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hommes d’intelligence et de coeur qui, ne séparant pas les intérêts de
la religion des intérêts de la science, veulent s’opposer aux progrès
de l’erreur et travailler à la diffusion des saines doctrines ;
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de tout ce qui paraît en France et à l’étranger ; dans le passé, en
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LE DIX AOUT
Le 10 août 1792 un grand crime, un crime irrémissible fut accompli par
l’infernal génie des révolutions. La Royauté, qui avait créé notre
nationalité, qui avait élevé la France aux sommets de la puissance et
de la gloire, succomba en quelques heures sous une coalition de
sophistes et de rhéteurs, de faubouriens et de repris de justice. Cette
journée livra la clé de nos destinées aux plus vils des hommes ; elle
rendit possibles les crimes de Septembre et de Janvier ; elle fut la
préface sanglante de la Terreur ; elle inaugura dans notre histoire
l’ère des coups de force et des coups d’État ; elle consacra enfin la
prédominance des minorités violentes sur la masse paisible du peuple,
de Paris sur la France, des faubourgs sur Paris, de quelques scélérats
sur les faubourgs.
Nulle journée révolutionnaire n’a été plus défigurée par les
historiens. « Plusieurs alluvions de mensonges d’une étonnante
épaisseur ont passé dessus, » dit Michelet, qui n’a pas peu contribué à
grossir la couche de ces alluvions et à enfouir la vérité.
Comme tous les grands faits, comme toutes les grandes journées de la
Révolution, comme la prise de la Bastille, les 5 et 6 octobre, les
volontaires de 92, la fête de la Fédération, la fuite de Varennes, le
20 juin, etc., le 10 août a eu sa légende, à laquelle les historiens
ont fini par donner une sorte de consécration. Pour la plupart d’entre
ceux qui se sont faits les hérauts de la Révolution, et notamment pour
MM. Thiers, Michelet, Louis Blanc et Peyrat, le 10 août a été une
explosion héroïque de vengeance et de patriotisme populaires, exaltés
jusqu’au délire par la nouvelle de la déclaration de Brunswick et par
les trahisons de la Cour. Le peuple n’a point obéi à un mot d’ordre, il
s’est soulevé spontanément, « ne prenant conseil que de sa colère, de
son honneur et de son droit. » Il a été lui-même le coeur, la tête et le
bras de cette Révolution où s’engloutit un trône dix fois séculaire ;
il a pris d’assaut les Tuileries, et, massacré traîtreusement par les
Suisses, sous les voûtes du palais, il a payé, au prix de cinq mille
cadavres, une victoire nécessaire, sans laquelle la France eût été
livrée à ses ennemis.
Telle est la légende. Hier encore, des feuilles héritières des
traditions jacobines la reproduisaient à l’usage de leurs crédules et
par trop naïfs lecteurs. Après avoir célébré « ces grands souffles
révolutionnaires qui soulèvent et roulent les populations avec une
puissance irrésistible, » elles osaient glorifier le 10 août, « comme
la commémoration d’un grand fait patriotique et d’un acte de
consécration nationale. »
A ces déclamations impudentes et mensongères, nous venons opposer
l’histoire dans sa simplicité, et telle qu’elle ressort des plus
scrupuleuses et des plus récentes investigations. Voici la vérité sur
le 10 août.
I
PRÉPARATIFS DU 10 AOUT.
La déclaration de guerre du 20 avril 1792 et la formation des
volontaires nationaux qui en fut la suite, avaient mis aux mains des
meneurs cachés de la Révolution un puissant moyen d’agitation populaire.
Mais ces meneurs n’avaient pas tous le même but et ne gardèrent pas la
même attitude dans les événements que nous allons exposer.
Les girondins, qui étaient surtout avides de pouvoir, ne voulaient
qu’effrayer la Cour et amener le Roi à composition, afin de disposer à
leur gré des finances et des emplois. A la veille même du 10 août, ils
se seraient mis en travers du mouvement révolutionnaire, si Louis XVI
eût consenti à leur livrer le gouvernement dans la personne de trois
ministres de leur parti, Roland, Clavière et Servan. Sur le refus du
Roi d’adhérer à leurs propositions et à leur programme, on voit les
girondins attiser le feu de l’insurrection par les mains de Pétion, de
Barbaroux ou de Vergniaud, tout en s’efforçant, comme l’a avoué
Roederer, « de temporiser, de gagner du temps, d’espérer quelque chose
de la détresse et de la gratitude de la Cour, en la soutenant et en la
menaçant tout à la fois. »
Quant aux jacobins, ils allaient, à cette date, jusqu’au bout de la
logique révolutionnaire, et ne voulaient rien moins que la déchéance du
monarque et une complète subversion de l’ordre politique et social. Ils
représentaient les véritables hommes d’action et de combat d’un
mouvement dont les girondins n’étaient que les rhéteurs et les hommes
de parade. Les girondins ne devaient pas tarder à être dépassés et
submergés par le flot, toujours grossissant, du jacobinisme.
Ce dernier parti comprit tout d’abord quel puissant moyen d’action
pouvaient lui fournir ces enrôlements de volontaires, tourbe confuse où
s’agitaient, à côté de beaux élans de patriotisme, les sentiments les
plus vils et les passions les plus féroces. Par la savante organisation
et la hiérarchie de ses clubs, le jacobinisme constituait un État dans
l’État, et faisait pénétrer jusqu’au moindre village l’oeil et le bras
de la Révolution. Par le public des tribunes, composé de ses séides
soigneusement disciplinés, il dominait et dictait, la plupart du temps,
les résolutions de l’Assemblée. Le 8 juin, il arrache à celle-ci un
décret qui mobilisait sous Paris un camp de vingt mille hommes. Le Roi
y opposa son
veto,
et, en même temps, il ordonna la formation de quarante-deux bataillons
de volontaires à Soissons.
Mais beaucoup de municipalités, obéissant à la société-mère des
jacobins, ne tiennent nul compte de l’ordonnance royale, et n’en
dirigent pas moins leurs bataillons sur Paris. En vain, une circulaire
ministérielle enjoint aux officiers de paix, à la gendarmerie et à
toute force publique de dissiper tout rassemblement marchant sans
réquisition, les fédérés continuent à s’attrouper et à marcher vers la
capitale.
