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GÉOLOGIE
GROTTES
O
N demeure confondu, en prenant connaissance de l’inventaire qu’en a
dressé M. Passemard, par le nombre d’animaux dont il a découvert les
fossiles dans la caverne d’Isturitz et dans l’abri d’Olha.
Je rends hommage au Docteur de l’Université de Strasbourg, non
seulement au nom d’une science où il est passé maître, alors que je n’y
suis qu’un pur profane, mais encore de la poésie.
Je ne peux qu’admirer, tandis que les fauvettes chantent dans mon
jardin de Hasparren, et que tout à l’heure y glissait une musaraigne
entre les feuilles, qu’à dix kilomètres d’ici, non loin de mon château
de Belzuncia, à Isturitz, aient été mis à jour ces indiscutables
ossements d’ours, d’hyènes, de cerfs, de rhinocéros, de mammouths, de
rennes, de bisons, de lagopèdes, de goélands, d’aigles, et ces
coquillages ! Les squelettes d’ours, en particulier, s’enchevêtrent,
s’entremêlent, s’agglomèrent, avec une telle abondance, qu’ils firent
naître la singulière idée, heureusement abandonnée, de les exploiter
comme engrais chimique.
OSSEMENTS ET FOSSILES
J’ai donc pris connaissance de cet ouvrage sur
Les stations
paléolithiques du Pays basque et leurs relations avec les terrasses
d’alluvions. Il ne quitte guère ma table. Et ma joie est grande à
considérer les photographies de ces molaires d’éléphants, de ces
humérus de gypaètes, en m’assurant que si les Basques prétendent à ce
que l’arche a touché terre sur notre montagne de Hasparren, les
vestiges de cette collection en témoignent.
Mais que M. Passemard, et cet autre maître en mêmes matières, mon
cousin l’abbé Breuil, se rassurent. Je ne marcherai point sur leurs
brisées. Et, avant que de laisser apparaître à leurs yeux les cavernes
de mon ignorance, je les prie de n’admirer ici qu’elle-même. Je
requiers seulement le crédit accordé par les princes de la médecine aux
empiriques. On pourrait, en filtrant tout le sable de la Garonne,
peut-être y découvrir quelques paillettes d’or.
VUE SUR LE DÉLUGE
Trois éléments nous retiennent dans la spéléologie, qui nous occupe :
les pierres travaillées, l’homme et les animaux.
Je ne m’arrête point aux silex qui sont, pour ainsi dire, les
empreintes digitales d’une race de chasseurs : coups de poings, lames
servant à l’industrie osseuse des flèches et des harpons ; grattoirs et
burins qui, sur la paroi d’Isturitz, servirent à sculpter lièvres,
rennes et bisons.
Je ne retiens que les galets et les puddings. Comment, tout autour de
ces stations paléolithiques, Isturitz, Cambo, Ustaritz, Biarritz,
ont-ils été roulés, cimentés ? M. Passemard a observé, avec un soin
méticuleux, que ces cailloutis forment aujourd’hui des terrasses dont
l’altitude varie au long de la Nive qui, sans doute, est descendue peu
à peu comme ferait une scie dans la pierre tendre qu’elle partage. Et
cela durant des siècles.
Mais, de ces cailloux roulés que nous rencontrons à de telles hauteurs,
au-dessus d’Itxassou par exemple, dans la vallée de Laxia, il me paraît
naturel de conclure à la submersion de tout ce pays sous une seule
nappe, et non par des déplacements torrentueux, ramiformes et
successifs.
Je regarde le ciel monter, car il
s’élève
Comme une mer couleur de
feuille de maïs,
Barrant tout l’horizon bien
au-dessus des grèves,
Prête à combler d’un bond
tous les creux du pays.
C’est d’ailleurs là une idée qu’adopte M. Passemard quand il écrit, au
sujet des
cailloutis de la Bergerie : « Il ne fait pas de doute que
nous sommes en présence des restes d’une ancienne nappe de cette
altitude. »
Soit, mais ici, j’interviens et je précise : il ne peut s’agir d’une
nappe fluviale parce que rien ne révèle l’immensité d’un tel lit ; ni
lacustre, immobile et peu sculptante ; mais de celle, immense et
mouvementée, de l’océan. Et d’ailleurs, en langue basque, Louhossoa,
qui est tout près, signifie la mer.
Je tire ma conclusion générale : le déluge marin, tel que les enfants
l’apprennent dans l’histoire sainte sans le discuter, voilà le niveleur
et le polisseur.
Cette grotte, je n’envisage que celle qui est au flanc de la montagne
d’Isturitz, comment expliquer que s’y trouve en telle abondance cette
mêlée d’ossements et de coquillages ? Ceux-ci, il est vrai, sont
perforés à leur charnière, et comme afin de servir de colliers à des
peuplades sauvages. Mais je m’en expliquerai.
Donc, pourquoi l’existence de cet ossuaire innombrable, dont à peine
quelques mètres ont été soumis à des fouilles qui laissent supposer une
étendue plus riche infiniment ?
Repaire d’ours, dites-vous ?
Mais alors que l’ours actuel ne semble pas d’humeur à reconnaître une
ascendance qui a colonisé dans les cryptes, faudra-t-il inventer des
aigles, des vautours, des gypaètes, des perdrix
de caverne ? Je ne le
crois pas. Un charnier d’alimentation ? Les restes de repas
antépantagruéliques ? Je me refuse d’y croire, quel que soit l’appétit
féroce de l’eskuarien.
Et quoi donc, alors ?
C’est que, pressés par le déluge qui montait vers eux peu à peu dans
cette contrée, les animaux qui l’habitaient, aériens ou terrestres,
apercevant ce seul abri, s’y sont blottis et y sont morts noyés quand
les flots y ont pénétré.
Quant aux poissons, il en reste si peu de traces qu’autant dire qu’il
n’y en a point. Ils se sont laissé remporter par le flot qui ne les
gênait pas. Les chasseurs, fils de Noé, ne sont venus qu’ensuite, et
c’est eux qui semèrent çà et là des pétoncles percés qui formèrent les
premiers colliers et pendants d’oreille.
J’ai relevé des marques, diluviennes encore, en Béarn. M. O’Gorman, qui
a bien voulu interroger sur la région d’Orthez le promeneur et chasseur
que je suis, m’a inspiré le plus grand orgueil en applaudissant à mes
exercices sur le violon d’Ingres. C’est quand il m’a déclaré que, sur
une carte de la contrée que l’on m’avait soumise, portant sur Balansun,
Orthez et Sallepisse, j’avais, d’un coup de crayon, opéré le
rejointement de terrains à fossiles avec la sûreté d’un spécialiste.
