Les inondations de Lisieux du 7 juillet 1875 vues par la presse nationale illustrée .
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (14.VI.2003)
Texte relu par : A. Guézou
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LES EFFETS DE L'ORAGE DU 7 JUILLET EN NORMANDIE : LISIEUX.
Le Monde illustré, journal heddomadaire 19e année, n°953, 17 juillet 1875
[illustrations : 1 - 2 - 3 - 4]

Un orage sans précédent s'est abattu, le mercredi 7 juillet, sur la ville de Lisieux et ses environs. Dans l'après-midi, six heures durant, une pluie diluvienne n'a cessé de tomber. Aussi les rivières, surtout l'Orbiquet et la Toucques, grossies par les eaux s'écoulant des hauts plateaux du département de l'Eure, devinrent-elles en un clin d'oeil de véritables torrents. Le premier point éprouvé fut le petit village de Glos, situé à 5 kilomètres de Lisieux, sur la route d'Orbec. Le pont a été littéralement déraciné et abaissé dans la rivière. Une maison en briques s'est en partie écroulée. Le sieur Viel, charpentier, sa femme, sa servante et une autre femme, qui habitaient cette maison, voulurent sortir. Au moment où ils mettaient le pied sur le perron, celui-ci s'effondrait, et les malheureux furent précipités dans le tourbillon.

L'inondation, qui passait à sept heures du soir à Glos, arrivait vers huit heures à Lisieux, entraînant avec elle les nombreuses meules de foin qu'elle rencontrait dans la campagne, et s'abattit sur la gare aux marchandises, située en contre-bas, à l'entrée de la ville.

En un instant l'eau atteignit une hauteur de deux mètres enlevant des hangars les nombreuses marchandises qui couvraient les quais de débarquement. Surpris, les employés de service purent s'échapper à grand'peine au moyen de cordes qu'on leur jeta, du haut de la terrasse de la gare des voyageurs ; l'un d'eux même fut obligé de se réfugier sur le haut d'un wagon, où il resta jusqu'à deux heures du matin. Aussitôt, le chef de la gare fit prévenir les habitants des rues voisines ; mais avant qu'on eût pu prendre aucune précaution, les eaux se précipitèrent sur la ville. Dans tous lus quartiers bas, l'eau s'est élevée à une hauteur variable entre un mètre et trois mètres, c'est-à-dire que le rez-de-chaussée des maisons a été plus ou moins submergé.

L'importante scierie mécanique de M. Janson, comprenant quatre grands hangars, a été complètement renversée. L'eau enlevait, dans les chantiers, des poutres qui arrivaient comme un bélier contre les murailles, qu'elles enfonçaient.

Les grandes usines de MM. Méry-Sanson, Duchesne-Fournet, Boislaurent, Grison, Lambert, etc., ont été envahies par les eaux ; les métiers ont été brisés, les produits et les approvisionnements dispersés. Dans toute la vallée, on retrouve des ballots de draps, de laine, etc.

Le pont de l'Usine à gaz, ainsi que les constructions annexées, ont été brisés, toutes les passerelles emportées, le pont de Caen obstrué et couvert de débris, de toutes sortes, jusqu'à une hauteur de deux mètres. La sous-préfecture, les abattoirs, le collège ont été également envahis par les eaux…

Sur la route de Livarot, les dégâts n'ont pas été moindres ; une maisonnette en bois a été déplacée, plusieurs maisons effondrées. Dans un café, les eaux ont emporté les tables en brisant les supports en fonte et en arrachant les carreaux de briques.

Surpris dans leur sommeil, la plupart des inondés doivent leur salut au courageux dévouement des soldats d'un bataillon du 129e de ligne en garnison à Lisieux, et dont la conduite en cette circonstance est au-dessus de tout éloge. Dignes émules de leurs camarades de Toulouse, ces braves soldats sont restés en pleine inondation de huit heures du soir jusqu'à cinq heures du matin, ayant souvent de l'eau jusqu'à la poitrine, formant de longues chaînes pour ne pas être enlevés par le courant, et emportant sur leurs épaules les malheureux inondés.

