Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant.- A Paris de l'Imprimerie des Sciences et Arts, rue Ventadour, n°474, Frimaire An XII [1803].- 20 p.-[7] f. de pl. ; in-4.
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Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803)

NOTICE
HISTORIQUE
SUR LA TAPISSERIE
BRODÉE PAR LA REINE MATHILDE,
ÉPOUSE DE GUILLAUME LE CONQUÉRANT.

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PRIX : 2 FRANCS
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A PARIS,
DE L’IMPRIMERIE DES SCIENCES ET ARTS,
RUE VENTADOUR, N°474.
FIMAIRE AN XII

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AVIS.

Cette Tapisserie brodée en fils et en laines de différentes couleurs, sur une bande de toile blanche, se trouve gravée dans les volumes VI et VIII de t Académie des Belles-Lettres, avec une Explication de Lancelot ; et dans les volumes I et II de la Monarchie Française, de Montfaucon. On a profité, dans le cours de cette Notice, de plusieurs Observations de ces deux Savans. 


NOTICE HISTORIQUE
SUR la Tapisserie brodée par la reine MATHILDE, épouse
de GUILLAUME le Conquérant.


LA Tapisserie qu'on expose au public, représente toute la suite d'une des plus grandes et des plus heureuses expéditions qui furent jamais entreprises : la conquête de l'Angleterre, faite en 1066, par Guillaume le bâtard, duc de Normandie, qui échangea ce surnom contre celui de Conquérant. Ce monument est reconnu par tous les connaisseurs, comme contemporain de la conquête; et la tradition du pays, que le cours de sept siècles n'a point affaiblie, en attribue la confection à l'épouse de Guillaume, à la reine Mathilde elle-même. La tradition porte, que cette Princesse aidée des dames de sa cour, y a tracé elle-même toute la suite d'une entreprise aussi mémorable. S'il est permis de rapprocher de la rudesse de l'antiquité féodale la simplicité des tems héroïques, on pourrait comparer Mathilde, qui peint au moyen de son aiguille la conquête de l'Angleterre, à l'Hélène d’Homère, qui trace sur un canevas les exploits des Troyens et des Grecs sous Troie.

Cette frise en broderie, longue de 214 pieds, et haute de 18 pouces, était exposée de tems immémorial, en certains jours de l'année, dans l'église cathédrale de Bayeux. Cette exposition solennelle et périodique a contribué sans doute à ne pas laisser vieillir ni disparaître les notices traditionnelles concernant l'origine de cet ouvrage.

Des inscriptions latines accompagnent pas à pas les figures ; par ce moyen, la Tapisserie de Mathilde fixe des points incertains de l'Histoire, et peut corriger et suppléer les Ecrivains du tems. Nous en allons suivre tous les sujets.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 1

REX : EDWARD. Le roi Edouard III d'Angleterre, assis sur son trône, ordonne à Harold, son beau-frère, de partir pour la Normandie, et d'aller de sa part annoncer au duc Guillaume, qu'il l’a nommé son successeur. Le duc de Normandie était proche parent du roi d’Angleterre, qui n'avait point de fils. Ce dernier s'était déjà assuré de l'acceptation de Guillaume, par le moyen de Robert, archevêque de Cantorbery, qu'il lui avait envoyé auparavant.

HAROLD DVX ANGLORVM , ET SVI MILITES EQVITANT AD BOSHAM. Harold, duc des Anglais, se met en marche avec sa troupe de gens à cheval, pour se rendre à Bosham, où il doit s'embarquer. Ici Harald, qu'on appelle dans ces inscriptions constamment Harold, est qualifié du titre de Duc des Anglais. Les Historiens contemporains le nomment Duc de Westsex et Comte de Kent. Ces figures fournissent des observations curieuses pour les costumes et pour les usages de cette époque. Harold marche le faucon sur le poing, suivant l’usage des Seigneurs ; ses chiens le précèdent ; lui et sa suite ont la barbe rasée, mais ils portent des moustaches, ce que nous ne voyons pas dans les figures des Français. Les petits manteaux attachés sur l'épaule droite, et ressemblant aux chlamydes des Grecs, sont ces mantelettes qui ont formé, dans des tems postérieurs, la draperie des écussons d'armes.

