DEBRIE, Gabriel (18..-19..) : Mémoire sur l'Art Fleuriste : son origine, son développement, son utilité, son importance commerciale....- Paris : Imprimerie Pairault, 1900.- 14 p. ; 20 cm.

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MÉMOIRE
SUR
L'Art Fleuriste
SON ORIGINE. - SON DÉVELOPPEMENT
SON UTILITÉ. - SON IMPORTANCE COMMERCIALE

PAR GABRIEL DEBRIE (LACHAUME)

LU AU CONGRÈS HORTICOLE
Le 25 mai 1900

PARIS
IMPRIMERIE PAIRAULT & Cie
3, PASSAGE NOLLET, 3
1900


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Origine et Développement
de l'Art Fleuriste

AUSSI loin que l'on remonte dans l'histoire du monde on constate que les fleurs ont toujours été aimées et que toujours elles ont tenu une large place dans le goût et les habitudes des peuples. Les Égyptiens, les Grecs, les Romains, les Gaulois, notamment, en firent un grand usage. Mais il est, sinon incontestable, du moins fort probable que l'emploi des fleurs ne revêtit jamais, chez les Anciens et les Modernes, le caractère artistique qu'il présente de nos jours.
 
En effet, ce n'est guère que dans le cours des XVIe et XVIIe siècles que « l'Art fleuriste » commence à se manifester visiblement.
 
A cette époque, on remarque que les fleurs sont déjà disposées avec une certaine recherche sur les tables officielles ou privées ; à la cour de Louis XIV, les femmes parent de fleurs leur corsage ; plus tard elles les associent à l'arrangement de leur coiffure et à l'ornement de leur jupe.

Le règne de Louis XV continue l'œuvre commencée, mais plus largement. La fleur est mise en évidence d'une façon plus coquette et plus artistique ; la toilette féminine n'est pas complétement terminée si elle ne comporte pas ses atours fleuris.
 
Les décorations en plantes commencent mais sont de peu d'importance ; d'ailleurs, l'architecture ne permet pas aux plantes de venir cacher ses sculptures gracieuses. L'Art n'est donc appliqué en partie qu'aux tables et à la toilette, mais déjà avec un goût qui fait présager son avenir.

Alors les fleuristes n'étaient pas en grand nombre et, à l'encontre d'aujourd'hui, le consommateur était l'artiste. Bien des changements se sont opérés depuis ; l'Art s'est développé ; petit à petit, l'Art a grandi et l'artiste s'est révélé dans le fleuriste.
 
Néanmoins, on peut dire que le XVIIIe siècle a vu naître et progresser l'Art qui devait devenir le plus précieux auxiliaire de l'Horticulture.
 
A la fin de ce siècle, un arrêt subit, causé par les événements politiques, l'empêcha bien de suivre sa marche progressive, mais il la reprit bientôt d'une façon ascensionnelle.
 
En réalité, ce n'est vraiment que pendant le XIXe siècle que l'Art fleuriste s'est affirmé avec l'autorité et l'éclat qui l'ont définitivement classé parmi les Arts décoratifs tant recherchés des gens de goût.
 
Dès 1830, des fleuristes en boutique s'imposent à l'attention du public. On vient admirer dans leurs vitrines des compositions florales, qui deviennent de jour en jour plus attrayantes et plus remarquables.
 
Les fleurs ne sont plus vendues exclusivement pour elles-mêmes, elles commencent à l'être pour le talent que le fleuriste apporte à les grouper.

Aussi deviennent-elles de plus en plus à la mode, et chaque année voit le nombre des fleuristes s'accroître en même temps que leur art se précise davantage.
 
En 1879, à la suite d'heureuses innovations qui obtinrent d'éclatants succès, l'Art fleuriste se modifie complétement. Plus de montures artificielles : désormais, c'est l'habileté professionnelle, le tour de main ; en un mot, c'est le talent même du fleuriste qui doit y suppléer.
 
La profession n'est plus seulement manuelle : elle devient artistique. Dès lors il faut au fleuriste autant d'inspiration que de goût, autant d'imagination dans la conception que de savoir-faire dans l'exécution.
 
Aussi les compositions florales prennent-elles les formes les plus originales et les plus diverses, tout en se prêtant à une multiplicité de destinations auxquelles on n'avait pas songé à les utiliser jusqu'alors.
 
C'est ainsi que, de tâtonnements en tâtonnements, de transformations en transformations, de raffinements en raffinements, l'Art fleuriste s'est créé, s'est développé et est définitivement devenu un art véritable, reconnu, proclamé et consacré comme tel par tous ceux qui ont la connaissance parfaite et l'amour absolu du Beau.

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* *

A une date encore peu éloignée, c'est-à-dire il y a quinze ans à peine, une fleur, sinon nouvelle, du moins presque inconnue de beaucoup de monde, très belle, mais ne semblant pas réunir toutes les facilités d'emploi désirables, étant donné l'habitude prise de se servir d'autres fleurs et aussi d'autres moyens d'exécution, fit son apparition dans le commerce.
 
