Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917.Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie : économiques, commerciales, industrielles, agricoles, artistiques et littéraires / Miollais, gérant ; Maché, secrétaire général.- Numéro 1 Avril 1917.- Alençon : Imprimerie Herpin, 1917.- 16 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (16.XI.2013).
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 41060-nor598).


NORMANDIE

REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE
DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE
Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques et Littéraires

PREMIÈRE ANNÉE. - N°1   AVRIL 1917

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917.

~*~

NOTRE PROGRAMME

Les Régionalistes, estimant avec juste raison, que la centralisation à outrance paralyse les initiatives, forment le vœu de voir nos vieilles provinces vivre, chacune avec l'originalité qui lui est propre, son indépendance intellectuelle et artistique, ses coutumes, ses modes, ses fêtes, et surtout avec un développement économique apportant à ses habitants, trop disposés à aller encombrer les grandes villes, une prospérité qui les retiendrait sur le sol natal.
 
Or, la Normandie, avec ses industries rurales et manufacturières, son sous-sol qui contient des richesses minières et métallurgiques de tout premier ordre, l'outillage moderne que les nécessités de la guerre ont fait créer, ses ports, ses voies de communications fluviales et terrestres, devrait être au premier rang des Provinces françaises.
 
Récemment, des mesures ont été prises pour que les mines en chômage, les hauts-fourneaux, aciéries, laminoirs soient remis en activité, ainsi que pour l'aménagement du port de Caen destiné à devenir un grand port métallurgique.
 
Nous devons nous féliciter de ces efforts, mais il ne faudrait pas se déclarer satisfait pour si peu. L'œuvre est seulement amorcée ; il faut tout faire pour que cette activité s'étende à tout le domaine agricole et industriel normand.
 
Au point de vue intellectuel, la Normandie est une des provinces qui a fourni à la France, les illustrations les plus remarquables dans tous les domaines de l'activité humaine. Dans les Lettres, la Poésie, les Sciences, les Arts, l'Armée, la Marine, la Magistrature, le Barreau, la Haute-Finance, les Assemblées électives et délibérantes, les Normands ont occupé et occupent les premières places, et mieux que tout, la splendide floraison des grands noms et des génies normands montre l'immense apport fait à la France par la Normandie héroïque, civilisatrice, artistique et littéraire et le rôle social et politique qu'elle a joué dans l'unité nationale.
 
En éditant cette Revue, nous voulons nous efforcer, sans aucune préoccupation politique ou confessionnelle, de défendre les intérêts normands sous quelque forme qu'ils se présentent.
 
Entreprendre, à cet effet, dans les domaines agricole, commercial, économique et industriel, toutes campagnes utiles.
 
Seconder toutes les initiatives, qui auront pour but les intérêts normands.

Susciter les manifestations d'art qui, comme les inoubliables fêtes cornéliennes de 1904, à Petit-Couronne, ont pour but de magnifier les gloires normandes. Corneille, n'est-il pas, en même temps, une des plus pures gloires françaises, et ainsi que le disait récemment, M. Le Senne, « Corneille n'est-il pas le grand poète qui a exalté le sentiment du devoir et qui est plus que jamais le maître de notre civisme. »

Apporter notre concours aux Syndicats d'Initiative, en faisant connaître non seulement par des descriptions, mais encore par l'image, les beautés naturelles du pays, ses stations balnéaires et thermales, ses richesses artistiques — la Normandie n'est-elle pas, en effet, le pays des chefs-d'œuvre de pierre — et attirer ainsi les touristes, une des meilleures sources de richesse.

Publier des œuvres de nos littérateurs et de nos poètes, et, pour les patoisants, les œuvres de ceux d'entre eux qui se sont voués au culte de la langue de Wace, cette langue, dont le poète Th. Féret, a dit :
 
« La langue normande fut une, Ombrienne au Pollet, semi-italique et zézayante à Quilbeuf, influencée pur l'Espagnol dans tous les ports normands où les marchands Castillonnais et Aragonnais, attirés par de grands privilèges et de larges immunités, fondèrent des colonies prospères ; plus saxonne à Bayeux, franchement danoise dans la Hague ; elle a des caractères généraux communs…..

Il y a pourtant des règles générales qui pourraient servir de base à un Mistral normand pour fixer notre langue, et ce dialecte ne serait pas plus artificiel que le dialecte d'Oc, d'où fut forgé le poème de Mireille. »

Et, d'une façon générale, resserrer les liens qui doivent unir tous les enfants de la petite Patrie, Normands restés attachés au terroir et ceux que les hasards de la vie ou les nécessités de l'existence en ont éloignés et qui, s'ils ne vont pas aussi souvent qu'ils le voudraient, se retremper sur cette terre dont Spalikowski a dit :

J'ai pour pays la Normandie.
Le sol est gras, le ciel est pur.
Dans nos pommiers, l'oiseau chante sa mélodie
Et l'aubépine en fleurs chez nous tient lieu de mur.
Le cidre invite à boire et le lait fait envie.

ils n'en ont pas moins gardé le cher souvenir car, comme le dit encore si bien le même auteur : « Si ballotté par les flots du hasard, l'homme est parfois entraîné loin du pays préféré, il y laisse quand même le meilleur, de lui-même : son cœur. »
 
Voilà peut-être un programme bien ambitieux, pour le réaliser nous faisons appel au concours de tous ceux à qui la prospérité normande, sous toutes ses formes, tient à cœur.

Peut-être aussi trouvera-t-on que le moment est mal choisi, en pleine guerre, pour lancer cette Revue. Mais, nous avons pensé qu'il y avait dès maintenant une œuvre de propagande à organiser, et que pour ne pas être pris au dépourvu, il fallait l'entreprendre sans plus tarder.
 
Pour cette œuvre de propagande, nous comptons aussi sur le concours de tous, persuadés qu'il ne nous fera pas défaut.

Normandie

*
* *

La Vie Rurale
Et la Production agricole
Au Pays Normand


I

RÉGIONALISME ET DÉCENTRALISATION. — LE RETOUR AU VILLAGE ET A LA TERRE. — AIMONS NOTRE PETITE PATRIE ET VIVONS SUR SON SOL.
 
La réalisation, en notre province, de l'œuvre de décentralisation, le développement des énergies et des richesses latentes, par les initiatives et les moyens qui doivent constituer la puissance du régionalisme, voilà un programme séduisant parce que éminemment utile, souvent prôné, préconisé, et dont l'esprit et l'application s'imposent, plus que jamais, à notre attention, en ces heures où l'amour de la Patrie fait accomplir de si grandes choses pour le salut commun...

Tous les hommes bien intentionnés, guidés par la raison et le simple bon sens, estiment qu'eu égard à l'œuvre de renaissance économique nationale, c'est de la coordination des efforts de tous qu'il faut attendre l'évolution progressive et bienfaisante du régionalisme, car c'est évidemment de la prospérité, de l'accroissement de richesse de chaque province que dépendent la prospérité, les plus belles destinées de la France, notre plus grande Patrie.

Pour nous, qui bornons notre ambition à contribuer ici à cette œuvre d'action régionaliste et de décentralisation en mettant en relief la puissance productive de la bonne terre normande, ses richesses, et la mise en valeur de ses ressources, nous avons un programme tout particulier, bien tracé, en tête duquel nous devons et voulons inscrire, pour le bien, pour l'avenir, le salut de notre petite Patrie, — la Normandie, — le retour au village et à la terre, l'amour du sol natal, parce que nous estimons que c'est dans la vie rurale, dans la repopulation des campagnes, dans la multiplicité des familles nombreuses et, surtout, la reconstitution de la famille rurale, que nous devons trouver l'élément essentiel, le facteur puissant de régénération agricole, de relèvement provincial, de prospérité régionale. Ne l'oublions pas : là est la sauvegarde de notre agriculture normande comme, d'ailleurs, de l'agriculture du pays tout entier.

Nous devons compter sur l'évolution d'idées nouvelles en faveur du retour à la terre et sur une renaissance de l'esprit rural, capable de susciter un véritable réveil de l'âme paysanne. Toutes les bonnes volontés doivent se donner libre cours, pour conjurer le péril, pour éviter, après cette longue guerre, de désastreux lendemains et prévenir cette nouvelle catastrophe que serait l'émigration en masse vers les villes, au détriment de nos campagnes. Il est un seul champ d'action et d'expansion capable d'absorber toutes les forces sans emploi, et celui-là a l'avantage d'être inépuisable, au moins pour des siècles, c'est la terre, la terre nourricière de l'humanité, féconde et éternelle, mère de toutes les industries, qui ne feront, en lui revenant, que rentrer dans le sein d'où elles sont sorties ; la terre qui a des consolations pour toutes les misères et qui ne laisse jamais mourir de faim ceux qui l'aiment et qui se confient à elle.