ECCLESIA: Une Eglise. Après que les cavaliers ont mis pied à terre à Bosham, port de mer qui appartenait à Harold, celui-ci, avec son écuyer, va faire sa prière à l'église, pour demander à Dieu une heureuse navigation. Il est à remarquer, que des arbres grossièrement tracés, des édifices et des draperies, font la séparation des différentes histoires, justement comme dans les bas-reliefs antiques.

HIC HAROLD : MARE NAVIGAVIT. Harold se met en mer. Les voyageurs, avant de s'embarquer, font la collation ensemble. Plusieurs d'entr'eux se servent, pour boire, de grandes cornes de bœufs, sorte de gobelets dont l'usage est très-ancien. Les gens d'Harold passent sur l'esquif pour s'embarquer, et ils ont soin d'y transporter les faucons et les chiens de leur Seigneur.

ET VELIS : VENTO : PLENIS VENIT IN TERRA V VIDONIS COMITIS. Les vents poussent Harold sur les terres du comte Guy. Ce Guy était comte de Ponthieu, et Harold a pris terre, malgré lui, sur une côte qu'il ne voulait pas aborder. Le navire n'a qu'un seul mât, et un grand nombre de boucliers sont rangés au tour du bord, de la même manière qu'on remarque dans des peintures d'Herculanum ; tant il faut de tems pour effacer les usages anciens !

HAROLD. Harold. Harold descend sur la chaloupe, et s'avance pour parler à Guy et à sa suite, qu'il voit sur le rivage. Le barbare droit des gens de ces tems-là ne le rassure pas assez sur cette rencontre.

HIC : APPREHENDIT : WIDO : HAROLDV. Guy se saisit d'Harold. L'Anglais n'est pas si tôt descendu à terre, qu'il est saisi par deux hommes armés, suivant les ordres de Guy de Ponthieu. Le Comte est à cheval, il n'est armé que d'une grande épée ; mais on ne sait pas à quel usage pouvait être une corne renversée qui pend de la selle, la pointe en bas. Une garde de quatre cavaliers le suit ; ils marchent de front, armés d'épées, de lances et de boucliers. Ces boucliers sont décorés de quelques emblèmes ; cependant ce ne sont pas de véritables armoiries. Ces figures, dans le onzième siècle, servaient de devises aux guerriers ; mais elles n'étaient pas encore devenues les enseignes héréditaires des familles, comme elles le furent dans le siècle suivant.

ET DVXIT : EVM AD BELREM : ET IBI EVM : TENVIT. Et il le fit amener à Baurain, où il le retint. Guy à cheval, et l'oiseau sur le poing, conduit son prisonnier à Belrem. Ce Belrem est Baurain-le-Château, situé sur la Canche ; ses prisonniers le précèdent; Harold est à cheval, l'oiseau sur le poing; ses moustaches le font reconnaître ; les autres marchent à pied, conduits par des soldats.

VBI : HAROLD : ET WIDO : PARABOLANT. C'est là que Guy et Harold viennent à un pourparler. Harold expose peut-être à Guy, qu'il est un envoyé du roi d'Angleterre; et Guy lui propose peut-être de traiter avec lui de la rançon à payer pour sa délivrance. Guy est assis sur une espèce de trône, l'épée à la main, la pointe en haut ; son prisonnier est debout devant lui; il a aussi son épée, mais la pointe en bas.