Prise de peur, l’Assemblée législative s’efforce de légaliser l’arrivée
des fédérés, tout en déclarant qu’ils ne peuvent résider à Paris «
au-delà de trois jours. » Ceux-ci, comblés d’éloges et de prévenances,
fêtés, hébergés, choyés, gorgés de vin et de gros sous, n’avaient nulle
envie de prendre le chemin du camp de Soissons, et, de leur côté, les
meneurs jacobins n’avaient garde de laisser échapper une force toute
prête pour leurs desseins.
Ils commencèrent par organiser un
Comité
central des Fédérés qui se mit en rapport avec les
comités occultes des sections, et devint bientôt le moteur et l’âme
toujours agissante de l’insurrection.
Mais les sections elles-mêmes étaient isolées et livrées à l’anarchie
de leurs résolutions. Les jacobins voulurent imprimer à ces forces
éparses et désordonnées l’unité d’action qui leur faisait défaut. Dans
ce but, ils obtinrent un arrêté municipal qui établit un
Bureau central de correspondance
entre les quarante-huit sections de Paris.
Ainsi se construisait peu à peu, sous l’impulsion d’une puissance
mystérieuse, l’édifice des pouvoirs révolutionnaires. La force de
ceux-ci s’augmentait à chaque instant de la faiblesse toujours
croissante des pouvoirs légaux établis par la constitution de 1791. Les
vices de cette constitution, chef-d’oeuvre de la
sagesse de 89,
s’accentuaient de jour en jour. Pendant que le Roi était livré aux
irrésolutions de sa nature et l’Assemblée législative aux
contradictions de votes émis, la plupart du temps, sous les
vociférations des tribunes, le jacobinisme marchait à son but d’un pas
assuré et avec une habileté vraiment infernale.
Telle était la situation au commencement de ce terrible mois de
juillet, qui fut si fécond en incidents douloureusement significatifs.
Le premier acte du Comité central des fédérés avait été de battre en
brèche le décret de l’Assemblée relatif au séjour des fédérés à Paris,
en publiant les instructions suivantes :
« Arrivés ou en route, les fédérés ne doivent point se laisser diviser
; ils doivent faire masse à Paris, et, malgré tous les ordres qui
pourraient leur être donnés, refuser de se rendre au camp de Soissons. »
Ces instructions furent trop bien suivies.
Grâce à la présence des fédérés, une excitation perpétuelle fut
perfidement entretenue à Paris. L’artificieux et cruel discours de
Vergniaud contre Louis XVI ; la suspension de Pétion par le département
confirmée par le Roi et l’annulation par l’Assemblée de la décision du
département et du Roi ; le décret déclarant la Patrie en danger ; le
canon d’alarme tiré aux Invalides ; le triomphe de Pétion et
l’humiliation de Louis XVI au Champ-de-Mars, à la fête de la Fédération
; la tentative insurrectionnelle du 26 juillet à l’auberge du
Soleil d’Or ;
l’adresse de Condorcet au Roi, furent autant de signes précurseurs
d’une révolution que de nouveaux événements allaient bientôt précipiter.
II
LES MARSEILLAIS.
Le 29 juillet, on annonce l’arrivée des Marseillais. C’était un
bataillon de cinq cents hommes organisé à Marseille par les soins du
maire de cette ville, Mouraille, ami intime de Barbaroux. Mais les
vrais volontaires marseillais se trouvaient aux frontières, et les
fédérés enrôlés par les clubs n’étaient, en réalité, qu’un ramassis de
malfaiteurs étrangers, les uns échappés aux bagnes et aux prisons, les
autres les mains rouges encore du sang de la Glacière.
Voici, sur cette bande cosmopolite, qui a joué un rôle prépondérant
dans la journée du 10 août, le témoignage d’un contemporain
(Laurent-Lautard) :
« Animé d’un beau zèle, et bien aise peut-être aussi, de soulager le
pavé, le maire réunit, dans l’espace de quelques jours, cinq cents
hommes sous le drapeau : Savoyards, Italiens, Espagnols chassés de leur
pays, spadassins, suppôts de mauvais lieux, tout fut trouvé bon. La
physionomie de cette troupe répondait de son esprit. Les véritables
Marseillais y étaient en petit nombre ; mais il y en avait, et j’en
pourrais citer, qui ne sortaient pas absolument de la classe prolétaire
; ceux-là furent accueillis, à leur retour, par la réprobation des
honnêtes gens. La tache resta sur leurs fronts en caractères
ineffaçables. - Les hommes du 10 août, commandés par un ancien
militaire, nommé Moisson, se mirent en route dans la soirée du 2
juillet, avec deux pièces de campagne, malgré la défense du ministère.
On les avait, au préalable, solennellement rangés autour de l’arbre de
la Liberté du Marché-aux-Fruits, pour y recevoir les adieux et les
exhortations du club. »
Un député des Bouches-du-Rhône, Blanc-Gilli, s’exprime sur le compte
des fédérés napolitains d’une manière plus significative. Il ne voit en
eux qu’une « horde de brigands sans patrie, » et « l’écume des prisons
de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l’Italie… »
Tels étaient les dignes auxiliaires que les girondins allaient mettre
aux mains du jacobinisme pour accomplir le crime de lèse-nation qui se
préparait.
Le lundi 30 juillet, la colonne marseillaise fait son entrée à
Charenton. Elle y est reçue par Barbaroux, Fournier l’Américain,
Rebecqui, Pierre Bayle, Bourdon (de l’Oise) et Héron. Le plan des
meneurs était de se porter immédiatement en force à l’Assemblée, pour
enlever la déchéance ou la suspension du Roi. Ce plan manqua, dit-on,
par la faute de Santerre, qui avait promis, pour l’exécuter, quarante
mille hommes de Saint-Antoine et de Saint-Marceau, et qui, au moment
décisif, ne parut point. En réalité, la population parisienne, même
celle des faubourgs, n’éprouvait qu’un médiocre enthousiasme pour cette
troupe de bandits dont les bonnets rouges, les vêtements déguenillés,
les regards farouches, la peau bronzée, les propos sinistres,
répandaient partout l’épouvante. Au lieu de l’armée des faubourgs qui
leur avait été annoncée, les Marseillais ne trouvèrent que deux cents
fédérés des départements et deux douzaines de Parisiens armés de piques
et de coutelas.
Dès le lendemain, un banquet civique les réunit aux Champs-Élysées,
sous la présidence de Santerre, et fut, pour eux, l’occasion
d’inaugurer, dans la capitale, la série de leurs exploits.
