GAUBERT, Charles : La foire de Guibray à Falaise (1913).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (28.I.2015)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 7ème ANNÉE / N°9 - Septembre 1913.

La foire de Guibray à Falaise

par
Charles Gaubert

~*~

LA Foire de Guibray, qui se tient dans le faubourg fameux de Falaise, est l'une des plus importantes foires de chevaux de France ; au point de vue des transactions, elle se place immédiatement après celle de Beaucaire ; des acheteurs de chevaux de toutes espèces y viennent, non seulement des endroits les plus divers de notre pays, mais même de l'étranger ; on entend au hasard des groupes des bribes d'allemand, d'anglais, d'espagnol, et ce n'est pas là l'une des impressions les moins pittoresques de notre foire normande. En outre, la Guibray se trouve placée de par l'ordre des dates, à peu près à intervalle égal entre deux autres foires calvadosiennes réputées : la Saint-Clair, à Pont-d'Ouilly et à la Pommeraye (18 juillet), et la Saint-Gilles, à Condé-sur-Noireau, le 1er septembre. Elle change pour quelques jours la physionomie de Falaise. Cette année l'animation a été très active, toutes les écuries de Guibray, la Romaine (1), le Grand et le Petit Griffon, les Rives, le Bras-d'Or, St - Georges, Cour du Pot d'Etain, l'Ecu de France, la Belle Etoile, l'Image Saint-Michel, ont été complètement remplies pendant quelques jours et nous avons noté avec un grand plaisir une notable augmentation sur le chiffre des entrées de chevaux relevées cette année par le service des octrois, du moins pour les premiers jours. En 1912, 2 et 3 août : 415, 4 août : 638, 5 août : 784. En 1913, 2 et 3 août : 382, 4 août : 691, 5 août :709. Soit en plus pour ces quatre premiers jours : 195 chevaux.

Malheureusement où sont les foires d'antan ? C'est qu'aussi bien maintenant les chevaux ne restent plus guère sur les champs de foire. Ils y sont conduits non plus pour être vendus, mais pour être livrés. En notre époque où l'automobile a rendu toutes les communications si faciles, les acheteurs vont directement dans les fermes pour y acheter les chevaux qui leur plaisent ; ceux-ci sont livrés à la Guibray. Et c'est sur la place Reine-Mathilde, pendant ces premiers jours d'août, un spectacle curieux et paradoxal, que de voir au milieu de ce marché de chevaux stationner de superbes automobiles ; ce sont celles des acheteurs et vendeurs de chevaux.

Les temps ont changé. Qu'est-elle devenue cette ancienne foire de Guibray en Normandie, près de la ville de Falaise, que nous voyons sur la gravure, dédiée à Monseigneur le marquis de Thury et de la Motte-Harcourt, comte de Croisy, mareschal des camps et armées du Roy, gouverneur des villes et chateau de Fallaize. De nombreux historiens et érudits ont longuement étudié les origines et l'évolution au milieu des plus étranges vicissitudes de cette vieille foire de Guibray. Parmi ces chercheurs, il nous faut citer M. Amédée Mériel et M. Octave Biré ; mais il est incontestable que les deux notices consacrées par le conseiller général de Bretteville-sur-Laize à la foire de Guibray, ont une autorité et dénotent une compétence que ne possède pas l'Histoire de Falaise (Foire de Guibray) de M. Amédée Mériel. Rollon, duc de Normandie, serait venu en 912 visiter la chapelle Notre-Dame de Guibray (2) A la mort de Richard III, le nouveau duc de Normandie, Robert, établit une foire à l'intérieur même du Faubourg de Guibray et lui accorda de nombreux privilèges. Aussi la foire accrut d'année en année son importance, et dès le XIIe siècle, la fosse aux thoiles, la fosse aux draps avec ses loges du sillon derrière la cour du tabellionage, formaient déjà un centre commercial important. Les curés de Guibray multiplièrent leurs efforts pour attirer à l'occasion de la foire une foule considérable à Falaise : peuple, barons, prélats, abbés, moines et religieux de la vicomté de St-Andréen - Gouffern , Vignats, Villers-Canivet, Barbery, Nécy, venaient à la foire, et dès l'an 1208, qui marque en même temps que la tenue de l'Echiquier la consécration de l'église Notre-Dame de Guibray par Hugues de Morville, évêque de Coutances, l'époque de la foire fut choisie comme terme de paiement de certaines redevances. Dès lors, des établissements, des pierres, des halles, des « logées », des écuries s'élevèrent à la place des loges volantes de toiles et de chaumes que soutenaient mal des perches fichées en terre. Au XIVe siècle, des marchands drapiers de Rouen, d'Elbeuf, de Darnetal, d'Amiens, de Cherbourg, de Vire, des marchands de toile fine, de mousseline, de frocs de Lisieux, des marchands de serge de Saint-Lô, des bonneteurs, des marchands d'épices, des corroyeurs viennent à la Guibray. Vers 1550, un auteur déclare (3) qu'à la célèbre foire de Guibray, il se faisait « un grandissime trafic de couteaux pour leur bonté, gentillesse et délicatesse de leur ouvrage. »

