CURMER,  Louis (1799-1850) : Conclusion aux Français peints par eux-mêmes (1842).

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Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 8 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
CONCLUSION
aux Français peints par eux-mêmes
par
Louis Curmer

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La publication des FRANÇAIS est terminée. Après trois années d’un travail opiniâtre, l'éditeur se trouve heureux de pouvoir adresser ses remercîments au public bienveillant, qui, pendant cette longue et pénible tâche, l’a si obligeamment soutenu, encouragé, aidé de toute manière ; aux littérateurs qui ont contribué à cette oeuvre avec un empressement et une supériorité de talent que la France seule peut produire : aux artistes, dessinateurs et graveurs qui ont enrichi le texte de leurs charmantes et consciencieuses productions.

Si la publication des FRANÇAIS s'est timidement annoncée en quarante-huit livraisons devant faire un volume, il faut s'en prendre à la variation des événements, aux chances des opérations de cette nature, à notre temps enfin où l'on bâtit trop souvent sur le sable, et où l'on n'ose songer à édifier quoi que ce soit de durable dans l’incertitude du lendemain. Le public a approuvé l'idée, a favorisé l'exécution ; l'éditeur a élargi son cadre, et au lieu de laisser quelques portraits fugaces se perdre dans l'immense tourbillon quotidien qui engloutit toutes choses, il a cherché à réunir les physionomies les plus saillantes de cette époque, pour en faire un portrait des moeurs contemporaines, amusant pour le présent instructif pour l'avenir.

Rien alors n'a été épargné pour répondre à la puissante sympathie dont la publication était l'objet ; toutes les classes de la société ont été explorées, les salons les plus élégants, les bouges les plus honteux, les plus nobles sentiments de la nationalité, les plus sales instincts du vice, les plus touchantes émotions du coeur, les plus affreux débordements de la débauche, tout a été sondé avec la patience et la résignation de l'opérateur, qui conduit d'une main sûre le scalpel à travers les tissus gangrenés de la plaie qui va être dénudée, mais que toute la science du praticien ne guérira pas.

Ouvrez donc ce livre, cherchez-y tout ce que le coeur humain peut éprouver de sensations, tout ce que l'intérêt personnel, le dévouement, l'égoïsme, l'amour, la haine. la pudeur, la dépravation, l'athéisme, la charité, l'ignorance, l'amour de l'étude, les bons et les mauvais instincts peuvent engendrer, vous l'y trouverez ; la société y est. reflétée tout entière, et si, dans ce miroir moral, quelques rayons blessent les vues délicates, il faut s'en prendre non pas à l’oeuvre, mais aux originaux eux-mêmes

Etait-ce une publication opportune à mettre au jour, que cette encyclopédie universelle, indiscrète à beaucoup d'égards, mais toujours exacte et prudente ? Personne n’en disconviendra ; l’époque actuelle est une époque de doute, d'analyse, de scepticisme, les intérêts les plus divers sont en présence, les éléments les plus antipathiques fermentent dans le vaste creuset de la civilisation ; il a donc été facile de saisir toutes les facettes du coeur humain, de reproduire toutes les nuances de ce prisme si éblouissant et si trompeur. On s'est mis à la besogne, et quels artisans ont commencé cette rude journée ? l'élite de la littérature, les observateurs les plus patients, les plus brillants écrivains, les plus profonds scrutateurs des travers humains ; car il est glorieux de le penser ; toutes les célébrités de ce temps se sont empressées de s'inscrire dans cette galerie physiologique.