A la suite de ce banquet, ils assaillent à coups de sabre des
grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas, blessent une vingtaine
d’entre eux, et tuent l’agent de change Duhamel. Puis vient le défilé
de leurs orateurs à la barre de l’Assemblée. Renversant les rôles, ils
demandent justice du sang qu’ils ont versé et crient vengeance contre
leurs victimes. Ils finissent par prononcer le mot de la situation,
celui que soufflent les feuilles anarchiques et les clubs, et qui
fermente dans tous les cerveaux révolutionnaires : la déchéance. A
dater de cet instant, l’audace jacobine redouble, le flot de la
démagogie monte et rompt toutes ses digues. Le malencontreux manifeste
de Brunswick donne aux meneurs un moyen facile d’attiser
l’effervescence populaire. Le 2 août, Pétion apparaît à la barre de
l’Assemblée, suivi d’une nombreuse députation. Il lit, au nom des
sections de Paris, une adresse où la déchéance de Louis XVI est
présentée comme la seule mesure capable « d’affermir la liberté » et de
« conjurer les dangers extérieurs et intérieurs. » La section
Mauconseil va plus loin. Mettant de côté les vaines formalités de la
loi, elle ne se contente pas de pétitionner : elle publie un arrêté par
lequel elle déclare qu’elle « ne reconnaît plus Louis XVI pour Roi des
Français, » et qu’elle « abjure le serment de lui être fidèle. » Elle
sonne le premier coup de tocsin de l’insurrection, en assignant aux
soldats de l’émeute un rendez-vous sur le boulevard de la Madeleine
pour une démonstration armée.
Tant d’audace finit par révolter la majorité de l’Assemblée
législative, qui sort un moment de sa stupeur pour casser l’arrêté de
la section Mauconseil. Trois jours après (8 août) elle retrouve encore
un peu de courage pour rejeter à une majorité de 406 voix contre 204 le
décret d’accusation présenté par la gauche contre La Fayette. Ce fut
son dernier acte d’indépendance. A dater de ce jour, elle retomba dans
son abjection, et se borna à enregistrer les décisions de l’émeute.
En autorisant, par une odieuse complicité ou par une lâcheté plus
coupable encore, la permanence des sections, l’Assemblée avait remis la
clef de la situation aux mains des jacobins. Déjà la société était
livrée à une effroyable anarchie. Les pouvoirs sociaux et la force
publique étaient à peu près désorganisés. Tous les grades de la garde
nationale étaient donnés à l’élection, ce grand dissolvant de toute
discipline militaire. Enfin le Roi, auquel la Révolution avait enlevé
un à un tous les prestiges de sa couronne, tous les étais de son
pouvoir, jusqu’à sa garde constitutionnelle elle-même, se trouvait
exposé sans défense possible à toutes les tentatives de l’émeute, à
tous les coups des factions.
Toutefois, le Conseil général de la Commune renfermait encore bien des
éléments conservateurs, bien des membres de cette bourgeoisie
parisienne qui ne séparait pas, dans son dévouement, la Royauté des
institutions constitutionnelles. Parmi les bataillons de la garde
nationale, il s’en trouvait qui, comme ceux des Filles-Saint-Thomas et
de la Butte-des-Moulins, étaient animés d’un sincère esprit de
royalisme. A une heure donnée, ils pouvaient se porter en masse aux
Tuileries et opposer à l’émeute le rempart de leurs baïonnettes. Cela
ne faisait pas l’affaire des meneurs. Pétion se chargea d’obtenir de la
municipalité un arrêté aux termes duquel la garde journalière du
château devait être à l’avenir composée d’un nombre déterminé de
citoyens de tous les bataillons. C’était introduire l’anarchie dans les
rangs de la force armée, et paralyser son action pour le jour du
combat. Diverses mesures complémentaires ne tardèrent pas à achever
l’oeuvre désorganisatrice de la garde nationale. Mais le Conseil général
de la Commune restait debout. On va voir comment s’y prirent les
meneurs pour le renverser.
III
LA COMMUNE.
Dans la nuit du 9 au 10 août, à minuit, le tocsin retentit tout à coup
dans les tours des différentes églises de Paris. C’était le signal de
l’insurrection. Au tocsin succède le bruit des tambours. On entend à la
fois battre la générale et le rappel, le rappel au nom de l’ordre
légal, la générale au nom de l’émeute.
Pendant ce temps, soixante-dix à quatre-vingts hommes, presque tous
obscurs, inconnus, voués aux plus humbles professions de la cité,
arrivaient à l’Hôtel-de-Ville, et s’établissaient sans résistance et
sans bruit dans une pièce voisine de la salle occupée par le Conseil de
la Commune.
Qu’étaient-ils ? Que voulaient-ils ? Ils se donnaient pour des
commissaires élus par les sections de Paris et chargés de correspondre
avec leurs mandataires. En réalité, ils n’avaient été choisis que par
vingt-six sections, réduites chacune à une minorité dérisoire. Dans
plusieurs quartiers, ils s’étaient élus eux-mêmes. Leur but n’était
rien moins que de remplacer la commune légale par une commune
insurrectionnelle, et d’arriver à désorganiser les plans de défense du
commandant supérieur de la garde nationale. Usant de ruse,
ils commencent par agir sur les magistrats légaux et par leur dicter
des arrêtés que ceux-ci, de plus en plus réduits et paralysés, signent
complaisamment. C’est ainsi que les sectionnaires obtiennent
l’éloignement de l’artillerie placée sur le Pont-Neuf pour empêcher la
jonction des faubourgs insurgés. C’est ainsi qu’ils font appeler à
l’Hôtel-de-Ville le commandant en chef de la garde nationale, Mandat.
On sait quel fut le sort de ce loyal soldat qui était résolu à défendre
jusqu’à la mort le poste confié à son honneur. Croyant obéir à un appel
régulier, il quitte avec regret les Tuileries et se rend à
l’Hôtel-de-Ville. Saisi par les séides des sectionnaires, il est
conduit devant le président de la Commune insurrectionnelle, Huguenin,
qui présente à sa signature l’ordre de faire retirer la moitié des
troupes du château. Avec un héroïsme auquel l’histoire n’a pu rendre
qu’un hommage tardif, Mandat refuse de forfaire à son devoir. Huguenin,
d’un geste significatif, ordonne qu’il soit conduit à l’Abbaye. C’était
un arrêt de mort. Un coup de feu abat sur les degrés de
l’Hôtel-de-Ville le vaillant officier, dont le cadavre, percé de mille
coups, est jeté à la Seine. Tel fut le premier exploit de cette Commune
de Paris qui, après avoir épouvanté le monde par l’excès de ses fureurs
et de ses crimes, devait rendre le dernier soupir dans le sang de
Thermidor.
