[BLANCHE, Raymond] : Le 14 Juillet à Lisieux (1910).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (19.VI.2013)
Texte relu par A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 4e année n°8 - août 1910.

Le 14 Juillet à Lisieux

par
Raymond Blanche

~*~

Revue lexovienne Illustrée - Août 1910 [Pdf]La fête nationale a été célébrée cette année à Lisieux, avec un entrain patriotique plus vif que les années précédentes. L’affluence était plus grande partout, grâce à un temps favorable, égayé par un doux soleil.

La revue des troupes passée sur la place Thiers, présentait un intérêt particulier, en dehors de l’attrait du défilé qui éveille toujours la curiosité publique.

Après la remise à M. Crem, gendarme à Trouville, de la médaille de Casablanca (Maroc) par M. le lieutenant colonel Largillier et le défilé qui s’est accompli avec une régularité parfaite, la Société de Gymnastique et de Préparation Militaire “ La Lexovienne ”, recevait son drapeau des mains de la municipalité de Lisieux.

Devant ce drapeau que le maire de la ville a remis à M. Ragot, président de la Société, les enfants des écoles municipales sous la conduite de leurs directeurs et directrices : MM. Degrenne, Hue, Mlles Lemaître et Prestavoine, ont défilé, saluant en passant l’emblême national que tient fièrement le porte-drapeau. Ce défilé, que soutenait d’airs entraînants la musique municipale, a été fort réussi et a causé une excellente impression. C’est pour la jeunesse une fortifiante leçon de choses que cette participation aux manifestations patriotiques.

Il serait désirable qu’on lui réservât aussi une participation directe à la fête du travail qui revient chaque année et qui offre à tous le fortifiant exemple donné par tous ceux dont on récompense l’honnêteté, l’énergie dans les épreuves de la vie et le dévouement au travail. Il n’est pas de leçon plus utile à donner à l’enfance que celle qui lui apprend à honorer le travail persévérant qui soutient dans la vie et donne à l’homme la conscience de sa dignité et de sa valeur morale.

Au cours de la fête du travail, qui a eu lieu à l’Hôtel-de-Ville, huit prix de mérite on été distribués et trois machines à coudre ont été remises à des titulaires particulièrement dignes d’intérêt.

Dans l’après-midi, la jeune société de gymnastique “ La Lexovienne ” a exécuté sur la place Thiers une série d’exercices qui ont vivement intéressé un public fort nombreux. Les jeunes gymnastes dont la tenue excellente et l’entrain ont été fort remarqués, ont accompli avec précision plusieurs mouvements d’ensemble. Les exercices à la barre fixe, les sauts très hardis et fort réussis ont provoqué des applaudissements mérités.

Terminée par l’exécution de deux pyramides que nos gravures reproduisent, ces premiers exercices de “ La Lexovienne ” font honneur à la jeune société et à son chef distingué, M. Michaut, sergent au 119e de ligne.

Grâce au beau temps, les jeux nautiques au pont de Caen ont obtenu un franc succès de gaîté ; la foule s’y est copieusement amusée et de nombreux auditeurs ont applaudi l’orphéon “ Les Enfants de Lisieux ” qui s’est fait entendre en divers endroits du quartier de Saint-Désir.

Les courses vélocipédiques au vélodrome d’Orival dont les épreuves ont été disputées par une trentaine de coureurs avaient attiré une foule considérable.

Nous donnons plus loin les impressions du jeune aéronaute, M. Raymond Blanche, qui faisait sa première ascension à bord du ballon “ Ville de Lisieux ”, monté par M. E. Boyteux, des Prés-Saint-Gervais et qui emmenait également M. Blanche, conseiller municipal. Le ballon, parti à 7 heures, après s’être élevé à une hauteur de 550 mètres environ, est allé atterrir au Pré-d’Auge dans la propriété de M. Decauville.

La soirée du 14 juillet s’est terminée par un grand concert, donné par la Musique Municipale, sur la place Thiers, fort brillamment illuminée. Un magnifique feu d’artifice, fourni par la maison Duchemin, de Rouen, a été tiré au Grand-Jardin où la presque unanimité de la population s’était transportée. Enfin un bal a réuni à la Halle-au-Beurre bon nombre de danseurs qui ne se sont séparés qu’aux premières lueurs du jour.


Les impressions d’une ascension en ballon

Le ballon “ La Ville de Lisieux ” était monté par M. Boyteux, aéronaute, qui avait pris avec lui à son bord, M. Blanche, conseiller municipal et son fils, M. Raymond Blanche.