Il faut rétablir la classe paysanne dans toute sa force et son utilité sociales, trop méconnues, ce qui a contribué, pour beaucoup, à cette fausse orientation des masses rurales vers des aspirations conformes aux mœurs et aux coutumes citadines et au reniement des saines traditions villageoises. Il faut travailler ardemment à la renaissance — à la résurrection, pourrait-on dire — de l'âme paysanne, faire revivre cet amour de la terre qui doit être, chez nos paysans, une vertu à l'égal de l'amour de la patrie. Restez au village natal : le métier de l'homme des champs réalise, plus que tout autre, le programme de Montaigne : Une âme saine dans un corps sain » ; plus que tout autre, il assure la vie facile et libre à l'encontre de ce qui se passe à la ville où trop souvent, hélas ! ceux qui se sont lancés dans les engrenages de la vie urbaine ou du fonctionnarisme, ont vu leurs belles espérances se résoudre en d'amères désillusions.

Aimez votre petite Patrie et vivez sur son sol, il est certes, assez fertile, assez riche en ses productions variées, pour vous nourrir largement, tous, enfants de la terre normande, ainsi que nous le montrerons, du reste, dans les pages qui suivront ces prémices.
  
Les hygiénistes et les économistes voient dans l'exode des campagnes vers les villes, une des causes, tout à la fois, de l'augmentation de la mortalité et de la diminution de la natalité Il y a tout lieu de croire, en effet, que si tous ces beaux gars et toutes ces belles et plantureuses filles qui abandonnent la terre pour entrer en service à la ville, restaient dans leurs villages et s'y mariaient, la race aurait tout à y gagner au point de vue du nombre et de la robustesse. Mais voilà : le rural, au lieu de se complaire en sa qualité, veut paraître citadin — comme s'il y avait plus d'attrait à être citadin ! — On raille les petits villages — ce sont des trous, des « patelins » où l'on meurt d'ennui. Parlez-nous de Paris, cette « Ville-lumière », ce « patron des capitales bien faites ! » C’est à la grande Ville, c'est à Paris qu'il faut aller -ceux qui y vivent sont rupins ! » — et l'on cite des exemples spécieux.

La cause principale de l'exode rural est l'illusion, le mirage des gros salaires, du gain, ajouté à celui de la vie agréable. En ce qui concerne le taux des salaires, il est, pourtant, bien évident que l’affluece des ruraux vers les villes doit produire fatalement l'effet habituel de l'excès d'offre ! Aux esprits timorés, que séduisent la vie à la ville et les « belles manières », il semblerait vraiment que l'attrait de la vie rurale, des travaux champêtres et de la belle nature n'a qu'un temps. Leur état d'âme nous rappelle les réflexions humoristiques de nôtre spirituel confrère Grenet-Dancourt, dans la Vie, dont nous nous permettons cette inoffensive parodie :

Qu’admirez-vous donc ici-bas ?
Est-ce, par hasard, la nature ?
C’est beau, je n'en disconviens pas,
Mais voilà longtemps que ça dure.

Et sans ennui, avec entrain,
Lorsque l'aurore vous réveille,
Vous  suivez  ce  même chemin,
Suivi par vous, déjà, la veille ?

Le soleil, la lune, les cieux,
C'est tout le temps la même chose ;
Qu'est-ce qui ravit donc vos yeux ?
Ce n'est pas la terre, je suppose ?

Il est évident que ces militants de la désertion s'enlisent dans la plus profonde erreur. Si le pays natal, si la terre n'avait pas son charme, on ne s'expliquerait pas pourquoi tant de citadins envient l'existence champêtre, on ne comprendrait pas pourquoi tant de gens rêvent de finir leurs jours à la campagne, dans le culte de Flore et de Pomone.

Réagissons contre, les errements du passé, car le retour à la terre est un des premiers éléments à faire intervenir en faveur du régionalisme. N'écoutons pas les arguments spécieux des égarés, mais prêtons l'oreille aux justes raisons formulées par les savants, les sociologues et les économistes, et à l'invite du poète mettant en relief l'œuvre essentiellement humanitaire et les mérites des travailleurs de la terre :

Aux vojx qui vous diront : « La ville a ses merveilles »,
N'ouvrez pas votre cœur, paysans, mes amis,
A l'appel des cités n'ouvrez pas vos oreilles,
Elles donnent, hélas ! moins qu'elles n'ont promis.

Paisibles et contents, la tâche terminée,
A votre cher foyer vous rentrez chaque soir.
Combien de citadins, au bout de leur journée,
Ne rapportent chez eux qu'un morne désespoir !

A vos champs, à vos bois, demeurez donc fidèles,
Aimez vos doux vallons, aimez votre métier.
Auguste est le travail de vos mains paternelles,
C'est de votre sueur que vit le monde entier.

Gars normands, retournez à la terre, donnez-lui tout ce qu'elle réclame : travail, savoir, intelligence ! La terre est le grand creuset, la source inépuisable, productrice des forces vives et des richesses qui vous assurent, avec l'aisance, l'indépendance et la liberté comme elles garantissent la prospérité, l'avenir de la patrie.

La conséquence logique de ce plaidoyer en faveur du retour à la terre et plus particulièrement de l'exploitation intensive de la terre normande, doit être, comme nous l'annoncions au début de cette étude, un examen approfondi des sources de production du sol de notre belle Normandie. Les arguments les plus puissants, les plus convaincants, appuyés sur le plus juste raisonnement, doivent, en effet, trouver leur corollaire naturel dans l’énonciation de vérités fortes, de réalités tangibles. Aussi allons-nous passer en revue successivement la production agricole de nos cinq départements, en commençant par

LE CALVADOS

Le Calvados est un pays riche, aux cultures variées. On y produit, en effet, des céréales, des fourrages, des plantes industrielles. L'horticulture et les cultures maraîchères y tiennent aussi une large place. On y fait du cidre renommé et on sait que les produits de l'industrie laitière (beurre et fromage) font l'objet d'un important commerce. L'élevage, qui se pratique dans les six arrondissements, a une importance considérable pour toutes les espèces d'animaux domestiques (espèces chevaline, bovine, ovine, porcine, animaux de basse-cour, abeilles).

Dans les études qui suivront, et qui constitueront, en quelque sorte, comme l'inventaire des richesses agricoles du pays normand, nous passerons en revue méthodiquement les diverses branches de production. Cette revue complète nous paraît d'autant plus utile et nécessaire, que nous y voyons un élément d'action régionaliste, capable d'aider au développement économique de notre pays. Et puis, en Normandie, comme ailleurs, il est tant de gens qui ignorent la variété, l'importance, et la valeur réelles de la production du sol de leur province ! De là provient, à n'en pas douter, l'indifférence qui s'est manifestée jusqu'ici dans la masse du public à l'égard de la décentralisation.

La culture du blé est pratiquée notamment dans la plaine de Caen. On cultive le franc blé et le blé Chicot et d'autres variétés moins spéciales, telles que les blés Japhet, Dattel, Bordeaux, Bordier, etc. Les principaux centres de vente pour le blé sont surtout : Caen, Bayeux, Argences, Saint-Pierre-sur-Dives, Falaise, Thury-Harcourt, Villers-Bocage et Aunay-sur-Odon.

L'avoine est cultivée principalement dans la plaine de Caen où l'on en fait une forte consommation dans l'élevage du cheval de demi-sang. On cultive l'avoine grise du pays et l'avoine noire de printemps. La variété dite « Avoine de Falaise » est très renommée. Dans les terres fortes, peu calcaires, l'avoine noire de Brie donne d'excellentes récoltes. Les principaux centres, pour la vente de l'avoine, sont Falaise Saint-Pierre-sur-Dives et les localités indiquées, précédemment pour le blé.

On produit dans le Calvados de bonnes orges de brasserie qui ont un débouché important et avantageux chez nos voisins de l'Entente cordiale ; les orges normandes peuvent être prises comme fret en retour aux navires importateurs de produits anglais. On cultive surtout les orges de printemps, et, dans le Bocage, on a constaté la parfaite réussite de l'orge chevalier anglaise. Les orges se vendent sur les marchés suivants : Argences, Falaise, Harcourt, Saint-Pierre-sur-Dives et là où se vend le blé.