L'emploi difficile de cette fleur, son originalité, son prix élevé semblaient autant d'obstacles insurmontables à son utilisation.

Cependant l'Art fleuriste l'épiait. De la bizarrerie et de l'étrangeté de ses formes il ne tarda pas à tirer, en s'en emparant, des effets merveilleux qui en firent rapidement la reine des décorations florales : cette fleur, c'est l'Orchidée.

Fixées par des mains habiles sur des montures légères, spécialement fabriquées pour elles, les Orchidées eurent vite séduit le grand public et conquis ainsi une vogue et un succès qui va s'accroissant chaque jour.

Il n'est pas un salon où ne se rencontre cette fleur aussi merveilleuse qu'étrange ; il n'est pas de composition florale artistique où elle ne triomphe.
 
Les Roses n'ont point pour cela perdu leur prestige. Sans elles l'Art fleuriste serait privé de son principal élément, car il est bon de dire qu'elles constituent au moins la moitié de la consommation des fleurs coupées.
 
Le Lilas rend également de réels services à l'Art fleuriste. Il est l'accompagnateur presque indispensable des autres fleurs ; par sa couleur, il fait ressortir l'ensemble dans lequel il brille ; sa consommation est immense.
 
L'Œillet non plus ne doit pas être oublié. Il participe avec avantage, par l'éclat de ses couleurs si diversement variées, aux mélanges artistiques floraux.
 
L'Art n'a pas été moins généreux pour les plantes que pour les fleurs coupées. Les plantes vertes, les plantes à feuillage de couleur et les plantes fleuries se sont vues également prises sous sa protection. Grâce à lui, elles ont leur place marquée dans les Salons les plus luxueux et dans toutes les cérémonies.
 
Disposées sur des consoles, sur des cheminées, dans les encoignures, elles ornent délicieusement les appartements et sont le décor obligé de toute fête, car on peut dire que, sans plantes, une fête parait froide et sans solennité.
 
Mais là ne se borne point leur rôle. Comme les fleurs coupées, elles ont donné lieu à des innovations sans nombre, et répondent maintenant à une foule de destinations. L'Art fleuriste a su ainsi donner une extension naturelle à la culture des plantes en les utilisant et en tirant d'elles des effets heureux, gracieux ou artistique, soit qu'il les présente sous forme de paniers, de corbeilles, de jardinières, de vases, etc.
 
Les plantes fleuries, depuis la modeste Jacinthe jusqu'à l'Azaléa, et les plantes à feuillage, depuis le Dracœna jusqu'au Croton, se donnent rendez-vous dans ces compositions luxueuses, rivalisant de beauté et de fraîcheur pour faire un ensemble parfait. Ces compositions, rencontrant parfois quelques difficultés d'exécution, il faut pour les vaincre une main exercée, et souvent à celle-ci l'aide même d'une main plus expérimentée encore, plus délicate, celle qui choisit et place à l'endroit voulu le ruban qui doit faire ressortir l'ensemble, celle qui termine l'œuvre, celle qui d'un rien sait la parfaire.
 
On a deviné la main de la femme ; c'est elle qui, inspirée de l'Art fleuriste, met en relief l'harmonie des couleurs et l'harmonie d'ensemble.
 
Un salon sans fleurs est toujours monotone, malgré les richesses qu'il peut contenir, si un panier de plantes fleuries placé sur une table d'apparat ou une console n'en rompt pas la monotonie et ne s'harmonise pas avec l'ensemble.


Son Utilité

EN grandissant, l'Art a propagé le goût des fleurs ; c'est à lui seul que nous le devons.

En même temps qu'il en propageait le goût il en déterminait l'usage, il en indiquait la destination, en un mot, il en lançait la mode ; or, comme la mode constitue une obligation mondaine, les personnes mêmes qui n'ont pas pour les fleurs l'attachement qu'elles méritent n'en sont pas moins obligées de suivre l'exemple donné, de sacrifier aux exigences de la vie sociale.
 
Si une dame est reçue dans un salon où les fleurs abondent, que fera cette dame le jour de sa réception ? Elle usera forcément de réciprocité. Il en sera de même si elle reçoit des fleurs en cadeau.
 
Il n'est pas de fête, il n'est pas de solennité, il n'est pas de réception, soit officielles soit privées, où l'Art fleuriste ne se manifeste sous une forme quelconque ; aucune maison ne paraît avoir bien fait les choses si elle n'y a recours.
 
Aucun bal n'est attrayant s'il n'a ses fleurs de cotillon, ses bouquets de corsage, ses boutonnières, et même quelquefois ses tables de souper garnies de fleurs.
 
Dans un concert privé le bouquet à l'artiste est obligatoire. La fête de famille a ses fleurs. Les cérémonies de fiançailles en sont abondamment pourvues.
 
Les cérémonies mortuaires en consomment une large part.

D'où proviennent ces fleurs ?