VBI : NVNTII : WILLELMI : DVCIS VENERVNT: AD WIDONEM. Ce fut là que les envoyés de Guillaume vinrent trouver Guy. Guillaume, duc de Normandie, informé du sujet de l'ambassade d'Harold, et de sa captivité, envoya prier le comte de Ponthieu de relâcher ce prisonnier. Guy est revêtu d'une cotte de mailles et d'une chlamyde pardessus ; il tient une hache d'armes dans la main gauche. Les messagers ont mis pied à terre, et tandis qu'ils exposent au Comte le sujet de leur ambassade, un valet tient leurs chevaux par la bride. C'est un nain dont le nom, TUROLD, est écrit sur sa tête. Dans le moyen âge on avait l’usage, dans les cours des Seigneurs, de se servir de nains pour l'office de valets ou de pages. Dominiquin à Grotta Ferrala, a mis des nains à la suite de l'empereur Othon ; et Raphaël avait fait de même dans les Histoires de Constantin.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 2

NVNTII : WILLELMI. Messagers de Guillaume. Pour montrer que ces deux envoyés sont différens des deux premiers, on a séparé les groupes par une espèce de loge voûtée tout à jour. Les prières et les remontrances n'ayant pas suffi à déterminer le Comte à se dessaisir de sa proie, Guillaume emploie la menace. Ces deux cavaliers viennent au galop, présentant la pointe de leurs lances. Ils paraissent faire comprendre que leur message est d'une nature moins amicale. Un jeune homme dont le bonnet ressemble au bonnet phrygien, est monté sur les branches d'un arbre qui sépare cette histoire de celle qui suit, et il regarde avec admiration la course des deux cavaliers.

HIC VENIT : NVNTIVS AD WILGELMVM DVCEM. Un messager vint ici trouver le duc Guillaume. On a cru que ce messager qui parle ici à Guillaume, était un de ses premiers envoyés, et peut-être le nain Turold lui-même. On n'avait pas fait attention que ce messager a des moustaches et en conséquence qu'il est un Anglais ; probablement un de ceux de la suite d'Harold, qui, lors de la prise de son maître, a réussi à s'échapper, et qui est venu trouver le duc de Normandie dans son château de Rouen, pour l'informer de l'emprisonnement de l'Ambassadeur anglais. Nous observerons ailleurs des anachronismes pareils dans l'ordre de cette histoire. Le château de Rouen ferme la scène.

HIC : WIDO : ADDVXIT HAROLDVM AD WILGELMVM : NORMANNORVM : DVCEM. Guy amène Harold à Guillaume, duc de Normandie. Le comte de Ponthieu, intimidé par les menaces de Guillaume, va lui remettre son prisonnier jusqu'à Eu, où le Duc est venu en personne pour le recevoir.

HIC : DVX WILGELM : CVM HAROLDO : VENIT : AD PALATIV SVM. Le duc Guillaume amène Harold à son palais. Cette action est distribuée en deux scènes. On voit dans la première le duc Guillaume lui-même escorter à son château de Rouen l'Ambassadeur du roi d'Angleterre ; on voit dans la seconde le Duc dans une grande salle de son palais, donner une audience de cérémonie à cet Ambassadeur, qui est debout devant lui. Le Duc est assis sur un siège magnifique.

VBI : VNVS : CLERICVS : ET AELFGIVA. Où l'on voit un greffier et Ælfgive. Le duc de Normandie promet sa fille en mariage au duc Harold. On y a ajouté la figure d'un greffier qui parait présenter la Princesse, pour faire voir que cette promesse ne fut pas une promesse simplement verbale.

HIC . WILEM : DVX : ET EXERCITVS : EIVS : VENERVNT : AD MONTE MICHAELIS. Le duc Guillaume et son armée vinrent au mont St-Michel. Dans ces entrefaites Conan, duc de Bretagne, avait déclaré la guerre au duc de Normandie. Celui-ci invite son nouvel hôte et sa suite à s'armer avec lui. Ils sont déjà armés de cottes de mailles; leurs casques ont un nazal pour défendre la figure;  leurs écuyers les suivent ; ils marchent vers le mont St-Michel. On voit ce château sur la croupe d'une montagne.