Le seigle — céréale des terres pauvres — est peu cultivé dans le Calvados. Par contre, — la culture du sarrazin y est très répandue, et la vente de cette céréale a lieu notamment sur les marchés de Condé-sur-Noireau, Vire, Harcourt, Aunay-sur-Odon, Falaise, Saint-Pierre-sur-Dives, Argences et Caen.

En fait de cultures fourragères, on trouve, sur les terres calcaires, le sainfoin (plaine de Caen), surtout le sainfoin à deux coupes. On trouve cependant, entre Falaise et Saint-Pierre-sur-Dives, quelques cultures de sainfoin à une coupe. Le rayon de Caen produit la semence de sainfoin. Le trèfle incarnat, si utile dans l'alimentation des chevaux et des bovins est très cultivé ; on le fait pâturer au piquet. On se procure la semence en Beauce. Le trèfle violet, la luzerne constituent des cultures moins importantes. Bayeux vend du sainfoin et du foin de pré, tandis que Lisieux, Pont-l'Evêque et Vire sont plutôt des régions de consommation. Caen est le grand centre de vente pour le sainfoin. La culture du colza — qui, autrefois, était une véritable fortune pour le pays — s'est sensiblement réduite depuis bien des années, à cause du prix peu élevé de cette graine. On en produit encore quelque peu dans les rayons de Bayeux et de Caen. Il y aurait intérêt à reprendre cette culture, à la développer, car actuellement, le colza, — culture industrielle qui se pratiquait surtout dans les départements de la région du Nord, dévastés par la guerre — fait défaut à la consommation et les cours de cet oléagineux peuvent être avantageux pour les producteurs. Il conviendrait aussi d'étendre, dans la plaine de Caen, et les régions voisines, la culture de la betterave à sucre, mais en développant, parallèlement, par la création d'usines, dans ces régions, l'industrie sucrière.
  
Au point de vue des cultures fruitières, le canton de Honfleur se signale particulièrement. Criquebœuf, Pennedepie, Vasouy, Equemauville, Gonneville, Ablon possèdent de belles cultures de cerisiers, guigniers, pruniers, poiriers et pommiers. La culture du groseiller joue un rôle important ; son exportation est assurée, et dans les années où les fruits viennent à manquer, la récolte plus certaine de la groseille assure un rendement et sauve les petits producteurs. Bon an mal an, le port de Honfleur expédie plusieurs milliers de tonnes de fruits.

Sur le littoral de la plaine de Caen, où la fertilité du sol est entretenue par les engrais marins associés au fumier de ferme, on trouve les conditions favorables à la grande culture maraîchère. Luc-sur-Mer,   Lion-sur-Mer, Douvres, Langrune, Saint-Aubin sont des centres importants  de production légumière : oignons, carottes, choux, navets,  pommes de terre, salsifis, poireaux, haricots, produits vendus sur le marché de Caen et dans tout le département du Calvados, ou expédiés dans l'Orne, l'Eure, au Havre, à Paris et à Londres. Le rude labeur de nos maraîchers, la diversité et la succession ininterrompue des cultures donnent à la production de cette féconde région normande, une valeur considérable,  tandis  que l'arrondissement de Bayeux est obligé d'importer en grande quantité pommes de terre, radis, oignons, carottes, poireaux de ce littoral de Luc à Courseulles et Lion-sur-Mer, et que les primeurs qui y sont consommées proviennent exclusivement du   midi. La région d'Ussy, entre Falaise, Bretteville-sur-Laize et Thury-Harcourt, a une spécialité justement réputée, celle des pépinières sylvicoles d'essences feuillues  et résineuses : Hêtre commun, tilleul, orme, chêne, châtaignier, aune, bouleau, frêne, érable, sycomore, sapin, épicéa, pin sylvestre, pin noir, pin laricio, mélèze du Japon. On fait aussi les arbres et arbustes d'ornement et d'agrément, mais on produit surtout les jeunes plants pour boisement. Les pépinières d'Ussy, Tournebu et Fontaine-le-Pin fournissent  des plants forestiers à presque tous les pays d'Europe, ainsi qu'aux Etats-Unis, au Canada et à l'Australie. Avant la guerre, l'Allemagne y achetait des millions de plants pour établir des haies, surtout en tilleul et épine blanche.

Les déboisements stratégiques, les ravages causés par la guerre, par le vandalisme de nos ennemis, nécessiteront un énorme travail de reboisement auquel pourront largement contribuer nos pépiniéristes d'Ussy et ses environs.
 
Par cet aperçu, que nous compléterons dans le prochain numéro, on peut déjà se rendre compte de l'importance des éléments qui forment la richesse agricole de notre beau département du Calvados. Il faut insister sur ce point essentiel : que la parfaite connaissance de la diversité et de la valeur des sources de production de notre sol doit apporter une large part contributive à l'œuvre de décentralisation, en souligner le grand intérêt, dans l'ordre économique, comme au double point de vue moral et social, et assurer à notre belle province, à la fertile terre normande, tout le succès effectif, tout le bénéfice des idées militantes du régionalisme.

Henri BLIN,
Lauréat de l'Académie d'Agriculture de France.
 
P. S. — Les bénévoles lecteurs de Normandie désireux d'obtenir des indications, des renseignements et des conseils relatifs à la pratique de l'agriculture et sur les diverses branches d'exploitation du sol, qui en dérivent, trouveront toujours accueil sympathique auprès du chroniqueur agricole de cette Revue, dévoué aux intérêts de la région normande.

H. B.

*
* *

RICHESSES MINIÈRES
de Normandie

 
La guerre qui a fait apparaître toute l'importance nationale de notre Industrie minière, a appelé, d'une façon toute particulière, l'attention sur les richesses du sous-sol normand, délaissées depuis trop longtemps.
 
Au mois de novembre dernier, sur les instances de M. Henri Chéron, l'actif et dévoué sénateur du Calvados, le Ministre des Travaux publics et le Ministre des Munitions, accompagnés de leurs principaux collaborateurs, se sont rendus à Caen, où a eu lieu une importante conférence à laquelle assistaient M. Schneider, du Creusot, et de nombreuses personnalités politiques et industrielles de la région.
 
Les ministres ont fait connaître les mesures prises pour assurer la remise en exploitation des mines de fer en chômage, et mettre le port et les voies ferrées en état de desservir le nouveau centre métallurgique près duquel était prévu l'installation d'un établissement d'artillerie et de pyrotechnie. La Chambre de Commerce de Caen doit participer pour neuf millions dans la dépense prévue ; le département du Calvados et la ville de Caen doivent également assurer une légère participation.

Réjouissons-nous de l'adoption de ces mesures qui, si elles sont menées rapidement, donneront un nouvel essor à l'industrie métallurgique et accroîtront la prospérité de la Normandie.

En effet, si la verte Normandie est renommée pour la richesse de sa production agricole, elle peut aussi devenir un pays noir prospère, car d'immenses ressources minières gisent en son sous-sol.
 
Nombreuses sont les mines de fer qui étaient en exploitation avant la guerre et qui semblaient devoir prendre un rapide et puissant développement. Malheureusement, le plus grand nombre était entre les mains de Sociétés allemandes. Nous les retrouverons dans l'historique que nous ferons des mines de fer et de l'industrie métallurgique de Normandie, au point de vue économique.

Pour le traitement du minerai, une importante société, la Société Normande de Métallurgie s'est constituée pour prendre la suite de la Société des Hauts Fourneaux de Caen ; elle a devant elle l'avenir le plus brillant et aura, sans nul doute, une heureuse répercussion sur l'exploitation des mines normandes.
 
Mais, à la question de l'industrie métallurgique s'en rattache une autre, très importante : celle du combustible.
 
Il est donc d'une importance capitale pour l'avenir de l'industrie métallurgique normande, de trouver, à proximité, le combustible nécessaire.
 
Cela ne semble pas impossible ; la Normandie, en effet, possède un bassin houiller qui fut exploité jusque vers 1882 : la mine de Littry (Calvados), notamment, découverte en 1741, et la mine du Plessis (Manche), en 1757.

Au moment de leur visite à Caen, en novembre, les ministres annoncèrent que le gouvernement demanderait aux Chambres un crédit de deux millions pour assurer la prospection de ce bassin houiller.

Souhaitons que cette prospection menée rondement, donne les résultats attendus, car si l'abondance de la houille est la condition indispensable de notre libération économique, elle n'est pas moins utile à la vie domestique.

