HERGAULT, Maurice (1883-1953?) :  Le Camembert de Normandie (1926).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (01 juin 2013)
Texte relu par : A. Guézou
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm GF) de La Normandie Illustrée : revue de tourisme et d'art, n°1 Avril 1926.


Le Camembert de Normandie
Ses Origines. - Sa Fabrication
par
Maurice Hergault
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Parmi les nombreux produits destinés à l’alimentation pour lesquels la Normandie peut, à juste titre, revendiquer la suprématie, se place, sans conteste possible, le Camembert, ce fromage délicieux, dont la réputation, après avoir dépassé les limites de la Normandie, est devenue mondiale.

L’origine du Camembert remonte à la fin du XVIIIe siècle, et l’honneur d’en avoir trouvé le mode de préparation revient à Mme Marie Harel, née en 1761. Elle exploitait, avec son mari, en 1791, une ferme dans la commune de Camembert, canton de Vimoutiers, département de l’Orne.

Ce petit village, de quelque 250 habitants, est perdu dans une petite vallée où coule la Viette, affluent de la Vie, qui elle-même se jette dans la Dives.

Bien des touristes sont passés à proximité de l’humble église communale sans l’apercevoir. C’est, qu’en effet, on s’imaginerait trouver, comme ailleurs, une masse compacte de maisons assemblées autour d’un clocher et disséminées dans cette masse, de nombreux établissements industriels où se fabriquent les innombrables Camemberts consommés dans le monde entier. Erreur !

Il y a tout juste autour de cette petite église quelques maisons, assez distantes les unes des autres et puis des herbages et des herbages à perte de vue, ombragés par des pommiers, et les quelques fermes sont perchées sur les coteaux limitant cette vallée de la Viette, assez étroite à cet endroit.

C’est dans une de ces fermes qu’est né, pour acquérir une renommée mondiale, le « Camembert de Normandie », fromage exquis, sans lequel il n’est guère facile de goûter et d’apprécier le bon cidre et le bon vin.

Qu’est-ce que le Camembert, au sens technique du mot ? La formule suivante, adoptée par le 2e Congrès international de la répression des fraudes, Paris, octobre 1909, va nous l’indiquer :

« Le fromage de Camembert est un fromage à pâte molle, égouttée, ni cuite, ni pressée, ni malaxée, légèrement salée, à moisissure superficielle, de forme ronde, du poids maximum de 350 grammes, d’un diamètre maximum de 10-11 centimètres et d’une épaisseur de 3-4 centimètres, dont la matière sèche renferme un minimum de 36 % de matière grasse provenant du lait pur de vache. »

Encore que simple, la fabrication du Camembert ne laisse pas d’être délicate, lorsqu’on se propose d’obtenir un produit parfait. On n’y emploie que du lait de vache exclusivement, et les meilleurs Camemberts sont faits, sans contredit, avec le lait donné par les vaches de race normande, et en Normandie.

La pâte à Camembert est obtenue par la coagulation artificielle du lait, produite par l’addition de présure. Avant d’être coagulé, il doit être porté à une température convenable qui peut varier de + 26° à + 32°, suivant les saisons et l’acidité du lait employé.

Cette température étant réalisée, on ajoute au lait, une petite quantité de colorant destiné à donner au fromage affiné une belle couleur jaune que le consommateur paraît préférer. Ce colorant est du rocou, produit qui provient du rocouyer.

Dans le même temps, on ajoute la présure et c’est une des parties les plus importantes de la fabrication, car le degré de consistance du caillé et par suite, la manière dont se feront ultérieurement l’égouttage d’abord, la maturation ensuite, dépendent directement de la mise en présure.

La quantité de présure à employer est basée sur la température du lait et son acidité, pour arriver à une coagulation complète dans un laps de temps qui varie entre 1h. ½ et 2h. ½. Ceci afin d’obtenir une pâte fine et moelleuse donnant au fromage cette onctuosité qui est pour le Camembert une des qualités les plus appréciées du consommateur.

Le lait ainsi coagulé est mis dans des moules cylindriques percés de trous, afin de faciliter l’égouttage. La mise en moules se fait au moyen de cuillères, genre de cuillères à pot. Les moules sont rangés côte à côte sur des tables d’égouttage, sur lesquelles on a, au préalable, disposé des stores en baguettes de bois très minces, assemblées par des fibres de ramie ou de raphia.

Pour remplir un moule, c’est-à-dire pour faire un Camembert, il faut en moyenne 2 litres à 2 litres ¼ de lait suivant les saisons.

