LEMAÎTRE, Charles Ernest (1854-1928) :  Leçon de politesse (1917).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (10.V.2006)
Relecture : Anne Guézou.
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 299) des Joyeux Bocains : contes drolatiques en patois bas-normand par Ch. Lemaître, le Chansonnier du Bocage avec préface d'Arthur Marye et illustrations de Levavasseur et R. Thurin. publié à Caen chez Bonnaventure et Jouan en 1917.

Leçon de politesse
par
Charles Lemaître


~ * ~


A Madame Anthime Jeanne.


    Je m’ rappell’ que dans man jeune âge,
    Lé t’churés n’taient pas malheureux,
    Et lé bouenn’s âm’s de nos villages
    Avaient bi dé bontés por eux ;
    Lé sienn’s qu’étaient bi forteunées,
    Leux baillaient d’ bouenn’s chos’s à gogo,
    Mais cell’s qu’étaient intéressées
    Donnaient plutôt c’ qu’o z’avaient d’ trop.

    Y s’trouv’ des années fruitagères,
    Où que n’ y’a des quantités d’ peires ;
    Ces années-là, c’est bi’n aisi
    A san t’churé d’aller n’ n’offri :
C’est por cha qu’un matin, la maîtresse Adélie
En donnit à sa fille eun’ bourrich’ bi remplie.
    « - Tu vas, qu’o l’y dit, la porter
    A not’ t’churé, au presbytère,
    Et surtout prends t’y bi d’ manière,
    Por qu’y n’ manqu’ pas d’ les accepter. »
    « - C’est bon, qu’ répondit la petiote,
    J’ sus pas gênée sû c’t’ affair’ là ;
    Tout l’ mond’ sait bi qu’ je n’ sus pas sotte
    Et que j’ caus’ comme un avocat. »

La bourrich’ sous san bras, v’l’âllé la p’tit’ Fanchette.
« - Boujou, Moussieu l’ t’churé, qu’o dit en arrivant,
V’là d’ la part de ma mère eun’ bourrich’ de peir’s blettes
Vo pourré lé mangi sans vo casser lé dents. »

    « - Dis à ta mère que j’ la r’mercie,
Qu’ l’y répondit l’ t’churé, je lui en sais bon gré,
Mais je n’accepte pas, craignant d’ vous en priver,
    Remporte-les, ma p’tite amie. »

« - Cha n’ no priv’ brin du tout, j’en avons tant c’t’ année,
Répondit la pétiot’, qu’ cheux nous, no march’ dessus,
J’en somm’s tertous fûtés, no cochons n’en veul’nt plus ;
Cair’yé bi qu’ c’est de bon cœur que j’v’ vo l’z’ai apportées. »

« - Eh bien ! qu’ dit l’ bon t’churé, j’accepte ton présent,
    Un de ces jours, j’espère
    Aller r’mercier ta mère,
Et sur ta politess’, lui fair’ mon compliment. »

Aussi, l’ dinmanch’ sieuvant, à la sortie d’ l’église,
Avisant la maman, l’ t’churé fut la trouver,
Et d’abord, por lé peir’s, c’mmenchit par la r’mercier,
« - Maint’nant, j’ vais vous parler, qu’y dit, avec franchise. »
    Et là d’ssus y l’y racontit
    C’ que la pétiote l’y’avait dit.
« - Elle a, qu’ dit l’ bon t’churé, montré trop d’inconv’nance
    C’est vrai qu’ c’est encore une enfant,
    Elle est bien jeun’, mais cependant
Vous devriez lui faire un’ petit’ remontrance
Afin qu’à l’avenir, dans ses conversations,
Ell’ sache, avec décenc’, choisir ses expressions. »

    « - Pardié, qu’ l’y répondit la mère,
    Cha n’ m’étonn’ brin d’ ma ménagère,
Je m’ demand’ qui que j’ f’rai de c’te p’tit’ coch’ lanré.

Olle est bêt’ comm’ man t’chu, man paur’ moussieu l’ t’churé !! »


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