Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°5 - Août 1917.Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie : économiques, commerciales, industrielles, agricoles, artistiques et littéraires / Miollais, gérant ; Maché, secrétaire général.- Numéro 4 Juillet 1917.- Alençon : Imprimerie Herpin, 1917.- 16 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (20.XII.2013).
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NORMANDIE

REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE
DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE
Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques et Littéraires

PREMIÈRE ANNÉE. - N°4   JUILLET 1917

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°5 - Août 1917.

~*~

La Vie Rurale
Et la Production Agricole
Au Pays Normand

(Quatrième article de la série.)

IV

POUR LE REPEUPLEMENT DE NOS CAMPAGNES NORMANDES. — CONTRE LE SCEPTICISME DES « DÉRACINÉS ». — LES CAUSES DE L'EXODE RURAL. — LA VIE DU PAYSAN. — LES PROPRIÉTAIRES ET L'EXPLOITATION DES DOMAINES RURAUX. — ILLUSIONS ET RÉALITÉS. — INSTRUISONS LA JEUNESSE AU POINT DE VUE AGRICOLE ET MÉNAGER. LES ORPHELINS DE LA GUERRE. — UN BEL EXEMPLE. GLORIFIONS LE LABEUR DE NOS VAILLANTES PAYSANNES !
 
Avant de continuer l'examen méthodique des diverses sources de richesses de la Terre Normande, au point de vue de la production agricole, nous nous permettons d'insister de particulière façon sur cette question qui nous préoccupe au suprême degré, nous passionne même, comme elle passionne les fervents régionalistes : le repeuplement de nos campagnes, le retour au village, à la terre, puissant facteur de développement régional, élément essentiel de prospérité du Pays normand.
 
Nous avons d'autant plus de raisons, semble-t-il, d'ajouter de nouveaux arguments à notre plaidoyer en faveur de la terre normande, que, parmi ceux que nous appellerons des « déracinés » — devenus, hélas ! depuis belles années, des citadins parisianisés, c'est-à-dire des normands n'ayant plus droit à ce titre, puisqu'ils n'ont même pas « laissé leur cœur au pays », et dès lors ne se soucient plus de leurs origines — parmi ces déserteurs, disons-nous, on paraît afficher un scepticisme vraiment excessif à l'égard des œuvres comme celle à laquelle nous consacrons toutes nos facultés : la décentralisation au profit des grands intérêts régionaux.

Aussi bien, on peut proclamer hardiment que dans les circonstances actuelles, surtout, ce n'est pas au scepticisme irréfléchi et plus ou moins... dissolvant qu'il convient de prêter l'oreille, mais bien aux idées sagement conçues, et aux opinions mûries par l'étude et l'expérience.

C'est qu'en effet, la question est infiniment sérieuse ; elle revêt même un caractère de gravité que l'on ne saurait se dissimuler — quand on réfléchit bien — et qui, par conséquent, ne saurait laisser indifférents ceux qui sont assez clairvoyants pour apprécier les conséquences de la dépopulation de nos campagnes, à mesure que celle-ci s'accentue.
 
La population rurale de la Normandie diminue. C'est un fait. Les chiffres fournis par la statistique publiée dans le précédent numéro, montrent que de 1886 à 1911, cette diminution était de 229.974 individus. Il est certain que, depuis six ans, le dépeuplement des campagnes ne s'est pas ralenti, au contraire, étant donné que la guerre contribue, hélas ! à éclaircir encore les rangs de nos laborieux terriens qui, en vingt-cinq ans, suivant la statistique à laquelle nous faisons allusion, avaient déjà perdu 93.395 individus, au profit de la population urbaine.
 
Il n'y a pas à s'élever contre la brutale matérialité des chiffres ; et il suffirait de les opposer aux critiques des esprits sceptiques qui ne saisissent pas toute l'importance des résultats auxquels doit conduire le relèvement régional par le retour à la terre et l'amélioration des conditions d'existence des travailleurs ruraux, afin que ceux-ci demeurent attachés au sol natalet à la noble tâche qui, de père en fils, leur a été dévolue. Il n'est pas superflu d'insister sur les causes de l'abandon des campagnes. Nous pensons qu'il est nécessaire d'envisager toutes ces causes, qu'elles soient prédisposantes ou déterminantes. Une des plus graves, et peut-être la principale, réside dans cette croyance irraisonnée, erronée, que l'on vit mieux à la ville qu'au village ; que la vie du citadin a sur celle du rural des avantages très marqués, alors que ces avantages ne sont rien moins qu'illusoires.

En effet, à la ville, trop souvent, on manque d'air, de soleil et d'espace : et puis, quelle que soit la position sociale, on subit toutes sortes de sujétions désagréables, on ne s'appartient pas ; on appartient à une clientèle quelconque ; clientèle de malades pour le médecin, de plaideurs pour l'avocat et l'avoué, d'acheteurs pour le commerçant, clientèle qu'il convient de ménager et de caresser. Quantité de gens exerçant des professions libérales ne s'appartiennent pas davantage : ils ont des devoirs à remplir, à jours et heures fixes. Il est donc bien naturel que tous ces citadins exaltent la grande indépendance du campagnard, du paysan, de celui qui, évidemment, n'est le vassal de personne, pas même du consommateur ; de celui qui n'a pas d'ordres à recevoir, pas d'heures marquées, pas de sourires à s'imposer, pas de fausses gentillesses à grimacer : celui-là a ses coudées tranches, ses nuits pleines, le grand air en tout temps, le chant de l'alouette, au réveil, les beaux paysages, les vastes horizons et les larges espaces. Assurément, la vie de l'homme des champs a, elle aussi, ses déboires, mais quelle profession n'en a pas ? Certes, il ne faut pas voir la campagne à travers un verre grossissant, comme les gens de la ville, qui s'échappent de temps à autre, pour goûter les charmes de la nature, le gazon vert, les frais ombrages sous la feuillée, les papillons sur les fleurs et les perdrix dans les éteules. Il faut la voir et l'apprécier sous toutes ses faces, en paysan, complètement et sérieusement. Et l'on est amené à reconnaître que, toutes considérations envisagées sainement, sans parti-pris, la vie aux champs, même un peu déflorée, même avec ses imprévus plus ou moins décevants, conservera encore assez d'attraits et d’avantages moraux et matériels, et remportera toujours sur celle des villes. En toute impartialité, il semble que ces considérations valent les plus puissants arguments, le plus juste raisonnement qui puissent être invoqués en faveur du retour à la terre. Ce n'est que par renonciation de fortes vérités, capables de retenir l'attention de nos braves ruraux, que l'on pourra aider à solutionner le grave problème social et économique qu'est la repopulation des campagnes, en Normandie comme partout ailleurs.

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* *

On a trop méconnu la force et l'utilité sociales de la classe paysanne ; de là, cette orientation des masses rurales vers des aspirations conformes à l'esprit bourgeois, aux mœurs et aux coutumes citadines. Tous les hommes de bonne volonté doivent donc unir, coordonner leurs efforts pour ramener au village, à la terre, les égarés, les désillusionnés, ceux qui ont cédé au mirage des villes. Jamais le moment n'aura été plus favorable à celte œuvre de rénovation dont la terre doit bénéficier. Il y a tout lieu de croire que l'abandon des campagnes serait considérablement atténué, sinon enrayé, le jour où les propriétaires prendraient la sage résolution de revenir à leurs domaines. Déjà, avant la guerre, on avait constaté, plus particulièrement dans la moyenne culture, des exemples d'action décisive en faveur du faire-valoir direct. La cherté de la vie, à la ville surtout, avait motivé ces louables résolutions. La situation créée par la guerre a obligé des propriétaires à gérer eux-mêmes leurs domaines et, ainsi, à mieux connaître les exigences du métier de cultivateur, à apprendre à les satisfaire ; et en éveillant leurs initiatives, elle leur a montré que leur intérêt immédiat doit les attacher plus étroitement à ce sol auquel ils ont confié leurs capitaux ou une partie de leur fortune.

Il est à souhaiter que le propriétaire fixé à la ville renonce désormais à recruter ses serviteurs dans les familles rurales, au foyer de ceux à qui il a confié l'exploitation de ses terres, de ses propriétés, car, de tout temps, ce recrutement a été la cause la plus funeste de l'exode rural. Les jeunes hommes et les jeunes filles qui partent ainsi sont perdus pour nos campagnes ; s'ils quittent leur premier maître, ils se louent chez un second, toujours à la ville.
 
En revenant à la terre, les propriétaires ne feront qu'agir conformément à leurs intérêts bien compris et ce faisant, ils retiendront, eux-mêmes, bon nombre de ces travailleurs ruraux, en les intéressant à la prospérité de l'exploitation, en les conseillant et les protégeant.
  