IV
AUX TUILERIES.
Les membres de cet horrible cénacle sont, pour la plupart, rentrés dans
une obscurité qui les a dérobés aux revendications de l’histoire. Quand
on veut savoir ce que sont devenus ces hommes de fiel et de sang qui,
pendant de longs mois, furent les dictateurs de la France, qui
s’imposèrent à la Législative et à la Convention, et par elles au pays
tout entier, on est étonné de la stérilité des recherches.
Quelques-uns, huit ou dix, ont conservé une atroce célébrité : Hébert,
Rossignol, Léonard Bourdon, Bernard et Xavier Audoin, prêtres apostats,
le cordonnier Simon, le journaliste Robert. Plusieurs périrent sur
l’échafaud où ils avaient envoyé tant d’illustres victimes. D’autres se
retrouvent parmi les petits employés de l’Empire, tels que Huguenin,
qui fut nommé commis aux barrières ; mais pour la plupart, après la
dictature de Robespierre, ils rentrent dans leur néant, comme ces bêtes
fauves qui, après s’être rassasiées de sang, disparaissent dans des
tanières dont l’obscurité les protége contre les poursuites des
chasseurs.
Après l’assassinat de Mandat, les prétendus commissaires des sections
jugèrent toute dissimulation superflue. Ils commencèrent par nommer
Santerre chef suprême de la garde nationale. Puis, pénétrant dans la
salle du Conseil, ils signifient aux représentants de la Commune qu’ils
aient à céder leurs fauteuils aux élus du peuple. De la municipalité
légale, la Commune insurrectionnelle ne conserve que trois membres :
Pétion, Manuel, Danton.
Pétion, l’homme au coeur double, une des âmes les plus basses et les
plus hypocrites de ces temps de malheur, Pétion qui fut le Pilate de la
Royauté après en avoir été le Judas, n’avait pu se dispenser de
paraître aux Tuileries. Fort mal accueilli des gardes nationaux
fidèles, il s’était fait réclamer par ses affidés de l’Hôtel-de-Ville,
auxquels il avait recommandé de le faire consigner au plus tôt dans son
hôtel. C’était un moyen de dégager sa responsabilité et de se tenir
prêt à tout événement. Mandé, sur ses propres instances, à la barre de
l’Assemblée, l’indigne magistrat, après avoir retracé dans un
artificieux discours les périls imaginaires qu’il a courus, s’empresse
de rentrer à son domicile, où une force de six cents hommes, obéissant
à des instructions secrètes, vint bientôt le retenir.
Il était quatre heures du matin. Au château, la confiance était grande
encore. Le Roi, ignorant les événements accomplis à l’Hôtel-de-Ville,
comptait sur les dispositions militaires de Mandat, sur la fidélité des
troupes et des hommes qui l’entouraient. Il y avait, rassemblés sur le
Carrousel, dans les cours, dans les jardins, ou disséminés dans les
appartements des Tuileries, quatorze bataillons de la garde nationale
avec leurs canons, quelques compagnies de gendarmes à cheval, un
régiment de Suisses, deux cents gentilshommes environ, accourus au
premier signal pour partager dans cette heure suprême les périls de la
Royauté. Mais la garde nationale était divisée d’opinions : les
canonniers ouvertement hostiles, les gendarmes indécis, les
gentilshommes désarmés. Louis XVI n’avait à son service qu’une force
véritable, les Suisses. Ils étaient neuf cents. Le nombre des insurgés
devait bientôt s’élever à plus de vingt mille.
De toute part, on annonçait leur approche. Sur l’avis de ses ministres,
le Roi se décide à passer la revue des troupes postées dans le jardin
et dans les cours. Quelques bataillons font entendre ce vieux cri de
Vive le Roi ! qui
fut si souvent un signal de salut ; la plupart se taisent ; d’autres
crient
Vive la Nation !
plusieurs profèrent d’ignobles outrages. Le Roi rentre désespéré,
sentant que tout lui échappe. Le procureur général syndic du
département Roederer, quelques représentants de la municipalité qui
venaient de sonder les dispositions des défenseurs du château,
s’efforcent de démontrer l’impossibilité de la résistance. Ils
insistent pour que le Roi et sa famille cherchent un refuge au sein de
l’Assemblée, « la seule chose qu’en ce moment le peuple respecte. »
Louis XVI hésite. Marie-Antoinette éclate avec indignation : « Je me
ferais clouer aux murs du château, plutôt que d’en sortir, »
s’écrie-t-elle. Mais l’heure était pressante, le péril prochain. Déjà
le flot de l’émeute, montant comme une mer furieuse, avait inondé le
Carrousel et battait les murailles. Roederer redouble ses instances. Le
Roi accepte avec résignation l’arrêt de sa destinée : « Marchons, »
dit-il, en donnant le signal du départ, « il n’y a plus rien à faire
ici. »
V
LE ROI A L’ASSEMBLÉE.
La lutte était-elle encore possible ? Parmi les historiens et les
témoins survivants de cette journée, plusieurs ont dit que si le Roi,
inspiré par un de ces élans familiers aux princes de sa race, était
monté à cheval, avait tiré l’épée et se fût précipité la poitrine
découverte au-devant de l’émeute, il eût rallié ses défenseurs, affermi
les courages ébranlés, fait rougir les lâches et les traîtres ; qu’il
eût eu facilement raison des bandits de Santerre et de Westermann, et
qu’en une heure il eût reconquis tout le terrain que la Royauté avait
perdu en trois ans. D’autres affirment que, tout point d’appui lui
faisant défaut, il eût tout au plus réussi à mourir. Mais Louis XVI
n’était pas fait pour ces inspirations à la Henri IV ou à la Condé. Au
20 juin, avec une force surhumaine, il avait résisté à la foule, et «
ce jour-là, a dit Edgard Quinet, il fut plus grand que ce monde
déchaîné contre lui et qui ne put lui arracher un aveu. » Au 10 août,
il subit la pression de l’émeute ; il oublia que le Roi de France est
avant tout un soldat, et que, pour défendre sa couronne, Dieu lui a
remis une épée.