ET HIC : TRANSIERVNT : FLVMEN : COSNONIS : HIC : HAROLD : DVX : TRAHEBAT : EOS : DEARENA. Ils passèrent la rivière du Coesnon, où le duc Harold les tirait du sable. On sait que le passage de cette rivière, que les fréquentes marées remplissent d'un sable mouvant, est souvent dangereux. On voit ici des hommes et des chevaux renversés ne pouvant se dégager du sable. Harold, homme de grande taille et très-fort, est dans ce danger d'un grand secours à quelques-uns de ses alliés. Il paraît que l'auteur de l'histoire n'a pas voulu omettre la moindre circonstance qui pût faire relever l'étroite union d'Harold avec le duc de Normandie, pour mieux faire sentir, dans la suite, l'ingratitude de l'Anglais et sa déloyauté.

ET VENERVNT AD DOL : ET CONAN : FVGA VERTIT. Ils vinrent à Dol, et Conan prit la fuite. Le Seigneur de Dol était en guerre avec Conan, qui l'assiégeait dans sa ville. Un homme qui descend des murs par une corde, va informer Guillaume de l'état de cette place. A l'approche des Normands, Conan prend la fuite ; ce Comte et sa troupe se réfugient à Rennes (REDNES), résidence ordinaire de Conan, et capitale de la Bretagne.

HIC MILITES WILLELMI : DVCIS ; PVGNANT: CONTRA DINANTES. Les gens du duc Guillaume attaquent Dînant. On donne l'assaut à la ville, située sur une éminence ; des Normands viennent mettre le feu aux palissades.

ET : CVNAN : CLAVES : PORREXIT. Et Conan rendit les clefs de la ville. Il parait que ce Comte était venu au secours de Dinant, mais que, forcé par la valeur des Normands, il dut capituler avec Guillaume, et lui rendre l'hommage dû pour la Bretagne. Ici notre Tapisserie sert de supplément à l'Histoire. On voit Conan présenter à Guillaume les clefs de la ville au bout d'une lance.

HIC WILLELM : DEDIT : HAROLDO : ARMA. Guillaume donna les armes à Harold. C'est-à-dire qu'il l'arma chevalier.

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HIE WILLELM : VENIT BAGIAS. Guillaume vint ensuite à Bayeux. L'un des frères utérins du duc de Normandie était alors évêque de Bayeux.

VBI HAROLD : SACRAMENTVM : FECIT : WILLELMO DVCI: Où Harold prêta au duc Guillaume serment de fidélité. Guillaume est assis sur un trône élevé ; le Duc anglais, debout devant lui, et la tête découverte, est entre deux grandes châsses de reliques : il étend la main droite sur l'une, et la gauche sur l'autre châsse, et il parait prononcer son serment, par lequel il reconnaît Guillaume, comme nommé par Edouard pour être son successeur au trône d’Angleterre, et promet de lui être fidelle.

HIC HAROLD : DVX : REVERSVS : EST AD ANGLIGAM : TERRAM : Le duc Harold retourne en Angleterre. Il passe la mer dans un vaisseau, et aborde à une place dont le nom n'est pas marqué ; peut-être à sa terre de Bosham, d'où il était parti. Une femme, du haut des remparts, paraît se réjouir du retour du Seigneur. Toutes les croisées sont remplies par des gens qui regardent le vaisseau. Harold n'est pas plutôt arrivé, que, suivi de sort écuyer, il monte à cheval et prend sa route vers la Cour.

ET VENIT : AD : EDWARDV; REGEM. Et il se présente au roi Edouard. Harold n'est accompagné que de son écuyer, qui tient sa hache d'armes. Le roi, assis sur son trône, paraît écouter avec intérêt le rapport de l'ambassade.