L'influence des lois facilitant à tous l'accès de la propriété et procurant, aux travailleurs de la terre, comme aux autres, la retraite tant désirée — la retraite qu'ils entrevoient surtout lorsqu'ils briguent un emploi à la ville — cette possibilité d'accéder à la propriété doit exercer, dans le même sens, une influence salutaire. On a vu des propriétaires de biens ruraux vivre largement à la ville, y dépenser leurs revenus, parfois au-delà, et arriver, en fin de compte, un jour, à la liquidation totale ou partielle de l'héritage foncier. Mais on a vu aussi la contre-partie, le petit propriétaire économe, travaillant, avec soin, à faire valoir son bien en s'aidant des progrès agricoles, devenir l'acquéreur de cet héritage foncier qu'un absentéisme néfaste avait fait déprécier.

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Lorsqu'on examine très consciencieusement les causes auxquelles est attribué l'abandon de la terre, on constate qu'à cet égard, les raisons invoquées par la classe rurale et les avis émis par les sociologues non avertis, peuvent être de nature à entretenir l'erreur et à faire naître l'indécision parmi les esprits timorés, ou parmi ceux qui ignorent les conditions qui, logiquement, régissent, ou, du moins, devraient régir les grands problèmes sociaux. Des hommes que domine un scepticisme inconsidéré nous disent : « Peut-on vraiment espérer qu'une réaction se produira qui ramènera à la terre, à la campagne normande, ceux qui ont déserté parce qu'ils ont pensé trouver à la ville de meilleures conditions d'existence, plus de rémunération de leur labeur, avec moins de peine ? »

Pourquoi pas ? Les arguments invoqués par ceux qui abandonnent la terre sont-ils donc si solides que le bon sens et la raison n'aient sur eux aucune prise, ne puissent les ébranler ? Voyons un peu ces arguments ; quels sont-ils ? Car enfin, la question ne peut se résoudre simplement par les écrits ou les discours des moralistes !

Les uns invoquent le manque de capitaux pour s'établir, puis, la difficulté de se procurer une retraite ; d'autres n'hésitent pas à donner ce motif : vie plus agréable à la ville qu'à la campagne ; d'autres encore incriminent l'éducation et le programme scolaires ; ceux-là n'ont pas tout à fait tort, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.
  
En ce qui concerne le manque de capitaux pour prendre une ferme, on peut répondre que ce n'est pas là une cause de l'exode rural. Le fermier a besoin d'aides, de tâcherons, d'ouvriers ; tout le monde ne peut être fermier. En égard à la retraite, est-ce bien cette aspiration, d'ailleurs très légitime, qui influe sur l'esprit et la mentalité de nos jeunes ruraux ? Ils n'ont pas plus de retraite à la ville. Mais encore, oublie-t-on l'institution démocratique des Retraites ouvrières et paysannes ?
 
Au village, on peut, grâce à l'esprit d'ordre et d'économie, acheter une terre ou une maison, employer ses loisirs à cultiver et entretenir son bien, à faire prospérer le patrimoine — si modeste soit-il — que l'on doit au travail et à l'épargne. A la ville, le temps libre est employé à des distractions souvent plus coûteuses que saines. En vérité, si on songe que la dépopulation des campagnes, depuis tant d'années, s'accentue de jour en jour, bien que la condition de l'homme des champs se soit notablement améliorée au point de vue matériel et professionnel, grâce aux progrès, aux découvertes scientifiques, on est induit à penser que ce n'est pas le besoin du plus grand bien-être matériel qui pousse la jeunesse vers les villes, mais bien le désir de vivre cette vie fiévreuse, agitée, dont presque toutes les jouissances sont malsaines. Et puis, il y a la pernicieuse contagion de l'exemple : trop de gros propriétaires terriens s'en vont à la ville, soit pour y exercer une profession libérale ou administrative, soit pour y consommer plus commodément leurs revenus. Des fermiers plus ou moins routiniers cultivent les terres, tant bien que mal, sous la paternelle surveillance d'un « homme d'affaires » commun, parfois, à plusieurs propriétaires, et trop souvent incompétent, au point de vue pratique, en matière de faire-valoir. L'indifférence, et même le dédain de la bourgeoisie pour les choses de la terre, et cet exemple de désertion donné par les propriétaires de biens ruraux, voilà des causes que l'on ne saurait trop déplorer.

D'autre part, on reproche à l'enseignement primaire de ne pas vanter assez, dans nos écoles rurales, le charme et les avantages de la vie aux champs ; de pousser les intelligents aux diplômes et au lycée ; de ne pas établir une différenciation suffisante entre le programme destiné au fils du cultivateur et le programme général de l'enseignement primaire. Ces reproches paraissent justifiés. L'agriculture a besoin d'intelligences, comme elle a besoin de bras ; l'instruction solide, en rapport avec la profession à exercer, y est aussi nécessaire que dans l'industrie, le commerce et les professions libérales. Il ne faut plus que le petit paysan, une fois pourvu du certificat d'études primaires, soit considéré, du jour au lendemain, par ses parents, comme un demi-savant, façonné pour le fonctionnarisme, ou doué des aptitudes nécessaires pour briguer un emploi à la ville. Là encore, on doit voir une cause — et non la moindre — de l'abandon de la terre, de la dépopulation des campagnes.

S'il est utile de donner à l'ouvrier des villes l'enseignement universitaire, ainsi que l'instruction industrielle ou commerciale, il n'est pas moins indispensable de donner aux enfants de nos populations rurales l'enseignement agricole, dont ils auront à mettre en application les principes raisonnes basés sur les progrès scientifiques, de compréhension facile, mis à la portée de leur jeune intelligence. Il faut qu'au sortir de l'école primaire le fils du cultivateur possède toutes les connaissances utiles pour se bien préparer à la carrière qu'il doit suivre, de par sa destinée, et pour y trouver les légitimes satisfactions que doivent procurer l'instruction, le labeur intelligent et la persévérance.

Et, dans ce retour à la terre, dans ce recrutement agricole, une autre pensée doit nous inspirer et nous guider : la guerre ayant créé à la Société de nouveaux devoirs, il en est un à l'accomplissement duquel doit se prêter la bonne terre normande : celui de prendre sous sa tutelle les orphelins, les enfants de ceux qui sont tombés pour la défense de la patrie, et de les diriger vers l'agriculture. Quelle manière plus belle, plus noble, d'honorer et de perpétuer le souvenir de ceux qui ont sacrifié leur vie pour sauver la terre nourricière ? La vraie place des orphelins de la guerre devrait être au foyer des familles rurales. A ces déshérités du destin, la terre peut assurer une vie paisible, saine et aisée.

Il faut, enfin, que nos jeunes villageoises reçoivent, elles aussi, à l'école primaire, un enseignement qui leur fasse mieux comprendre leur noble rôle et les retienne au village ; un enseignement approprié à leur carrière future et à leur devoir social, et qui contribue à former, non des demoiselles de la ville, mais de bonnes ménagères rurales. Le rôle de la femme, à la campagne, est variable suivant l'éducation et l'instruction reçues. Elle retiendra son mari et ses enfants au village où elle les en éloignera si elle s'ennuie. L'enseignement ménager, vulgarisé dans nos communes rurales, fera que les jeunes villageoises, devenues femmes, comprendront mieux les avantages de la vie aux champs, prendront une plus large part dans l'exploitation du domaine et s'y intéresseront plus directement, plus étroitement, au grand profit de la famille rurale.

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* *

Si la vie urbaine a été, jusqu'ici, pour la jeunesse des campagnes, le miroir aux alouettes, reconnaissons, toutefois, que la situation créée par la guerre doit être un avertissement salutaire, nous éclairant de belles lueurs d'espérance montant au-dessus des incendies allumés par la barbarie germanique. En effet, à l'exode rural, on peut opposer — telle une citation à l'ordre du jour de l'arrière — le bel exemple, si réconfortant, de nos paysannes, de nos fermières, en l'absence de leurs maris. Ce sont ces modestes sœurs de Jeanne d'Arc et de Jeanne Hachette qui, par leur labeur de tous les instants, auront fait produire à la terre le pain de nos soldats et contribué ainsi à la libération du territoire. Elles auront illustré, à leur tour, le geste auguste du semeur, immortalisé par le poète de la Légende des Siècles :

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Ouvre sa main et recommence.


Si, pour développer encore les richesses agricoles de la terre normande et assurer à notre, petite patrie un avenir prospère, nous avons le devoir d'inculquer aux fils de la démocratie rurale les vertus civiques, l'amour du travail et de l'étude qui doivent en faire des citoyens instruits, utiles à leur pays, sachons qu’il est aussi nécessaire de former de vaillantes citoyennes, dignes collaboratrices des travailleurs du sol.