Si nous avions eu cet hiver, sur notre territoire, de la houille en quantité suffisante nous n'aurions pas connu cette lamentable crise du charbon qui a paralysé non seulement l'industrie privée, mais aussi dans une certaine mesure les usines de guerre et nous n'aurions pas assisté à une fantastique élévation des prix qui ne connaît plus de limites.
  
Dans un prochain article, nous étudierons la situation de chacune des mines de houille de Littry et du Plessis.

A. MACHÉ.

*
* *


FIGURES NORMANDES
Georges Bureau



Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917.La Légion d'honneur vient de lui être décernée. Ce ruban, malgré sa noblesse, n'eût jamais rougi sa boutonnière si la guerre n'était venue.
 
Etre Chevalier de la Légion d'honneur au titre civil n'est pas une distinction gui ajoute à la gloire, d'un ancien ministre. Georges Bureau a été décoré au titre militaire comme quelques-uns de ses collègues du Parlement gui — ; tels Maginot et Bokanowski, — n'ont pas voulu se prévaloir de leur titre pour esquiver leur rude devoir de soldats.

L'étoile des braves est à sa place sur cette poitrine.

Au début, de la guerre, Georges Bureau fut mobilisé, le huitième jour, comme capitaine au 43e régiment d'artillerie, commandant le détachement du 3e groupe de Sections du Parc de la 5e armée, dite alors Armée de Paris. Parti de Versailles, cinq jours plus tard (le treizième jour de la mobilisation), il vécut toutes les tragiques journées de Charleroi, puis toutes celles de la grande retraite. Il participa de toutes ses forces aux victorieuses opérations de la Marne et ce n'est qu'après ces heures terribles et magnifiques qu'il fut envoyé, avec son détachement, au Grand Parc d'Artillerie d'Armée de la 10° armée près d'Arras.
 
Lors de la rentrée des Chambres, à la fin du mois de décembre 1914, faisant une fois de plus son devoir, il revint à son siège de député. Trois mois plus tard, il était Sous-Secrétaire d'Etat de la Marine Marchande. Il ne quitta ce poste que fin octobre 1915
, lorsque le cabinet Viviani démissionna tout entier. Ayant alors demandé à reprendre du service, il fut détaché à la Section Technique de l'Aéronautique où il rend, comme partout où il a passé, les plus éminents services.

 
Un regard général — sans phrases — sur sa carrière, fixera mieux gue tous les commentaires l'opinion générale sur ce grand citoyen.
 
Georges Bureau est né le 31 janvier 1870. Il a passé ses premières années à Etretat (Seine-Inférieure), où il a conservé son domicile. D'abord élève du lycée Condorcet, il termine ses études au lycée d'Alger, ville dans laquelle il obtient son baccalauréat et sa licence en droit. On le voit ensuite successivement : docteur en droit de la Faculté de Paris, avocat à la Cour d'appel, député de la 3e circonscription du Havre en 1910, et réélu en 1914.
 
A la Chambre, où tant d'individualités choisies sont neutralisées, stérilisées, noyées si tôt, il a su conserver sa liberté d'action et sa personnalité n'a fait, dans ce milieu narquois, difficile, bizarre et défiant, que s'affirmer et se préciser.
 
Siégeant au Groupe républicain de gauche, il a appartenu, dès sa première législature, à la Commission du Commerce, à la Commission de l'Armée, puis, en qualité de secrétaire, à la Commission du Commerce. Il fut également rapporteur de la loi de renouvellement des primes aux grandes pêches maritimes (1911) et rapporteur des propositions de loi concernant la responsabilité des Compagnies de chemins de fer en matière de transport de marchandises.
 
Durant le cours de la même, législature, nous le savons, en outre, membre de la Commission supérieure d'Hygiène et de Sécurité de la Navigation, membre de la Commission supérieure de la Circulation Monétaire et membre du Comité consultatif des Chemins de fer.

Pendant la présente législature, il fut très vite secrétaire de la Commission du Commerce et de la Commission des Domaines, et membre de la Commission supérieure d'Hygiène et de Sécurité de la Navigation, du Comité consultatif des Assurances contre les Accidents du Travail et du Comité Consultatif des Chemins de fer.

Vint la guerre : j'ai dit le superbe rôle qu'il remplit.

Georges Bureau, gui parle avec agrément, possède, outre un tact parfait, l'habileté de bon ton, dont tous les législateurs de premier plan doivent être pourvus, un talent littéraire attesté par plusieurs volumes fort alertes et une peu commune puissance de travail, l'originalité caractéristique des hommes de grande valeur : il ne diminue, il n'humilie, il ne calomnie jamais ses adversaires.
 
Le voici déjà beaucoup mieux qu'un des meilleurs espoirs du Régime Nous suivons sa légitime ascension avec la plus cordiale sympathie.

Georges NORMANDY.

*
* *

Une Œuvre inédite de Jean LORRAIN
Sera publiée par « Normandie »


Nous publions sur notre couverture une reproduction du gracieux et sobre monument érigé à la gloire de Jean Lorrain, à Fécamp (Seine-Inférieure), sa ville natale, par un comité constitué sur l’initiative de M. Georges Normandy (un Fécampois lui aussi), et présidé par le maître écrivain Paul Adam.

Cette œuvre élégante, sortant si heureusement de la banalité conventionnelle, grâce au talent du sculpteur Alphonse Saladin, actuellement au front (où sa bravoure et son habileté de mitrailleur lui ont valu la Croix de guerre), fut exposée au Salon des Artistes français, avant d'être transportée à Fécamp.
  
L'inauguration solennelle dans les jardins de l'Hôtel de Ville au pied des formidables murailles de l'abbaye, eut lieu, le 28 juillet 1912, sous la présidence de M. Paul Brulat, vice-président de la Société des Gens de Lettres, délégué du Sous-Secrétaire d'Etat des Beaux-Arts, de Mme P. Duval-Lorrain, vénérable mère du grand écrivain, en présence de MM. Jean de Bonnefon, délégué du Comité ; Georges Bureau, député, qui se souvint, ce jour-là, d'avoir été un bon écrivain avant de devenir un homme de gouvernement hors pair ; R. Duglé, maire de la ville ; des deux plus célèbres écrivains vivants de chez nous : l'admirable prosateur Jean Revel, et le célèbre poète Robert de la Villehervé : aux applaudissements d'une foule immense, où autour de nombreux étrangers, se réunissaient sans distinction de parti, toutes les notabilités de la ville, parmi lesquelles on remarguait surtout les membres de la famille Le Grand, illustres industriels qui, avec La Bénédictine, ont fait connaître Fécamp à l'univers entier ; les membres de la Société commerciale des Fêtes, du Vieux Fécamp ; le grand peintre fécampois A.-P. Leroux, à l'œuvre de qui nous allons consacrer une étude illustrée : le romancier yportais et parisien René Le Cœur, etc. Les envoyés spéciaux de la presse parisienne et régionale signalèrent encore parmi les assistants le fameux tragédien de Max, qui triompha le soir au gala du Casino en même temps que l’étonnante chorégraphe Germaine Aymos (de l'Odéon) : le grand orateur Charles-Brun, délégué de la Fédération régionaliste française, etc.
  
« Normandie » passera successivement en revue les monuments publics normands les plus dignes d'admiration ; la collection de ces superbes images régionales sera précieuse à tous les normannysants et à tous les amateurs d'art.

Nous avons, en outre, la bonne fortune d'annoncer à nos lecteurs que « Normandie » a pu s'assurer la primeur d'une œuvre inédite de Jean lorrain.

La publication de cet ouvrage commencera dans notre prochain numéro.
  
Les illustrations seront signées par l'excellent peintre P.-J. Poitevin, dont les envois sont si remarqués au Salon de la Société Nationale des Beau-Arts. Ces illustrations d'un homme doué d'un talent très original, emprunteront un intérêt supplémentaire au fait qu'elles auront été dessinées entre deux combats, au front, où notre collaborateur, décoré de la Croix de guerre, est reparti dès que sa grave première, blessure fut guérie.

LA RÉDACTION.

*
* *

MA NORMANDIE
(Paroles et Musique de FRÉDÉRIC BÉRAT)


Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917.
I

Quand tout renaît à l'espérance
Et que l'hiver fuit loin de nous ;
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux,
Quand la nature est reverdie,
Quand l'hirondelle est de retour,
J'aime à revoir ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour !

II

J'ai vu les champs de l'Helvétie,
Et ses chalets et ses glaciers ;
J'ai vu le ciel de l'Italie,
Et Venise et ses gondoliers.
En saluant chaque patrie,
Je me disais : Aucun séjour
N'est plus beau que ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour !

III

Il est un âge dans la vie,
Où chaque rêve doit finir ;
Un âge où l'âme recueillie
A besoin de se souvenir.
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini ses chants d'amour,
J'irai revoir ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour !


*
* *

Dominique Bignery
de Vaucottes-sur-Mer

 
 
Verdoyant et fleuri, blotti dans une valleuse cauchoise, le hameau de Vaucottes-sur-Mer ne serait jamais troublé s'il ne possédait à la fois, au sommet de sa falaise d'aval, la villa de M. Théopompe Boufart, ancien industriel, ancien maire, et sur sa falaise d'amont, la chaumière de Dominique Bignery, pécheur, maquignon, maître-baigneur, chasseur et surtout contrebandier.

M. Théopompe Boufart domine le pays de tous ses jardins et de toutes ses rentes. Dominique Bignery, ou plus simplement Minique, fait la joie de ses compatriotes, qui le craignent un peu, et le bonheur des estivants qui le connaissent beaucoup. Désirez-vous un homard, des « étrilles », un lièvre, des truites ? Ne vous préoccupez ni de l'époque, ni des lois, ni du temps. Minique vous fournira cela. Voulez-vous du tabac, des alcools, des allumettes de première qualité, le tout à des prix dérisoires ? Voyez Minique. Minique voit tout, comprend tout et peut tout.

M. Théopompe Boufart connaît Minique mieux que personne. Il le protège et il est toujours son meilleur client.

On prétend que Bignery ne procure pas seulement du gibier, du poisson, des chevaux et des produits de contrebande à l'ancien industriel, ancien maire. La vieille Tougard raconte à qui veut l'entendre qu'un jour de septembre, alors qu'elle emportait à Yport sa « rocaille » du soir, elle croisa Minique sur la route, non loin de la propriété de M. Théopompe Boufart. « Çu sâpré vôleux » s'étalait à l'aise dans le coupé du rentier, à côté de la fille du père Décultot, garde champêtre de Bénouville, « une luronne bien en chair, Monsieur, et qui n'a jamais eu froid nulle part ». Mais la mère Tougard est une « vieuille clapotière ». Et puis, si légitime qu'il soit, son ressentiment contre Minique qui, jadis, la planta là avant la mairie mais après la paillasse, (et qui, de plus, fait à son commerce de crabes, de salicoques et de vignots une concurrence redoutable) rend son témoignage suspect. Malheureusement pour M. Boufart, de l'auberge de Vaucottes on vit souvent, le soir, les fenêtres de la salle à manger et de la chambre de l'ancien industriel, ancien maire, trop éclairées, — et, au cours de chaque illumination, dans le grand silence de la nuit à peine troublé par la rumeur des flots paisibles, résonnèrent trop, à travers les pommiers à béquilles, des cris et des rires prolongeant sur le hameau les frissons préférés du voluptueux « horzain ».
  
Le scandale fut au comble, lorsque M. Boufart, ancien industriel, ancien maire, congédia Généreux Ladiray, son valet de chambre, qui le volait depuis quelques semaines avec un sans-gêne excessif. S'il ne s'entendit point à plus de deux lieues à la ronde, le vacarme fut cependant tel que le rentier dut modifier son mode d'existence. M. l'abbé Fouillard, doyen de Vattetot, dut intervenir en personne auprès de plusieurs de ses paroissiens pour éviter des représailles. M. Boufart ne pratiquait guère, mais il faisait preuve depuis son arrivée à Vaucottes d'une si précieuse générosité !... En fait, l'esclandre établit que, malgré son âge et malgré sa réserve apparente, l'ancien industriel, ancien maire, avait rendu heureuses, au moins une fois, toutes les jeunes filles et la plupart, des jeunes femmes de la région. Des séparations, des départs et des batailles s'ensuivirent. M. Boufart parut tout ignorer. Et l'ordre se rétablit.
  
Quant à Minique, le tentateur, contre qui M. l'abbé Fouillard lança l'anathème, ses tout petits yeux clairs étincelèrent un peu plus que d'habitude et son mince sourire persista sous le chanvre de sa moustache. Les femmes baissaient les yeux sur le passage du contrebandier ou bien elles échangeaient, à la dérobée, un rapide regard avec lui. Les maris, eux, considérant, successivement et avec une méfiance toute normande, la carrure du contrebandier, sa matraque cloutée et ses poches toujours étrangement gonflées, imitèrent la réserve que les douaniers manifestaient, opiniâtrement à son égard. Pourtant, Minique rageait. La sagesse de M. Boufart le privait brusquement d'une partie de ses ressources. Si le maquignonnage, le braconnage et la contrebande lui permettaient d'entasser les écus dans son bahut de chêne, son intervention auprès des dames lui facilitait le remplissage, en pièces d'or, d'un pot égueulé soigneusement « muché » dans un angle de son cellier.

Bien des fois, le malin compère rendit visite au voluptueux rentier. Il eut beau lui représenter que si la possibilité d'un scandale retentissant existait, ce scandale aurait eu lieu depuis belle lurette, que, quoi qu'il fisse, jamais frasques nouvelles ne surpasseraient ses exploits d'antan, que les époux et les parents acceptaient tacitement une suite à ce qu'ils n'avaient pu éviter et même que certains, désormais sûrs des faits, seraient heureux de voir l'argent de l'ancien industriel, ancien maire, entrer secrètement avec lui, dans leur ménage, que... Ah ! les paroles n'embarrassent pas Minique plus que les actes !... Malgré tout, M. Théopompe Boufart fut inflexible. Trop d'aventures dégénèrent aujourd'hui en reportages sensationnels. Le rentier se souciait peu de voir sombrer son renom d'homme sérieux, respectable et pondéré, dans une campagne de presse. Depuis son installation à Vaucottes, il s'abstenait sagement de politique, offrait des chasubles au curé, des prix à l'instituteur, des trombones à la fanfare, des agrès à la Société de gymnastique et même des poteaux indicateurs au délégué local du T.C.F. Pourquoi risquerait-il encore son honorabilité pour des jupons de paysannes ?
 
Certes ! Mais, finaud et peut-être psychologue, Minique soupçonnait la sagesse de M. Boufart de n'être qu'une apparence. Il supposa d'abord que le rentier portait soit à Etretat, pendant la saison, soit à Fécamp, au Havre ou même à Rouen, le reste de l'année, le trop-plein de sa durable vigueur de quinquagénaire n'ayant adoré Vénus qu'après avoir sacrifié à Mercure, dieu des négoces, les trente premières années de sa vie. Vérification faite, M. Boufard quittait peu la falaise d'aval. Minique respira. Ses espérances ne s'abîmaient plus corps et biens. Comment croire, vraiment, que l'ancien industriel, ancien maire, se fût sevré si subitement ? Qui a bu boira. Il fallait ouvrir l'œil « et la bonne ». M. Théopompe Boufart guetté comme un modeste tourteau, à marée basse, dans un trou de roc, ne tint pas longtemps Minique en défaut.

Après sa première embuscade heureuse, le contrebandier ne se montra point. Il fallait d'abord savoir s'il s'agissait ou non d'une habitude ou d'une passade. Un soir d'août, derrière la haie de la Villa des Mauves, Bignery surprit, pour la deuxième fois, l'ancien industriel, ancien maire, en conversation très...animée avec Anaïs, la négresse qui remplissait au Domaine de la Cavée l'emploi de cuisinière. En dépit des apparences, M. Boufart ne semblait guère broyer du noir ! Trois fois depuis Minique renouvela l'expérience. Il ne se montra que la quatrième. Ce jour-là, en effet, le vigoureux rentier culbutait avec douceur et méthode la jeune Charlotte Limare, seconde fille de l'épicier de Vaucottes, charmante enfant de quinze ans douée d'excellentes dispositions pour faire le bonheur des hommes mûrs possesseurs d'espèces sonnantes, seul argument capable de faire trébucher à souhait sa vertu sans cesse renouvelée. Surpris en pleine action, M. Boufart, homme d'affaires expérimenté, n'hésita pas. Il héla Minique qui se retirait (avec quelle expressive lenteur !) à travers les joncs marins. Et, tirant un louis de son gousset, pendant que la petite Limare plongeait son visage un peu rouge dans ses mains aux doigts sagement écartés comme il sied :

— Tiens, Minique, prends ça. Et surtout tais-toi, hein ?... J'ai ta parole ?

— Dame, M'sieur Boufart, à çu prix-là, b'en sûr !