Si nous voulions entrer dans les détails d'exécution, il nous serait facile de dire avec quelle patience de bénédictin M. de BALZAC cisèle ses portraits, combien de fois il remet sur le chantier son travail, et combien de fois aussi, quand on croit tout terminé, il reprend encore son oeuvre pour lui faire subir les épreuves du laminoir le plus strict, ne livrant ainsi sa pensée à la lumière du jour que lorsqu'il la trouve complète et irréprochable. La fécondité merveilleuse de M. J. JANIN étonnerait l'imagination ; nous dirions, par exemple, comment son secrétaire, entrant chez lui sans jour désigné, passe huit heures à écrire sous sa dictée sur un sujet donné sans une seule rature et à travers les conversations les plus entraînantes ; comment une phrase, interrompue par la visite de la danseuse qui va enivrer tout un monde de ses succès, est reprise sans hésitation, sans même le rappel du mot où l'interruption a eu lieu. Prodige de la pensée humaine, qui suit sa route sans écueils, sans obstacles, comme la souveraine pensée guide le monde à travers les siècles vers sa destinée future. La plume de TIMON dévoilerait ses plus secrets mystères, et l'esprit aurait peine à concevoir le prodigieux travail qu'exige cette facilité séduisante qui domine le lecteur malgré lui, et l'éblouit par la vivacité des saillies, la profondeur des aperçus, la netteté de la forme. M. BERTHAUD, le poëte des instincts populaires, ramènerait à lui les plus ardents partisans de l'aristocratie par la chaleur et la fécondité de sa parole; sou élaboration jaillit en effet comme les feux d'un volcan et pénètre avec la puissance du fluide électrique : on est heureux de retrouver dans le courageux lapidaire qui sait extraire de si brillantes pierreries des plus fétides bourbiers, toute l'élévation du génie, toute la délicatesse des plus exquis sentiments. Mais où nous arrêterions-nous s'il nous fallait redire toutes les émotions que nous avons éprouvées au contact de cette brillante et énergique littérature, surgie de tous les rangs, depuis l'élève de rhétorique jusqu'à l'académicien, depuis la modeste ouvrière jusqu'à la grande dame présentée à la cour ? Assurément, l'histoire de ce livre enfanterait le plus beau livre de cette époque, et elle ne serait pas la page la moins glorieuse dans les fastes de notre nationalité ! Comprend-on en effet qu'a point nommé un essaim de littérateurs d’un talent et d'une verve incontestables se soit rué dans tous les sens sur ce bon peuple de France, et l'ait analysé, disséqué avec toute la patience et toute la précision du plus rigide observateur ? Chaque classe de la société a trouvé son peintre, peintre bien souvent inconnu jusqu'alors, mais que ce point de départ a conduit avec bonheur aux rangs élevés de la littérature ; et c'est là un des plus glorieux résultats de notre publication ; la voie de la célébrité est si épineuse, que nous sommes heureux et fiers d'avoir aplani quelques-unes des aspérités qui hérissent ce rude sentier.

 Nous devons des remercîments particuliers à M. Ém DE LA BÉDOLIERRE, aussi habile à faire passer dans notre langue, qu'il manie avec une rare facilité, les beautés des langues étrangères dont il a fait une étude spéciale et approfondie, qu'à saisir les travers, les habitudes sociales de notre époque ; il nous a offert le trop rare exemple d'une de ces intelligences qui unissent à la puissance de l'imagination un savoir immense, un jugement sûr et une expérience laborieusement acquise.

