Les Petites Heures à mon oncle Thomas. Chansonnier nouveau.- A Caen : de l'Imprimerie de Dedouit, rue Pémagnie, n°6, [ca1810].- 12 p. ; 15 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06.XII.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm br 1140).

LES PETITES HEURES
A MON ONCLE THOMAS.

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CHANSONNIER NOUVEAU.

~*~


JE m'appelle Grégoire Ridoux, et je suis sorti du légitime mariage de Jean Ridoux,mon père, et de Marguerite Boitout, ma mère.

Or, madite mère avoit un frère qui s'appelait Thomas-Polycarpe Boitout. Comme frère de ma mère, c’étoit mon oncle Thomas ; et moi comme fils de sa sœur, j’étois son neveu Grégoire.

Lorsque je vins au monde, le jour St.-Nicolas de l'an 1788, à minuit et demi passé à ce que porte mon baptistaire, mon père étoit déjà mort.

Mon oncle qui fut mon parrain me servit de père.

Avant la révolution, il étoit le customs de notre église, et en outre boulanger, fabricant d'allumettes et d’amadou, tenant aussi la poudre à poudrer et la pommade en bâton.

Pendant la bienheureuse révolution l’église fut dévastée, les cloches furent fondues pour faire des canons ; les vases sacrés pour faire de la mon noie ; les ornemens furent portés au département, et on en fit des jupes, des fauteuils, des habits de masques, etc. Mon Oncle Thomas n’ayant donc plus rien à garder dans l'église en fut porter les clefs chez l'agent municipal, et lui donna sa démission de customs.

La révolution ayant tondu tout le monde et rasé une bonne partie des têtes à perruques, mon oncle abandonna le débit de poudre à poudrer et de pommade en bâton. Mais comme il fut alors permis à tout le Monde de faire du bruit et de la fumée et de tirer sur les pigeons, il obtint la carte à poudre de chasse, qui fut bientôt suivie de la carte à tabac.

Les prêtres rentrèrent de l’émigration et les églises furent r’ouvertes. Alors mon oncle redevint custos de notre église, de même que M. le Curé, qui n'étoit pas mort en Angleterre, reprit aussi possession de son église que les bleus n'avoient pu brûler.

Mais plus de presbytère, plus de vases sacrés, plus de cloches, plus d’ornemens, rien que les quatre murs de l'église, et dedans pas autre chose que des chats-huants et des chouettes.

En revanche on avoit réuni à notre paroisse trois autres paroisses pour lesquelles il n'y avoit pas de prêtres et dont les habitans n'avoient pas plus d'une lieue et demie à venir à notre église.

Comme la besogne augmentoit on me fit bedeau.

Chacun se prêta de son mieux la célébration des saints mystères. On bâtit un autel sur des tréteaux ; on fit une chaire avec un banneau démonté et une vielle tapisserie ; enfin on parvint à chanter l'office le jour de Pâques ; et alors, un bâton à la main en guise de baleine, je commençai à précéder la croix de bois qui remplaçoit celle dont on avoit fait des pièces de cent sous.

Mon oncle devenu custos d'une église qui avoit tant de paroissiens, vendant bien ses allumettes, son amadou, sa poudre de chasse, son plomb et son tabac, ne laissa pas que d'amasser quelques gros sous ; il étoit dans l'aisance.

Mon oncle Thomas étoit un gros, gras, petit papa tout rond ; sa figure vermeille et rebondie ne ressembloit pas mal à une pomme d'api. Toujours riant toujours gaussant, toujours chantant, vrai sans-souci, il n'étoit jamais un quart d'heure triste ni malade ; aussi auroit-il dû vivre fort long-temps. Veuf sans enfans, il ne s'étoit point remarié, parce que ma mère Marguerite faisoit son ménage et prenant soin de sa vache.

L'homme propose et Dieu dispose ; mon oncle fut pris le 18 juin dernier d'une fluxion de poitrine qui, en dix jours [.............] au tombeau, à l’âge de 50 ans onze mois vingt-neuf jours et demi.

Mon oncle savoit lire couramment et passablement signer son nom ; il lisoit beaucoup les almanachs et toutes sortes de petits papiers. Il se connoissoit parfaitement au temps et se plaisoit à faire des prédictions.
 