— Bon. Allons ouste ! vieux brigand !... Je compte sur toi...

— Vous pouvez, M'sieur Boufart..., vous pouvez.

Rasséréné, l'ancien industriel, ancien maire, se remit à l'œuvre sans délai.

... Or Minique songeait plus que jamais au remplissage de son pot égueulé.

Six jours plus tard, il sonnait à la grille du rentier. Celui-ci taillait ses rosiers, lui-même, dans une allée.

— Tiens, c'est toi, Minique ! Quoi de neuf ?

— Eh ! b'en, voilà M'sieur Boufart...

Et « çu sâpré vôleux » tournait son béret dans ses mains avec une gêne feinte à merveille.

— Voilà quoi ?... Qu'est-ce que tu as ?

— Eh ! bien voilà... Le louis qu'vous m'avez donné l'aut'fouès... v'savez b'en... dans la Côte... ar' prenez-le... J'dois pas l'garder.

— Quel louis ?... Pourquoi ?... La langue te démange peut-être, vieux mandrin ?

— « 'Est cha »...   J'peux p'us m'taire… Alors le v'ia vot' louis...

Et Minique tendit la pièce d'or à l'ancien industriel, ancien maire, qui, un instant médusé, la prit machinalement. Après un salut, Bignery se retirait... à pas comptés.

Avant que la grille se fût refermée sur le contrebandier, M. Théopompe Boufart trouva la force de le rappeler. Minique se retourna. Lorsqu'il eut constaté que le rentier ouvrait son portefeuille il revint vers lui et, un bon sourire  calme  aux lèvres :
 
— Si ça vous est égal, M'sieur Boufart, de m'donner d'l'or à la place de çu papier... j'aim' mieux cha...


Georges NORMANDY.

*
* *

L'Habitude


Quand le blême soleil de décembre est levé,
Alors que le travail gronde sur le pavé
Le doux bourgeois s'étire ainsi que d’ordinaire.
D'excellente santé, quoique sexagénaire,
Il mange de bon cœur son chocolat fumant.
Puis, renforcé d'un chaud veston d'appartement,
Les pieds tendus au feu, dont les aimables souffles
Mettent de la tiédeur au fond de ses pantoufles,
Il demande à Margot, qui tourne autour de lui,
Si la poste a remis les feuilles d'aujourd'hui.
Il les tient, et son œil paisible les savoure
Car la guerre n'a plus d'effet sur sa bravoure :
Gens du Nord envahis, déportés et pillés,
Il connaît tout cela. Paquebots torpillés
Avec leurs voyageurs occis dans les chaloupes...
C'est déjà vieux. Civils belges tués par groupes,
Enfants à la mamelle embrochés par essaims,
Comme des éperlans, et femmes dont les seins
Découpés, arrachés à leur poitrine accorte,
Furent cloués, sanglants, au milieu d'une porte...
Ces récits monstrueux des grands gestes teutons,
Notre homme les a lus comme des feuilletons.
Depuis trois ans bientôt, chaque jour lui ménage
Le conte palpitant d'un fabuleux carnage,
Certes, il en a souffert ; ensuite il s'est calmé.
Aujourd'hui, rien n'émeut son cœur accoutumé.
Justement ce matin, ô journal, tu le navres,
En ne lui donnant pas son compte de cadavres.
Le communiqué dit : « Calme sur tous les fronts. »
Et le bourgeois, vexé comme si des affronts
Venaient soudain de le souffleter sur la joue,
Rejette le journal, se chauffe et fait la moue.

Jean MIRVAL.
 

Sous le pseudonyme de Jean Mirval, se cache notre excellent confrère de Dieppe, Georges Lebas. Historien de sa ville natale, poète que nos lecteurs apprécieront, romancier, auteur dramatique joué avec succès (et nous ne disons rien de ses vingt-cinq années de journalisme), Georges Lebas est une des personnalités littéraires qui font le plus honneur à la Normandie.


*
* *

Scouting et Sous-Marin
 
 
Le Scouting « éclaireur de la mer ».
Il vole et plane, lâchant des bombes
sur le submersible ennemi,
caché entre deux eaux.

Bateau caché, poisson tortueux, sous-marin,
Fait pour l'embûche horrible et les espionnages,
Tu viens souiller les flots, épris des beaux carnages,
Par des assassinats dans les goûts d'outre-Rhin.

Sur les eaux, le scouting, en son vol souverain,
A vu ton périscope aux légers griffonnages
Et, tel un émouchet descendu des nuages,
Il s'attache à sa proie avec un cœur d'airain.

Ce n'est plus, sous la mer de nacre et d'émeraude,
Le poisson ténébreux qui glisse, épie ou rôde,
Mais le monstre affolé par l'oiseau menaçant,

L'éclaireur de la mer, l'oiseau vengeur du crime,
Et qui va faire encor, du milieu de l'abîme,
Monter la tache d'huile et les taches de sang.

Paul HAREL.


*
* *

La Légende de Corneille
Au Pont-au-Double


Une de ces nombreuses légendes qui embrument l'histoire veut que le grand Corneille indigent, fut obligé d'attendre pied nu, au Pont-au-Double, qu'un savetier lui raccommodât un de ses souliers qui bâillait à perdre Alêne.

Une autre légende veut que Corneille ne put acquitter, faute de pécune, le payement du double tournois perçu au Pont-au-Double (d'où son nom). Le double tournois valait deux deniers et était perçu par l'Hôtel-Dieu.
  
C'était un thème tout fait pour faire pleurer les âmes sensibles sur la misère de ce grand homme qui avait enrichi la France d'œuvres de génie.

Or, Corneille n'était rien moins qu'indigent ; il était avare et normand. Il avait, dit son neveu Fontenelle, plus d'amour pour l'argent que d'habileté ou d'application pour en amasser.
  
Ce n'est pas avec une telle disposition d'esprit et de tempérament qu'on s'enrichit, mais elle sert incontestablement à conserver la fortune acquise.

Cette pauvreté, dont les premiers biographes de Corneille n'ont jamais parlé, est fausse. Corneille, sans être riche, avait une grande aisance, le nombre des immeubles qu'il possédait était considérable.
 
D'après des documents locaux qui viennent d'être publiés, il avait des biens à Rouen, au Petit-Couronne, au Val de La Haye, et aux Andelys ; c'est-à-dire, les revenus de plusieurs maisons et d'une trentaine d'hectares de biens ruraux. Si l'on y joint la vente de ses ouvrages, les récompenses pour ses dédicaces, ses droits d'auteur, ses jetons de présence à l'Académie, ses pensions du roi, bien qu'irrégulièrement servies, on ne saurait prétendre que Pierre Corneille ait jamais été pauvre, ainsi que le veut une légende trop accréditée par une lettre apocryphe et mal interprétée.
Corneille pouvait être ladre, mais il est peu probable qu'il se promenât en bottes éculées et trouées. Ses ennemis, et ils étaient nombreux, connaissaient sa fortune et ils seraient tombés à bras raccourci sur le poète.

Cette légende du savetier du Pont-au-Double a été inventée de toutes pièces pour illustrer la Morale, en action. Elle ira rejoindre dans le Magasin des Vieilles Lunes, les Filets de Saint-Cloud et les Marches de Notre-Dame dont il a été fait justice dans les bulletins de la Cité.

A. CALLET.
(La Cité.)


*
* *

UN   ROMAN (1)
 
Joseph L'Hôpital vient d'ajouter à la série de ses puissantes études champêtres un roman qui porte ce litre : Un Clocher dans la Plaine, L'œuvre, publiée d'abord au Correspondant, y fut très remarqué.
  
Sous ce clocher qui domine un horizon de terres cultivées, on voit d'abord, dans la mélancolie de son apostolat, M. l'abbé Gâtine, curé de Vironville. Les appels de cet apôtre, inlassable et résigné, vont se perdre bien souvent en des âmes tièdes ou hostiles. Toutefois, il sourit à l'idylle d'un mariage à la campagne et quand cette idylle tourne au drame, quand la jeune femme, regrettant ses curiosités, pleure et s'agenouille, l'abbé Gâtine, au bout de ses bras longs, refait l'alliance définitive de deux êtres qui, dans la douleur, le pardon et l'amour, prennent un relief singulier.
  
Avant cet épilogue, l'auteur nous fait connaître une foule de personnages : les Huchecorne et leur fils, les Langlois et leur fils, les Dorget et leur fille. Un seul enfant partout ; ce n'est pas la moindre misère de ces trois foyers.
  