Protégé par des détachements de gardes nationaux et de gardes suisses
qui formaient la haie des Tuileries à la salle du Manége, précédé de
Roederer et des membres du département, suivi du Dauphin, de la Reine,
de Madame Élisabeth, de Madame Royale, de Mmes de Lamballe et de
Tourzel, de ses ministres, auxquels s’étaient joints quelques
serviteurs fidèles, Louis XVI se dirigea vers l’Assemblée. Huit heures
et demie sonnaient aux horloges voisines. L’air était calme et pur. Le
soleil, projetant ses rayons sur les statues de marbre et les
plates-bandes de fleurs, brillait comme pour un jour de fête. Les
allées suivies par le cortége étaient déjà encombrées de feuilles
desséchées, que le jeune Dauphin s’amusait à pousser devant lui ou à
rassembler sous les pas de sa soeur. « Les feuilles tombent de bonne
heure cette année, » dit le Roi.
On connaît ses paroles au moment où il pénétra dans cette enceinte qui
fut moins pour lui un asile que le vestibule de la prison et de
l’échafaud : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime…. » Hélas !
le crime n’était qu’ajourné ! Et, par une dérision cruelle du sort, la
même voix qui lui promit solennellement le concours et « la fermeté de
l’Assemblée nationale » pour défendre les droits constitutionnels de sa
couronne, - la voix de Vergniaud, - devait se faire entendre quelques
heures après pour prononcer contre lui un arrêt provisoire de
déchéance, et, cinq mois plus tard, un arrêt définitif de mort.
VI
L’ATTAQUE DU CHATEAU.
Est-il besoin de poursuivre ce récit ? Et nous faut-il, après tant
d’autres, montrer le Roi et la famille royale confinés dans un réduit
misérable où durant dix-sept heures ils eurent à recueillir toutes les
humiliations et tous les outrages, où ils assistèrent à leur propre
déchéance et à l’agonie de la Royauté ? Ah ! le fils de Henri IV, au
fond de la loge du
Logographe
d’où il voyait se dérouler toutes le scènes de ce lamentable spectacle,
dut plus d’une fois regretter avec amertume de n’avoir pas eu la
fortune de mourir, l’épée à la main, dans le tourbillon d’un combat !
La famille royale était déjà depuis deux heures sous les regards de
l’Assemblée, lorsque, tout à coup, une fusillade, accompagnée de
décharges de mitraille, dont les échos se répercutaient sous la voûte
de la salle du Manége, annonça qu’une lutte était engagée entre les
assaillants et les défenseurs du château. Le départ du Roi avait porté
le découragement dans l’âme des gardes nationaux fidèles. A l’exception
d’une centaine d’entre eux, tous s’étaient dispersés. Mais les Suisses,
hommes de discipline, commandés par des officiers qui avaient au plus
haut degré le sentiment du devoir et de l’honneur militaires,
attendaient un ordre du Roi avant de quitter leur poste. Le maréchal de
Mailly, gouverneur du château, ne leur avait donné que cette consigne :
« Ne vous laissez pas forcer. » Cent cinquante d’entre eux ayant
accompagné le Roi à la salle du Manége, sept cent cinquante seulement
occupaient les Tuileries. Abandonnant leur première ligne de défense,
ils s’étaient retirés dans les appartements, sur les marches du grand
escalier et sous les voûtes du péristyle.
Cependant, l’armée de l’insurrection se massait sur le Carrousel. Aux
hordes faubouriennes, conduites par Santerre et son beau-frère
Alexandre, s’était jointe l’ignoble tourbe de ces bandits cosmopolites
qu’on appelait les fédérés Brestois ou Marseillais. A la tête de ces
derniers, se trouvait le Prussien Westermann, le seul parmi ces chefs
de l’émeute qui eût quelque valeur et quelque courage.
Cédant aux injonctions des canonniers restés dans les cours, les
concierges ouvrent les portes, et la foule, fraternisant avec les
canonniers et les gendarmes, se précipite vers le palais, s’efforçant
d’attirer à elle et de séduire les Suisses postés aux fenêtres. Parmi
ceux-ci, quelques-uns jettent aux émeutiers des paquets de cartouches,
indiquant ainsi qu’ils n’ont point l’intention d’engager une lutte que
leur consigne ne leur prescrivait pas. Les hommes de Westermann,
enhardis par cet accueil, pénètrent sous les voûtes du péristyle. Après
avoir essayé divers moyens de séduction pour fléchir les impassibles
soldats qui garnissent les marches du grand escalier, les brigands leur
prodiguent les insultes, et en viennent bientôt aux voies de fait.
Quelques Marseillais, armés de longs crocs de mariniers, cherchent à
prendre les Suisses par leurs fourniments. Un coup de pistolet
retentit. Les fusils des soldats s’abaissent et dirigent un feu
plongeant sur les fédérés qui fuient en désordre. En un clin d’oeil, le
péristyle, les cours du château, le Carrousel sont balayés. Les
vainqueurs, auxquels s’étaient réunis les gentilshommes et des
gendarmes nationaux, poursuivant leur succès, font une sortie,
s’emparent de deux canons et se rassemblent sur le Carrousel d’où ils
tiennent en respect les canonniers embusqués derrière les maisons
voisines. Les abords du château étaient dégagés. Une charge de
cavalerie eût achevé la déroute de l’émeute. Mais la gendarmerie à
cheval s’était dispersée ou était passée à l’insurrection.
C’est dans ce moment que d’Hervilly paraît, porteur d’un ordre du Roi,
qui ordonne à ses défenseurs de cesser le feu et de rentrer dans leurs
casernes. Les Suisses se mettent en devoir d’obéir. Ils se rassemblent
lentement au signal des tambours, et, se formant en colonnes, ils
s’engagent dans la grande allée du jardin.
Les insurgés, n’entendant plus le bruit de la mousqueterie, reprennent
courage. Les plus déterminés dit M. Mortimer-Ternaux, « se hasardent à
travers la place du Carrousel, mais avancent lentement, craignant à
chaque instant de tomber dans une embuscade ; ils pénètrent
jusqu’au-delà des bâtiments incendiés et arrivent sous le vestibule du
grand escalier,
cinq
minutes après que les derniers pelotons des Suisses l’ont abandonné.
»
VII
ORGIE ET MASSACRES.