Nous pourrions encore lever les portières de l'atelier, et écrire des pages bien curieuses sur la carrière de nos artistes les plus célèbres et les plus populaires. Qu'il nous suffise de dire que la bienveillance chez eux est compagne du talent, et que si la France est fière de l'artiste, le contact de l'homme privé est rempli de charme et d'aménité. Il existe des ateliers de peinture où l'on a peine à comprendre tout ce qui s'y dépense d'esprit, de verve, de franche et loyale gaieté ; ce sont autant de foyers où se conserve avec amour ce feu sacré du génie dont les rayons vivifient chaque jour les plus obscurs recoins de notre beau pays. GAVARNI, par exemple, modèle d'élégance et de distinction, spirituel entre tous, trace sans étude, et de mémoire, ses plus frappants portraits, privilége merveilleux du talent le plus délicat et le plus profond de ce temps-ci. CHARLET, non moins habile à tenir la plume qu'à préciser les contours d'un original imaginaire, trouve dans ses souvenirs l'exacte ressemblance du modèle reproduit par l'écrivain, avec une facilité et une verve que l'âge ne fait qu'allumer. Parlerons-nous de MM. TONY JOHANNOT, E. LAMI, BELLANGÉ, tous noms célèbres dans la peinture contemporaine, et qui sont inscrits au livre de vie ; de MM. PAUQUET, MEISSONNIER, DAUBIGNY, TRIMOLET, et tant d'autres jeunes peintres qui sont venus à nous avec confiance, sûrs d'un bon accueil et auxquels il ne manque que la sanction des années pour être placés au premier rang ? Tant de noms illustres déjà exigeraient une plume à la hauteur de leur talent, et nous sommes loin de nous croire capable de les célébrer dignement. Mais ce que nous ne pouvons passer sous silence, c'est le soin avec lequel chacun a étudié le caractère qu'il devait représenter. Tous les types de provinces sont des figures d'habitants de chaque contrée pris sur nature. Pour en donner un exemple, les deux Indiens représentent deux serviteurs de M. de Saint-Simon, ramenés par lui de Pondichéry. Les Créoles nègre et mulâtre ont été dessinés dans le pays par un jeune peintre gui a désiré rester inconnu. Les Bretons, les Normands, les Gascons, les Picards, et tant d'autres encore ont été l'objet de voyages spéciaux, d'études sur nature, car nous avons eu soin, pour les textes comme pour les dessins, de choisir autant que possible des indigènes de chaque province. L'homme de Concarneau est le portrait d'un fermier du peintre ; la vue du manoir est celle du lieu natal de l'auteur du Breton ; et ainsi de chaque dessin qui n'a jamais obtenu la moindre concession à la précipitation ou au hasard.

Nous ne pouvons clore cette rapide esquisse sans rendre un éclatant hommage aux soins persévérants de M. PAUQUET. Nous pouvons dire avec assurance que tous ses dessins sont des portraits ; il a inspecté les prisons, visité les plus sales repaires de la misëre et de la débauche, et aussi les plus élégants rendez-vous de la fashion, et chacun de ses dessins peut être consulté en toute confiance, c’est la nature, c’est la vérité !

Le mouvement intellectuel produit par la publication des FRANÇAIS a dépassé tout ce que l'on pourrait croire si la France n'était en quelque sorte le centre lumineux qui vivifie toutes les facultés intellectuelles dit monde pensant.

L’Angleterre, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont traduit les textes des FRANÇAIS. Les Belges peints par eux-mêmes, les Hollandais peints par eux-mêmes, les Russes peints par eux-mêmes, ont pris naissance au même berceau que les Enfants peints par eux-mêmes, les Animaux peints par eux-mêmes, et ces éphémères Physiologies aussitôt, mortes que nées, mais dont l'éclat passager a démontré combien était féconde la source ouverte par notre publication.

Dirons-nous enfin le chiffre énorme des manuscrits qui nous ont été envoyés, et nous croirait-on, si nous portions à trois mille le nombre des textes lus et examinés, et parmi lesquels ont été triés les quatre cents qui composent le livre, ce serait l'exacte vérité. Les neuf volumes comprennent la matière de cinquante volumes ordinaires : il est peu de sujets de moeurs qui n'y aient été traités ; les volumes de province contiennent à eux seuls une histoire morale de la France entière, et les tables des matières, faites avec tout le soin possible, facilitent, les recherches du lecteur. Nous croyons donc avoir rempli avec conscience toutes les conditions d'une publication aussi compliquée dans ses détails, aussi importante dans son ensemble

Une oeuvre de cette nature ne peut disparaître en un jour, nous avons foi dans sa durée. Sous l'apparence d'une légèreté qui n'est que dans la forme, les esprits sérieux ont trouvé de graves sujets de méditation, et nous pensons avoir justifié le titre d'Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle dans toute soit étendue et sa rigueur.

Qu'il nous soit permis de rendre un affectueux témoignage de reconnaissance à MM. nos correspondants qui nous ont honoré de leurs avis, de leurs encouragements et de leurs critiques. La bienveillante persévérance du plus grand nombre a été extrême, et nous ne saurions trop les en remercier. Puissions-nous, en finissant cette publication, avoir convaincu MM. les souscripteurs que suivre avec constance des oeuvres importantes, c'est favoriser le développement du mouvement intellectuel, encourager les artistes, et faciliter les progrès qu’un éditeur abandonné à ses propres forces ne pourrait jamais réaliser.

                                   L. CURMER

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