L’un de ces gisements révélateurs, le plus important à mon avis, mais
qu’il faudrait délicatement exhumer, car il reçut de maladroits coups
de pioches de collégiens et de promeneurs, est situé dans la partie la
plus haute d’un bois du Parrein qui dévale vers la route de Bordeaux.
A combien de pique-niques n’ai-je pris part en ces vénérables lieux que
j’ai chantés dans
Pomme d’Anis ? Je revois le clair de lune et les
étoiles à travers les hautes frondaisons. Et, si nous y eussions grugé
des fruits de mer, leurs coquilles n’auraient pas été plus intactes,
plus fraîches, que celles des clovisses et praires que la stillation
d’une fontaine nous découvrait, et qu’avaient peut-être portées à leurs
lèvres les proches descendants de l’Arche. J’ai dit qu’on a beaucoup
dépouillé cette mine, dont une partie figure dans une touchante petite
collection de l’école libre. Une source canalisée dans un tuyau de
fonte, qui ressemble à un canon de fusil, peut servir de repère.
Une deuxième carte, gravée à mon avis par Neptune, nous relie par
endroits, comme les cailloux du Petit Poucet, à la première. On en
retrouve les fragments déchiquetés dans les coupes des sentiers qui
doublent
le chemin des Ermites, entre Balansun et Orthez, où
chantaient les heureux pèlerins de Compostelle. Là, des coquilles
encore, dont l’enveloppe est si conservée que personne ne me
convaincra, ni Bergson, ni Termier, que le temps soit si indéterminé et
surtout si long qu’ils le prétendent.
Ces mollusques, la terre les eût altérés si elle avait un si grand âge.
Tout ce que peut concéder mon gros bon sens, aussi gros que le sel de
Salies, dont nous reparlerons tout à l’heure, c’est que la perennité
des bivalves, dans les interstices des collines d’Orthez, ne remonte
qu’à 4.274 années. Encore me faut-il faire un effort pour les y croire
introduits si lointainement. Mais tel était l’avis de Bossuet, touchant
la date du déluge, dans son
Histoire Universelle de 1681, il n’y a
donc pas bien longtemps, et c’est mon opinion en 1926.
Je signale, dans une marnière, ou mare, de Castétarbe (propriété Le
Mus), un dépôt de grosses huîtres que l’on nomme, je crois,
scientifiquement, pieds-de-cheval. Elles sont de celles que l’on nous
sert en abondance depuis la guerre, dites portugaises, et que mon ami
P.-J. Toulet, palois, rêvait d’introduire dans un banquet républicain.
Le même déluge, en abandonnant de grosses poches d’eau qui se sont
évaporées, dans les cavernes de Salies et de Briscous, a permis aux
sources actuelles, précieuses pour les malades, de dissoudre de gros
blocs de sel gemme. Quant aux nombreuses stations où, depuis plus de
deux siècles, l’on pressent des puits de pétrole : je signale celle de
Gaujac, beau pays sur la frontière des Landes ; de Baure, où s’élève,
au bord du gave, non loin d’une ancienne falaise, un castel romantique
tout écumant de roses ; de Saint-Boës, contrée charmante tant elle est
désolée, mais qui s’obstine à ne livrer, dans son eau, que du soufre,
alors qu’on réclame d’elle du naphte. En s’élevant de là sur les
coteaux qui vous permettent de gagner la route de Tilh, on rencontre
une ferme assez vaste et d’aspect lamentable. Un paysan l’habita qui,
excité par les fortes émanations qui s’exhalaient de son terrain
spongieux, y creusa jour et nuit une excavation si profonde qu’il y
laissa sa fortune, et sa fille sa raison. Il me semble que son nom
était Dessarps.
Nul doute que ces nappes pétrolifères, que l’on signale aussi du côté
de Castagnède, si elles existent, n’aient eu, pour matière à leurs
alambics, les forêts indigènes et les bois charriés par les courants du
tropique ou des régions glaciales. J’en appelle ici aux découvertes si
intéressantes du même M. O’Gorman. Ce n’est pas assez que, dans ce
gisement cuisien, non loin de cette Vallée-Heureuse tout embrasée d’un
or qui, l’été, n’enchâsse que des émeraudes, il ait rencontré, décrit,
photographié à merveille 196 mollusques que, chez une écaillère, nous
eussions convoités ; mais voici, recueillies non loin d’eux, de
superbes noix de coco, reproduites avec autant de minutie.
Pauvre petit chemin de fer qui, au milieu de ces prés fleuris, prenez,
la nuit, toutes les apparences du ver luisant, vous doutiez-vous, avant
de naître, que vous ouvririez à Pau ce chemin des Antilles ?
- Êtes-vous fou, monsieur, et soutiendrez-vous davantage que ces noix,
dont la coque est aussi dure et grosse que votre tête, sont, aussi bien
que ces coquilles, un apport du déluge, si monstrueux et si mouvementé
qu’il ait été ? Et vous me dites opter aussi pour des trains flottants
de l’époque carbonifère, exploités aujourd’hui dans les bassins
houillers du nord de la France ?
- Oui, je tiens pour cela ; d’ailleurs, vous n’y étiez pas, ni moi non
plus, sinon dans l’arche de Noé.
ZOOLOGIE
INVERTÉBRÉS
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OURSINS ET MÉDUSES
L
ES oursins, qui passent de la couleur lie de vin au rose et au bleu,
ainsi que les montagnes au coucher du soleil, se hérissent, grosses
châtaignes, dans les flaques laissées par la marée basse à Guéthary.
Sur le velours vert de certaines algues, ils n’ont point l’air si bêtes
que superficiellement pétrifiés, à la manière d’objets longtemps
plongés dans les sources cristallisantes. Ils ne sont point aussi
comestibles que ceux de la Méditerranée. Cependant, un panier au bras
pour les y déposer, j’allais, au temps de ma jeunesse, les détacher des
criques, flânant sur la plage où j’enjambais les
méduses nombreuses
rejetées par les flots, pareilles à des lustres de safran tout
enrubannés. Je rapportais ces oursins à l’hôtel. Ayant crevé leurs
coques granuleuses, j’en suçais, à la surface intérieure, les petites
toiles jaunes et sucrées dont on dit qu’elles sont les oeufs.
VER DU MÉDECIN
Je n’ai trouvé, en Béarn, qu’une
sangsue, à Castétis, dans un
ruisseau très vif au bord duquel je me suis tordu le pied en chassant
la bécasse. Elle se prélassait au-dessus du sable le plus pur. Et, au
milieu de ces bois poétiques, je ne doute point qu’Esculape, s’il l’eût
fallu, ne s’en fût servi pour Diane elle-même.