HIC PORTATVR : CORPVS : EADWARDI : REGIS: AD ECCLESIAM : S. PETRI APLI. On porte le corps du roi Edouard à l'église de Saint-Pierre, apôtre. Voilà un autre anachronisme : l'enterrement du roi d'Angleterre précède sa maladie et sa mort. L'église où on le dépose est celle de St-Pierre de Westminster. On voit dans le haut une main céleste qui parait bénir la dépouille d'Edouard. On peut remarquer la même main sur les médailles frappées à l'occasion de la mort de Constantin le Grand.

ADWARDVS : REX INLECTO : ALLOQVITUR : FIDELES: Le roi Edouard, au lit de la mort, parle à ceux de sa Cour. Le Roi est à l'extrémité ; il parait prononcer avec effort ses dernières paroles.

ET HIC : DEFVNCTVS EST- Et bientôt après il mourut. Des gens de sa Cour soignent son cadavre.

HIC DEDERVNT : HAROLDO CORONA : REGIS. On donne à Harold la couronne royale. Harold, à la tête d'un parti puissant, va se mettre à la place de son beau-frère, oubliant le serment de fidélité qu'il a fait à Guillaume. On lui présente la couronne le même jour qu'Edouard le Confesseur est enterré.

HIC RESIDET : HAROLD REX : ANGLORVM. Harold est assis sur son trône comme roi d’Angleterre. La trahison d'Harold est consommée ; il est assis sur le trône d'Angleterre, et revêtu de toutes les enseignes de la royauté. D'un côté l'on voit des officiers armés qui le reconnaissent roi ; de l'autre l'archevêque de Cantorbery, Stigant, qui la couronné. Une inscription fait remarquer ce dernier.

STIGANT ARCHIEPS. L'archevêque Stigant. Il est paré de son costume archiépiscopal. Le peuple en foule, à la porte du château, prête hommage au nouveau Roi.

ISTI MIRANTUR STELLAM. On regarde avec étonnement une Etoile. Les Ecrivains du tems parlent de l'apparition d'une comète dans le courant du mois d'Avril de la même année 1066. On a souvent donné ce nom à des météores ignés. Suivant les opinions de cet âge, ce fut un présage des malheurs du nouveau Roi, et de la grande révolution qui arriva depuis en Angleterre.

HAROLD. Harold. Dans le groupe qui suit, Harold parait inquiet sur son trône ; il se lève, il s'arme, et il a déjà une lance à la main. Il n'a d'autres assistans que son écuyer. La Tapisserie ne nous indique pas le sujet du trouble de ce Prince : est-ce la crainte du duc de Normandie qui l'agite, ou la fâcheuse nouvelle d'une invasion de Norvégiens ?

HIC : NAVIS : ANGLICA : VENIT : IN TERRAM WILLELMI : DVCIS. Un navire anglais aborde au pays du duc Guillaume. Un vaisseau partit exprès d'Angleterre pour informer le duc de Normandie de tout ce qui s'était passé après la mort du roi Edouard.

HIC WILLELM : DVX IVSSIT NAVES : EDIFICARE. Le duc Guillaume commanda qu'on construisit des vaisseaux. Le duc de Normandie n'était pas d'humeur à laisser la trahison d'Harold impunie. L'entreprise paraissant difficile, il assembla plusieurs fois son Conseil ; et, malgré les remontrances timides de quelques Conseillers qui ne croyaient pas que le duc de Normandie pût avoir assez de moyens pour soumettre l'Angleterre, il eut recours à ses alliés français et flamands ; il rassembla une armée de cinquante mille soldats, et il se prépara à passer en Angleterre. Le Duc, assis dans son Conseil, a déjà résolu l'entreprise ; il parle à un chef des constructeurs, qui, son rabot à la main, paraît sur le point de partir pour aller exécuter les ordres de Guillaume, et construire une flotte assez nombreuse pour faire passer autant de forces en Angleterre.