Le 24 de juin qui étoit le jour St.-Jean, j’étois auprès de son lit ; il se tourna de mon côté et me dit :

« Grégoire... je te fais mon héritier. On est à chercher M. Bonnemain, Notaire, mais auparavant écoute-moi :

« Depuis que tu es né, tu as vu, entendu et lu bien, des choses ; tu as vu la république et la terreur ; tu as vu l’impiété sur le trône et la justice long-temps persécutée y remonter à sa place ; tu as vu l’usurpateur chasser une seconde fois le prince légitime, et celui-ci ressaisir encore une fois la couronne ; mais hélas ! tu n'as pas vu le peuple heureux ; sais-tu pourquoi ?.. C’est qu‘il ne sait pas se rendre heureux ; c'est qu'il ne sait pas où est placé le bonheur. Il est dans le sentiment d'une bonne conscience, dans la pratique de tous les devoirs de son état.

« Ah ! mon cher Grégoire, je frémis d'avance à la vue des malheurs qui menacent encore notre malheureuse patrie.

« Dieu nous a déjà bien punis ; mais quand il a cessé de verser sur nous ses fléaux ; quand il nous a rendu la paix en nous donnant les moyens d'en jouir, en avons-nous été reconnoissans ? L'en avons-nous remercié ? En avons-nous changé de conduite ?

« Ah ! si les peuples ne reviennent sincèrement de leurs erreurs ; s'ils ne se réunissent autour de leur Monarque et de leurs pasteurs ; s'ils ne pratiquent les préceptes de notre sainte religion, qui sont ceux de l’honnête homme et du bon citoyen ; s'ils, ne se convertissent sincèrement tant en politique qu'en religion, ah ! mon cher Grégoire, je vois des maux sans nombre fondre sur la France, je la vois perdue sans ressource.

« Pour toi, mon cher Grégoire, sois toujours fidèle à ton Dieu et à ton Roi, et tu seras honnête homme et bon françois… »

Mon pauvre oncle alloit continuer ; mais M. Bonnemain entra et l'interrompit ; il conserva la parole et la présence d'esprit pour faire son testament et remplir ses devoirs de chrétien, et perdit ensuite connoissance.

Il mourut le 28 et fût inhumé le 29, jour St.-Pierre, avec la pompe due aux fonctions qu'il remplissoit. Tous les custos, bedeaux, sonneurs, balayeurs et fossoyeurs du pays s’empressèrent d'assister a son enterrement.

Parmi les livres qui se trouvèrent à sa mort, je rencontrai le manuscrit suivant, qu'il avoit fait écrire à M. Belleplume, maître d'école de notre village. C'est le recueil des chansons qu'il avoit particulièrement affectionnées, et qu'il chantoit le plus souvent. Il portoit d'ordinaire ce petit livre à sa poche, et l'appelloit ses Petites heures ; et quand il alloit le dimanche après vêpres boire sa quarte chez la mère Poiré, au Pot d'Étain, il disoit toujours qu'il alloit dire ses petites heures ; et en effet il n'étoit pas plutôt entré, qu’il se mettoit à chanter les chansons que vous allez voir, et il ne finissoit qu'en sortant.


LES PETITES HEURES
A MON ONCLE THOMAS.


ROMANCE
Air : Je suis Lindor

JEUNES époux, gardez la foi jurée ;
Pour être heureux, il faut être constant ;
La volupté d'un tendre sentiment
Par l’infidèle est en vain désirée.
N'écoutez point le frivole langage
Des vains amis de la    légèreté ;
Souvent au sein de leur fausse gaîté,
Le repentir punit leur coeur volage.
Suivez plutôt l'exemple doux et sage
De ces oiseaux consacres aux amours ;
Toujours unis, ils se plaisent toujours ;
Et chaque jour ils s'aiment davantage.
Sur cet avis croyez-en l'amour même,
Depuis long-temps ce Dieu me l'a dicte ;
Ainsi que moi, perdant la liberté,
Il est fixé près de celle que j'aime.

L'HOMME CONTENT.
Air de la Pipe de tabac.

LA vie est plaisante et bizarre
Par son étrange mouvement ;
Le gueux trouve son sort barbare,
Le riche n'est jamais content.
Moi qui vis suivant l'ordonnance,
Et que nul objet ne retient,
Soutenu par la providence,
Je saisis le temps comme il vient.
J'ai vu dans le cours de ma vie
Plus d'une révolution,
A présent je suis sans envie
Et je n'ai point d'ambition.
Je ne cherche point l’abondance.
Seigneur, donnez-moi le vrai bien,
Eloignez de moi l'indigence,
Pour prendre le temps comme il vient.

CANTATE.
Air : Jeunes amans, cueillez des fleurs.