MOLLUSQUES
Les mollusques de mer, les
huîtres sauvages (du cap Figuier), les
patelles ou
lapes, les
clovisses, les
pétoncles, n’abondent
point dans notre golfe, non plus que les
moules. La
mulette est une
moule d’eau douce, dont j’ai pris, à la ligne traînante, plusieurs
individus qui refermaient leurs lèvres d’avocat sur mon cordonnet, si
tenacement qu’il fallut, pour les en détacher, les rouvrir au couteau.
Nul doute que la mulette ne demeure bâillante au fond, pour se refermer
comme un piège sur la petite proie flottante qu’elle sent la
chatouiller. La chair en est épaisse, autant que de la plus belle
marinière, mais immangeable, imprégnée d’un relent de marécage. La
coquille, d’un noir terne, et pelliculeuse à l’extérieur, émet, de
l’intérieur, les plus beaux reflets d’une nacre plombée, saumonée, et
d’un azur d’orage. J’ai ramassé des échantillons de la même espèce, le
plus souvent morts et ensablés, sur les rives du Làa, à Sainte-Suzanne,
dans le Bois du Duel.
ESCARGOTS
Les
escargots n’ont rien de particulier dans nos pays. Bien plus
petits que leurs pâles frères de Bourgogne, ceux que je nomme les
jardiniers ont une coquille à teinte de moutarde brune, de forme un
peu excrémentielle. Il en est d’autres charmants, d’un jaune ou d’un
rose clair, rayés de noir, et que, pour cette raison, j’appelle
zèbres.
La classification naturelle m’impose de noter ici le petit
poulpe
(
chipirone, calamare) dont Fontarabie, sous ses rouges piments et son
fenouil d’or, est gourmande, et à qui la cuisinière de l’
Aviron
Bayonnais a dédié une sauce incomparable. Il appartient à la classe
des céphalopodes, ce qui me semble signifier qu’il marche sur la tête.
CHEVALIERS BARDÉS DU MOYEN AGE
Nous ouvrirons les
crustacés par ces arabesques d’un beau bleu
d’acier, rocailleuses, épineuses et barbelées, à la chair aussi blanche
que celle de la noix de coco : les langoustes. Le
homard est rare
en Gascogne : il y a bien la
langoustine, sorte d’écrevisse de mer
dont la carapace vous cisaille les lèvres, et dont l’intérieur est
échugue (ce qui veut dire, en patois, sans suc) : le jeu n’en vaut pas
la chandelle. La grosse
crevette rose,
bouquet, cent fois
supérieure à sa soeur méditerranéenne : elle a le goût de violette mêlé
à celui de l’oeillet. La
grise est trop petite et difficile à
décortiquer. La
chevrette de fleuve, presque transparente, peu
cuirassée, est excellente bouillie avec l’anis. Il y a trois
crabes
principaux (je ne compte point
l’araignée de mer) : le
crabe
vulgaire, dont la taille moyenne n’excède guère la paume de la main ;
un crabe que j’ai dénommé
crabe-galet, plus dur, plus rond, plus
luisant, qui hante les rochers du large, est d’une grande finesse au
goût. Je le crois fort rare. Enfin, les gros
dormeurs dont la crème
naturelle est délicieuse avec la mayonnaise. François-Xavier, mon
patron, l’honneur du Pays basque, ayant laissé tomber son Christ au
fond des mers, l’un de ceux-ci le lui rapporta sur la plage.
Je ne sache qu’un seul crustacé d’eau douce,
l’écrevisse. Elle est
fort raréfiée par l’empoisonnement et le bombardement des cours d’eau.
En Bigorre elle foisonnait, dans l’Arros par exemple, mais, en Béarn,
elle est peu commune quoiqu’on la pêche aux environs de Pau et de Sus,
près Navarrenx. Elle habite encore Saint-Jean-Pied-de-Port. Je l’ai
puisée, mais de très petite taille, au pont de Saint-Martin d’Arbéroue,
où elle ne vit que dans une partie du lit de la rivière, sur 800 mètres
environ, seulement. J’estime que c’est à cause du calcaire spécial qui
est essentiel à sa croissance, et que l’Arbéroue, en limant le
tréfonds, a mis à découvert en ce seul endroit.
ARAIGNÉES AU PLAFOND ET AU JARDIN
Il y a une
araignée noire dont la toile épaisse et sale, fixée aux
murailles, offre un trou au milieu comme d’un entonnoir de
water-closet. C’est la
casanière ; une autre grise, toujours à
l’affût des mouches qui se laissent prendre à ses rets souvent
constellés d’argent, et que je nomme
la fille de mauvaise vie ;
enfin, une espèce extraordinairement obèse, qui a la couleur de l’herbe
pâle que l’on reproche aux peintres du printemps : la
petite-mère.
INSECTES
Le plus brillant des insectes, le colibri des coléoptères, n’est qu’une
goutte d’azur en fusion. La science, toujours ampoulée, l’a baptisé
l’hoplite céruléen. Par milliers, à certains jours, au bord des eaux,
il s’accroche aux reines-des-prés et aux sureaux-nains. C’est un bon
appât, à condition de présenter son élytre céleste, et non son ventre
argenté, à la face du torrent où la truite palpite. Le
hanneton,
ennemi des arbres fruitiers et des lilas, est dégoûtant parce qu’il est
comme un homme mou. La
cétoine est ravissante : un morceau d’arrosoir
mouillé au soleil lorsque, dans le jardin, la famille est heureuse. Le
lucane ou
cerf-volant ronfle de chêne en chêne au moment que les
moissons mûres nous font penser à Ruth et à Booz. On découvre, par
centaines, ses cornes ouvragées dont les rameaux se rejoignent comme
les branches d’un étau circulaire. Cet étau, bien qu’il n’ait l’air que
d’un bijou, se referme avec une telle puissance qu’il peut pénétrer
très avant dans la main d’un imprudent. D’où, le surnom de
coupe-doigt. On peut se demander, au pied d’un chêne, pourquoi tant
de trophées de cornes sur la mousse. Ils proviennent, en partie, de
combats singuliers, de duels à mort, que se livrent les cerfs-volants
extrêmement pointilleux quant aux questions de fidélité conjugale,
peut-être à cause de ces appendices. Mais j’incrimine aussi les
chouettes qui doivent faire serre-basse, durant la nuit, sur les arbres
où viennent se reposer ces petits diables, couleur de colophane brune,
au vol oblique.