Le roi Henri III supprima la foire de Guibray pour punir les habitants de Falaise d'avoir embrassé la cause des Guises par lettres patentes, « interdisant et défendant la tenue de la foire de Guibray, défendant à tous marchands régnicoles, étrangers et autres, de n'y plus aller pour le fait d'icelle foire, y porter ou faire porter marchandises de quelque sorte que ce soit pour y trafiquer ou négocier, sous peine de contravention aux édits et la confiscation d'icelles marchandises. » Henri IV révoqua par mandement donné au camp de Saint-Denis le 19me jour de juillet de l'an de grâce 1590 les lettres patentes de son prédécesseur qu'il avait cependant confirmées le 1er octobre 1589 (4).

La Foire de Guibray continua dès lors de se développer, sinon sans à-coups, du moins assez régulièrement, et rien ne peut mieux donner une idée de l'importance de cette foire au début du XVIII° siècle (année 1704), que « l'Etat des marchandises de toutes espèces et qualités qui ont esté apportées en cette foire pour y estre venduês tant en gros qu'en détail », placé par M. Mériel à la fin de son ouvrage.

Et si importante était cette foire qu'il fallait prendre des mesures d'ordre de plus en plus sérieuses, tout comme de nos jours, soit au sujet de la circulation (défense de laisser circuler les carrosses et les chevaux dans les rues de la foire à cause de la multitude d'acheteurs, de curieux et de portefaix), soit au sujet des risques d'incendie (défense à toute personne de quelque qualité qu'elle fût de fumer dans les rues de la foire, magasins, maisons et boutiques d'icelle sous peine de prison et de 10 livres d'amende ; recommandation de ne pénétrer dans les greniers et écuries qu'avec des lanternes closes) (5) ; au sujet de la taxe du pain et de son poids, au sujet des heures de fermeture des loges et des cabarets. Des renforts de forces de maréchaussée venaient à Guibray pour empêcher pendant la foire « de faire la guerre aux bourses ». C'était une foire très fréquentée et en laquelle chose rare pour le temps — les précautions de sûreté et les mesures de prévoyance commerciale donnaient toutes sortes de garanties aux vendeurs comme aux acheteurs ou aux promeneurs, et augmentant ainsi la sécurité des marchés et la loyauté des affaires, assuraient à ces assises plus de réputation et plus d'activité.

Mais il faut toujours qu'il y ait l'agréable à côté de l'utile et c’est ainsi que les gens de toutes conditions et de tous rangs que leurs affaires, leurs besoins, leurs intérêts ou leurs relations amenaient à la Guibray, étaient heureux de profiter de cette visite à la ville pour se récréer quelque peu, et la foire de Guibray comme toutes les autres avait ses bonisseurs, ses baladins, ses saltimbanques : aujourd'hui encore, il y a sur la place Dumont - d'Urville, à Falaise, pendant toute la durée de la foire de nombreux établissements forains. En 1760, des comédiens brevetés de la Cour, Gabriel et François Baron donnèrent à Guibray, à l'entrée de la rue du Pavillon et de la place de la Bourse, Au Louvre, une série de représentations, et depuis lors des acteurs célèbres vinrent régulièrement à la foire de Guibray y jouer la comédie (6).

