ROUX, Louis (18..-18..) :  L’Étudiant en vacances (1841).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (26.VI.2014)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
L’Étudiant en vacances
par
Louis Roux

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IL arrive une époque dans la vie de l’étudiant où les bancs de la Faculté, de la Sorbonne, du collége de France, commencent à lui paraître extrêmement durs ; où les cours des professeurs, quels qu’ils soient, n’ont plus aucun sens pour lui ; où le café lui-même et les autres passe-temps du pays d’outre-Seine ont perdu à ses yeux toute espèce d’attraits : c’est d’ordinaire lorsque l’étudiant a assez de science et n’a plus assez d’argent, c’est-à-dire un ou deux mois avant la fin de l’année scolaire. Toujours en avance de quelques mois sur son budget, l’épuisement de ses ressources supplémentaires lui donne le signal de la retraite ; en général, les vacances s’ouvrent pour l’étudiant quand le crédit se ferme.

A la manière dont il fait sa malle pour entrer en diligence, on peut juger des dispositions qu’il apporte en province : il met en relief, sur le premier plan, tous les bons livres qu’il compte repasser dans les moments de loisir créés par les vacances ; au fond, tous les mauvais habits qui doivent déposer de son penchant à l’économie pendant son séjour à Paris ; il a soin de ne rien introduire de suspect dans l’intérieur de sa valise, ni romans nouveaux, ni pantoufles, ni éventails, ni fichus, ni bonnets de dentelles ; il n’y a rien dans sa malle que des vêtements d’homme, encore cet homme est-il un étudiant usant tout à fond : un cœur neuf et des habits mûrs, voilà ce qu’il rapporte en province, avec sa feuille d’inscription à moitié remplie.

Les vacances sont nécessaires à l’étudiant comme le code civil, comme la liberté illimitée de Paris. Les vacances ne sont cependant pas la liberté ; n’importe ! il les accepte comme une halte au milieu de la course échevelée qu’il accomplit à travers les ambages et les difficultés du droit romain, comme une diversion utile à des études anatomiques trop prolongées. L’étudiant sait s’astreindre à tout ce que la Providence ou sa famille exige de lui ; il n’est pas prouvé qu’il désire les vacances, mais il a soin de s’y conformer.

Une fois ce principe admis et passé même en application, le cœur de l’étudiant s’ouvre comme un autre aux douces émotions, aux joies de la campagne et de la famille ; le voilà prêt à tirer un voile sur la vie de Paris et à vivre de celle de province, sauf à n’exister qu’à demi ; faisant de nouveau connaissance avec ceux de ses proches qu’il a mis en oubli, et qu’il retrouve à son arrivée, disposés à ne lui épargner ni les embrassades, ni les compliments, ni les invitations, ni les demandes, ni les réponses, qui signalent son introduction à la vie de province.

L’arrivée de l’étudiant donne généralement le signal de tous les banquets, de toutes les parties de chasse, de pêche ou de boston qui doivent embellir son séjour et composer cette somme de jouissances modestes qu’on nomme les vacances. Toujours sûr d’être heureux, il ne lui manque guère que de connaître son bonheur, et de laisser ignorer celui dont il a joui ailleurs. Ce n’est pas qu’on ne fût bien aise d’en être informé, car, Dieu merci, la curiosité est une faiblesse chez les provinciaux comme chez les Parisiens ; mais il est des choses qui ne veulent être confiées qu’à ceux qui les connaissent. Un étudiant qui arrive en vacances a soin de ne satisfaire qu’imparfaitement la curiosité pour ne pas l’effrayer ; il se tait en général sur ses bonnes fortunes, sauf à s’en laisser attribuer qu’il n’a jamais eues : c’est un genre de fatuité qui lui réussit sans le compromettre ouvertement. S’il vante quelque chose, c’est la vie calme et aisée, le bonheur tranquille dont il est appelé à jouir pendant un trimestre. Il se hâte d’être heureux à la façon des provinciaux pour ne pas être soupçonné de regretter Paris ; dût-il succomber à l’excès de son bonheur, il s’acquitte à merveille de celui que les vacances lui imposent.