Quant aux
papillons, à cause des vers si charmants de Victor Hugo, je
me suis demandé si mieux ne vaudrait pas les renvoyer à la flore dont
je traiterai tout à l’heure. Beaucoup d’entre eux choisissent, pour s’y
poser, la corolle qui les imite. C’est ainsi que celui que l’on nomme
le
papillon-aurore, se pose sur la cardamine, précoce comme lui, et
qui répond à ses harmonies. Et le
papillon-soufrin se plaît parmi les
primevères jaunes. Quant à la
libellule, elle est une herbe
d’émeraude et d’or qui se passe de brise pour flotter en l’air : elle
s’en fait avec ses ailes. La
mouche à miel, elle, n’a de poésie que
pour les poètes car, ainsi que le déclarait l’inscription d’un vieux
pot anglais que j’ai possédé : «
Les aventures sont pour les
aventureux. »
VERTÉBRÉS
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POISSONS
I
L y a quelque trente-cinq ans, à Orthez, quand je pêchais le fretin au
bord de ce qui s’appelait la prairie Lateulère (aujourd’hui déshonorée
par la danse macabre des passerelles, pylônes, et autres sataniques
inventions de l’industrie) - je voyais tout à coup l’eau d’une anse, si
calme que le martin-pêcheur se posait sur ma ligne, bouillonner tout à
coup comme si des grenades eussent explosé, si un tremblement de terre
se fût produit, ou des chevaux marins se fussent ébroués. Et ce n’est
que vers 1911 que la Nymphe du gave me remit la clef de ce mystère qui
m’avait tant intrigué lorsque, pareil à un vizir paresseux, laissant en
paix flotter mon rêve et mon bouchon, cet insolite manège m’éveillait
en sursaut. Ce n’était que des
saumons, qu’à partir de cette date
pêchèrent avec une extrême habileté, au lancer, à l’aide d’un poisson
d’acier hélicoïdal et d’un moulinet qui le ramène, et lui donne une
impression giratoire, MM. de Longueil de Sus, Massey et Roby de
Navarrenx, Charles de Saint-André de Pau, Labarthe et Bau d’Orthez. Il
est très intéressant d’assister à cette lutte, avec un monstre qui
résiste, d’un pêcheur souvent obligé de descendre à l’eau pour le
harponner, puis l’assommer sur le bord et le saisir à plein poing par
la queue. Il est de ces saumons de dix à quinze kilogrammes, pêchés
ainsi à la ligne. La région inférieure de la digue du Pesqué, la nasse
de Castétarbe à Orthez, et le gave de Mauléon à Navarrenx, sont parmi
les lieux les plus renommés pour ce sport. La
truite, si elle n’était
tellement pourchassée, pullulerait dans les lacs montagneux, les gaves,
et jusque dans les moindres ruisseaux dont sa robe imite parfois les
constellations granitiques. On la pêche au profond (2 à 4 mètres) avec
l’asticot, une plume, une racine fine et l’épuisette ; ou, frustement,
dans les rivières du Pays basque, avec un crin, une chevrotine, un gros
hameçon, un ver de terre, et sans flotteur. La plus lourde truite que
j’ai vu prendre à l’asticot, c’est à Espès-Undurein, du haut du pont.
Les délicieux
tocans, dont plusieurs naturalistes soutiennent qu’ils
ne sont que saumons en enfance, ne sont qu’une sorte de minuscules
truites. Ils voyagent par bancs si compacts qu’on n’a parfois qu’à
plonger dans le gave la plus enfantine des lignes pour en retirer un à
chaque coup. Ainsi est-il arrivé dans la nasse de la minoterie
d’Orthez, à Castétis, à Argagnon. Tant ils sont brusques et vifs et
mordent franchement, on utilise ici et là des lignes dormantes à
sonnettes. Ce que j’ai retenu de plus singulier des moeurs des tocans,
ce qui m’a été rapporté par l’un des pêcheurs les plus dignes de foi
que je sache, est qu’à certains jours, en s’aidant je pense de leur
queue comme d’une hélice, ils évoluent, montent et descendent, dressés
dans le rideau vertical d’une chute d’eau aussi bien qu’ils le feraient
dans l’horizontale. L’
haubourg et le
cabot de nos cours d’eau sont
très mangeables. Chauds et fumants, ils exhalent, même lorsque leur
peau est croquante, le parfum de la rivière qui s’évapore en été. Le
goujon est excellent, mais pas meilleur en somme que la
chipe bien
frite dont l’arête ne compte pas. Les meilleurs
brochets sont ceux
qui sont assez vieux pour être revêtus de la livrée de la plume de
paon. Orthez, du côté de la Barraquette, Castétis, Biron, leur offrent
des demi-profondeurs convenables, à proximité du courant. Depuis
quelques années, les
barbeaux nous désolent et semblent anéantir les
goujons. Je crois indiquer une station excellente, à l’aube, dans les
gouffres du gave, à Bérenx, près de Puyoô. On amorce avec de la mie de
pain mêlée à du jaune d’oeuf. L’
alose, qui remonte de Bayonne à
Peyrehorade, est une sardine d’environ cinq livres dont la chair
délicate a le goût de la brise du premier printemps. Il faut la manger
grillée, sur une purée d’oseille, mais en se méfiant de ses arêtes
fines, élastiques et fourchues. Rien n’est plus ravissant, en mars, que
de voir sur la nacre rose de l’Adour serpenter les lièges flottants des
interminables filets qui emprisonnent les
aloses. Nul ne connaît au
juste le mystère des
anguilles. Il déroute tous les braconniers. L’un
d’eux m’a dit qu’il n’y avait qu’un mâle pour toutes les femelles du
monde, et qu’il l’avait aperçu dans le Luy, à Sault-de-Navailles,
entouré d’un harem sans fin ni compte. Que faut-il croire ? Ni laitance
ni oeufs dans cette algue vivante dont les tronçons sursautent encore
dans la poêle. Un savant de Grenoble qui obligeait des jeunes filles,
ses élèves, à souffler (ô Ronsard !) sur de la paraffine pour leur
montrer, quelques jours après, les moisissures qui naissaient de leur
haleine, m’a affirmé que nos anguilles se reproduisent seulement dans
la mer des Sargasses. Ses alevins remonteraient ensuite vers nos côtes
pour gagner nos fleuves et nos affluents. Chaque année, les
reproductrices s’en retourneraient à l’Océan ; mais les stériles, que
rien aux yeux de l’anatomiste ne distingue des autres, se terreraient
durant l’hiver sous nos galets, celles sans doute que l’on pêche à la
fourchette sur les grèves de Sauveterre-de-Béarn. Quant à la
pibale
d’Urt, elle n’est jamais plus grosse qu’une aiguille à tricoter, ni
plus longue que le doigt. On la met en conserve en Espagne où elle
devient friandise, confite dans l’huile rance. On l’expédie, par sacs
et wagons, à la frontière. Fraîche, elle est difficile à bien frire à
cause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme. Mais
lorsqu’elle est à point, on ne la peut comparer qu’à sa soeur la chipe,
qui constitue le populo des ruisseaux basques et béarnais. La
lamproie est une sorte d’anguille cartilagineuse, que l’on prend,
moins à Peyrehorade qu’à Aire, au filet, ou que l’on détache de la
paroi des digues où elle demeure fixée par ses ventouses, ce qui fait
ressembler ce poisson à une flûte, d’autant plus que les sept suçoirs
latéraux simulent les sept notes d’une harmonie que la gent aquatique
doit seule entendre.