On fait également connaissance de M. Dubourdeau, chef de la libre pensée ; de Bauquène, le cafetier ; du sacristain Vincêtre et de son fils aîné dont la mort tragique au milieu d'un incendie donne lieu à d'inoubliables scènes.

Tout n'est pas triste dans ce beau livre. Sous les couacs d'un orchestre les danseurs de Vironville font songer aux convulsionnaires de saint Médard. La traite des vaches dans l'étable est d'une rare exactitude ; Reine Dorget, la fille de M. le Maire, nonchalante et fatiguée, s'y relève en un mouvement qui fait aimer sa beauté naturelle. La vendue à laquelle prennent part M. Filoque et son aboyeur M. Chéri ; cette vendue est bien la chose la plus précise, la plus pittoresque, la plus comique du monde. C'est un tableau digne de Flaubert, sans imitation d'aucune sorte, car L'Hôpital, avec sa vision aiguë et profonde, son art de conter, son réalisme à la fois chaste et hardi, demeure tout à fait libre et personnel.

Par ses détails rigoureux, une poésie sobre et des habiletés qu'il ne faudrait pas pousser plus loin, un Clocher dans la Plaine marque l'apogée d'un talent supérieur.
  
Si tous les lettrés de Normandie et d'ailleurs doivent se procurer le livre de Joseph L'Hôpital, il faut souhaiter aussi que l'ouvrage pénètre dans les logis, les fermes, les chaumières, dans toute maison où brille un rayon d'intelligence.
  
D'ailleurs, avec ses maisons dépeuplées et ses types d'avant-guerre, le roman semble annoncer les jours terribles que nous vivons : il en a déjà les grandes ombres sur lui. Si la jeune femme est belle et son époux taillé en force, ils n'en furent pas moins engendrés tous deux dans l'égoïsme. Ils sont d'un temps où l'homme ne défend plus la terre, s'il la cultive encore. C'est une déchéance que l'auteur signale et cela donne indirectement à son étude une valeur prophétique.

Paul HAREL.

(1) Un clocher dans la Plaine. Ollendorff, 50, Chaussée-d’Antin , et dans toutes les librairies. Prix : 3 fr. 50.


*
* *

ÉCHOS DE NORMANDIE

ROUEN
  
— Pierre Corneille va accorder l'hospitalité dans sa maison natale, aux glorieux combattants de l'Argonne, de la Somme, de Verdun. En effet, la ville de Rouen vient de donner une heureuse affectation — temporaire — à la Maison de l'ancienne rue de la Pie, rachetée peu avant la guerre, au moyen d'une souscription nationale et offerte à la ville. Le rez-de-chaussée et ses dépendances concédées par la ville de Rouen à l'Union des Femmes de France, présidée par Mme H. Turpin, ont été transformés en un Foyer du Soldat, comme il en existait déjà plusieurs à Rouen. Nos soldats pourront y faire leurs correspondances, y lire journaux et revues ; ils trouveront aussi, dans cette salle aménagée avec goût, des jeux et des boissons hygiéniques.

YVETOT
  
Encouragement aux paysans. — L'Académie française, dans sa séance du 22 février, a accepté un legs qui lui est fait par M. Lefrançois, et consiste en la nue propriété d'une somme de 60.000 francs pour la constitution d'un prix annuel, attribué aux père et mère ou au survivant des père et mère d'une famille de paysans français et catholiques choisie parmi les plus pauvres, les plus nombreuses, et habitant l'une des communes rurales de l'arrondissement d'Yvetot (Seine-Inférieure).
 
LE HAVRE

Hommage à François Ier. — Le Conseil municipal, dans sa séance du 7 février, a adopté l'ordre du jour suivant, présenté par M. l'adjoint Jennequin :

Le Conseil municipal,

Réuni le 7 février 1917, quatrième centenaire de la fondation du port par François Ier,

Exprime ses sentiments de reconnaissance au fondateur du Havre ainsi qu'à tous ceux qui, du XVIe siècle à nos jours, ont le plus largement contribué aux développements du Havre ;
 
Confiant dans les promesses des Pouvoirs Publics de compléter notre outillage maritime et de nous permettre, dans l'intérêt même du pays, de soutenir la concurrence des ports étrangers renouvelle ses vœux de prochain établissement des voies de communications intérieures, nécessaires  à notre  trafic ;

Décide dès à présent qu'aussitôt la paix victorieuse obtenue sur l'Allemagne et autres ennemis de la Patrie, il sera fait appel à tous les concours utiles, afin de célébrer dignement et solennellement les anniversaires de nos origines.

Puis, sur la proposition de M. Bogonen-Demeaux, le Conseil décide de placer dans l'escalier d'honneur de l'Hôtel de Ville le beau buste de François Ier qui était au Musée. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire la très belle communication faite au Conseil par M. Jennequin, dans laquelle il retrace l'historique du port du Havre.

Le 13 avril prochain, date commémorative de l'inauguration des travaux, la Société Havraise d'Etudes diverses, tiendra au grand théâtre une séance solennelle au cours de laquelle un de ses membres retracera l'œuvre accomplie de François Ier à nos jours.

Société féministe du Havre. — Dans ses échos journaliers du Matin, Louis Forest qui fait une campagne vigoureuse pour la réalisation d'économies de toutes sortes, signale l'œuvre accomplie au Havre par la Société féministe. Cette association qui, depuis la guerre, a organisé une Société contre le chômage, fabrique avec la lisière du drap de soldat et les chefs de pièces, des chaussons pour les petits enfants ; les semelles en sont découpées dans de vieux chapeaux de feutre durcis par un trempage de douze heures dans l'eau, tordus, séchés, repassés. Cette société travaille même maintenant pour les poilus ; mais elle manque de lisières. Elle supplie tous les tailleurs de France de vouloir bien lui en céder. Voilà une œuvre véritablement utile et qu'il faut encourager.

Nécrologie. — Le corps médical havrais a fait une grande perte dans la personne du docteur Frottier, décédé dans sa cinquante-huitième année.

Ancien interne des hôpitaux de Paris, le docteur Frottier originaire de la Nièvre, était médecin des hôpitaux du Havre, des Ponts et Chaussées et du chemin de fer.

Titulaire de la médaille de vermeil des épidémies, il s'était signalé, par son grand dévouement aux œuvres philanthropiques ; il avait été l'un des promoteurs de la création du dispensaire Brouardel qui rend de si grands services dans la lutte contre la tuberculose.

M. le docteur Frottier était vice-président de la Commission sanitaire, médecin en chef des épidémies de l'arrondissement du Havre et secrétaire du Comité de patronage des Habitations à bon marché.
 
Anniversaire. — La Société des Anciens élèves des frères, présidée par M. Ed. Morin, a eu la délicate pensée de fêter le 50e anniversaire de la prise d'habit du frère Anselme, visiteur des Frères des écoles chrétiennes, et ancien directeur de l'Ecole Saint-Michel.

Le frère Anselme est une figure havraise très connue ; originaire d'Etretat, il est allié à de nombreuses familles appartenant au monde maritime de la région.
  
Une cérémonie présidée par Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux, et cousin du frère Anselme, a eu lieu le 4 mars en l'église Saint-Michel, et a été suivie d'un dîner intime dans la salle du patronage, rue Saint-Michel.

ESCLAVELLES

— La famille Octau, est parmi celles qui auront donné le plus de défenseurs à la patrie. Un fils a été tué, un autre prisonnier ; six autres sont actuellement aux armées, et le neuvième de la classe 1918 va être incorporé dans le service armé. Voilà une belle famille qui mériterait mieux que des félicitations. A quand la réalisation des encouragements aux familles nombreuses ?

EVREUX
  
Station d'étalons. — La station d'étalons d'Evreux est ainsi composée pour la monte, commencée le 4 mars, et qui se terminera le 14 juillet au soir : Souvigny, pur sang anglais, bai-brun, 1m61, gagnant de 113.000 fr., dont 33.000 fr. en obstacles. — Célibataire, demi-sang, trotteur, bai, lm64, record 1m33 s., gagnant de 24.000 fr. — Lauréat, demi-sang, carrossier, bai-marron, 1m64, né en 1911. — Notaire, trait percheron, noir, 1m68, né en 1913, inscrit au stud-book percheron sous le n° 113.191. — Nérac, trait percheron, gris foncé, lm63, né en 1913, inscrit au stud-book percheron sous le n° 113.224.