Dès le second jour de son arrivée il a déjà fait une visite au maire, à l’adjoint, au curé de la commune : c’est le moyen de vivre bien avec tout le monde ; d’ailleurs, sa famille exige qu’il rende des visites, et il va lui-même au devant des vœux de sa famille en allant au devant des autorités de l’endroit.

Les uns le trouvent charmant parce qu’il rapporte quelque chose des manières de Paris, les autres, parce qu’il a conservé une teinte de celles de la province ; tous se le disputent avec un formidable empressement. Un homme a beau arriver de Paris, il ne peut être en même temps à tout le monde, surtout s’il aime la solitude.

Il faut considérer les vacances comme un état transitoire et mixte qui établit l’étudiant sur un pied de demi-bien-être, de demi-confiance, de demi-liberté.

Il s’assied au banquet de famille, et il y dîne mieux qu’à Paris ; en revanche il n’éprouve aucune de ces agréables privations qui se compensent par des distractions artistiques en harmonie avec ses goûts et ses habitudes. Un dîner à plusieurs services, sans café ni eau-de-vie, sans cigare surtout, c’est celui de la famille ; en famille le cigare est prohibé. En partant de Paris l’étudiant y doit laisser ses affections, sauf à s’en créer de plus légitimes en province.

Ce cas prévu de longue main ne laisse pas de se présenter comme par hasard ; les nouvelles passions ont toujours quelque chose qui surprend ; toutefois, le bonheur improvisé qui l’attend en province demande quelques préparations.

Il est entré tout d’abord dans un système de capitulations de conscience qui l’ont amené à se séparer de tous ses défauts. De quelque part qu’il arrive, il se présente naturellement comme un homme primitif qui vient de revêtir la robe prétexte ; et de fait, peut-être est-il innocent à son insu. Ce n’est pas qu’en général on ne se défie beaucoup en province d’un Parisien, d’un étudiant surtout ; mais peut-être on s’en défie trop. Les provinciaux ont une imagination qui va toujours au delà de la réalité : on s’était attendu à trouver dans l’étudiant en vacances un perfide débauché, on finit par l’accepter comme quelqu’un d’assez accompli, et qui, à l’exagération près, a tous les goûts d’un homme positif ou d’un provincial. Après une sorte d’initiation qui consiste à s’étudier de part et d’autre sans parvenir à se connaître, on s’accepte comme on s’est toujours connu, et l’étudiant en vacances reste le fils de son père et le prétendu de sa cousine. A cette époque on en permet la vue aux demoiselles à marier, et il ne manque jamais de se la permettre à son tour et d’en profiter.

Alors seulement commence sans arrière-pensée cet échange de plaisirs, ces rapports sociaux qu’on peut appeler la vie de vacances. En province comme ailleurs il n’y a que le premier pas qui coûte, et il coûte même beaucoup moins qu’à Paris, parce que là, d’ordinaire, ce premier pas n’est jamais que le second.

L’étudiant, soupçonné d’un peu de sauvagerie, s’est peu à peu acclimaté à la province ; il a fait par système, par nécessité, le sacrifice d’une partie de ses goûts, de ses affections les plus chères, dont la principale se résume par un amour exagéré de l’indépendance ; on le trouve maintenant galant et empressé auprès des dames et même des demoiselles : ce sacrifice produit beaucoup et ne lui a presque rien coûté. Il assiste religieusement à toutes les cérémonies de famille, où il ne se fait pas remarquer par une originalité trop prononcée ; en revanche il est fort aimable, ce qui est toléré même en province.

Presque toujours l’étudiant arrive en vacances avec le projet de travailler beaucoup, et cette résolution s’explique par le peu de temps qu’il a consacré au travail pendant le temps des cours ; mais ses beaux projets finissent par se résumer par quelques bonnes parties de campagne, s’il habite une petite ville, ou de ville s’il habite la campagne. Ceux qui s’ennuient viennent le chercher ; ceux, au contraire, qui ont formé le projet de s’amuser ne sauraient le faire sans lui. Avouer aux uns et aux autres qu’on a beaucoup à étudier, ce serait se compromettre, et s’il est un temps où il ne soit pas permis à l’étudiant de l’être, ou de passer pour tel, c’est surtout celui des vacances ; d’ailleurs, il a assez pratiqué la province pour se convaincre qu’il ne faut pas avoir beaucoup étudié pour être savant ; il finit par se persuader qu’il ne faut rien faire à contre-temps, et que les vacances ont été créées pour se reposer, surtout si l’on a eu longtemps le malheur de ne rien faire, ce qui suppose toujours une double fatigue au bout de l’année.