Je ne pense pas que les poissons de mer offrent quelques particularités
au Pays basque, bien qu’on m’ait assuré que le vrai
rousseau, cuivré,
pourpré, soit confiné dans le golfe de Biscaye. Je dis le
vrai
rousseau, car il semble que chaque type de poisson ait, dans l’océan,
des variétés qui lui correspondent sans l’égaler, comme il en serait de
cousins pauvres. Au rousseau et à la dorade, s’apparentent
lamentablement les
bouchons ; aux
maquereaux, les
chichars ; aux
grondins roses, les gris ; aux
soles, des succédanés que je tiens,
carrelets et
plies, pour les poissons les plus plats du monde.
GRENOUILLES
Notre pays comprend une
grenouille très aplatie, qui vit dans les
prés. Sa robe, couleur de terre, est mouchetée de noir. Elle bondit
fort haut. Je la nomme la
desséchée. Elle est de même taille que
l’espèce aquatique qui joue du biniou avec les vessies de sa gorge, qui
se gonflent et crèvent comme des bulles, au-dessus du marécage
ensoleillé. La plus petite est la
rainette, couleur du banc vert où
s’asseyent les retraités au jardin public, et dont la voix, comme il
sied à d’anciens comptables, est d’un registre immense.
SERPENTS
Parmi les
serpents, je distingue des
couleuvres de l’épaisseur du
poignet, aussi longues que des cannes. Sur un pont ruiné qui bordait le
Lagoin (Assat), j’en vis une qui aurait pu concurrencer un boa. La
vipère, bien plus petite, hante les rochers, les fagots secs, les
murs recouverts de lierre. On la voit traverser les ruisseaux avec une
agilité qui inspire la crainte. Quant à l’
orvet, c’est un balourd. Il
a l’air d’une cheville de chocolat, roidie et roulée à la main.
PROPRIÉTAIRES
Les
tortues indigènes sont fort abondantes dans les affluents du gave
d’Orthez (le Làa par exemple) et dans les étangs des saligues. J’en ai
vu nager au soleil, aussi éclatantes que des topazes, par tribus, les
père et mère de la grosseur d’une noix de coco épluchée, suivis de
leurs petits dont le diamètre ne dépassait point celui de la pièce de
cent sous. En dehors de l’eau, leur carapace est terne, ardoisée,
pointillée en blanc de coups d’aiguille ; je crois en avoir découvert
un métis aux Mondrans, qui dériverait de la
tortue de Barbarie plus
ou moins naturalisée dans nos potagers, et que vendent les camelots
dans nos ports du sud. Mais, tandis que cette dernière s’apprivoise
dans nos jardins où elle élit domicile sur une surface peu étendue, du
moins où elle rapplique toujours, la
cistude, qui aime à se tenir sur
les rochers et les arbres inclinés, semble beaucoup souffrir du manque
d’eau. La sécheresse lui donne la cataracte. Je l’en ai opérée.
CROCODILES
Deux lézards : le gris des murailles, que je nomme
le maçon ; et le
vert émeraude, à tête de turquoise, que j’appelle le
bracelet de
Cléopâtre. J’ai élevé ce dernier qui, bientôt, se ternit en hiver,
mais pour réapparaître débarrassé soudain de sa tunique pelliculaire et
grise, plus précieux que jamais, prince charmant qui a rompu un mauvais
charme.
OISEAUX
J’ai vu des
aigles dans les grandes Pyrénées, mais on m’a assuré d’en
avoir déniché au sommet d’Ursuya (675 m.), la montagne de Hasparren. Un
moine m’a dit qu’aux Aldudes ils étaient autrefois nombreux et que, se
laissant glisser le long des parois rocheuses, suspendus à des câbles,
les enfants de ce village les agaçaient. Les
vautours abondent un peu
partout dans les vallées d’Ossau et de Lescun. Ils sont de taille
beaucoup plus grande que le charognard de Constantine. Ils sont
absolument hideux, comme mités, et leur tête et leur cou semblent avoir
acquis leur calvitie à force de barboter dans les chairs en
décomposition. On les attire sous la carabine en déposant, dans le
creux de quelque ravin, le cadavre d’un mouton déjà avancé. Les plus
proches de la contrée que j’habite ont élu domicile à Hartzamendy, la
montagne d’Itxassou.
Il y a des
buses, faucons, éperviers et
milans, comme partout en
France. Mais les plus gros oiseaux de cette espèce, que j’ai observés,
vivent en grand nombre à Bordes, près d’Assat. Ceux-ci accourent en
foule dans les plaines d’Abos et de Pardies, quand une sorte de
criquet, ressemblant beaucoup à celui d’Afrique, s’y abat par nuées.
Sur un espace de plusieurs kilomètres carrés, j’ai vu là s’envoler de
l’herbe, à chaque pas que je faisais, des légions de ces orthoptères
qui montrent ainsi le dessous de leurs ailes d’un bleu méditerranéen.