Les groupes qui suivent sont sans inscriptions. On voit les arbres d'une forêt ancienne tomber sous la hache des constructeurs ; on voit des hommes occupés à applanir des planches, d'autres à construire des vaisseaux. Ces vaisseaux sont tout prêts ; il ne reste qu'à les mettre en mer. C'est le sujet de l'histoire qui suit, marquée d'une inscription.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 4

HIC TRAHVNT : NAVES AD MARE. On tire les vaisseaux à la mer.
 
ISTI PORTANT : ARMAS : AD NAVES : ET HIC TRAHVNT : CARRVM CVM VINO ET ARMIS. Ceux si portent des armes aux navires, et mènent un char qui est chargé de vin et d'armes. Il fallait pour une expédition aussi nombreuse, une quantité immense de provisions de guerre et de bouche : cet approvisionnement fait le sujet de cette histoire. On voit des hommes qui vont charger sur les vaisseaux une quantité considérable d'armures, de casques, de piques, d'épées et de tonneaux de vin. Les Historiens, qui comptent trois mille navires de diverses espèces, formant la flotte de Guillaume, en assignent sept cents pour les munitions de guerre.

HIC : WILLELM : DVX IN MAGNO : NAVIGIO : MARE TRANSIVIT ET VENIT AD PEVENESAE . Le duc Guillaume, avec une grande flotte, passa la mer et vint à Pemsey. Le duc de Normandie demeura avec sa flotte sur l'embouchure de la Dive et dans le port de St-Valéry pendant plus d'un mois, dans l'attente d'un vent favorable ; enfin il mit à la voile le 22 Septembre 1066, et aborda sans obstacle à Pemsey, dans le Sussex. La peinture nous présente ici une grande flotte chargée d'hommes et de chevaux. On y distingue le vaisseau principal monté par Guillaume. Le sommet de son mât est décoré d'un étendard et d'une croix. Un petit drapeau est aussi sur la poupe. Ces vaisseaux n'ont tous qu'un mât, auquel une seule voile est suspendue par une vergue.

HIC EXEVNT : CABALLI DE NAVIBVS.  Les chevaux sortent des navires. L'armée a déjà débarqué : les vaisseaux vides sont rangés sur le rivage. La peinture ne représente ici que le débarquement des chevaux. On remarque qu'on a omis dans l'histoire de ce débarquement, la chute de Guillaume, que lui-même prit pour un bon augure.

ET HIC : MILITES : FESTINAVERVNT : HESTINGA: VT CIBVM- RAPERENTVR. Les soldats se hâtèrent de gagner Hastings, pour y chercher des vivres. On voit des cavaliers armés qui courent vers Hastings. Des piétons ont déjà amené des fermes voisines nombre de moutons et de bœufs.

HIC : EST : WADARD- Celui-ci est Wadard. Ce cavalier armé, surveillant les bouchers et les cuisiniers qui suivent, et dont le nom est écrit sans aucun titre, est probablement l'officier qu'on appelait autrefois le grand Queux. Cette omission de titre, et ce nom annoncé comme celui d'un personnage assez connu, est une preuve tirée de l'ouvrage même, propre à confirmer qu'il est contemporain de la conquête, comme la tradition nous l'apprend.

HIC : COQVITVR : CARO ET HIC : MINISTRAVERVNT MINISTRI. On cuit ici des viandes, et les serviteurs de table font leurs fonctions. Les cuisiniers apprêtent les viandes à leur manière. Un grand chaudron est au feu : plusieurs ont des broches chargées de volailles ; d'autres préparent sur des fourneaux des mets plus recherchés.