Henri BLIN,
Lauréat de l'Académie d'Agriculture de France.


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RICHESSES MINIÈRES
de Normandie

IV


Dans mes précédents articles, j'ai succinctement examiné la situation des mines de houille de Littry et du Plessis, dont l'exploitation est suspendue, et qu'il y aurait le plus grand intérêt à remettre en activité. Mais, la question des richesses houillères de Normandie ne serait pas solutionnée par la reprise de l'extraction dans ces deux centres miniers.

Depuis longtemps, on s'est demandé si les gisements de houille ne s'étendaient pas sous une plus grande surface que celle des concessions de ces deux centres et s'il n'y avait pas continuité du terrain houiller entre les mines de Littry et du Plessis.

Cette importante question a été examinée très longuement par M. Vieillard, ingénieur des mines, dans l'étude qu'il consacra, en 1873, au terrain houiller de Basse-Normandie.

Sa conviction (qui avait été aussi celle de M. l'ingénieur en chef Hérault), était que cette continuité existait, et il la basait :

1° Sur la constitution particulière de la dépression des terrains de transition dans laquelle s'est déposée la formation houillère ; 2° Sur l'étude spéciale de cette formation sur les deux bassins du Plessis et de Littry ; 3° Sur la connexion intime du terrain houiller avec les assises que l'on retrouve dans toute l'étendue du golfe du Cotentin.

Il ajoutait qu'on avait constaté les mêmes intercalations de roche porphyrique décomposée dans les deux bassins et qu'il avait été extrait de tous deux une houille grasse à longue flamme ayant, à très peu de chose près, la même composition chimique, généralement pyriteuse et trop fréquemment associée à des schistes en proportion élevée.

D'après M. Vieillard, la continuité de la formation houillère entre les mines du Plessis et de Littry paraît donc s'affirmer comme une hypothèse des plus probables, comme un fait démontré géologiquement, sinon matériellement.

M. l'ingénieur Hérault, détermina, d'ailleurs, en 1840, l'Administration à entreprendre deux sondages qui, malheureusement, n'ont pu être poussés à une assez grande profondeur pour résoudre cette question de la jonction des deux bassins houillers. L'un fut entrepris à Mestry, l'autre à Saint-Jean-de-Daye. Un troisième sondage fut également exécuté, en 1860, à Méautis, par la Société « la Normandie », mais abandonné à 112 mètres de profondeur.

La démonstration matérielle de la continuité du terrain houiller entre les mines de Littry et du Plessis reste donc à faire ; elle ne pourra se trouver résolue, disait M. Vieillard, que par un sondage susceptible d'atteindre 350 à 450 mètres de profondeur. Il ajoutait qu'un forage de cette importance, bien placé, bien conduit et bien outillé avait les plus grandes chances de rencontrer les assises de la formation houillère.

Mais, quels sont les points de la région qu'il serait le plus convenable de choisir pour y entreprendre des sondages ?

C'est une question à laquelle on ne peut répondre d'une façon précise, d'autant plus que les conditions dans lesquelles seraient exécutés ces sondages peuvent varier. Soit qu'il s'agisse d'une entreprise faite par l'Etat, non au point de vue d'intérêts privés, mais dans l'intérêt général ; soit qu'il s'agisse d'une entreprise particulière demandant une solution pratique immédiate et peu coûteuse. Mais les points ne manquent pas sur lesquels la recherche du prolongement des bassins de Littry et du Plessis pourrait s'opérer avec de sérieuses chances de réussite.

Les débouchés ne manqueront pas aux exploitations.

Jusqu'à la guerre, les mines exportaient presque tout leur minerai ; à l'avenir, il n'en sera plus de même. Déjà des usines se sont installées, d'autres viendront qui auront besoin de toute la production en combustible que l'on pourra tirer de la région (car il faudra aider nos grandes usines du nord, dévastées par la horde allemande) et ces usines auront avantage et intérêt à s'approvisionner de charbon sur place quand cela leur sera possible. Il ne faut pas oublier, en effet, que seul, le manque de combustible a empêché, jusqu'à présent, le traitement sur place des minerais extraits du sous-sol normand.

Il y a donc un bel avenir pour les exploitations de houille qui pourront s'ouvrir en Normandie.

Depuis le début de la crise charbonnière, les Anglais se sont mis à fouiller leur sol avec une nouvelle ardeur, et à rechercher de nouveaux gisements houillers. Cet exemple devrait encourager les exploitants français qui ne doivent pas oublier que notre industrie est tributaire de l'étranger, et à la merci de la moindre crise, ainsi que le prouve actuellement la guerre sous-marine et les difficultés des transports.

A. MACHÉ.

Prière au correspondant qui, sous le nom de Yorf, m'a adressé une intéressante étude sur les mines, de vouloir bien se faire connaître. Il peut être assuré de toute notre discrétion.



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Le Clown allemand


Dans le cirque du monde il s'exhibe, burlesque,
Sa moustache dressant ses pointes, deux stylets.
Puis, l'air grave, il retire un par un les gilets
Dont il a plastronné sa poitrine tudesque.

Ceux du penseur obscur, du savant pédantesque,
De l'orateur pompeux, sont tombés. Voyez-les !
Ils gisent sur le sol ces fameux bourrelets
Qui, de loin, le faisaient paraître gigantesque...

Son gilet de poète a voltigé. Voici
Celui de la bonté qu'il abandonne aussi.
Ces travestis à terre, il fait une culbute.

Il se relève avec un aspect repoussant,
Se dévêt d'un dernier gilet couleur de sang,
Et le public surpris ne voit plus qu'une brute.

Jean MIRVAL.


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LA VOIX DES VILLES

Lisieux-la-Grise

A Gabriel-Ursin LANGÉ.

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°4 - Juillet 1917.

 
Ami rare et précieux des petites villes biscornues, ruelles tortueuses et façades bancroche, qui pris, pour venir à moi, le moderne et irritant chemin de fer, ne t'attarde pas à mes faubourgs. Ils n'ont rien, pour tes yeux fureteurs d'artiste, épris de beauté ancienne et démodée. La pauvreté démocratique y étale ses lèpres immondes, que ne parvient pas à fleurir et embaumer la campagne proche.

Cheminées et halls d'usines, maisonnettes rouges aux intérieurs transparents et misérables, mioches polissons et filles en loques, prisons et casernes, jardins ouvriers sans fantaisie ni parfums, villas endormies sous leurs façades nues, bouges étroits pour les soûleries des lundis et du samedi soir, tout, vu de la rue, y semble d'une jeunesse flétrie, difforme, infirme, ou vicieuse, qui ne connaîtra jamais la grâce des sourires et le splendide épanouissement des santés robustes.

Gagne vite, par la ceinture étroite de mes remparts devenus promenoirs, l’étroit espace où ma vieillesse dolente resplendit encore…

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Pardonne-moi si, en parcourant avec toi le réseau confus de mes impasses et de mes places, je leur conserve les jolis noms que leur donnèrent si longtemps mes fils. Dédaigneux des traditions, insensibles au pittoresque, inhabiles à comprendre le passé et le haïssant au fond de l’âme, pour sa splendeur aristocratique, mes édiles ont affiché à mes carrefours des noms nouveaux d’écrivains ou d’hommes d’Etat dont s’appauvrit ici la gloire, à supplanter des vocables désuets, si bellement évocateurs. Il fallait que soufflât partout l’esprit corrupteur des grandes cités, ironique et malfaisant, pour abaisser, Victor Hugo et Gambetta à ce piètre rôle d'indicateurs pour vieilles maisons de bois normandes.

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De pieux touristes m'ont découverte, admirée et exaltée. Ils ont dit mes manoirs robustes, mes logis penchants et ciselés, l'illusion moyenâgeuse que leur offrent mes vieux quartiers et mes cent cours, étroitement ouvertes au fond d'allées obscures, basses comme des souterrains, allongées comme des tunnels. Ils m'ont appelée Ville du Bois Sculpté, Nuremberg normand, Capitale des Maisons de bois. Ils ont vanté le talent de coloristes de mes habitants et évoqué le spectacle de mes rues d'autrefois, multicolores et reluisantes. J'accepte humblement ces hommages : mais je ne suis plus, je ne veux plus être que Lisieux-la-grise.