Près des abattoirs, un malheureux manchot s'est noyé en voulant recueillir des épaves.

An pont de Caen, un marchand faïencier, le sieur Prime, en s'obstinant à vouloir fermer son magasin, a été enlevé par le courant.

Le nommé Prévot, ouvrier à la tannerie de M. Dumoulin, revenait à celle-ci, à neuf heures du soir, avec une petite charrette attelée d'un âne, lorsqu'une poutre charriée par l'eau renversa l'animal et mit Prévot dans l'impossibilité de fuir. Celui-ci, qui est un ancien zouave, ne se découragea pas. Après avoir attaché son âne à une, grille, il avisa une lanterne à gaz au coin de la maison du perruquier Leseine, rue de la Barre, et, s'aidant de sa ceinture de soldat, il se hissa sur ce siège incommode. Pendant trois heures, il y resta accroché de la sorte. En ce moment, le rez-de-chaussée de la maison fut défoncé par une énorme poutre que charriait le torrent. Inspiré par le désespoir, craignant à chaque instant de choir dans le gouffre, ce courageux garçon, s'accrochant d'une main aux saillies du pignon, scia de l'autre main, avec son couteau, six barreaux de la persienne de M. Leseine ; puis, brisant une vitre, il entra chez ce dernier habitant, épuisé, à bout de forces... J'ai esquissé l'endroit où s'est passée, cette scène, pour que le lecteur comprenne bien de quel courageux sang-froid Prévot fit preuve afin d'échapper à une mort plus que certaine.

Sans exagérer, l'on peut dire qu'à Lisieux, l'inondation a atteint la même hauteur qu'à Toulouse et l'on doit seulement á l'extrême solidité des constructions normandes de ne pas avoir vu se renouveler en cette première ville les lugubres drames du faubourg Saint-Cyprien.

Dick.

LES INONDATIONS DE LISIEUX
Le Journal illustré, 12e année, n°30, 25 juillet 1875
[illustrations non reproduites]

Dans la soirée du 7 juillet, à la suite d'un orage épouvantable qui a duré six heures, les rivières de 1a Toucques et de l'Orbiquet ont débordé et subitement inonde Lisieux et ses environs. L'eau a atteint 1 mètre 50 et jusqu'à 2 mètres 50 dans les bas quartiers de Lizieux.

Les dégâts sont trés-sérieux. La voie de la ligne d'Orbec est enlevée en plusieurs places, ainsi qu'un pont entre Lisieux et Glos. La circulation sur la ligne de Paris, interrompue momentanément, a pu être rétablie sur une voie unique (la voie descendante). Dans la gare de Lizieux, l'eau a monté de 50 centimètres au-dessus des quais.

Dans la ville, il y a plusieurs maisons écroulées et un nombre trop considérable de victimes.

Lisieux, ordinairement si riant, si animé, présentait l'aspect de la désolation. La circulation était interceptée en beaucoup d'endroits par l'accumulation des poutres et des troncs d'arbres que les eaux avaient arrachés à des localités plus ou moins éloignées et qui formaient comme des barricades au milieu de certaines rues.

Les déblaiements commencés se poursuivent activement et permettent d'apprécier les désastres, que l'on évalue déjà à plus de quatre millions.

Les usines ne pourront pas fonctionner avant un mois.

Les autorités ont montré un grand dévouement, ainsi que le bataillon du 129° de ligne qui a rendu des services signalés.

L'imprimerie du journal le Lexovien a été complètement envahie par les eaux.

Dans tous les quartiers bas l'eau s'est élevée à près de trois mètres, C'est-à-dire que le rez-de-chaussée des maisons a été submergé.

Si les constructions n'avaient pas été plus solidement établies que celles de Toulouse, on aurait eu à déplorer des malheurs aussi grands. Heureusement ces maisons, construites en pierre de taille, ont pu résister. Les habitants ont pu, en partie, s'échapper ou trouver un refuge dans les étages supérieurs.