L’étudiant plaît aux chasseurs de l’endroit parce qu’il est bon tireur et coureur intrépide ; il plaît aux politiques parce qu’il parle de tout avec sang-froid, éloquence et impartialité, parce qu’il affirme avoir touché la main à M. O. Barrot ; aux lettrés, pour avoir fréquenté le café Procope et causé avec M. de Sainte-Beuve ; aux douairières, pour avoir été salué, sur le chemin du bois de Boulogne, par S. A. R. mademoiselle Adélaïde ; il plaît à une jeune personne par une de ces lois bizarres de sa destinée que rien n’explique ; et, en vérité, qu’a-t-il de mieux à faire que d’être agréé par tout le monde ?

Il est des préventions dont on est revenu à son égard ; il en est d’autres dont il revient à l’égard de beaucoup de monde ; il finit par se convaincre de cette vérité, qui est comme la synthèse de ses études : « Il y a des honnêtes gens partout, même en province. » Au bout d’un mois, le succès de l’étudiant en vacances n’est pas encore épuisé ; alors, au contraire, commencent à se former entre lui et ses principaux hôtes ces amitiés solides qui impriment le dernier sceau à une destinée ; il est décidé que l’étudiant viendra s’établir dans le pays et qu’on lui en rendra le séjour agréable, et ses hôtes ont déjà commencé.

Les jours s’écoulent sans se ressembler entre plusieurs parties de chasse et autant de repas splendides ; il se trouve que l’étudiant ne s’est jamais tant réjoui que depuis qu’il mène une vie d’anachorète. L’art avec lequel les provinciaux s’approprient cette chose après laquelle tout le monde court, le plaisir, qu’on croit à Paris lorsqu’il est en province, et vice versa, est un des sujets de l’admiration secrète de l’étudiant. Ce vin de Champagne, que Paris vend si cher et qu’il falsifie tant, en province on le boit comme de l’eau ; à la seconde ou troisième bouteille il jure de ne jamais s’établir ailleurs.

Soit qu’il s’encroûte en province et qu’il tourne au juge de paix, soit qu’il fasse une étude comparée de l’homme dans les deux états de provincial et de Parisien, il est de fait qu’il se guérit d’une foule de préjugés dont notre orgueil national grève la province. L’étudiant en vacances récapitule avec maturité et sang-froid les avantages de la vie de petite ville, ou ce qui revient au même les désagréments de la vie de Paris ; il se rappelle la dureté des créanciers, la légèreté des femmes, la mauvaise foi des restaurateurs, et les exigences des maîtres d’hôtels garnis ; il finit par conclure ainsi : « J’habiterai la province où, pour n’être pas inquiété sur le prix de mon logement, j’aurai une maison à moi. » Il s’était posé les vacances comme un mois ou deux à passer ; il va maintenant jusqu’à trouver que les vacances sont bien courtes pour les passer en province ; il est vrai qu’il a savouré en peu de temps les loisirs de la vie champêtre : chasser, boire, manger, être amoureux, c’est pour cela qu’il désire faire de sa vie des vacances perpétuelles. Il se hâte de quitter son Eldorado avec l’intention secrète de ne le jamais perdre de vue.

L’étudiant qui va en vacances est par cela même à moitié sauvé ; il ne tarde guère à devenir l’élu de la province et à s’y installer en qualité de médecin, d’avocat, ou de substitut du procureur du roi, en attendant que le moment soit venu d’être quelqu’un ou quelque chose ; car la province est une pierre d’attente jetée dans la vie de l’étudiant. Vulgairement un bon mariage est le couronnement de l’œuvre. Quant à celui pour qui les vacances n’ont pas été faites, il ne manque jamais de faire fortune ou de se noyer dans cet océan sans limites qu’on nomme Paris.

L. ROUX.


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