*
* *

Le Palmarès Normand

SEINE-INFERIEURE

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917. ROLLAND, CHARLES, capitaine d'artillerie : « A rempli avec succès des missions importantes et périlleuses, a apporté à leur accomplissement un entrain et une clairvoyance remarquables. Retenu en pays hostile, n'a du son salut qu'à son sang-froid et est parvenu, malgré les plus grands risques, à sauver ses archives et à rapporter des renseignements importants. »

Cette citation a rapport aux événement, qui se déroulèrent les 1er et 2 décembre derniers, au Consulat de Larissa, dont le capitaine Rolland avait la garde.

M. Rolland est d'Elbeuf, où il était établi fumiste, 25, rue Henry. Déjà en 1910, il avait obtenu une citation pour sa belle conduite aux Dardanelles.
 
DUBOIS, adjudant-mitrailleur au 21e territorial ;

- Au front depuis le début de la guerre ; très bon gradé, courageux et dévoué. Pendant une périlleuse période de tranchées de quatre semaines, s'est signalé dans les relèves pénibles et dangereuses, se dépensant sans compter et donnant à tous le plus bel exemple de bravoure. »

M. Dubois était Inspecteur de la Compagnie d'Assurances Générales sur la Vie, à Rouen, rue Jeanne-d'Arc.
  
BENNETOT, JULES, lieutenant au 21e territorial :

« Officier d'élite, s'est fait remarquer par son mépris souriant du danger et son esprit d'organisation, en conduisant avec succès dans les circonstances les plus périlleuses, des transports de vivres et de munitions aux troupes de première ligne. Déjà cité à l'ordre. »

C'est la seconde citation du lieutenant Bennetot qui est avocat à la Cour d'appel de Rouen.

BAUER, ÉMILE, sous-lieutenant au 22e territorial :

« Officier de devoir et d'action, au front depuis le début de la campagne. Au cours d'une action dans la nuit du 4 novembre 1916, a pu. grâce à son énergie et à son courage, et malgré l'intensité d'un violent bombardement, approvisionner d'urgence en munitions, des troupes de ligne. »

M. Bauer est d'Elbeuf, où il habite, 1O, rue Henry.
 
LECOURT, MARCEL, médecin auxiliaire au 43e régiment d'infanterie :

« Médecin auxiliaire doué des plus belles qualités morales. Le 3 septembre 1916, a assuré son service sous un bombardement violent et n'a jamais hésité à se porter là où il y avait des blessés à secourir. »

M. Marcel Lecourt était interne à l'hospice général de Rouen : il est le fils du docteur Lecourt, de Bapaume.

LAFOREST, GEORGES, brigadier d'artillerie :

« Très bon brigadier, courageux, dévoué. Sur le point de passer sous-officier, a été blessé à la batterie de tir où il remplissait les fonctions, de chef de pièce. Employé antérieurement aux échelons, a demandé, à chaque période dangereuse, à servir à la batterie de tir. »
  
Le brigadier Laforest, est le fils de M. Laforest, lieutenant commandant la Compagnie des sapeurs-pompiers du Havre.

QUESNEL, LOUIS, capitaine territorial d'infanterie au service des chemins  de fer, a été par décret du 2 janvier, nommé Chevalier de la Légion d'honneur.

« Officier consciencieux et d'un absolu dévouement. S'est fait remarquer dans tous les postes qui lui ont été confiés depuis le début de la guerre par les excellents services qu'il n'a cessé de rendre. »

Sénateur et bien que sa classe ne fut pas mobilisée, M. Louis Quesnel est parti aux armées depuis le début de la guerre, comme lieutenant. Il a été promu capitaine en 1915,
  
CŒURDEROY, capitaine du Service automobile de l'Armée d'Orient, a vu son groupe cité à l'ordre :

« Déjà signalé sur le front français au moment des opérations devant Verdun. En Orient depuis huit mois. Groupe, auquel on a toujours eu recours dans les moments difficiles pour renforcer les moyens de transport affectés soit à l'armée française, soit à l'armée serbe. Personnel aussi modeste que dévoué et qui a donné la plus entière satisfaction sans jamais ménager sa peine. »

Le capitaine Cœurderoy est l'un des directeurs de l'Echo de la Vallée de Bray, à Neufchâtel.

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°1 - Avril 1917. CARTIER, RAOUL, caporal au 31e1 régiment d'infanterie :
  
« A montré pendant la période de combats du 14 au22septenibre 1916 le plus bel exemple d'énergie et de sang-froid, se portant constamment au secours de ses hommes ensevelis par l'éclatement des projectiles ennemis. A contribué par la précision de son tir, le 20 septembre 1916, à repousser une puissante contre-attaque ennemie. »
  
M. Cartier habite Malaunay, où son père est entrepreneur de maçonnerie ; il est le neveu du maire de Notre-Dame de Bondeville.
 
LORIQUET, GEORGES, sapeur-mineur à la compagnie 3/1 du génie :

« Excellent sapeur, a toujours fait preuve du plus bel entrain. A été grièvement blessé le 21 mai 1916 en se portant avec sa section à l'assaut d'un fort occupé par l'ennemi. »

Il est le fils de l'ancien directeur de la Bibliothèque municipale. Ingénieur-électricien, il habite 12, rue Neuve-du-Mont-Saint-Aignan, à Rouen.

 GILLET, MARCEL, sergent-fourrier au 46e régiment d'infanterie :

« Après avoir contribué à repousser une attaque ennemie avec jets de liquides enflammés, a su maintenir son escouade sur un point violemment bombardé jusqu'au moment où il a reçu une blessure grave. »

M. Marcel Gillet qui est le fils de M. Gillet, chef de bureau aux chemins de fer de l'Etat à Fécamp, vu la gravité de sa blessure, a été versé dans le service auxiliaire

EURE

ANXIONNAT, EUGÈNE, lieutenant au 115e régiment d’artillerie lourde, a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 4 février. Il avait déjà été, le 17 septembre dernier, l'objet de la citation suivante :
  
« Officier de complément de valeur, plein d'entrain, de courage, et de dévouement ; a pris part à des opérations en Alsace où il a pu être apprécié sous le rapport de ses qualités militaires. Blessé en dirigeant la construction d'un observatoire. A perdu l'usage de l'œil gauche. Est revenu volontairement au front, à peine rétabli, prendre le commandement d'une batterie. »

 Le lieutenant Anxionnat est des Andelys.

LESOURD, MARCEL, lieutenant, vient d'être nommé Chevalier de la Légion d'honneur, avec la citation suivante :

« Pendant 68 heures de lutte acharnée, d'un combat presque corps à corps pour la prise du réduit des Cinq-Chemins, très fortement organisé par l'ennemi, a fait preuve d'un grand courage, d'une énergie indomptable, d'autorité et d'entrain, électrisant ses hommes, et de mépris de la mort, entourant son chef de bataillon dans l'exécution de nombreux assauts faits au chant de la Marseillaise, et dont l'élan irrésistible a fini par déterminer la retraite de l'adversaire, qui a laissé de nombreux cadavres sur le terrain et beaucoup de matériel, dont deux pièces d'artillerie de gros calibre. »

Le Conseil municipal de Brionne, dont est originaire le lieutenant Lesourd, lui a remis le 30 janvier une épée d'honneur. La poignée en argent porte les initiales de ce brave et la lame damasquinée, cette Inscription :

« Honneur et Patrie. Au lieutenant Lesourd, la Ville de Brionne. »

CALVADOS

 BLAISOT, CAMILLE, sous-lieutenant au 4e  régiment d'infanterie :

« Officier énergique et dévoué, engagé pour la durée de la guerre. Au cours de l'attaque ennemie du 10 octobre 1916, a, comme adjoint à un commandant de bataillon, assuré et maintenu dans des conditions très périlleuses, sous un violent bombardement, les liaisons entre les unités engagées et les unités de contre-attaque. »

M. Blaisot est député de Caen.

_____________________

Nous nous ferons un plaisir de publier toutes les citations des Normands qui viendront à notre connaissance, en y joignant les portraits quand on voudra bien nous communiquer une photographie.
____________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
_________________________________________________________
IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.
 
[3e de couv.]

Le Bulletin des Armées, du 31 janvier, informe les soldats des armées alliées qu'un concours, avec prix en espèces, est ouvert sous les auspices de M. Grand-Carteret. Le sujet choisi est : Un Ex-Libris de Guerre. Des centaines d'adhésions lui arrivent chaque jour de tous les secteurs. Ecrire à la Revue Internationale de l’Ex-Libris, 10, rue Fromentin, Paris, pour demander les conditions de ce Concours.

retour
table des auteurs et des anonymes