Ce qui ajoutait à l'effroi de cette catastrophe, c'est que les Lexoviens ont été surpris pendant leur sommeil.

Comme nous l'annoncions dans notre dernier numéro, nous avons immédiatement envoyé à Lisieux des dessinateurs chargés de prendre des croquis des faits les plus émouvants et de les reproduire dans notre journal.

Nous publions aujourd'hui quatre des scènes les plus importantes que nous allons expliquer d'après les renseignements les plus exacts.

Notre première gravure représente un incident d'autant plus curieux, qu'il s'est déjà présenté lors des inondations de Toulouse.

On se rappelle que le marquis d'Hautpoul entraîné par le courant pût se raccrocher à un bec de gaz. Malheureusement le candélabre céda et M. d'Hautpoul fut enseveli dans les flots.

A Lisieux, un ancien zouave, qu'on nous dit se nommer Prévôt et être employé à 1a fabrique de M. Dumoulin, se trouvait sur la route dans une petite voiture attelée d'un âne.

Le torrent survint tout a coup emportant la voiture dans sa course furieuse. Le hasard fit rencontrer à Prévôt une lanterne à gaz. Il parvint à s'y retenir.

Pendant quatre heures il resta dans cette situation épouvantable, sans que personne pût venir à son secours.

Enfin l'idée lui vint de se servir de son couteau pour entailler la persienne de la maison contre laquelle il était réfugié. Des efforts incessants lui permirent d'ouvrir ensuite la fenêtre et il échappa ainsi miraculeusement à la mort.

Notre deuxième dessin donne un aspect de la grande rue de Lisieux, avec les ballots de laine que transportent les eaux.

Le dessin suivant nous montre la rivière de l'Orbiquet dans le quartier des fabriques.

Un pont en bois emporté par le courant est venu se jeter contre un pont en pierre qui, heureusement, a résisté au choc.

Enfin l'épisode le plus terrible figure dans notre grand dessin du milieu ; c'est la mort de M. L. Prime et le sauvetage de sa femme et de ses enfants.

L'eau venait de faire irruption dans sa boutique et s'y précipitait avec violence. M. Prime au lieu de rester dans sa maison et de monter dans les étages supérieurs, sortit et voulut poser les volets de la devanture.

Le courant l'emporta au moment où les soldats de la garnison arrivaient. Il fut jeté contre le parapet qui s'écroula, et le malheureux Prime disparut dans la rivière.

Un soldat avait essayé de le rattraper par sa blouse. Elle se déchira entre ses doigts. Pendant que cet affreux accident se passait sous les yeux mêmes de Mme Prime, qu'on parvenait à emporter, on procédait au sauvetage de ses enfants.

Les soldats, qui ont été les témoins et les acteurs de cette scène, nous ont affirmé n'avoir jamais rien vu de plus émouvant.

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Au moment de mettre sous presse, le Lexovien mentionne un violent orage, moins terrible cependant que celui du 7, qui a éclaté vendredi sur cette malheureuse contrée, déjà tant éprouvée.

En quelques minutes, plusieurs rues de Lisieux ont été emplies d'eau et transformées en autant de torrents. Bon nombre d'habitants redoutant une nouvelle inondation, ont passé debout une partie de la nuit, suivant attentivement le cours des rivières et la progression de l'eau. Mais les rivières n'ont pas débordé, du moins dans l'intérieur de la ville.

Si ce nouvel orage n'a causé aucun désastre dans Lisieux, il n'en a pas été de même dans les plaines à l'est de la ville, à l'Hôtellerie, Firfol, etc., etc. Là les récoltes ont été fort endommagées les blés ont été renversées, roulés, et l'on cite entre autres une pièce de blé de 14 hectares complètement détruite.

L'ouragan du 7 avait respecté les récoltes des plaines, l'orage du 16 les a compromises, sinon perdues en grande partie.

Emile Desbeaux.


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