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Certes, si, du parvis de ma Cathédrale, tu contemples le panorama de ma place Saint-Germain, tu pourras croire que je nous abuse. Parmi l'entassement régulier des maisons neuves et des bâtisses claires, ciments gris et plâtres blancs, trois sœurs, côté à côte, tout ombrées de ciselures intactes, s'avancent comme des reines antiques et respectées pour recevoir avant les autres l'hommage du soleil et des regards. A l'angle de la rue Basse, le logis du pharmacien bosselle l'alignement d'une double façade aux figures étranges ; et derrière ses vitres menues aux teintes verdâtres, s'alignent, orgueil d'un apothicaire du Seizième, des pots à drogues dont les inscriptions latines rappellent les pratiques d'une médecine charlatanesque, digne des vers du chanoine Régnier ou des farces de Molière. Et, dans l'éloignement du Friche-aux-Chanoines, le Manoir Saint-Michel, miraculeusement reconstruit par un de mes derniers fidèles, dit pour des siècles encore mon opulence et ma gloire anciennes.

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Mais, hélas ! à parcourir mes vieilles rues, tu connaîtras vite ma décrépitude et ma misère. Ma rue aux Fèvres n'est plus qu'un cimetière. Clos, les vieux logis ! Sans rideaux, les fenêtres basses ! Déserts, les porches ! La « Salamandre », fief de la cité et « monument historique », n'est plus fréquentée que des araignées et des cloportes. Des relents fades d'humidité et de bois pourri s'exhalent par les dernières portes entr'ouvertes. Ma rue des Boucheries est aux Espagnols et aux Bretons, et là où rêvaient naguère des gentes demoiselles, s'entassent des montagnes de pommes de terre et des pyramides d'artichauts, ici et là, un sculpteur, un tapissier, un artisan du fer ou du bois, maintiennent et conservent — pour combien de lustres encore ? — Ailleurs, au fond des cours qui furent autrefois rendez-vous de gentilshommes ou salles de frairie des riches drapiers, grouille et s'entasse le monde misérable des chiffonniers, rétameurs, brocanteurs et antiquaires...
  
En vingt endroits, chancelante et vermoulue, je me fais informe et honteuse, et j'appelle sur vous, ô pourries de la rue d'Ouville, bicoques moisies de la Touque et de l'Orbiquet, en dépit du pittoresque de vos lavoirs et de vos nippes, la purification de l'incendie, la délivrance de l'effondrement...

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[N’]Est-ce pas pour moi que ces vers-ci furent écrits ?

Lefebvre, dédaignant et granits et truelles,
Prit au bois vierge encor les troncs durs des cormiers
Et les chênes noueux ; puis, des seuils aux larmiers.
Sculpta ces toits, penchés du front sur les ruelles.

D'une ogive, il couronna l'huis, fit aux poutrelles
Serpenter des lézards, des monstres, des limiers.
Et les logis furent Blasons ; qui pour cimiers
Eurent les hauts pignons aux arcatures frêles.

Vieux, comme enveloppés de légers tulles noirs,
Des fiers bourgeois d'anutan, les précieux manoirs
Semblent éterniser la vanité première :

Mais les porches franchis, le long des murs croulants,
Il n'est plus, dans l'horreur d'une ombre sans lumière,
Que des décors pourris el de fades relents.

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Je ne suis vraiment plus qu'une façade, une carcasse sublime et solide encore, mais derrière laquelle il n'y a plus rien — que les banalités de la vie moderne. Mes fils, inconsciemment, l'ont senti depuis longtemps. — De mes plus beaux logis, les mieux situés, ceux qui pouvaient servir encore à leur industrie ou à leur orgueil, ils ont délibérément sapé la base, dressé sous mes poutres solides de robustes piliers de fonte, remplacé les devantures à contrevents par des vitrines à rideaux de tôle. Je consens à ces mutilations nécessaires, qui prolongent d'un siècle ou deux ma vieillesse, pour l'émerveillement de les yeux et l'ivresse de tes songeries. Quand la pluie arrose de larmes fines mes toitures de tuile, glisse à bruits saccadés dans mes gouttières, ou semble dégringoler des gargouilles de mes églises ; mieux, quand une brume falote ou bleuâtre, s'épand des pavés au ciel, qu'un glas tinte au clocher Saint-Jacques ou que le bourdon de Saint-Pierre s'ébranle lentement pour l'office du soir, quitte la paisible hôtellerie de la rue au Chat, erre par les carrefours de ma rue Etroite, parcours mes silencieuses et monacales rues du Doyenné et du Bailly (où l'on est si loin du monde), tout le quartier des Boucheries et de la place du Crochet, pour aboutir à la nuit de la rue aux Fèvres ! Si tu ne te sens pas transporté dans quelque moyen âge mystique et trouble ; si je n'alimente pas ta rêverie pour un soir et ta mélancolie pour une nuit, c'est que je n'ai plus de cerveaux à féconder ni de cœurs à émouvoir, et qu'on peut insulter, incendier, saper et détruire Lisieux-la-Grise !

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Mais tu m'as aimée, et pour cela, je ne dois pas encore mourir. Mes hôtes irrespectueux et ingrats ne s'en consolent point ; mes fils — mes vrais fils — plus rares chaque jour, mais phalange ardente, s'en réjouissent, et me consacrent le meilleur de leur talent. Si je n'abrite pas, comme Honfleur-la-Sainte, tout un peuple d'écrivains et d'artistes, venus là pour jouir du décor somptueux de la colline deux fois sacrée, j'ai ma légion de probes artisans et de consciencieux historiens. J'ai toujours eu un peintre pour traduire le spectacle changeant de mes horizons et pour décorer mes édifices, du sculpteur pour ciseler les armoires de mes fiancées et les retables de mes autels, un poète pour être — aux temps de bourgeoisie prudhommesque ou d'égalité démocratique — la risée de mes épiciers et de mes gueux ; un poêle, hélas ! ma seule chance de gloire à présent...
 
Jean Gaument a vu, derrière leurs vitres, mes boutiquiers aux petites âmes vendre leur étoffe ou leur chocolat, et s'enrichir béatement sans souci de rien, que du présent immédiat et positif. Qu'importe, si je lui ai fait, comme à d'autres, une âme d'ironiste et de révolté ? C'est la vie, et si la province d'hier est morte, il en reste au moins les tombeaux.
  
...Je fais douces et tranquilles les veilles de l'abbé Hardy et de Jean Lesquier, qui te raconteront mon histoire chez les libraires de la rue Etroite ou du Pont-Mortain ; je berce les nostalgies champêtres de Le Révérend, les rêves de Bunoust, et j'ouvre à Campion, fatigué des mauvais vins d'un Paris toujours étranger, l'ombre quiète et le cidre pur de mes cabarets sincères.

Et si je ne te suis plus indifférente, ô passant, amateur d'art et de bibelots, bien lesté, comme il sied, de billets bleus et de bank-notes, tu ne me quitteras point sans visiter l'atelier de J.-C. Contel, d'où l'on ne voit que toits de tuile et pignons pointus (de Contel qui serait, à travers mes rues et jusqu'au fond de mes cours, le mieux renseigné des guides) ; l'exposition de l'Image Saint-Ursin où tu achèteras, pour un écu ou cinq louis, un vieux livre du grand siècle, un dessin de Robert Salles, une eau-forte de Léon Moignet ou une aquarelle de Charles Bigot ; et la paisible retraite du maître huchier Patou, le plus traditionaliste de mes fils, pour lui commander une armoire normande, ou quelque meuble de salon moderne aux sculptures sincères et de bon aloi…

Juin 1917
Gaston LE RÉVÉREND

(Ébauche pour la préface d’un roman : Lisieux-la-Grise, à paraître aux environs de 1920).


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Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°4 - Juillet 1917.

