Madame est servie..... : Etes-vous navrées de la banalité des menus modernes ? Voici, Mesdames, des recettes du temps de Louis XV (1913).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (28.I.2015)
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 7ème ANNÉE / N°8 - Août 1913.

Madame est servie.....

Etes-vous navrées de la banalité des menus modernes ?
Voici, Mesdames, des recettes du temps de Louis XV.

Un convive

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Il n’est pas sans quelque témérité de nos jours où l'art, la musique, les sports et la littérature ont accoutumé de faire élégamment les frais des conversations féminines, de remettre sur le tapis précisément à l'intention des petites Madames qui lisent La Revue Illustrée du Calvados, et qui font par là même preuve d'un goût cultivé et averti, la prosaïque question de la cuisine.

C'est un sujet d'entretien bien délaissé, bien Louis-Philippe, qu'on a soigneusement banni des salons même provinciaux et relégué à la cuisine avec le parfum trop bourgeois du pot-au-feu et les sauces.

Le bas bleu a beaucoup nui ces dernières années au cordon bleu.

C'est un tort : l'inépuisable Sagesse des Nations assure que la joie vient du ventre et qu'un ventre affamé ne saurait rien entendre.

Un serviteur Il est au moins certain qu'une table habituellement bien servie en dépit de la mode du régime, vaut à une maîtresse de maison une réputation flatteuse et l'assure de l'amitié des gens positifs. La salle à manger où l'estomac se satisfait agréablement, concurrence encore aujourd'hui d'une façon très sérieuse le salon où l'on cause, malgré les toasts, les cakes et les tasses de thé. Les grands salons littéraires de la Restauration et du Second Empire où se faisaient et se défaisaient les ministres et s'improvisaient les académiciens, communiquaient invariablement par une porte à double battant avec la salle à manger ; on ne passait dans l'un qu'au sortir de l'autre et le feu d'artifice de tous les beaux esprits qui fréquentaient assidûment la maison ne brillait que mieux après un bon repas.

Savoir manger est un art, savoir préparer à manger en est un autre, et celui-ci a toujours été éminemment français. L'ombre de Vatel demeure propice à nos chefs parisiens que souverains étrangers et milliardaires de la Libre Amérique se disputent à prix d'or.

Avant que de dévoiler aux maîtresses de maison quelques-uns des secrets culinaires qui furent ceux du temps où vécut le Cuisinier-Martyr et pour les initier sommairement aux traditions gastronomiques nous ne saurions résister à la tentation de leur décrire le menu qui fut servi le jour de la Saint-Jean 1425, en l'hôtel Saint-Cande, de Rouen, hôtel appartenant aux évêques de Lisieux et où mourut Pierre Cauchon.

Ce repas fut offert précisément par son prédécesseur, Zanon de Castiglione, trente-huitième évêque de Lisieux, à l'occasion de la prestation du serment d'obéissance qu'il devait au métropolitain de Rouen comme évêque suffrageant de Normandie. A ce festin d'usage, assistèrent l'archevêque, les évêques de Lisieux et de Bayeux, le Chapitre de la Cathédrale, tous les dignitaires de l'archevêché et de l'official, plus quelques laïcs de distinction.
 
Ce ne fut pas une mince affaire de loger tout ce monde et des tables durent être dressées un peu partout.

Devant l'archevêque de Rouen furent servis deux plats couverts dont l'un contenait des cerises et l'autre trois petits pâtés de veau ; on versa dans les verres du vin blanc ; deux platse succédèrent : de venaison avec une sauce noire et un chapon gras à la sauce blanche ; sur le chapon étaient semées des amandes et des dragées.

A chaque service on versait d'autre vin toujours meilleur et en abondance. A la table d'honneur, dirions-nous aujourd'hui, les viandes rôties se composèrent d'un cochon, deux pluviers, un héron, la moitié d'un chevreuil, quatre poulets, quatre jeunes pigeons et un lapin.

Dans chaque plat servi pour deux chanoines, il y avait — seulement — un pluvier, un cochon de lait, un butor, une pièce de veau, une pièce de chevreuil, un lapin, deux poulets, deux pigeonneaux avec des plats honnestes de gelée.

En grande cérémonie on apporta ensuite quatre paons rôtis dont on avait eu soin de conserver les queues resplendissantes de leurs riches couleurs.