Au-dessus d’eux planaient, en cercle, par douzaines, de ces rapaces
dont je parle, et qui les guettent pour s’en nourrir. Le plus gros que
j’ai descendu, c’est dans la lande de Hasparren. Il faillit me rompre
le pouce avec sa serre quand je le ramassais vivant encore. Les paysans
basques étant très friands de cette espèce, je le donnai à mon voisin
qui ne trouva dans l’estomac de la bête (nous étions en hiver) qu’une
sauterelle et un grillon qu’un entomologiste aurait eu bien de la peine
à découvrir alors dans les champs. Des rapaces nocturnes, je retiens le
grand-duc et une sorte de
chouette pâle dont le plumage très doux
semble tenir à peine sur elle, tout parsemé de taches d’un jaune café
au lait. Neige fraîchement tombée sur des débris de feuilles mortes. Je
trouve deux
pics : le
pic-vert, qui n’est qu’une poignée d’herbe
avec un sainfoin fleuri sur la tête, et un
pic gris, fréquent aux
environs d’Orthez. On les entend cogner aux troncs des chênes avec leur
bec, si vite que l’on dirait du rebondissement d’un marteau sur une
douve. Pour le
coucou, on ne l’aperçoit guère. Son manque de noblesse
vis-à-vis des autres oiseaux, dont il vole le nid, l’oblige sans doute
à se cacher. Mais il semble que son chant si doux soit le coeur même des
eaux printanières qui, en se dilatant ou se contractant, veuille
accompagner les idylles. Les
palombes ont la couleur des nuages
orageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge). La
caille, par sa
couleur et ses stries, ne se distingue pas d’une petite motte de labour
où se seraient collés quelques fins brins de paille. Ainsi fait-elle
partie de son propre paysage : le champ de blé. Et, comme elle se
réfugie parfois dans les vignes, on la fait rôtir en l’enveloppant
d’une belle feuille ravie aux pampres. Ainsi, l’homme fait-il concourir
à la cuisson de ce gibier les éléments qui sont à portée de sa main. De
même du lièvre, que l’on assaisonne de thym, et que l’on saute au jus
de la vendange. La caille est assez abondante dans les plaines d’Assat,
Bordes, Boeil-Bezing, Angaïs, Nay, à l’est de Pau, et à Oloron. Elle
dort ou piète dans les sillons de maïs, parmi les feuilles de
citrouilles, les millets, les menthes, les haricots entortillés aux
chaumes. Souvent, après l’avoir tirée, le chasseur se sent froid au dos
car, devant lui, il voit se relever… une moissonneuse qui a entendu
crépiter le plomb sur son large chapeau de paille. Nos
perdreaux sont
de petite espèce, jaspés de corail et d’ébène. Ils sont durs à
poursuivre, fatiguent les chiens autant que les
râles de genêt qui
ont l’air d’oiseaux égyptiens gravés sur les obélisques. La
perdrix
blanche ne vit que dans l’altitude : elle est une poignée de flocons
qui a pris vie. J’ai souvent décrit la
bécasse. Je me résumerai en
disant qu’elle a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié en
feuilles mortes, et chiné aux marges. C’est la plus amusante des
chasses, de novembre à mars. Partout, çà et là dans les bois, dans les
gaulis au bord des ruisseaux, les bécasses tiennent volontiers salon, y
suspendant leurs miroirs de vif-argent, aux environs d’Orthez :
Balansun, Mesplède, Castétis. Quelques maigres
râles d’eau, à bec
rose, doublement manchots, glissent plus qu’ils ne courent dans
l’ancien lit de l’Adour, appelé Pont-Long. Pour en terminer avec les
échassiers je citerai, devant Saint Hubert, le
héron qui hante les
bords du gave et se juche souvent sur les cimes les plus élevées des
arbres. La Fontaine l’a trop majestueusement dépeint pour que je m’y
essaye. Parfois, tant je demeurais immobile, cet oiseau du moyen âge
venait se poser à quelques pas de moi, et décrivait, en se peignant
avec son bec, de fantastiques arabesques. Il faut retenir, des
palmipèdes, la
cane-grise et le
col-vert, amis de l’eau glacée, et
les
sarcelles dont Leconte de Lisle a écrit :
Où les poules nageaient, où cygnes et
sarcelles
Faisaient étinceler les
perles de leurs ailes ;
mais, il a confondu le cygne avec le canard, à cause de la noblesse
propre à sa poésie orientale. Comme il y a deux espèces de canards, il
y a deux espèces de sarcelles : l’une, d’un beau vert métallique à la
tête, ainsi qu’une capsule de vin vieux - l’autre, terne, assez
semblable à une soupe où nageraient des filaments de carottes. Nos
bocages sont remplis de passereaux, dont la
huppe est le plus
singulier. Elle a le chef emplumé d’un Iroquois, et le bec comme une
longue aiguille courbe de chirurgien. Aussi le corps est-il en marbre
noir, veiné de blanc comme un tombeau.
Fauvettes et
rossignols
enchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, les
fiancés et les époux.
MAMMIFÈRES
L’
isard fuit toujours. Il n’y a, pour en abattre du côté d’Argelès ou
de Gavarnie, que quelques Parisiens en vacances. Mais personne, en
général, n’a aperçu d’isard que dans son assiette où il est du mouton.
Un sculpteur, seul, tel que Jean Pavie, l’arrête. Le
lièvre est un
lapin de race. Buffon prétend qu’à Saint-Étienne-de-Baïgorry le lièvre
se creuse des terriers comme son parent pauvre. Je n’en crois rien.
Pourquoi pas dire qu’à Baïgorry, site charmant, auprès des ballons
bleus qui s’envolent des Aldudes, les femmes dorment dans des hamacs ?
J’ai chassé le lièvre dans la plaine de Navarrenx. L’
écureuil est le
fils du vent, car il n’a qu’un poil léger. Mais il ressemble, quand il
s’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil.
HOMINIENS
Classification.
Teint fleuri et luisant ; figure ronde comme un bol……
Oloronais.
Jolis hommes bruns, à moustache en chat, teint mauresque………………………
Gens de Laruns et
d’Arudy.
Type sec, taillé en bois, nez cassé comme Dante et Henri IV…………………….
Palois.
Type chinois, yeux bridés, pommettes saillantes, auquel ne manque que la tresse……………………..
Basques.
BOTANIQUE
Q
UE de fois j’ai admiré, dans un prix décerné par le collège impérial
de Pau, ces vers naïfs qui s’essayent à traduire un passage de la
philosophie botanique de Linné :
«
Quel
est cet agile marcheur
Explorant les forêts dès l’aube matinale
?
Il cueille avidement la plus modeste
fleur ;
Dans sa
corolle virginale
Il plonge
un regard scrutateur.
Vous voyez de Linné le disciple fidèle…
La tunique légère à ses reins s’ajustant,
La paille, sur son front élargie en
ombrelle,
Tel est
l’uniforme constant
Dont son divin patron lui traça le
modèle.
Une boîte arrondie, au métal éclatant,
Sur son
épaule est attachée ;
C’est de Dillénius le vase protecteur,
Conservant jusqu’au soir la vie et la
fraîcheur
De la
plante au sol arrachée. »
Qui donc, dans un pareil costume, se refuserait à m’accompagner dans
mes herborisations pyrénéennes ? quoique…
… «
Les
humides tapis de mousse
Verdissent tes pieds de satin. »
Et je n’ai jamais su s’il s’agissait des pieds nus de madame Victor
Hugo ou de ses bottines de lasting, et c’est délicieux quoi qu’on
pense. Mais, jeunes filles, ou jeunes hommes, n’hésitez point. Venez. A
bas Sainte-Beuve.