L'ÉCOLE DE FÉCAMP

Le Peintre  Henry-E. BUREL
  
Au cours de l'étude que j'eus récemment (1) le plaisir de consacrer ici au grand peintre normand André Paul-Leroux, je fus amené à écrire : « A l'heure présente, une véritable Ecole de Fécamp s'adonne à l'art pictural, non sans bonheur. Citerai-je les intéressants efforts dignes d'être encouragés (et suivis), d'Henry Burel, de l'Abbé Denis, de René Crevel, de Charles Laperdrix...,de Marcel Simonin, d'Emile Caniel, de Maurice Talbot !... La tentation m'est souvent venue de placer cette curieuse et vivante Ecole de Fécamp sous l'égide d'André Paul-Leroux, — mais je n'ai pu obtenir qu'il reconnaisse quoi que ce soit d'autre que les conseils donnés par lui, de loin en loin, à M. Henry Burel. » Normandie... et Normandy « n'offrent jamais à boire dans un verre vide » à l'instar de tant de revues et de critiques contemporains. Les efforts de l'Ecole de Fécamp « sont dignes d'être encouragés et suivis ». Nous les suivrons ; nous les encouragerons. Nous offrons aujourd'hui à nos lecteurs la primeur de deux vigoureux dessins largement exécutés, à leur intention, par Henry-E. Burel, d'après deux de ses bonnes toiles. Le talent de M. Burel est grand ; il grandira encore. Contentons-nous pour aujourd'hui d'insister sur son tempérament tout particulièrement agréable à étudier. Ce jeune artiste n'a pas seulement, comme mille autres peintres, — et des meilleurs — un œil et une patte. Il ne traduit pas seulement, d'instinct, son impression : Il la détaille, il la savoure, il l'analyse, il lui livre son être tout entier à l'exemple de son maître André Paul-Leroux. Mais tandis que ce dernier abandonne aux spectacles la totalité de ses sens et de son cœur, Henry-E. Burel, les sens aussi vibrants que ceux du maître fécampois, remplace le cœur par l'intelligence — et cela au point de traduire ses émotions à la fois picturalement et littérairement. Certes, le métier littéraire manque à l'auteur de Cour de Ferme — mais en lisant les deux... poèmes ci-dessous, aussi inédits que les présents dessins, les amateurs, tout en constatant l'intérêt puissant présenté par le talent d'Henry-E. Burel, se convaincront que la littérature, telle que la pratiquent des dizaines de nouveaux venus trop pressés de publier, est un art que possèdent aisément, sans aucune étude, les hommes bien doués. Leçon de choses éloquente pour toute une ardente jeunesse littéraire que je ne veux point flatter, un peu parce que ce n'est point mon fait et beaucoup parce que je l'aime et parce que j'espère en elle. Document psychologique attachant qui souligne, explique le talent d'Henry-E. Burel — et l'aurait complété s'il en avait été besoin — ce qui n'est déjà plus.

Georges NORMANDY.

(1) V. Normandie, n°2, p. 14, col. 2.


Les Barques

Les barques glissent silencieusement
Sur l'eau noire où le ciel s'allume.
Leurs grandes voiles s'agitent au vent
Comme  d'étranges  oiseaux  de brume.

Vers quelles mélancoliques grèves,
Vers quels rivages mystérieux
Voguent ces nefs sombrant sans trêve
Au mirage de ce soir brumeux ?

Peut-être vers l'îlot endormi
Où mon rêve est enseveli,
Vers ces fatidiques horizons

Où, semblables aux barques lointaines
Mourant à la brume incertaine,
S'exilèrent mes illusions.

Henry-E. BUREL.
Cour de Ferme

Comme une averse, la lumière île partout jaillit.
Elle descend en cascades des branches qui embaument
Et coule en nappe d'or sur le vieux toit de chaume
De la masure blanche dont le mur resplendit.

Le cuivre, du fumier rouqeoie comme un creuset
D'où sautent les insectes comme des étincelles,
Et le veau, qui refait un repas déjà fait,
Regarde je ne sais où de sa morne prunelle.

Entre les ombres bleues des pommiers qui s'inclinent
Passe l'armée des poules en quête de rapines,
Et, pendant que s'élève du sol qui fermente
Le chœur étourdissant de la vie qui s'éveille,
J'écoute dans mon cœur la nature qui chante
Et j'erre sous les arbres, ébloui de soleil.


Henry-E. BUREL.


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Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°4 - Juillet 1917.

ACTIVITES RÉGIONALISTES
Courrier Trimestriel

Beaucoup de faits. Peu de mots.

Je veux essayer de signaler régulièrement les manifestations de l'activité régionaliste française en général et normande plus spécialement.

Le régionalisme va jouer un rôle de première importance dans la renaissance française, après la guerre. C'est, pour ses partisans de la première heure (car nous étions peu nombreux autour de Charles-Brun, lors de la fondation, voici près de quatre lustres, de notre FÉDÉRATION RÉGIONALISTE FRANÇAISE) de constater que, devant la mise au point universelle provoquée par le typhon rouge, le Régionalisme, non seulement demeure intact, mais encore se renforce, en dehors de tout esprit de parti, de concours aussi puissants qu'inespérés.

Cette encourageante constatation sera tout mon préambule. Il est assez long à mon gré.

M. Albert Doucerain, avocat à Evreux, consacre à la mémoire d'un écrivain normand, qui fut un magistrat de premier ordre, une précieuse brochure illustrée : Léon Tyssandier, sa Vie, son Œuvre (1862-1916) (1). Né à Evreux, le 30 mai 1862, d'une famille de condition modeste, Léon-Charles Tyssandier tomba frappé d'une hémorragie cérébrale, le 5 juin 1916, à Nantes, alors qu'il présidait les assises de la Loire-Inférieure. Provincial, fier de l'être, malgré de fort beaux débuts à Paris, honnête homme dans tous les sens du mot, Tyssandier laisse une œuvre littéraire aussi considérable que variée : Figures parisiennes (Ollendorff, 1887), études critiques fort goûtées d'Arsène Houssaye ; La première passion, roman (Dentu, 1887) ; Un gouverneur de Paris : le général Lecointe ; les Brizol et les Caffieri (Flammarion, 1897) ; Souvenirs d'une française (Flammarion 1913) ; de sérieuses préfaces au Gentilhomme noir (1885), à Bernay et son arrondissement (1890) de Lottin de Laval, et aux Poésies d'un artisan (1896), du tonnelier-poète, Jules Prior, de Beaumont-le-Roger, un Mémoire sur la Réforme de l'Enseignement secondaire (1888), des chroniques publiées par le Jour, l'Evénement, le XIXe Siècle, (alors dirigé par Edmond About), et des poésies de premier ordre, imprimées par la Grande Revue, la Revue parisienne et la Plume. Ces poésies lui valurent de figurer dans le meilleur florilège normand  de  notre  temps : l'Anthologie des Poètes normands contemporains (2), de Ch. Th. Féret et M.-C. Poinsot. Il laisse en outre « une œuvre de pure et belle imagination » encore inédite : L'oubli sacré.
  
« Ame aimante et pitoyable à autrui, imprégnée de mysticisme », écrivain de talent, poète ingénieux, historien de la bonne école, Léon Tyssandier — que l'admirable artiste Zacharie Astruc a su pathétiquement crayonner, comme mes lecteurs peuvent le constater, — se survivra à lui-même, un peu grâce à la brochure vigoureusement et correctement écrite de M. Albert Doucerain, et beaucoup à l'œuvre qu'il lègue aux lettrés de Normandie... et d'ailleurs.
      
Un petit acte fort agréable, Sylvette ou le Devoir domestique (3), de M. Pierre Varenne, bien connu des lecteurs de la Dépêche de Rouen, a été imprimée à petit nombre par M. Lucien Wolf, qui est une manière de Plantin rouennais. Cette brochure, écrite avec goût, imprimée avec soin, présentée avec chic, a sa place marquée dans toutes les bonnes bibliothèques de chez nous. Elle est dédiée à Mme Bourdon O'Mahony.
      
La Lettre-Préface par laquelle l'éminent professeur-écrivain Fortunat Strowski présente De la Musique et du Rêve (4), nous apprend que l'auteur, Jean Gui, estime demoiselle. La lecture de cette œuvre de début nous aurait fait jurer que nous nous trouvions en présence d'un homme. Les demoiselles d'aujourd'hui... Au demeurant, qu'importe ? Mlle Jean Gui montre déjà mieux que des promesses de talent, voilà l'essentiel. Son talent paraît être fait d'une mixture de Lamartine et de Paul Fort. Cela chante et cela ruisselle à souhait, comme une fontaine faufilant ses eaux claires, à travers les cressons, les iris, et les salicaires...
 
La Société Libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Eure, fondée en 1807, et reconnue d'utilité publique le 11 juin 1832, est une de nos organisations provinciales les plus sérieuses, les plus puissantes et les plus utiles, toutes ses sections font preuve d'une activité fort louable et fort intelligente que la guerre n'a pu ralentir. Elle vient d'appeler à sa présidence notre célèbre collaborateur Paul Harel, grand poète français et normand, et elle comprend parmi ses membres des hommes aussi considérables que le vigoureux romancier Joseph L'Hôpital ; le député-marquis de Boury ; Emmanuel Boulet, grand ami de l'agriculture dont nous avons eu l'occasion de louer l'une des généreuses initiatives (5); Bourgne, professeur d'agriculture connu ; Bonnefoy, directeur de la Liberté de l'Eure ; l'abbé Charles Guéry, qui va publier l'Histoire de l'abbaye de Lyre, ouvrage de première importance que j'attends avec la plus vive curiosité ; Loriot, aimable, paisible et raisonnable législateur ; Chanoine d'Avranches, etc. Le Recueil des travaux de la Société est un document de première importance à tous égards : il devrait figurer aussi complètement que possible dans les bibliothèques de tous les régionalistes  de notre province.