De la venaison de sanglier en quantité et des gâteaux de froment pétris avec du lait d'amande précédèrent les fromages, les tartes et les fruits.

Après les grâces qui furent dites par l'Archevêque dans la salle du festin, furent apportées finalement des confitures et des épices dans des drageoirs d'argent. C'est ce qu'on appelait alors la collation.

*
* *

Les recettes concernant la table, en usage pendant le Grand Siècle et sous Louis le Bien-Aimé, démontrent que l'habitude de bien vivre ne s'était pas perdue. Un manuel contemporain de Vatel et qui fut réimprimé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle porte cet avis du censeur royal, Philippe de Pretot : «  Je crois que cette réimpression pourra être agréable même aux modernes Apicius et suffire à la délicatesse des citoyens opulents. » Nous le croyons encore. Voici en effet au hasard, le menu d'un déjeuner d'été :

TABLE DE DOUZE COUVERTS A DINER,
SERVIE A SEPT

Une pièce de bœuf pour le milieu

Deux Potages

1 garni de concombres, 1 de croûtes au coulis de pois verts
 
Quatre Hors-d’œuvre

1 de pieds de mouton en fricassée de poulets,
1 de noix de veau en caisses,
1 de petits pâtés, 1 d'un melon

SECOND SERVICE

Six entrées pour relever les deux potages
et les quatre hors-d'œuvre

1 d'un gigot de mouton à l'eau, 1 d'un quasi de veau à la crème,
1 d'un caneton aux petits pois, 1 de pigeons aux fines herbes,
1 de deux poulets aux petits oignons blancs,
1 de filets de lapereaux aux concombres

TROISIÈME SERVICE

1 entremets froid pour le milieu d'une grosse brioche

Quatre plats de Rôts, deux Salades

1 d'un dindonneau, 1 d'une poularde, 1 de qua tre perdreaux, 1 de six pigeons bardés en
cailles, 2 salades d'herbe

QUATRIÈME SERVICE

Six entremets pour relever les quatre plats de rôt
et les deux salades

1 de tartelettes d'abricots, 1 d'œufs brouillés à la coque,
1 de beignets de feuilles de vigne,
1 de petites timbales de biscuits,
1 de petites fèves de marais à la crème,
1 d'artichauts à la sauce au beurre

CINQUIÈME SERVICE

Dessert

1 jatte de fruits cruds pour le milieu

Quatre compotes

1 de pêches, 1 de prunes ,1 de poires, 1 de verjus,
4 assiettes de glaces à la crème ou 2 de cerneaux,
1 de fromage à la crème,1 d'échaudés

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* *

Au souper, souper modeste mais qui ne comporte pas moins cependant d'une douzaine de plats, vous auriez eu, madame, à offrir à vos convives une queue de bœuf en matelote, qui aurait pu être tout aussi bien en hochepot, à la braise ou à la Saint-Menehould. Un plat d'yeux de veau au salpicon, une cervelle de veau au soleil, des oreilles de veau à la Tartare ou au fromage, un riz de veau à la pluche verte n'eussent pas été non plus méprisables ; pour le gigot de mouton, vous auriez pu au choix l'accommoder à la poêle, à la Gênoise, à l'eau, à l'Anglaise, aux choux fleurs, aux cornichons, à la servante, en grenadin, à la Martine, à la Régence, à la Royale, à la Mailly, à la Sultane, à la Périgord, aux légumes glacés, ou à la persillade. Le poulet ? Vous aviez à choisir entre le poulet à la Bourdois, aux œufs, à la Reine, à la Barbarine, sans fard, au fromage, à l'estragon, à la jardinière, au cerfeuil, au réveil, au verjus de grain, au basilic, poulet mariné, poulet en pain et bien d'autres.

Le reste, madame, en cet heureux temps d'estomacs solides, était à l'avenant, metteur d'eau à la bouche et extraordinairement varié. Nous n'en étions pas encore au règne des Grandes-Sources d'une part et à la cuisine futuriste de l'autre. Cela n'empêchait pas nos aïeules de faire poétiquement des confitures de violette et des conserves de roses dont elles se pourléchaient les doigts en chattes gourmandes qu'ont été, sont, et seront toujours, peu ou prou, les femmes.

 
LA REVUE ILLUSTRÉE DU CALVADOS, publiera chaque mois, en chronique, quelques unes de ces recettes pour la plupart perdues, sous le titre « Cuisine ancienne »


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