Alors commença la sanglante orgie, - une des plus effroyables dont
l’histoire ait enregistré le souvenir. Le flot des assaillants pénètre
par toutes les voies dans le palais de la Royauté. Les bandes de
Santerre et de Westermann se ruent, avec des instincts de bête fauve,
sur les soldats isolés qu’elles trouvent dans les appartements. Ceux
qui se sont montrés les plus lâches au combat sont les plus ardents au
massacre et au pillage. Ils égorgent ou brisent tout ce qui leur tombe
sous la main. On tue jusqu’aux blessés et aux mourants, jusqu’aux
chirurgiens qui les pansaient, tous les serviteurs du château : les
Suisses dans leurs loges, les chefs d’office et les marmitons dans les
cuisines, les huissiers, heiduques et valets de pied dans les
antichambres. Après s’être gorgés de sang, les massacreurs se gorgent
de vin, descendent dans les caves, et défoncent les futailles. Les uns
volent du linge, des bijoux, des assignats, de l’argent. Un avocat
nommé Daubigny vola cent mille francs, que sa femme, sous le coup de
menaces, dut restituer le lendemain. D’autres mettent en pièces tous
les meubles de la résidence royale, glaces, pendules, livres, tableaux,
objets précieux, et les jettent dans les cours pêle-mêle avec les
cadavres. On voyait des portefaix et des chiffonniers s’affubler des
ornements royaux, des costumes du sacre, s’asseoir sur le trône et
parodier les représentations de la cour. Les prostituées, ces dignes
reines de l’émeute, revêtaient les robes de Marie-Antoinette et se
vautraient sur son lit.
Pendant que les scènes de ce drame infernal se déroulaient dans les
appartements du château, quelques-uns des Suisses, qui traversaient le
jardin, tombaient sous les balles des gardes nationaux ; d’autres
étaient sabrés sur la place Louis XV par la gendarmerie à cheval. Ceux
qui avaient accompagné ou rejoint la famille royale à la salle du
Manége s’étaient vus contraints de déposer les armes sur un ordre du
Roi. Enfermés dans l’église des Feuillants, ils sont envoyés, les uns à
l’Hôtel-de-Ville, les autres au Comité de la section du Roule. Durant
le trajet, la populace les arrache à leur escorte et les égorge. Le 2
septembre attendait les survivants de ces fils d’une république, qui
périrent presque tous, pour rester fidèles au serment qu’ils avaient
prêté à la Royauté.
Nous ne parlerons que pour mémoire des assassinats isolés qui
achevèrent de marquer en traits de sang cette date à jamais maudite du
10 août 1792. Nous avons vu les premières lueurs du jour éclairer le
meurtre de Mandat. Celui du journaliste Suleau et de ses compagnons,
auquel présida Théroigne de Méricourt, s’accomplit au moment même où
Louis XVI pénétrait dans la salle du Manége. Dans l’intervalle du
carnage et du sac des Tuileries, les corps du commandant Carle, de
Clermont-Tonnerre, et de plusieurs autres furent également jetés en
pâture aux tigres que la Révolution avait déchaînés.
Par une exception qu’on ne rencontre plus dans les massacres
révolutionnaires postérieurs au 10 août, ce jour-là on épargna les
femmes.
Lève-toi,
coquine, la Nation te fait grâce ! dit un des tueurs
marseillais à Mme Campan.
On
fit grâce également à Mmes de Tourzel, de Soucy, Thibaut,
de Saint-Brice, Lemoine, Bazire, de la Roche-Aymon, de Ginestous, de
Tarente, etc.
Parmi les deux cents gentilshommes qui étaient dans le château, les uns
avaient rejoint le Roi, d’autres s’étaient esquivés par les grilles du
jardin ; plusieurs purent atteindre l’extrémité de la galerie du
Louvre, et gagner, par l’escalier de Catherine de Médicis, les rues
voisines, où ils se dispersèrent.
Pendant ce temps, un incendie, allumé dans les dépendances des
Tuileries, prenait d’inquiétantes proportions. Le feu avait consumé les
écuries de la garde à cheval, les bâtiments des cours, l’hôtel du
gouverneur du château ; il menaçait le pavillon Marsan, celui de Flore,
tout le quartier Saint-Honoré. On tirait sur les pompiers envoyés par
l’Assemblée pour empêcher de détruire le
palais du tyran.
Toutefois la flamme n’accomplit qu’à moitié son oeuvre. Les pétroleurs
de 1871 ont pu reprendre et conduire à bonne fin l’oeuvre inachevée des
incendiaires de 1792.
VIII
LA DÉCHÉANCE.
Pendant que les scènes que nous venons d’esquisser se déroulent dans
les rues, sur les places publiques, dans les appartements, les cours et
les jardins des Tuileries, l’Assemblée législative est de plus en plus
terrifiée par les dangers d’une situation qui était pourtant le fruit
de ses lâches incertitudes ou de ses complaisances criminelles. Elle se
sent impuissante à dominer les événements. Chaque minute lui enlève
quelque lambeau de son pouvoir. Réduite à une minorité dérisoire, elle
se voit bientôt contrainte d’abdiquer entre les mains de l’émeute.
Le président de la Commune insurrectionnelle, Huguenin, paraît à sa
barre, non pour recevoir des ordres, mais pour dicter insolemment des
volontés. Les représentants sanctionnent son usurpation et celle de ses
dignes acolytes. C’était s’avilir avant de se suicider.
L’Hôtel-de-Ville ne tarda pas à devenir le véritable siége du pouvoir,
et à prendre la tête du mouvement.
Alors on vit paraître au grand jour et se diriger vers la résidence de
la Commune tous ceux qui s’étaient prudemment tenus à l’écart pendant
la lutte : Robespierre, Tallien, Danton, Marat, Collot-d’Herbois,
Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, Fréron, Fabre d’Églantine, etc.
Accueillis dans le Conseil de la Commune, ils le transformèrent en
Conseil de gouvernement, s’imposèrent par lui à Paris et à la France,
préparèrent les massacres de septembre, les élections à la Convention
nationale, le régime de la Terreur, et assurèrent pour un temps la
domination du jacobinisme.
La Gironde avait voulu et préparé la journée du 10 août, non - bien
qu’elle fût déjà travaillée par des idées républicaines - pour
renverser la Monarchie, mais pour l’exploiter. Elle se sentit dépassée
quand elle vit tomber la couronne du front de Louis XVI.
Peut-être eut-elle dès lors l’intuition de ses propres
désastres. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’efforça d’enrayer le
mouvement, et de faire proclamer sous sa tutelle la monarchie d’un
enfant.
Vergniaud vint, au nom de la Commission extraordinaire, présenter à
l’Assemblée un projet de décret proposant la formation d’une Convention
nationale, la suspension provisoire du chef du pouvoir exécutif, la
nomination d’un gouverneur au prince royal, l’installation du Roi et de
sa famille au Luxembourg sous la garde des citoyens et de la loi, etc.
Ce décret laissait une porte ouverte à la Monarchie. Il annonçait même
qu’un gouverneur serait donné au fils de Louis XVI. Les girondins
destinaient, dit-on, cet emploi à l’avocat Pétion. Mais la Commune, qui
devait exécuter cette partie du décret, avait un autre candidat : elle
réservait au royal enfant le cordonnier Simon.