Le dernier numéro paru est en tous points digne de ceux qui le précédèrent. On y trouvera notamment : le Discours aux lauréats du concours Léon Petit (fermières et jeunes gens ayant maintenu leurs herbages en bon état de culture, malgré la mobilisation de leurs maris), par M. Bourgne ; La participation de la femme à la vie agricole, conférence d'une documentation parfaite donnée à Evreux par Mlle Louise Zeys, lauréate de l'Académie des Sciences morales et politiques ; la suite (pour l'arrondissement de Bernay), de l'admirable et monumentale Archéologie Gauloise, Gallo-Romaine, Franque, et Carolingienne, de M. Léon Coutil, qui allie à son érudition fameuse un réel talent descriptif ; un intéressant Rapport — dont je recommande la lecture à notre ami le sénateur G. Chauveau, qui se passionne utilement pour cette question — sur la Culture mécanique et son accomplissement dans le département de l'Eure en 1916, présenté par M. Alphonse Hubert, directeur des Services du Syndicat agricole de l'arrondissement d'Evreux, etc.

A l'heure où, sans trop de témérité, on peut avancer que l'Europe et le monde ne seront sauvés de l'anarchie — et j'écrivais cela dès 1908 ! (6) — que « par l'application d'une manière de fédéralisme raisonné, laissant à chaque groupement social un jeu aussi souple et aussi libre que possible de ses organismes, le respect le plus complet de ses aspirations matérielles », à l'heure où, de même, on peut supposer que « l'équilibre social ne saurait guère s'instaurer dans un seul pays, toutes les nations étant de plus en plus dépendantes les unes des autres, du moins au point de vue économique (7) » — je tiens à féliciter encore la Société libre de l'Eure de correspondre non seulement avec les Sociétés similaires — de valeurs et d'activités inégales, hélas ! — des départements, mais encore et surtout avec de nombreuses académies ou sociétés intelligemment réparties non seulement en Europe (Académie royale d'archéologie de Belgique, — hélas, cher président, Soil de Moriamé, avec qui je faisais une conférence à Cambrai le jour de l'attentat de Sérajevo, que pouvez-vous faire à présent dans votre Tournai encore aux mains des barbares ? — Litterary and philosophical society of Manchester, Institut international d'agriculture de Rome, Missouri botanical garden de Saint-Louis (U.S.A.), Musée national de Montevideo, etc. Je regrette seulement de n'y trouver aucune organisation brésilienne — car le Brésil est peut-être la République américaine la plus fougueusement francophile et celle où les progrès intellectuels, agricoles et sociaux sont actuellement les plus sensibles.

Telle quelle, la Société libre de l'Eure peut être étudiée partout avec fruit : elle donne un superbe exemple et une leçon salutaire.

De même que j'ai loué la Société libre de l'Eure d'avoir des relations internationales choisies, de même j'ai le devoir de signaler ici, en peu de mois, La Jonchée (8), recueil dû à M. Léon Lahovary, le meilleur poète roumain de langue française après la princesse Hélène Vacaresco.

« ...La Jonchée, ainsi que le dit l'auteur dans son avant-propos, c'est toute cette généreuse moisson de vies, de nobles vies humaines, de fleurs fauchées en pleine jeunesse, en pleine force, en pleine grâce, et qui, froissées, meurtries, sanglantes, décolorées, jonchent l'âpre et broussalleux chemin — un chemin montant à l'infini, — qui mène à la gloire... »

Léon Lahovary devra se mettre en garde contre sa trop grande facilité — défaut de toutes les âmes trop riches en général et des âmes orientales en particulier, même fortement disciplinées comme la sienne. Ceci dit, je suis tout à fait à l'aise pour saluer en Léon Lahovary un poète de belle race — un poète qui, après avoir produit de beaux vers isolés, nous offrit maints beaux poèmes — en attendant de ne nous donner plus que des poèmes parfaits,

La Revue Normande sera désormais dirigée par le bon normand normannysant, Aristide Frétigny (38 bis, rue Gassendi, à Paris). Cette publication, entièrement consacrée à l'art et à la littérature, inscrit à ses sommaires l'élite des écrivains de chez nous...'et d'ailleurs, de Paul Harel à Robert de la Villehervé, en passant par Henri de Régnier, Jean Revel, Georges Dubosc, Achille Paysant — et Guillaume Apollinaire. J'y ai lu avec le plus vif intérêt, de Pierre Varenne une alerte biographie du joyeux Saint-Amant, le joyeux Saint-Amant à qui justice complète n'est pas encore rendue, — une bonne, critique de l'œuvre du magnifique peintre Rouennais Dumont par Aristide Frétigny, des pages signées Raymond Postal et Pierre Préteux, la délicieuse préface qu'Albert-Emile Sorel écrivit pour Celles qui s'en vont, album (que je suis tout disposé à étudier en détail ici et ailleurs) consacré aux vieilles demeures de l'Eure et de ma Seine-Inférieure, par le dessinateur Jean-Ch. Contel et par le poète Auguste Bunoust. Cette pittoresque œuvre d'art est éditée chez nous, à Lisieux, 19, boulevard Sainte-Anne, par M. Robert Julienne.

Utopie hier, le régionalisme est devenu l'objectif de nombreux groupements politiques — lisez les travaux excellents de Jean Hennessy, — littéraires, économiques et agricoles. Utopie hier, la Société des Nations est actuellement l'objectif des diplomaties alliées. Le parallélisme des deux causes m'incite à conseiller aux régionalistes français la lecture de deux livres d'une extrême importance qui paraissent ensemble : La Société des Nations (9) d'Edgard Milhaud, l'éminent doyen de la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université de Genève, et Le Génie latin et le Monde moderne (10) de l'illustre historien italien Guglielmo Ferrero, que je revois vis-à-vis de moi entre mon ami et maître Clovis Hugues et l'indomptable Amilcare Cipriani, autour d'une tablée choisie qu'il domina et séduisit sans effort.

Le message du Président Wilson avait déjà conféré l'investiture officielle à la Société des Nations, nobles visées qui, jusque-là, paraissaient, chimériques, la déclaration ministérielle du cabinet Ribot les avait consacrées lorsque le 5 juin, dans un ordre du jour qui emporta la presque unanimité des suffrages, la Chambre des députés proclama la nécessité de « GARANTIES DURABLES DE PAIX ET D'INDÉPENDANCE POUR LES PEUPLES, GRANDS ET PETITS, DANS UNE ORGANISATION DÈS MAINTENANT PRÉPARÉE, DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS. » On pressent que dans l'universelle douleur s'enfante un ordre nouveau dit monde. Quelles sont les directives de ce grand courant qui entraîne les sociétés vers une humanité libre et organisée ? Quels sont les enseignements que doit en retirer notre pays ? Edgard Milhaud nous l'expose dans son livre clair, merveilleusement documenté et avec l'élan que donne la foi. Nul mieux que lui, qui avait déjà consacré sa vie à ces hautes idées avant qu'elles ne fussent de l'actualité, ne pouvait nous éclairer sur ce grand problème de l'heure présente.

Guglielmo Ferrero, lui, prouve que l'idéal de la perfection est celui qui, au point de vue historique, peut être commodément appelé latin. Et il traite la question tout à fait à fond. L'idéal de la puissance, créé par tous les peuples de l'Europe ensemble, est devenu, dans une certaine mesure, un idéal germanique, parce que les Allemands l'ont porté aux exagérations extrêmes et en ont fait une espèce de messianisme ou de grossière religion nationale. L'antagonisme de l'esprit latin et de l'esprit germanique n'a de sens que si on le considère comme l'antagonisme de ces deux idéals. Mais en quoi consiste l'antagonisme des deux idéals ? La partie du volume consacrée à cette question est la plus profonde et la plus originale. M. Ferrero démontre que le dix-neuvième et le vingtième siècles ont fait des efforts surhumains pour nier qu'il y eût une contradiction quelconque entre les deux idéals. La politique, la philosophie, la littérature, l'éducation ont travaillé avec une infatigable, énergie, dans ce sens. Mais la contradiction existait ; et elle a éclaté avec la guerre européenne. Le choc de ces deux idéals contradictoires est, d'après M. Ferrero, le sens profond de la crise actuelle.

La partie de l'œuvre intitulée : Du monde greco-latin au monde nouveau devra être particulièrement méditée en Europe. Outre qu'elle rend justice aux grandes républiques américaines, qui se réclament toutes de la France, — le Brésil en particulier, nous ne saurions trop nous en pénétrer, mérite toutes nos sympathies et toute notre admiration, — elle dégage, dans un style d'épopée, la philosophie profonde de l'évolution universelle ; elle explique logiquement le passé et pénètre fort avant dans l'avenir.