PRAIRIES
La prairie s’ouvre devant vous, au printemps d’abord, quand, sur sa
lisière détrempée, les
narcisses, le
jaune et le
blanc, luttent
ensemble comme la neige et le soleil. Mais voici qu’en juin les feux de
celui-ci triomphent, émaillent le cuivre des
boutons-d’or et la
porcelaine des
grandes-marguerites. Animés par cette incandescence,
les brins d’herbe deviennent des sauterelles ; les
graminées
tremblent de toutes leurs aigrettes en jetant leur pollen à la brise ;
la
cascabelle, jaune comme une Espagnole, agite ses grelots ; la
fleur du
coucou (ce lychnis nommé
lampette parce qu’il est pareil à
une petite lampe) remplace de sa rose et joyeuse flamme les
orchis au
deuil violet. Ici et là, le
glaïeul dresse son candélabre illuminé,
et le
crocus, dans la nuit bleue et transparente de son calice,
semble enfermer du clair de lune. Mais il semble qu’un azur léger
pleure sur tout ce foin : ce sont, éparses, les gouttes des fleurs de
lin.
MOISSONS
Ne me demandez pas de vous accompagner dans la moisson à midi, car je
suis vieux comme Booz. Pourtant, c’est l’heure où elle est dans sa
pleine magnificence. Je ferai la sieste auprès de la source. Que
seules, les vierges gracieuses affrontent le soleil : leurs cheveux
sont pleins d’ombre. Et qu’elles me rapportent, s’inclinant devant moi
avec respect, des épis de
blé roux, déjà blancs de farine et, encore,
des
bluets détachés du ciel torride, et des
coquelicots noirs à
force d’être rouges, braises dérobées à la terre.
HAIES
Les ombelles de la haie ce sont, avec leurs dômes de corail, les
cerisiers aux troncs d’argent, nombreux à Itxassou. Et les
buissonnantes
aubépines, toutes parfumées de miel au printemps, lui
font une âpre et puissante fortification. Presque partout, en
inextricables fourrés, les plantes volubiles unissent leurs grâces : le
liseron, dont la brise secoue les écharpes de cloches blanches ; le
chèvrefeuille, dont la fleur incisée montre ses dents d’ivoire
embaumées ; le rugueux
houblon, à la cime enroulée, ensoleillée et
tendre, aux cônes poisseux et merveilleusement amers ; la
clématite
ou
herbe aux gueux, dont se servaient ceux-ci pour simuler l’ulcère
et apitoyer les passants ; l’enlaçante et traînante
pervenche,
couleur de l’eau du lavoir où s’écoule l’azur. Puis, les lianes
élancées jaillissent vertes, luisantes, retombantes, des
églantines
telles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles.
TALUS ET BORDS DES ROUTES
Sur les talus se montrent, avec des
mousses, suivant la saison, les
cornets glauques et translucides des arums avec, au centre, une sorte
de battant de sonnette, d’un soufre pâle ; la
campanule qui sonne du
ciel ; la
primevère qui s’étend en flaques de soleil printanier ; le
cabaret-des-oiseaux où le chardonneret vient boire aux jours des
fortes chaleurs, car ses feuilles, réunies à la base en godet,
retiennent l’eau de pluie ; le
bouillon-blanc qui semble la houlette
à ruches d’or de quelque bergère Louis XV ; la menthe à feuille
veloutée, tapis des petits ânes qui recherchent l’ombre ; et les
flambeaux des
digitales, tamisant un feu rose et doux dans leurs
tulipes émaillées.
BOIS ET SOUS-BOIS
L’
anémone-sylvie aime les clairières, les bords enchevêtrés des
ruisseaux forestiers ; elle est si légère qu’elle a moins l’air d’une
fleur que de son reflet mobile et nacré ; elle ressemble à l’
isopyre
que l’on trouve au bord du Làa, près d’Orthez, et au Grand-Parc du
château de Pau. Je doute qu’Henri IV ait jamais cueilli, même pour
l’offrir à Gabrielle, l’une ou l’autre de ces corolles fragiles qui
s’en fut trouvée mal, comme cette belle dame, quand il la surprit le
trompant. L’
hellébore vert, aux anthères livides, pousse à foison çà
et là, et l’espèce dite
pied-de-griffon rappelle bien, par ses
feuilles, une ferronnerie héraldique : C. C. C. Bords du gave, Orthez.
Dans les bosquets de La Hourcade, non loin de Lagor, vous trouverez une
sorte de tulipe bigarrée, nommée
pintadine ou
fritillaire, dont
j’offris un bouquet harmonieux à mes chers amis Duparc lorsqu’ils
vivaient à Monein. Enfin, la
brunelle encapuchonnée marie son velours
violet au bleu de l’
ancolie qui semble une fantaisie tuyautée par le
fer de la fée la plus habile. Dans les sous-bois, signalons encore la
pulmonaire, d’un indigo plus foncé qu’aucun lac ou ciel andalou ; le
grand-houx et le
petit-houx dont les baies, tranchant avec le
sombre et magnifique feuillage, ont l’air de perles de corail sur le
teint d’ombre des créoles. Enfin, sous les fougères, plumes d’autruche
en émeraude, le conseil municipal des champignons, vénéneux ou pas,
tenant séance, le béret marron, blanc ou rouge, sur la tête.
BORDS DES RUISSEAUX ET RUISSEAUX
Le
sceau-de-Salomon est une tige rivulaire, d’une courbe gracieuse,
aux belles feuilles glauques, ovales, et qui porte tout du long, et du
même côté, des fleurs blanches qui ont l’air de boucles d’oreilles de
petites filles d’autrefois. Elles sont suspendues à un filament vert
extrêmement ténu. La
reine-des-prés vit dans son voisinage, parfumée
d’amande, et coiffée d’une vieille dentelle jaune. La reine de Saba
vint voir Salomon, mais on ne dit point si ce fut à la Chaussée
d’Orthez, auprès de ce ruisseau de Choü, dont le murmure me versait le
sommeil à midi quand je cherchais la nuit des aulnes. Ma tête reposait
parmi les
salicaires, dardant autour de moi leurs lances pareilles à
des banderilles de feu. Mais les jeunes taureaux ne s’en émouvaient
point, et mes rêves d’azur flottaient avec les
myosotis inondés par
secousses.