Les propositions de Vergniaud furent froidement reçues des tribunes et
des pétitionnaires. En vingt-quatre heures les événements avaient
marché avec une telle rapidité que la suspension du pouvoir exécutif ne
répondait déjà plus aux exigences des hommes qui l’eussent accueillie
la veille comme un triomphe inespéré. L’Assemblée fit, cependant, ce
que lui demandait sa Commission extraordinaire ; puis, sous
l’impression de la terreur et l’impulsion de la Commune, elle prit ou
sanctionna une foule de mesures empreintes du plus pur esprit de la
Révolution : visites domiciliaires chez les gens suspects, envoi aux
généraux de commissaires avec pouvoir de les suspendre, légalisation
des décrets frappés du
veto
royal, rappel de solde et distribution de secours aux Marseillais,
destitution des juges de paix, arrestation des derniers ministres de
Louis XVI, etc., etc.
Elle procéda aussi à la nomination des membres du nouveau ministère.
Roland, Clavière et Servan furent réintégrés par acclamation dans leurs
anciennes fonctions. Monge eut la marine ; Lebrun, les affaires
étrangères.
Le ministère de la justice échut à Danton.
Danton au pouvoir, c’était la Commune insurrectionnelle maîtresse de la
situation ; Danton, c’était la Révolution triomphante, c’étaient
l’audace, la scélératesse, la frénésie furieuse, le vol, l’assassinat,
la licence, tous les genres de crimes introduits dans la politique et
préconisés comme moyens de gouvernement.
IX
LA FAMILLE ROYALE PRISONNIÈRE.
Louis XVI et la famille royale, entourés de quelques serviteurs
fidèles, avaient assisté du fond de la loge du
Logographe à
toutes les péripéties de l’épouvantable drame. Le Roi avait subi, avec
le calme courage qui devait le suivre jusque sur l’échafaud, les
outrages de la foule, les lâches invectives ou les trahisons de
certains députés gorgés de ses bienfaits. Le décret de la déchéance
l’avait trouvé impassible. On lisait sur son front la sérénité de son
âme. Celui de Madame Élisabeth reflétait ses sentiments de pieuse
résignation et de conformité à la volonté divine. Quant à la Reine, il
était facile de voir, à la dédaigneuse fierté de son attitude, qu’elle
était au-dessus des injures de cette vile multitude et des caprices du
sort.
Vers une heure du matin, les inspecteurs de la salle vinrent retirer
les augustes captifs de l’indigne réduit où ils avaient été enfermés
pendant dix-sept heures. On les transporta dans un petit
appartement de trois pièces, situé au premier étage où ils purent
goûter quelques instants de repos. A leur réveil, il leur fut permis de
recevoir encore les soins de quelques-uns de leurs familiers. Les
femmes de Marie-Antoinette pénétrèrent jusqu’à elle, et fondirent en
larmes en voyant la Reine de France couchée sur un grabat dans une
pauvre cellule, et privée des objets les plus indispensables. La pitié
de quelques amis dut venir en aide au dénûment royal. On rassembla à la
hâte du linge et des vêtements. La Reine, à laquelle un des héros de la
précédente journée avait volé sa montre et sa chaîne dans le trajet des
Tuileries aux Feuillants, emprunta la montre d’une de ses dames, et
pria sa première femme de chambre, Mme Auguié, de lui prêter vingt-cinq
louis.
A dix heures, la famille royale fut prévenue que l’Assemblée exigeait
de nouveau sa présence. Elle dut reprendre sa place de la veille, et
assister de nouveau aux incidents les plus douloureux et aux motions
les plus sanguinaires. Rien ne lui fut épargné. Elle vida jusqu’au fond
le calice d’amertume.
L’Assemblée avait décidé qu’un logement serait préparé au Roi et à sa
famille dans le palais du Luxembourg. Mais ce décret, qui semblait
réserver au monarque déchu quelques signes apparents de grandeur,
offusquait les hommes de la Commune. Ce n’était pas un palais, c’était
une prison qu’ils prétendaient donner à Louis XVI. Ils ne pouvaient,
disaient-ils, répondre du Roi dans une résidence aussi vaste que le
Luxembourg, sous lequel, d’après la rumeur publique, existaient des
souterrains propres à favoriser une évasion. L’Assemblée décrète alors
que le Roi et sa famille seront transportés place Vendôme, à l’hôtel du
ministère de la justice et qu’il leur sera donné une garde, placée sous
la surveillance du maire et sous les ordres du commandant général.
Nouvelle résistance de la part de la Commune. Manuel et Pétion se
présentent en son nom à la barre, et demandent que la famille royale
soit transférée au Temple, lieu entouré de hautes murailles et situé
loin des agitations de la cité. L’Assemblée a l’impudence de céder
encore une fois aux injonctions de la Commune. Après avoir rapporté son
précédent décret, elle charge les représentants de la municipalité de
pourvoir, sans délai et sous leur responsabilité, au logement de la
famille royale et de « prendre toutes les mesures de sûreté que la
sagesse et l’intérêt national pourraient en exiger. »
Dans la soirée du 13 août, vers cinq heures, deux voitures de la Cour
vinrent chercher aux Feuillants Louis XVI et sa famille. Pétion et
Manuel s’assirent, dans une attitude insolente et le chapeau sur la
tête, en face de la Reine et de Madame Élisabeth. La foule hurlait aux
portières. Le cortége s’arrêta quelques instants sur la place Vendôme,
au milieu des débris de la statue de Louis XIV, brisée la veille, en
vertu d’un décret de l’Assemblée nationale. Le marteau révolutionnaire
avait également fait disparaître les statues de Henri IV, de Louis
XIII, de Louis XV, ainsi que tous les emblêmes, bas-reliefs,
inscriptions qui pouvaient rappeler le souvenir de la Royauté.
Les voitures suivirent les boulevards, et s’arrêtèrent auprès d’un
enclos qu’entouraient de hauts murs garnis de créneaux. Au centre de
cet enclos s’élevait un donjon, composé d’un bâtiment carré, flanqué de
quatre tourelles rondes. On nommait ce donjon la Tour du Temple. Ce fut
là que le descendant de saint Louis fit sa dernière station dans la
voie douloureuse qu’il suivait depuis les journées d’octobre, et qui
devait aboutir au calvaire du 21 janvier.
X
CONCLUSION.