HEROS francois peuple brillant !
Né pour l'honneur et pour la gloire,
Ecoute encor le noble chant
Qui te guidoit à la victoire.
Rappelle-toi ce, doux refrain,
Signal d‘amour et de vaillance
Pour les Roland, les Duguesclin :
Vive le Roi ! vive la France !
Il animoit le preux Bayard,
Alors qu’arme pour leur défense
Aux lys il faisoit un rempart
De sa valeur et de sa lance ;
Du preux sans reproche et sans peur
Conserve aussi la souvenance,
Du vœu qui fut cher à son cœur :
Vive le Roi ! vive la France !
A Taillebourg, l'honneur des Rois,
St-Louis seul dans la mêlée,
Par son courage et ses exploits,
D'Albion repoussoit l'armée.
Le soldat vole sur ses pas
Imite sa noble vaillance,
S’écrie en bravant le trépas :
Vive le Roi ! vive la France !
Quand Lahire, le beau Dunois
Aidés d'une fière Amazone,
De Charle assuroient autrefois
Les hauts destins, les droits au trône ;
Des ennemis quand ces guerriers
Trompoient la superbe espérance,
Ils portoient sur leurs boucliers :
Vive le Roi ! vive-la France !
Ainsi quand le jeune Nemours,
Emule du Dieu des batailles,
A peine au printemps de ses jours
Trouva d'illustres funérailles,
A Ravenne, expirant vainqueur,
Objet de gloire et de souffrance,
Il crioit, bravant la douleur :
Vive le Roi ! vive la France.
Ainsi quand aux plaines d'Yvry,
Marchant sur sa trace éclatante,
Les compagnons du bon Henry
Rendoient sa cause triomphante,
Heureux de s'immoler pour lui,
Sa gloire était leur récompense,
Et l'on chantoit comme aujourd'hui :
Vive le Roi ! vive la France !

TOUT EN PETIT.
Air : Mon père étoit pot.

Pour t'instruire, portant aux cieux
Ta petite nacelle,
Où va, petit ambitieux,
Ta petite cervelle ?
Gagne à petit bruit
Ton petit réduit,
Petit être superbe ;
De tout en petit,
Un ciron t’instruit,
Sur un petit brin d‘herbe.
Petite pluie abat grand vent,
Dit un petit proverbe.
Un petit grain produit souvent,
Une très forte gerbe.
En analysant,
En décomposant
Ce colosse effroyable,
C‘est de toutes pars,
En morceaux épars,
Un petit grain de sable.
Dans un petit coin, je voudrois
Un petit hermitage,
Où je pourrois jouir en paix,
De mon petit ménage,
Un petit berceau,
Un petit ruisseau
Faisant petit murmure,
Un petit bateau
Un petit côteau
Couronné de verdure,
Prenant petits Poissons au bout
D’une petite ligne,
Je voudrois posséder surtout
Une petite vigne.
Dans mon petit bien,
Même un petit chien
Combleroit mon envie ;
Un petit enfant,
Et par conséquent
Une petite amie.
Un petit souper sans façon
Est un bien délectable.
Je veux en petite maison
Une petite table ;
Dans tous mes repas
Force petits plats ,
Puis d'un vin de Tonnerre
Boire un petit coup,
Ou boire beaucoup,
Mais dans un petit verre.


CHIMENE ET LE CID

ROMANCE ESPAGNOLE


Air : Faut attendre avec patience.

LE Cid, après son hymenée,
Pour les combats veut repartir ;
Sa Chimène en est consternée,
Mais n'ose pas le retenir.
Elle garde un profond silence,
Fixe sur lui des yeux en pleurs,
Et tout à coup sa voix commence
Ce chant d'amour et de douleurs :
 « Ah ! qu'une chaîne glorieuse
Nous prépare de cruel maux !
La villageoise est plus heureuse,
Son époux n'est point un héros ;
Si, pour aller au labourage,
Cet époux la quitte au matin,
Au moins le soir, après l'ouvrage,
Il revient dormir sur son sein.
 « Paisiblement elle sommeille
Sans voir en songe des combats ;
Si quelque chose la réveille,
C'est l'enfant qu'elle a dans ses bras.
Elle lui donne sa mammelle,
Le baise et l'endort doucement ;
L'univers se borne pour elle
A son époux, à son enfant.
 « Chaque Dimanche elle s'habille
Et prend ses beaux ajustemens ;
Douce gaîté dans ses yeux brille,
Et lui donne l'air de quinze ans.
Vers l'église s'achemine,
Pressant son fils contre son coeur ;
Elle rencontre sa voisine,
Elle lui parle de son bonheur. »
 Sur le pommeau de son épée
Le Cid appuyé tristement,
De ces accents l'ame frappée,
Répond à Chimène en pleurant :
 « Va, rassure-toi, ma Chimène,
Nos deux coeurs ont même désir ;
Peu d'instans finiront ta peine,
Je vais voir, vaincre et revenir. »


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