ETANGS, MARÉCAGES
Ce n’est guère qu’aux environs de Bayonne que nous rencontrons la flore
des étangs qui a pour roi cet oeuf de cygne : le
nymphéa blanc. Le
nénuphar jaune lui tient compagnie mais comme si, ayant brisé sa
belle coque, il ne lui restait plus que le vitellus. Tous deux
s’immobilisent entre les lunes vertes de leurs feuilles imperméables,
sur lesquelles les grenouilles coassent, et non croassent, selon les
règles de la grammaire. Telle que l’ombrelle rose d’une fée, qui
marcherait au bord des ondes, l’inflorescence du
jonc-fleuri se
déploie, mais elle est assez rare. Plus commune est la
sagittaire,
aux vertes flèches, qui semblent menacer le canard dont l’ombre passe
sur le miroir lacustre. En juin-juillet, quand la chaleur est
accablante, on voit l’
hydrocharis, à petites feuilles de nénuphar,
semer sur l’eau ses légers pétales, semblables à du givre fondant au
soleil. On l’appelle aussi
grenouillette, de la légende qui veut que
les grenouilles y laissent leur morsure : l’encoche du limbe
orbiculaire. Et, peut-être, la race batracienne, amie de l’été, y
trouve-t-elle l’illusion de ces granités glacés que l’on sert aux
Espagnoles dont les robes arborent les beaux
iris aux volants jaunes.
LANDES
Dans les landes du Pont-Long, on trouve la
parnassie, sorte de
renoncule, non point dorée comme la coupe du
populage qui l’avoisine,
mais d’un cristal de Bohême, minutieusement gravé. Sa tige fine et
longue ne porte qu’une seule feuille vers le milieu, ce qui est fort
original et fait songer au mariage. Quant au
rossolis (rosée du
soleil,
droséra) c’est un petit piège aux insectes. Sur sa rosette
pourpre, ciliée, pleine de rosée, le moucheron séduit se pose, est
retenu, puis digéré tout aussi bien que par une araignée : R. R.
Salles, Sault-de-Navailles sans doute et, me dit-on, encore à Beyris et
à la Négresse. Je veux signaler, dans l’ancien lit de l’Adour, dont un
oeil exercé distingue encore les berges, un arbuste coriace, ingrat
d’apparence, sorte de petit chêne-liège dont la feuille froissée entre
les doigts exhale les parfums de l’Arabie Heureuse. C’est le
myricagalle ou
piment-royal qui, au dire des vieux botanistes, il
les en faut croire, a la vertu de purifier les régions paludéennes
qu’il recouvre. C’est le remède à côté du mal, la confirmation de la
belle théorie qui fait écrire à Bernardin de Saint-Pierre que le riz
pousse à la Chine parce que ses habitants sont relâchés. Dans ces
régions incultes l’
ajonc épineux, qui n’est bon qu’à la litière et,
par ses jeunes pousses, au pacage des brebis, forme parfois des fourrés
impénétrables (côtes de Hasparren). Personnellement j’ai horreur de ces
aiguillons, de ces tiges d’acier barbelées, que m’oppose cette plante
par moi nommée le
désespoir du chasseur. On trouve parfois, à sa
base, la fleur rose du
pédiculaire sylvestre. Il en est une plus
fraîche espèce dans les prés spongieux :
pedicularis palustris. Dans
la lande sablonneuse je nomme trois espèces de
bruyères :
α - Erica vagans ou bruyère vagabonde. Ce charmant nom, le
doit-elle à son teint de jeune fille échappée ?
β - Erica ciliaris : à cause de ses longs cils noirs sur un teint également rose ?
γ - Erica cinerea : parce qu’on la dirait recouverte d’une cendre légère ?
Dans la lande tourbeuse, je note les
Erica tetralix, ou
bruyère à
quatre faces. Vulg. :
bruyère des politiciens.
RÉGIONS MONTUEUSES
Trois de leurs plantes revêtent les bleus les plus intenses : l’
iris,
la
gentiane acaule, l’
aconit napel que l’on appelle aussi, je
crois, le
casque de Vénus, mais, aussi bien, à mon avis, pourrait-on
le nommer
le char d’Amphitrite. Il fallait, pour que leurs fleurs
s’assimilassent ce reflet d’acier, la proximité des lacs profonds et
solitaires qui n’ont plus, au-dessus d’eux, que l’azur figé de la
glace, et l’éther. Un mot de l’
edelweiss, ou
immortelle des neiges,
qui m’agace un peu, à cause du tourisme. Soyons franc : il ne saurait
évoquer le moindre flocon, mais un pied d’oiseau en pantoufle de
molleton blanc. Il faut, néanmoins, reconnaître qu’il procure à
l’herborisant qui le recherche des excursions parmi de belles espèces
forestières : les
hêtres, dont les dômes en novembre ne sont qu’un
coucher de soleil qui a pris racine ; les
sapins et les
mélèzes
qui, à force de s’être baignés dans un ciel immaculé, ne se distinguent
plus de lui que par leur ombre et leur parfum. Quant au
myrtil, il en
faut dédier le fruit aux jeunes filles qui, trop jeunes pour avoir
souffert de la vie, peuvent sans sourciller mordre à ses pulpes
aigrelettes.
SABLES MARINS
Ils offrent une végétation coriace : l’
yeuse ou
chêne-vert, d’un
beau port cependant. J’avais, dans ma jeunesse, espéré de l’avoir sur
ma tombe. Une tempête m’a dissuadé. Mais il chante encore dans ma
mémoire, grâce à l’emploi délicieux qu’en a fait le prince des rimeurs
: notre vieux Théodore de Banville. Le
chêne-liège n’est qu’un
écorché vif et, d’autant plus, qu’il se convulse sous les tourmentes de
la mer. L’
arbousier, aux fruits rugueux, âpres, et d’un rouge
décoloré, me rappelle le petit jardin d’Orthez où tant d’amitiés ont
fleuri. Tout ce qui ne respire pas le vent du large et de la montagne
m’empoisonna la vie autant qu’eût fait la
pomme-épineuse ou
datura
qui croît aussi sur les plages amères. C’est au
chardon-bleu des
grèves que je donne le prix car, plus encore que le sapin ou le
mélèze, ou la campanule, il se fond avec le ciel.
MURAILLES
Ce n’est pas de ce massif qui borde au sud notre pays qu’il s’agit,
dont on dit que les ondoiements, les soulèvements, les marées, les
chevauchements, les chutes, les fiertés, les houles, les pénétrations
sont soumis aux mêmes lois de la gravitation qu’une Thétys plus lente.
Ce n’est plus sur vous que j’irai, ô divins remparts, montagnes
bien-aimées où j’ai monté tout jeune, où je découvrais des espèces
enivrantes que je n’ai point toutes retenues. A l’heure de sa
vieillesse, Francis Jammes ne vous saluera plus que de loin. Entre deux
de ses enfants il fera le tour de sa maison. La flore d’une petite
muraille lui tiendra lieu de hauts sommets. L’
asplénium adiantum
nigrum, pareille à une plume d’oiseau dont le bec est trempé dans la
meilleure encre, lui redira son métier ; la
cymbalaire gazonnante,
qui panse les blessures de la pierre, le rappellera à la charité ; la
langue-de-cerf le fera songer à la fable de La Fontaine, et la
doradille enluminera son missel.
1926.