De l'Horticulture.

L'Horticulture les produit, l'Art fleuriste les répand.
 
Et c'est ainsi que l'Art est l'auxiliaire le plus précieux de l'Horticulture, le facteur indispensable à la vulgarisation et à l'écoulement de ses produits, en résumé la force génératrice de sa prospérité.

L'Art fleuriste tient à l'Horticulture par d'autres côtés ; il en est même partie intégrante. Si l'on veut bien considérer qu'il est d'abord le trait d'union essentiel entre le producteur et l'acheteur ; que pour être bon fleuriste il faut être initié aux mystères de la culture, posséder la plus grande somme possible de notions horticoles à seule fin de pouvoir répondre en connaissance de cause aux renseignements demandés sur la façon de cultiver et de conserver les plantes achetées, sur leurs noms, les qualités et variétés qui les distinguent.
 
D'ailleurs le fleuriste est toujours considéré par le public comme un horticulteur et il l'est effectivement, car bien rares sont les fleuristes qui n'ont point débuté dans la culture des plantes et nombreux sont au contraire ceux qui continuent de les cultiver.
 
L'Art fleuriste se rattache donc indissolublement à l'Horticulture comme le fleuriste appartient lui-même à la grande famille horticole.
 
C'est d'après la consommation du fleuriste que l'Horticulteur se règle pour diriger ses cultures, en changer la nature ou les étendre, c'est par les exigences que l'Art impose au fleuriste, que l'Horticulture, stimulée et encouragée; progresse et se perfectionne incessamment dans la culture et le forçage des plantes et des fleurs.


Son Importance Commerciale

LES fleurs coupées le plus couramment employées : Orchidées, Roses, Lilas, Œillets, Violettes, Muguet, Chrysanthèmes, etc., entrent naturellement pour la plus grosse part dans la consommation.
 
La production de nos régions parisiennes, quoique énorme, ne suffit pas à approvisionner notre grande ville, puisque les régions méridionales expédient sur Paris, à certaines époques, des trains entiers de produits horticoles.
 
Les plantes fleuries de toutes sortes, telles que Azaléas, Rhododendrons, Lilas, Liliums, Cyclamens, Muguet, Rosiers, Clématites, Camélias, etc., y compris toutes plantes de serre à feuillages ornementaux, provenant de toutes les parties de la France et de l'Étranger, fournissent un contingent extraordinaire.

Les plantes fines à feuillages verts et colorés, employées si avantageusement dans les compositions artistiques, grossissent sensiblement ce contingent.
 
Les plantes ornementales de pleine terre ou de pépinières trouvent aussi leur place dans la consommation fleuriste : le Laurier du Caucase, le Troène, le Ruscus, le Mahonia et le légendaire Épicéa, comme verdure ; les Spirea, les Seringa, Vegelia, Deutzia, Prunus, Pommiers, Merisiers, Genêts, etc., comme plantes fleuries, complètent la collection nombreuse de ces végétaux de plein air dont l'Art fleuriste sait si bien tirer parti.
 
Si l'on réfléchit aux quantités considérables de fleurs coupées et de plantes que consomme ainsi l'Art fleuriste, on devine aisément que l'importance de cette consommation se chiffre par un total fantastique.
 
Pour en donner une simple idée, il suffit de produire la statistique suivante.
 
Il existe à Paris environ 480 fleuristes établis en boutique. On peut évaluer ainsi, en se basant sur leur importance commerciale, la somme possible des achats qu'ils peuvent faire :

10 des plus importants peuvent acheter, par an, chacun en moyenne pour 100,000 francs de fleurs coupées et plantes, soit…...... 1,000,000
100 peuvent acheter chacun pour 40,000 fr. Soit............................................................................................................................. 4,000,000
100 ........................................... 20,000 fr. ................................................................................................................................... 2,000,000
100 ........................................... 15,000 fr. ................................................................................................................................... 1,500,000
100 ............................................10,000 fr. ................................................................................................................................... 1,000,000
60   ............................................. 6,000 fr. ....................................................................................................................................   360,000
10   ............................................. 4,000 fr. .....................................................................................................................................    40,000
480 fleuristes................................................................................................ACHATS D'ENSEMBLE PAR AN...................................... 9,900,000

Soit, en chiffres ronds, dix millions de francs.

Ces chiffres sont plutôt au-dessous de la vérité.
 
Ils témoignent d'une façon absolue de l'utilité de l'Art que les fleuristes ont créé, de l'importance du commerce auquel il donne lieu, du rôle indispensable qu'il joue dans l'Horticulture et des services immenses qu'il lui rend en vulgarisant ses produits les plus délicats et les plus beaux, en les mettant en valeur avec tout le soin et tout le luxe qu'ils exigent, en les faisant aimer ; en un mot, en entretenant et en développant dans le public le goût et l'usage des fleurs.
 
Au même titre que la science des horticulteurs, l'Art fleuriste est la gloire de l'Horticulture.



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