Cependant, depuis quelques années, exception faite pour celle-ci (1913), la Guibray perd de son importance d'antan. Elle coïncide pourtant avec deux manifestations hippiques des plus intéressantes, le concours hippique et les courses : mais tant de changements se sont par suite des découvertes scientifiques produits dans nos mœurs que les anciens usages et les vieilles traditions en subissent la conséquence et le contrecoup et ce qui était jadis un attrait et une nécessité risque de perdre un peu chaque année de celle-ci sans augmentation de celui-là.

Charles GAUBERT.

°
° °

Récapitulation du nombre d'Animaux amenés en 1912 et 1913 : Il a été amené cette année, 2.563 chevaux, soit 273 de moins qu'en 1912. A la foire aux bestiaux, on a relevé les chiffres suivants : bœufs, 258 (51 de plus qu'en 1912) ; vaches, 624 (27 en plus) ; porcs et veaux, 72 (en plus 14) ; moutons et chèvres, 7 (en moins 33) ; cochons de lait, 263 (en plus 218). En additionnant toutes les têtes d'animaux, on trouve pour 1913, un total de 3.787 contre 3.783 en 1912. Mais c'est le nombre élevé des cochons de lait amenés cette année qui rétablit l'équilibre rompu par le nombre toujours diminuant des chevaux amenés à la Guibray.

 

NOTES :
(1) La Romaine était l'hôtellerie la plus réputée ; il y avait table d'hôte, billard, café et salle de comédie ; ce nom de romaine, que l'on peut encore distinguer sur le porche d'entrée vient d'un instrument de pesage bien connu; il y avait dans une dépendance de la Romaine, un agent de l'état pour surveiller le poids des marchandises. M. Le Châtelain de Crécy organisa en 1837 des spectacles et des jeux divers à la Romaine.
(2) Cette chapelle subit de constantes et nombreuses transformations ; c'est aujourd'hui une église romane qui de très loin attire les touristes et les archéologues. L'église renferme de nombreuses sépultures ; notamment celles de Boscher du Fay, Deshayes, Dubosq, Bellenger, Desfreneaux, Restout, Cinard de Marampon, Nicolas Lesassier. L'on peut y voir au-dessus du maitre-autel un beau groupe de l'Assomption attribué soit à Romaquesi soit à Couston, et au-dessous un superbe bas-relief en plomb d'une scène de l'Apocalypse.
(3) Cité dans le Manuscrit d'Hesembert-Dupaty (1652).
(4) C'est un avocat de Falaise, Nicolas Lesassier, sieur de la Roche, député aux Etats généraux de 1590, qui fit rapporter à Henri IV la décision qu'il avait prise neuf mois plus tôt de confirmer les lettres patentes de son frère.
(5) Il faut voir dans cette recommandation faite d'une façon officielle l'origine première de la si jolie et peu méchante satire : les gâs de Falaise et leur lanterne.
(6) En 1827, Mlle Georges donna 8 représentations à Guibray. En 1816, Mlle Déjazet parut à notre foire dans la Gardeuse de dindons et Gentil Bernard. Des troupes prirent en régie le théâtre pour la foire, et quand en août 1865, notre scène fut privée d'acteurs, des amateurs falaisiens jouèrent eux-mêmes des pièces, tant était entré dans les mœurs le goût du théâtre.

La place Reine-Mathilde à Guibray, un gand jour de Foire (Cliché C. Jeanne, Falaise). La foire de Guibray par François Chauvel, sieur de Cantepie gravée par Cochon (1658).
La place Reine-Mathilde à Guibray, un gand jour de Foire (Cliché C. Jeanne, Falaise).
La foire de Guibray par François Chauvel, sieur de Cantepie gravée par Cochon (1658).



retour
table des auteurs et des anonymes