L'éditeur Lamerre va publier le Poème du Bugey de M. Pierre Aguétant. Ce livre marquera pour le Bugey — je puis le dire sans ambages car j'ai eu le manuscrit entre les mains — une date analogue à celle que Mireille marqua pour la Provence. La portée de cette œuvre régionaliste dépasse largement la région qui l'inspira. Le grand peintre de la Bresse et de la Dombes, M. Johannès Son a composé pour le Poème du Bugey une fort belle suite de dessins et d'aquarelles.
     
Victor Margueritte qui s'est magnifiquement consacré, corps et âme, à la renaissance française et à établir de nouveaux liens entre notre continent et le continent américain à l'usage duquel il publie l’Information Universelle (101, rue Saint-Lazare, à Paris) si pleine de faits et de chiffres, vient d'éditer, dans un but tout désintéressé, un somptueux annuaire — en plusieurs langues — qui, hors commerce, est envoyé en hommage à des destinataires choisis. M. Herriot définit dans une lettre autographe le but de cet annuaire : « La France, écrit-il, traverse « pour la défense de ses droits, une redoutable épreuve qui l'a trouvée plus forte qu'on n'imaginait. Au cours même de cette épreuve, il faut qu'elle multiplie, ses relations avec les nations dignes d'être fréquentées... Entre hommes libres, le lien commercial est le plus fort de tous. »

Aux régionalistes, le Catalogue Annuaire de Victor Margueritte apparaîtra comme la meilleure vue d'ensemble de l'activité française dans tous les domaines.

Un jeune poète honfleurais, M. Camy-Renoult, débute en librairie par une brochure qui, préfacée par Lucie Delarue-Mardrus, honfleuraise elle aussi, réunit sous le titre : L'Ombre de la Chapelle (11) des poèmes de valeurs différentes. La grande poétesse d'Occident et de Ferveur voit juste lorsqu'elle écrit de M. Camy-Renoult qu'il est « en poésie » un vrai normand, ce qui signifie que, d'emblée, « il s'est mis à faire des vers concis, sobres, lucides, et dont le lyrisme très racé se compose de raison autant que d'inspiration ».

Normandie est force et raison,

clamait l'autre jour Gaston Le Révérend. M. Camy-Renoult devra, toutefois, se méfier comme la plupart des jeunes vraiment doués, contre sa virtuosité qui ne choisit pas toujours heureusement ses sujets et ne proportionne pas son effort à leur importance. Il se délivrera rapidement des influences — d'ailleurs excellentes — qu'il subit encore. Le Petit qui dort « doit » à Rimbaud, Un gros souci « doit » au Jean Lorrain des Contes pour lire à la chandelle, — mais Mon vieux Coin, est, à quelques rimailles près, une pièce d'anthologie :

Je t'aime, ô mon pays, pour ta glèbe féconde,
Pour tes prés accrochés sur le flanc du coteau,
Et pour tes champs de blé, tes champs d'avoine blonde,
Qui s'en vont jusqu'au bord de, l'eau...

……………………..

Je t'aime pour le lit aux grands rideaux d'indienne,
Où l'on naît, où l'on dort, où l'on aime, où l'on meurt,
Le lit où notre mère a vu mourir la sienne,
Où nos fils veilleront la leur...

Il suffit. M. Camy-Renoult a du talent. Il aura plus de talent encore.

Je rendrai compte, dans une prochaine chronique spéciale, du très important Congrès de la Fédération Régionaliste Française qui vient de tenir ses assises à Paris.

Reçu : L'Aube, les Vibrations, par la Princesse Bruyère, etc., etc.

Georges NORMANDY.


Tout ce qui concerne la rubrique : ACTIVITES REGIONALISTES, courrier trimestriel, doit être directement adressé à M. Georges Normandy, 51, rue du Rocher, Paris (8e arr.) N. D. L. R.
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NOTES :
(1) Evreux, Siège social de la Société libre de l'Eure.
(2) Floury, éd., 1903.
(3) Rouen, Lucien Wolf, impr. éd.
(4) La Maison Française d'art et d'édition, 16, rue de l'Odéon, à Paris. 1 vol. 2 francs.
(5) V. Normandie, n° 2.
(6)(7) Georges NORMANDY : La question Catalane, Avertissement. (1 vol. Bloud, éd., 1908.)
(8)Librairie académique Perrin, Paris. 1 vol. 3 fr. 50.
(9)(10) Bernard Grasset, édit.
(11) Ed. de Lettres et Arts, 7, rue d'Amboise, à Paris, Couverture illustrée par Marcel Otto.
 


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Vagues...

Compte l'Elément
Qui but constamment
La grève,

Je suis ballotté
Par l'Adversité
Sans trêve.

Sans aucun espoir,
Je fais mon devoir ;
J'achève

Mon malheureux sort :
J'attends que la mort
M'enlève.

Mais je suis joyeux
Quand je te vois mieux
Qu'en rêve,

Ou quand, en tout lieu,
Mon âme vers Dieu
S'élève.

4 juillet 1917
Vincent-Louis MARTIN.



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Imprécations


Guillaume, sois maudit, toi qui voulus la guerre.
Emule d'Attila, qui dépeuple la terre,
Que des riches palais aux plus sombres taudis,
Que des bons, des méchants, des héros, des bandits,
Que du fol et du saint (qui jamais ne blasphème)
Que du fourbe Satan et que de Dieu lui-même
Ton nom soit abhorré ! — Que l'on tremble d'effroi
En parlant du félon qui signe : Empereur-Roi ! —

Empereur des bourreaux, — Roi des incendiaires,
Suprême souverain des brutes sanguinaires,
Voilà tes qualités. Il faut sur ton blason
Changer « gueules » en « Sang » et graver à foison
Des vieillards fusillés, des églises brûlées,
Des enfants mutilés, des femmes violées,
Et, dominant l'écu, un aigle maladroit
Attaquant la Justice et vaincu par le Droit.

Vincent-Louis MARTIN.


 
Normandie est heureuse de publier ces quelques vers de l'excellent écrivain militaire, M. Vincent-Louis Martin, que trente ans de collaboration à la France militaire et la publication de deux très importants ouvrages biographiques : Le maréchal Canrobert et Les Généraux Français (édités par la Maison Charles Lavauzelle, à Paris) ont fait connaître dans le monde militaire plus encore que ses fonctions au ministère de la Guerre. Ces vers sont la seconde infidélité faite à la littérature militaire par M. V.-Louis Martin, sur nos instances, — la première ayant été, à notre connaissance, La Légende de la rue de la Huchette, imprimée dans Mon Journal, l'élégant Magazine édité, pour la jeunesse, par la Maison Hachette

N. D. L. R.

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ÉCHOS DE NORMANDIE

EURE

EVREUX
  
Un Préfet Normand en Normandie. — M. Robert Leneveu, qui vient d'être appelé à la Préfecture de l'Eure, est un pur normand. Né en 1865 à Ecajeul (Calvados), il débuta dans l'administration, comme rédacteur au ministère de l'Intérieur. Sous-préfet de Domfront en 1891, de Bernay, la même année, de Bayeux en 1900, il fut nommé secrétaire général des Bouches-du-Rhône, en 1905, mais Marseille, n'étant pas en Normandie, il ne s'y installa même pas et reçut la sous-préfecture de Cherbourg, où il resta jusqu'en 1910. Nommé préfet des Basses-Alpes, il s'en échappa au bout d'une année pour revenir en 1911, en Normandie, à la préfecture d'Alençon, qu'il quitte pour s'installer à Evreux. M. Robert Leneveu, dont presque toute la carrière administrative s'est passée dans sa province d'origine, a laissé les meilleurs souvenirs dans tous les postes qu'il a occupés ; ils font bien augurer de son administration dans l'Eure.    

CALVADOS

HONFLEUR

On vient d'inaugurer à la chapelle Notre-Dame-de-Grâce, quatre vitraux d'art remarquablement exécutés par Gaudin, d'après les croquis de notre collaborateur Camy-Renoult. Ces vitraux reproduisent les phases principales de l'histoire du vieux sanctuaire. 1° Un duc de Normandie, en péril, au cour d'une tempête, fait vœu de construire une chapelle sur la côte de Grâce. 2° Les pèlerins viennent, au péril de leur vie prier sur les ruines de l'ancienne chapelle effondrée dans un éboulement de la falaise. 3° Les capucins prennent possession du nouveau sanctuaire (chapelle actuelle). 4° Le Primat de Normandie consacre solennellement la Vierge de Grâce.