La plupart des historiens renvoient à la nation française et au «
peuple » la responsabilité ou l’honneur des hauts faits que nous venons
de redire. Selon eux, le peuple a tout prévu, tout inspiré, tout
dirigé, tout exécuté. Il a été l’âme, la tête et le bras de cette
journée. M. Louis Blanc est allé jusqu’à prétendre, en parlant des
assaillants des Tuileries, qu’ils étaient « le peuple,
DANS
LA PLUS LARGE ACCEPTION DU MOT. » C’est là une abominable
falsification de la vérité. Non, le peuple de France et le peuple de
Paris lui-même, n’ont jamais mérité de pareils outrages ! A cette date,
le peuple, dans son immense majorité, était encore royaliste, et il se
révolta de toute l’énergie de sa conscience monarchique contre les
indignités que l’émeute avait fait subir le 20 juin à la Royauté. Dans
les départements, la répulsion contre les fauteurs de cette journée fut
unanime. A Paris, la protestation que Lavoisier, au nom de la section
de l’Arsenal, vint lire à la barre de l’Assemblée, fut suivie de cette
pétition des
vingt mille
qui excita au plus haut degré les fureurs des jacobins. A dater de ce
jour, la rage de ceux-ci ne connut plus de bornes. Ils dominèrent par
la terreur les quarante-huit sections parisiennes. Les citoyens
honnêtes et paisibles, c’est-à-dire au moins les trois quarts des
sectionnaires, cessèrent de prendre part aux réunions, et laissèrent le
champ libre à un petit nombre d’énergumènes.
Ainsi, à l’Assemblée, les bons se cachent ; les autres restent. Au 8
août, 680 membres prennent part au scrutin acquittant La Fayette, et
une majorité monarchique considérable se manifeste. Le 10,on ne trouve
plus (sur 749 membres) que 284 votants, et c’est une pareille minorité
qui reconnaît la Commune insurrectionnelle, et décrète l’arrestation
des anciens ministres, la nomination des nouveaux, et la suspension du
pouvoir exécutif !
Les faubourgs eux-mêmes, qu’on eût pu croire acquis à l’insurrection
sous la pression des clubs et des sections expurgées, n’étaient rien
moins que disposés à battre en brèche le pouvoir royal. C’est en vain
que depuis minuit le tocsin du 10 août avait multiplié ses appels.
Il ne rendait pas,
selon l’expression de Roderer. Paris restait calme, presque
indifférent. Les meneurs attitrés mirent un moment en question, avoue
Louis Blanc, si l’on n’abandonnerait pas l’entreprise. A cinq heures du
matin, un seul bataillon était rassemblé, celui des Quinze-Vingts
commandé par Santerre. Et celui-ci, rempli de crainte, redoutait
l’agression d’une portion considérable de la garde nationale. Il ne
marcha que poussé par Westermann, qui lui mit l’épée sous la gorge.
Sans la tourbe marseillaise, les faubourgs parisiens seraient demeurés
paisibles, et de grands crimes eussent été épargnés à la France et au
monde.
Telle est l’histoire succincte des événements qui, au mois d’août 1792,
ont précédé, accompagné et suivi la chute de la Royauté française. Loin
d’avoir rien exagéré, nous nous sommes efforcé d’atténuer l’horreur de
certains faits que la pudeur de l’historien doit entourer d’ombre et de
silence. Quant à ceux que nous avons reproduits, nous les avons puisés,
non chez les écrivains royalistes ou révolutionnaires, mais aux sources
mêmes de la vérité historique, dans des témoignages qui offrent tous
les caractères de la certitude et défient toute contradiction, surtout
dans les documents authentiques et les pièces inédites que M.
Mortimer-Ternaux a si scrupuleusement rassemblés dans cette
Histoire de la Terreur
qui fait si bonne justice de la légende révolutionnaire.
En ce qui concerne le 10 août, nous avons vu, au début de ce travail,
ce que dit la légende. Résumons ce que dit l’histoire.
1° La Révolution du 10 août n’a pas été l’oeuvre du peuple. Elle est le
fait d’une minorité infime et abjecte dirigée par un petit groupe de
scélérats presque inconnus qui préparent tout dans l’ombre et se
cachent au moment de l’action ;
2° Les Tuileries n’ont point été prises d’assaut par les bandes de
Westermann et de Santerre. Elles n’ont point été enlevées de vive
force, mais abandonnées par les Suisses sur l’ordre de Louis XVI avant
l’arrivée des insurgés ;
3° Le chiffre des morts appartenant à l’armée de l’émeute n’a point été
de cinq mille, comme l’affirment les récits contemporains du 10 août,
copiés par la plupart des historiens, ni même de quinze cents comme le
croyait Pétion. Les faubouriens et les fédérés réunis ont perdu
CENT
HOMMES et ont eu
soixante
blessés.
Redisons-le avec tristesse, la journée du 10 août n’a pas été seulement
la journée des bandits et des cannibales, elle a été la journée des
lâches. C’est par la porte de la peur, plus encore que par celle de la
férocité, que la République a fait son entrée dans notre histoire. De
nos jours, les républicains de toute nuance célèbrent comme un
anniversaire de gloire cette date à jamais néfaste.
La République française
et
le Rappel,
les pétroleurs et les politiques, les enragés et les modérés sont
d’accord quand il s’agit de brûler de l’encens sur l’autel du 10 août.
Passe pour les pétroleurs. Les hommes de la Commune de 1871 ne peuvent
que glorifier l’oeuvre de leur digne mère, la Commune insurrectionnelle
de 1792 ; c’est dans l’ordre. Mais, à côté d’eux et avec eux, les
doctrinaires de la République, les apologistes du fait accompli, les
philosophes de la fatalité historique, s’entendent pour représenter le
10 août comme la journée
nécessaire
de la Révolution et comme une généreuse explosion du patriotisme
populaire. On vient de voir ce qu’il faut penser de ces impudentes
apologies. Non, mille fois non, la journée dont nous venons de rappeler
les lugubres souvenirs n’a été ni une nécessité, ni un acte de
patriotisme. Elle a été anti-nationale au premier chef ; elle a servi
de point de départ à tous nos malheurs, à nos divisions, à nos haines,
à nos décadences, à nos hontes actuelles ; en brisant avec le passé,
elle a en quelque sorte tari la source de notre grandeur, desséché la
sève de notre race, arrêté la vie nationale et compromis notre avenir ;
en frappant la Royauté, elle a décapité la France.
Tel sera sur elle le dernier mot de l’histoire.