HIC FECERVNT PRANDIVM ET HIC EPISCOPVS; CIBV : ET POTV BENEDICIT. C'est ici que se fit le repas, où un Evêque bénit les viandes et la boisson. On voit ici deux grandes tables ; la première est ronde, et plusieurs Officiers de la Cour y font leur repas ; l'autre, plus remarquable, a la figure d'un demi-cercle ; c'est le sigma des Anciens et du Bas-Empire. A cette table le duc Guillaume et les Barons de sa suite sont assis; un Evêque bénit la table ; un Page ou Echanson, à genoux, présente à boire.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 5

ODO : EPS : WILLELM : ROTBERT. Eudes évêque, Guillaume, Robert. Le duc de Normandie tient Conseil à Hastings, sur les opérations de la campagne. Il est assis entre ses deux frères utérins, l’épée à la main. A sa droite est Eudes, évêque de Bayeux ; Robert, comte de Mortain, est à sa gauche. Probablement on décide dans ce Conseil, qu'il faut se camper et se fortifier à Hastings, pour y attendre l'ennemi, qui, fier de sa victoire sur les Norwégiens, marchait, plein de confiance, donner une seconde bataille.

ISTE : IVSSIT : VT FODERETVR CASTELLVM : ATHESTENGA. Celui-ci (Robert) donna des ordres qu'on fit un fossé tout au tour du camp fortifié à Hastings. Comme cette inscription est écrite sans intervalle après le nom de Robert, il paraît que ce comte de Mortain fut chargé de surveiller les opérations qu'on avait arrêtées dans le Conseil. C'est donc lui qui, un petit drapeau à la main, anime les ouvriers au travail. Ils bêchent la terre, et déjà le camp est palissade. L'inscription CEASTRA, pour Castra, désigne le campement

HIC : NVNTIATVM EST : WILLELMO DE HAROLD. Guillaume reçut ici nouvelle d'Harold. Un militaire s'approche de Guillaume, et il paraît l'informer, avec mystère, de l'approche de l'ennemi.

HIC DOMVS INCENDITUR. On met le feu à une maison. Il paraît qu'en conséquence de la nouvelle reçue, on a mis le feu à quelque bâtiment qui gênait le développement de l'armée. Une femme conduisant son fils par la main, sort de cette maison à laquelle deux hommes mettent le feu. L'Histoire se tait sur ce fait particulier. On sait seulement, qu'après la bataille de Hastings, lorsque la ville de Douvres fut prise et incendiée par les soldats, le duc de Normandie en fit dédommager les habitans. Peut-être que le groupe de la femme avec l'enfant, a rapport à quelque acte semblable d'humanité, fait par Guillaume à cette occasion.

HIC : MILITES EXIERVNT : DE HESTENGA : ET: VENERVNT AD PRELIVM : CONTRA : HAROLDVM REGE. Les soldats sortirent de Hastings, et allèrent combattre contre le roi Harold. Le duc de Normandie n'attendit pas qu'HaroId vint l'attaquer dans son camp ; il marcha à sa rencontre. On le voit ici tout armé et prêt à monter à cheval : les cavaliers sont déjà en marche pour chercher l'ennemi.

HIC : WILLELM : DVX INTERROGAT : VITAL : SI VIDISSET EXERCITV HAROLDI. Le duc Guillaume interroge Vital, s'il avait vu l'armée d'Harold. Le Duc, à la tête de sa cavalerie, une massue à la main, interroge un cavalier qui s'approche de lui au galop. Ce personnage paraît être le chef d'une troupe de cavalerie envoyée à la découverte. L'inscription nous fait connaître le nom de ce cavalier : il s'appelait Vital. Il marque de sa main l'endroit où l'ennemi va paraître.

ISTE NVNTIAT : HAROLDVM REGL DE EXERCITV WILLELMI DVCIS. Celui-ci annonce au roi Harold, que l'armée du duc Guillaume s'approche. Le roi d'Angleterre a aussi envoyé à la découverte ; il avait même fait passer des explorateurs déguisés dans le camp français. Guillaume leur fit tout voir, et les renvoya libres à leur maître ; mais cette fois, l'un des guerriers à pied qui précèdent Harold, met la main sur son sourcil pour mieux distinguer les objets dans le lointain, et montre par cette attitude la présence de l'ennemi.