SEINE INFÉRIEURE

ELBEUF

Le Drap national. — Elbeuf a reçu à la fin du mois, dernier, la visite de M. Metin, sous-secrétaire d'Etat aux finances, accompagné de MM. Brenier, maire et député de Vienne (Isère), et Bonnier, président de la Chambre de Commerce de cette ville, chargés d'une mission par le ministère du Commerce. Ces messieurs venaient se concerter avec les membres de la Chambre de commerce et les fabricants de drap pour étudier la fabrication d'un « drap national », qui serait vendu dans des conditions spéciales. Après les pourparlers échangés, un essai de cette nouvelle fabrication sera faite à bref délai et on a tout lieu d'espérer un résultat favorable, qui viendra redoubler l'activité de la cité Elbeuvienne, et développer son industrie lainière. Guidés par M. Paul Fraenkel, président de la Chambre de commerce, MM. Métin, Bonnier, et Bronier oui visité les principaux établissements industriels et examiné diverses questions ayant trait à l'avenir de la région.
 
Au Conservatoire national de Paris. — Dans la liste des prix des Concours, nous relevons les noms suivants : Mlle Marguerite Hue, fille de M. le docteur François Hue, de Rouen, second prix de chant. M. Robert Bréard, qui fut élève de la maîtrise Saint-Exode, élève de Xavier Leroux, premier prix d'excellence du Concours d'harmonie.

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Les Ecoles Pratiques d'Industrie Hôtelière

La Direction de l'Enseignement technique au ministère du Commerce et de l'Industrie communique la note suivante que nous nous faisons un plaisir de publier, afin de contribuer au recrutement de ces écoles pratiques : « Les familles qui désirent préparer leurs enfants à la carrière de l'hôtellerie, et qui, d'ores et déjà, se préoccupent de les placer dans une école, trouveront auprès des directeurs ou des directrices des Ecoles pratiques d'industrie hôtelière dont les noms suivent tous les renseignements désirables en vue de la rentrée d'octobre prochain. »

En Normandie, ces écoles sont : ROUEN, rue Beauvoisine : Ecole pratique pour les jeunes filles. Le HAVRE, rue de la Bourse : Ecole pratique d'industrie hôtelière du Havre-Trouville, cours pour les garçons.

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NORMANDIE, publiera dans son prochain numéro : Paysages Normands, Après un Repas de Noces..., de Paul VAUTIER, dont nous publions la citation, au Palmarès Normand ; Manman poème en patois, de Gaston LE RÉVÉREND, Encore..., poésie de Jean MIRVAL (Georges LEBAS) ; la suite de Colombine sauvée par Jean LORRAIN, illustrations de P.-J. Poitevin ; La Dentelle Normande, par P. PRÉTEUX ; et des pages signées Georges NORMANDY, Henri BLIN, etc.

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Le Palmarès Normand

SEINE INFÉRIEURE

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°4 - Juillet 1917.BOURGINE, zouave au ...° régiment de marche : « A fait preuve, pendant les derniers combats, d'énergie et de courage. A été blessé au cours de la progression. » Les écrivains et les artistes normands ont tous fait vaillamment leur devoir. La citation de M. Bourgine, en littérature PAUL VAUTIER, le prouve une fois de plus. Paul Vautier s'était fait connaître, avant la guerre, en publiant un volume de contes : Au pays de Maupassant et un roman : John le Conquérant, œuvres (reproduites par le Journal de Rouen), qui l'apparentent aux plus solides écrivains de notre race et font de lui un continuateur de Gustave Flaubert et de Guy de Maupassanl. Nul doute que M. Paul Vautier, lorsqu'il se sera libéré des influences qui dirigèrent si heureusement ses premiers pas ne s'affirme comme un romancier d'une originalité puissante. Cela, semble-t-il, ne tardera guère.    G. N.
 
BUREL, PAUL, caporal-brancardier au 329e régiment d'infanterie : « Caporal-brancardier, d'une conduite et d'un dévouement au-dessus de tout éloge. A été grièvement blessé le 23 septembre 1914, en soignant des blessés dans un poste de secours. » M. Burel qui habite Fécamp, où il est établi épicier, quai Bérigny, a été réformé en 1915, à la suite de sa blessure.

VIGNÉ, CHARLES, médecin aide-major de 2e classe : « Venu au front, sur sa demande, dans un régiment d'infanterie, donne en toutes circonstances l'exemple du plus complet dévouement. Le 20 mars 1917, bien que son bataillon fut en 2e ligne, s'est volontairement porté à plusieurs reprises dans un village bombardé de la ligne avancée pour donner ses soins aux blessés civils et militaires et assurer leur évacuation. » M. Charles Vigné qui était adjoint au maire du Havre, mobilisé depuis le 1er décembre 1911, est au feu depuis septembre 1916.
 
TERRIER, GUSTAVE, marin à la brigade des fusiliers-marins : « A fait preuve de la plus grande vigueur et d'un entier dévouement dans la défense d'une position stratégique très importante. » M. Terrier qui est le fils adoptif de M. Edouard 42, rue des Bains, à Fécamp, est disparu au cours de la bataille de l'Yser, le 17 décembre 1914.

21e RÉGIMENT TERRITORIAL D'INFANTERIE. « A la peine et au danger depuis le commencement de la guerre a toujours, dans les combats, auxquels il a pris part et dans les secteurs qu'il a défendus, mérité les éloges par sa bravoure, sa discipline et son moral inaltérable. » Cette citation a valu la croix de guerre au drapeau du régiment. Le 21e territorial est un régiment normand dont le dépôt est à Rouen.

Abbé CARREL, aumônier du 119e d'infanterie : « Constamment en route dans le secteur, malgré l'intensité du bombardement, faisant par son insouciance du danger l'admiration de tous et exerçant sur les hommes une remarquable influence morale. Pendant vingt-six jours dans le secteur de... a été la providence et le réconfort des blessés auprès desquels il s'est prodigué jour et nuit. » C'est la deuxième citation de M. l'abbé Carrel, qui était vicaire à la cathédrale de Rouen.

CALVADOS

PREMPAIN, PIERRE, sous-lieutenant d'artillerie lourde, observateur à l'escadrille F. 205 : « Observateur digne d'éloges à tous les points de vue : sait allier à sa valeur professionnelle les plus belles qualités d'allant et de hardiesse, en tenant tête aux avions ennemis rencontrés en cours de mission et en les écartant. A rendu les plus grands services, en particulier du 6 avril au 6 mai 1917, dans des conditions atmosphériques très dures. » M. Prempain est le fils de notre confrère A. Prempain, directeur du Moniteur du Calvados.
 
VATTIER, JOSEPH, sous-lieutenant au 21e colonial : « Officier brave et courageux, ayant une haute conception de ses devoirs militaires. Le 20 mars 1917, a été blessé en exécutant une reconnaissance d'avant-postes ennemis, malgré le feu de leurs mitrailleuses. » M. Vattier était rédacteur en chef du Journal de Caen.

MANCHE

LELOUP, OCTAVE, brancardier : « Excellent brancardier, s'est fait remarquer en maintes circonstances, par son sang-froid et son initiative. S'est particulièrement distingué le 30 avril 1917, dans l'accomplissement de sa difficile mission. » M. Octave Leloup est le fils de M. et Mme Adolphe Leloup, de Sainte-Marie-du-Mont.
Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°4 - Juillet 1917.
PIQUOT, capitaine au long cours, de Saint-Vaast-la-Hougue : « Son navire étant attaqué par un sous-marin, a réussi par son énergie, son sang-froid et ses qualités manœuvrières, à se faire abandonner de l'ennemi. »
 
LAROQUE, enseigne de vaisseau de 1re classe, auxiliaire, de La Hongue, commandant le Saint-Philippe, coulé en mer, le 29 novembre 1916 : « Officier très énergique. En a donné des preuves en défendant courageusement son bâtiment contre un sous-marin. Déjà cité à l'ordre de l'armée. »

LETHIMONNIER, brancardier, état-major du premier groupe, du 50e régiment d'artillerie : « Sang-froid, courage et dévouement à toute épreuve. Appui moral du groupe considérable. A relevé des blessés dans maintes circonstances, pénibles, et particulièrement pendant les offensives de Champagne, aumônier du groupe. » M. l'abbé Lethimonnier, fils du sympathique libraire de Valognes, était professeur à l'Institut Saint-Paul, de Cherbourg.

GESLIN, MARCEL, soldat de 1re classe au 1er régiment d'infanterie coloniale : « Bon soldat de 1re classe, l'fait bravement son devoir en toutes circonstances. A été blessé dans les tranchées de première ligne, le 11 juin 1917. Trois fois blessé depuis le début de la guerre, Marcel Geslin, fils de M. Geslin, retraité des postes, vient d'être réformé.



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