se rapporte à toutes les haches qui auront été consolidées par des liens supplémentaires, venant augmenter la force de ceux qui existent sur la gravure ; du reste, cette addition ne change rien à la forme ni à la disposition de l'emmanchement du silex, et, je le répète, doit forcément varier suivant les bois, la grosseur du silex, le travail à faire, et le tempérament de l'ouvrier. Quand à la question des manches garnis ou non, il n'y a pas de règles : c'est encore la commodité ou le caprice de celui qui doit manier l'outil qui décidera de la chose.

DES ARCS.

Il est une arme dont on n'a jamais rien retrouvé : c'est l'arc, et cependant son usage devait être très-répandu, à en juger par la prodigieuse quantité de flèches que l'on retrouve partout. Ce qui doit nous consoler, c'est que sa forme a peu varié, pour ne pas dire point, et qu'on peut retrouver les modèles probables de nos ancêtres, parmi les nombreux spécimens de nos collections ethnographiques. J'ai donné au musée de Saint-Germain une dizaine de modèles en bois différents, qui complèteront pour le public la série des armes préhistoriques, sans compter ceux qui s'y trouvent provenant d'achats ou d'autres donations. Nous ignorons encore si la corde de l'arc était en corde, boyau ou liane ; c'est trois modèles existent chez les peuples sauvages, et je recommande surtout aux visiteurs un arc de la Nouvelle-Guinée, dont la corde est faite par une liane arrêtée de la façon la plus ingénieuse, et qui donne une haute idée de l'esprit inventif de l'homme mis aux prises avec la nécessité et les besoins journaliers.

PLANCHE XXIV.
INSTRUMENTS ARATOIRES.


Une chose à constater, c'est le  petit nombre d'instruments aratoires parvenus jusqu'à nous. Sauf deux ou trois modèles retrouvés dans les palafittes, on est réduit à des conjectures ; j'ai fait ceux qui me paraissaient probables, par leur simplicité même, mais j'avoue que la bêche, la fourche, le râteau, m'ont arrêté ; quant à la charrue, sans doute faite tout en bois dans le principe, plus tard munie de bronze puis de fer, on n'en sait absolument rien. Quelques débris, retrouvés au hasard, et d'un usage inconnu, ont été classés comme socs de charrue, mais sans preuves certaines. La herse faite avec des silex ou des andouillers de cerf était également un outil probable ; mais, les deux essais que j'ai faits n'ayant pas réussi, j'ai abandonné mes recherches de ce côté. Peut-être chez les Kabyles, et dans l'Inde, pourrait-on retrouver quelques souvenirs de ces instruments primitifs, en examinant ceux qu'on emploie encore de nos jours ; de même en consultant les sculptures ou gravures égyptiennes, mais encore dans ce cas le modèle est bien loin de nos contrées pour qu'on ose dire que tels on les retrouve, tels ces instruments étaient chez nous à l'origine des temps.

Je ne parle ni des vases ni des filets, tissus, etc., retrouvés dans les palafittes. Ces objets mêmes se voient à Saint-Germain, et s'expliquent à la vue bien mieux que ne le saurait faire une description ; on y voit également des moulins à moudre le blé gallo-romains, et en tout sembables à un moulin kabyle, qui est exposé près d'eux, avec tous ses accessoires, voire même du blé écrasé par lui, et débordant entre les pierres. De chaises et de tables, il n'en est pas question à cette époque ; les huttes étaient basses, le foyer au milieu de l'unique pièce où l'on habitait, et la fumée s'échappant par un trou de la toiture faite en branches ou en roseaux ; cet disposition forçait les habitants à se tenir couchés pour éviter l'asphyxie, par conséquent pas de sièges. On a pourtant retrouvé dans les palafittes des bois, portant les traces de trois trous servant sans doute à introduire des supports ; mais servaient-ils de sièges ou de tables pour les gens accroupis ? On a trouvé également des troncs d'arbres creusés, en forme d'auge ; à quoi servaient-ils ? eux aussi étaient supportés par quatre pieds.

Les lits étaient, dans les palafittes, appliqués le long du mur, et formés de trois planches, formant une sorte de boîte garnie d'herbes sans doute, et sur lesquelles on s'étendait ; la tête reposait sur un de ces croissants, qui furent pris d'abord pour des emblêmes religieux, et où l'on devait dormir au moins aussi bien que le soldat en campagne, la tête sur son sac ; les cheveux nattés se rejetaient en arrière, et n'étaient pas salis par l'herbe et la poussière.

PLANCHE XXV.
BATEAUX.

Le premier usage que j'ai fait de mes haches, a été de refaire des bateaux, d'après les modèles que l'on retrouvés. J'en ai fait cinq qui sont également à Saint-Germain. Ils mesurent à peu près 1 m,20 de long. La forme la plus simple, dite forme d'auge, retrouvée en France, en Suisse et en Irlande, a été faite par moi, dans un tronc d'arbre, creusé au feu, et gratté au silex. Peu compliquée à construire, cette pirogue se tient bien sur l'eau ; mais on devait s'y tenir accroupi, et sans trop bouger, car elle tourne très-facilement. J'ai reproduit ensuite la pirogue de Robenhausen, celle de Saint-Jean-des-Près, près d'Abbeville, celle retrouvée dans le marais de Calioue, sur la côte de Wexford, celle d'Italie, munie de deux poignées à chaque extrémité, pour pouvoir être facilement transportée, et une dernière d'après les modèles de la Scandinavie.

La rame servait sans doute à manoeuvrer ces frêles et dangereux esquifs ; on a bien retrouvé des indices de mâtures, mais comment étaient-elles établies ? la voile était-elle en natte ou en toile ? autant de questions encore irrésolues pour nous.


Enfin, pour la poterie, si j'avais eu des cornes de cerf assez fortes, j'aurais essayé d'y creuser un vase comme ceux qu'on a retrouvés, faits de cette matière : je n'ai pas pu. Quant à ceux faits en bois, ils devaient avoir une forme d'écuelle, ou garder les contours du bois dans lequel on les creusait. Ce genre de vase dut précéder de beaucoup les pots en terre, mais on conçoit que le temps ait empêché qu'un seul arrivât jusqu'à nous.