Celui-ci a fait de la façon suivante, le récit de ses impressions au cours de cette ascension qui s’est terminée par un heureux atterrissage dans la propriété de M. Decauville, le sympathique maire du Pré-d'Auge.

Il faut avoir fait une ascension en ballon libre pour être capable d’exprimer la douce sensation que l’on en ressent. S’il est possible qu’au moment d’un premier départ une vague appréhension envahisse le voyageur, cette appréhension est bien vite remplacée par un sentiment tout différent : l’admiration. C’est à trois que nous avons pu éprouver ce sentiment lorsque le “ Ville de Lisieux ” s’est élevé dans les airs le 14 juillet dernier.

Il est sept heures lorsque du ballon on commande le “ lâchez tout ”. Bien tôt, à mesure que l’altitude augmente, les grandes lignes du sol se resserrent et la ville que nous venons de quitter nous donne peu à peu l’impression d’un immense plan en relief. Mais une faible brise, que nous ne pouvons ressentir, nous pousse vers l’Ouest. Nous voyons longtemps encore la place que nous avons quittée. Puis, nous élevant de plus en plus, nous ne distinguons plus de la ville qu’une grande tache grise se détachant au milieu d’un immense tapis vert. Nous sommes alors au-dessus de la route de Caen et à une altitude de 500 mètres. La campagne est magnifique et présente une curieuse particularité. L’ensemble d’un vert foncé est nettement séparé par une longue traînée beaucoup plus claire, dirigée du Sud au Nord. Cette traînée, qui n’est autre que la vallée de la Touques, ne semble pas plus large qu’une de nos rues. Mais alors, les routes, que deviennent-elles ? Elles sont réduites à des rubans blancs qui, d’en haut, peuvent avoir au plus une largeur de quelques centimètres et qui se détachent nettement sur la campagne environnante. Nous avons pu aussi assister à l’arrivée du train de Caen, vers sept heures un quart. Nous croyions voir alors un simple jouet d’enfant animé d’une très faible vitesse. Cependant, nous avançons lentement et nous quittons un peu la route de Caen. Les bestiaux, dans les herbages, sont réduits à des points de couleurs différentes. Enfin les champs cultivés nous apparaissent comme des carrés de dimensions minimes.

Malheureusement, notre ascension ne peut se prolonger longtemps encore. Nous sommes trois et la force ascensionnelle diminue. De plus, il est déjà sept heures et demie et la nuit serait défavorable à un bon atterrissage. Nous prenons donc à regret le parti de descendre. Le guide-rope traîne bientôt sur le sol et s’enroule autour d’un pommier. Nous sommes captifs et nous ne tardons pas à voir apparaître de nombreux habitants qui veulent bien nous aider dans cette manœuvre au milieu des pommiers. Mais où sommes-nous ? Le hasard, qui fait bien les choses, nous a conduits dans la propriété de M Decauville, maire du Prédauge, où nous avons trouvé MM. Constant Petit et Trèche, de Lisieux. Nous sommes reçus très cordialement et, après quelques courtes ascensions faites par plusieurs personnes présentes, nous procédons au dégonflement du ballon. L’enveloppe est repliée, ainsi que le filet, et, après une heure de travail, nous sommes prêts à repartir. Notons, de plus, qu’au moment de notre atterrissage, nous avons envoyé une dépêche, grâce à quelques pigeons que nous avions emportés. Un pigeon appartenant à M. Doublet, vice-président de la société “ La Colombe ”, et deux autres que nous avait confiés M. Colette sont partis du Prédauge à sept heures et demie et, avant huit heures, la nouvelle était connue à Lisieux. Il était dix heures lorsque nous rentrâmes en ville dans une voiture que M. Decauville avait mise aimablement à notre disposition.

En somme, notre ascension a été excellente, bien qu’un peu courte, mais elle a suffi pour nous faire connaître tous les délices de l’aérostation. N’est-ce pas là un sport idéal ? On ne se sent pas entraîné et aucune secousse ne se produit. De plus, l’action de l’air ne peut se faire sentir, puisque nous sommes emportés par lui. Nous ne saurions donc trop remercier M. Boyteux, notre excellent pilote, qui a fait tout son possible pour faire partir à trois et qui a fait de nous de nouveaux adeptes de l’aérostation. Merci enfin à toutes les personnes qui ont bien voulu, lors de l’atterrissage, nous apporter leur précieux concours.

Raymond BLANCHE.


retour
table des auteurs et des anonymes