HIC WILLELM : DVX ALOQVITVR : SVIS : MILITIBVS : VT PREPARENTSE : VIRILITER ET SAPIENTER : AD PRELIVM : CONTRA : ANGLORVM EXERCITV. Le duc Guillaume harangue ses gens. Il les exhorte à joindre la sagesse à la valeur, pour combattre contre l'armée des Anglais. Les deux armées sont en présence. Le duc de Normandie harangue les Français, et les encourage au combat. Les Historiens du tems rapportent cette allocution. Dans la peinture, Guillaume paraît être à la fin de sa harangue. Ses soldats vont charger l'ennemi ; il ne reste que le cavalier le plus près de Guillaume, qui paraît encore se tourner pour écouter ses dernières phrases.

La bataille commence : les cavaliers lèvent leurs lances; les archers, qui vont à pied devant eux, ont leurs arcs tendus. On voit voler une grêle de flèches. Les boucliers en sont hérissés. Plusieurs tombent morts ; le carnage est grand. La bordure d'en bas, où étaient peints ci-devant des animaux, des monstres et des grotesques, est présentement jonchée de corps morts. C'est ainsi que les Amazones captives forment la frise d'un sarcophage où leur bataille contre les Athéniens est représentée ; c'est ainsi que les cadavres des Niobides ornent le couvercle d'un tombeau dont les bas-reliefs représentent la vengeance des fils de Latone contre cette malheureuse famille.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 6

HIC CECIDERVNT LEWINE ET : GVRD : FRATRES HAROLDI REGIS. Lewin et Gurd, frères du roi Harold, sont tués. Celui qui est appelé ici Gurd, est connu dans l'Histoire sous le nom de comte de Word. Lui et son frère Lewin tombent dans la mêlée.

HIC CECIDERVNT SIMVL : ANGLI ET FRANCI : IN PRELIO : Il y eut ici un grand carnage d'Anglais et de Français. Les historiens parlent d'un fossé où les Français se culbutèrent vers la fin du jour. On y voit les Anglais sur le bord, qui reviennent à la charge. Le combat fut sanglant, et un grand nombre de combattans des deux armées y tombèrent pèle mêle.

HIC- ODO EPS : BACVLY TENENS CONFORTAT FRANCOS. L'évêque Eudes, un bâton à la main, encourage les Français. Cet accident avait ébranlé les troupes du duc de Normandie. L'évêque Eudes, à cheval, tout armé, une massue levée à la main, ranime les Français et les fait revenir au combat. Les derniers mots de l'inscription sont effacés.

HIC EST : DVX WILLE. Le duc Guillaume se trouve ici. Le Duc est là pour encourager ses troupes. Il lève son casque et se fait connaître aux siens. Comme il était blessé, peut-être que cette nouvelle avait découragé les Français. Il les rassure, et la victoire désormais n'est plus douteuse.

HIC : FRANCI PVGNANT ET CECIDERVNT QVIERANT : CVM HAROLDO: Les Français combattent, et l’armée d'Harold est taillée en pièces. Ici la Tapisserie représente les Français qui reviennent au combat plus vigoureusement que jamais. Les Anglais sont en déroute et taillés en pièces.

Notice historique sur la Tapisserie brodée par la Reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant (1803) - Pl. 7

HIC HAROLD : REX : INTÉRFECTUS EST. Le roi Harold lui-même fut tué. Harold II mourut les armes à la main. On le voit ici tombé de cheval et étendu à terre. Il n'avait régné que neuf mois. Un cavalier, sans descendre de cheval, coupe la cuisse à Harold, ce qui déplût tellement au duc Guillaume, disent les Historiens, qu'il dégrada ce cavalier de la milice. La bataille de Hastings, qui plaça Guillaume le Conquérant et sa race sur le trône d'Angleterre, fut donnée le 14 Octobre 1066.

Ici finissent les broderies de Mathilde, et même les dernières figures sont un peu effacées. Des Savans ont été d'opinion que les peintures continuaient jusqu'au couronnement de Guillaume. Cette opinion est probable, quoique rien de ce qui reste ne l'autorise.

FIN


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