La température de la salle de fabrication doit être maintenue aux environs de + 18° à + 20° et autant que possible constante. On doit éviter les refroidissements brusques qui arrêteraient l’égouttage du caillé.

Celui-ci, au fur à mesure qu’il a expulsé son sérum ou « petit lait » s’affaisse et lorsqu’il est suffisamment égoutté, généralement au bout de 12 à 15 heures, on procède au retournement, c’est-à-dire, qu’on tourne le moule sens dessus dessous afin de faciliter l’égouttage de la partie supérieure du caillé.

Lorsqu’on juge l’égouttage à point, on procède au démoulage. Un caillé bien à point doit être élastique, c’est-à-dire qu’il doit, si on le presse dans la main avec précaution, reprendre sa première forme dès que la pression cesse. La section, si on le coupe, doit être uniforme, lisse et sans trous, sans suintements de sérum.

Le fromage dès qu’il est démoulé et suffisamment ressuyé, est alors salé. Cette opération, en apparence fort simple, est faite à la main et nécessite des ouvriers expérimentés, car, suivant la façon dont elle est effectuée, elle a une grande influence sur la réussite du produit.

La pureté du sel employé a une grande importance, car des ferments étrangers peuvent amener de mauvais ensemencements qui nuiraient au développement des micro-organismes utiles, et amoindriraient la qualité du fromage. La dissication du caillé, la formation de la croûte, le développement des bons ferments et des bonnes moisissures, en un mot la bonne marche de l’affinage dépendent beaucoup du salage.

Les Camemberts, une fois salés, sont portés dans une pièce communément appelée « hâloir » disposés sur des clayonnages à claire-voie, afin de faciliter la circulation de l’air sur toutes les faces. C’est au « hâloir » que s’effectue et s’achève la dissication de la pâte. Ce local est agencé avec des ouvertures pour permettre un jeu d’aération qui favorise le séchage. C’est là également que se développent sur le fromage les moisissures. On les voit peu à peu se recouvrir d’inflorescences blanchâtres qui tournent au bout d’une dizaine de jours au bleuté. Il s’agit de la moisissure appelée « Penicillium album » et de « l’Oïdium Camemberti », dont le rôle est de détruire le lactose de l’acide lactique.

Le feu du séjour au « hâloir » coïncide avec la fin de l’activité de ces moisissures superficielles qui cèdent leur place aux ferments alcalinisants ou ferments du rouge qui apparaissent à cette période et ne deviennent réellement actifs qu’à la cave d’affinage, quand le défaut d’acidité du milieu, leur aura permis de l’emporter sur le penicillium et l’oïdium. La croûte du fromage prend alors cette couleur jaune orangée qui en rend l’aspect si appétissant.

A partir de ce moment, le fromage est retourné presque chaque jour sur les planches où il a été placé et il appartient alors au producteur de juger de l’état de maturation de ses Camemberts pour en faire l’expédition à sa clientèle.

Les fromages après avoir été bien « ressuyés » sont alors enveloppés dans un fin papier parafiné, puis dans des boîtes faites en bois inodore, on colle sur le couvercle de cette boîte une « étiquette » qui indique généralement le nom du fromage « Camembert », celui du fabricant et celui du lieu d’origine. C’est alors qu’il incombe, soit au crèmier, soit à l’épicier, de livrer chaque Camembert, après en avoir surveillé la maturation finale, à l’ensemble des consommateurs.

La fabrication du Camembert nécessite donc des soins minutieux, une attention de tous les instants et par suite un personnel expérimenté. Elle comporte pour les fabricants de grands risques, car au cours de sa transformation, le fromage rencontre une foule d’ennemis : moisissures nuisibles, fermentations mauvaises, température variable, ennemis contre lesquels le fabricant doit lutter par des soins vigilants et une surveillance constante. Il y a peu d’industries où le don de l’observation rende de plus grands services pour arriver à mettre sur table du consommateur un produit le plus parfait possible tant au point de vue de la finesse du goût que de la belle présentation, pour contenter en même temps et l’œil et le palais.

A l’heure actuelle on fabrique du Camembert un peu partout, en France, mais ceux de Normandie ont sur tous les autres une supériorité de goût et de finesse incontestables, due, sans aucun doute, aux riches pâturages où se nourrissent les vaches normandes.

Sa fabrication qui, à l’origine, se cantonnait dans quelques fermes de la famille Harel, s’est, depuis une trentaine d’années, industrialisée, et les fabricants de Normandie ont constitué un Syndicat : « Le Syndicat des Fabricants du Véritable Camembert de Normandie » pour la défense de leur marque.

Ce Syndicat, qui groupe une centaine de fromageries disséminées dans les départements compris dans les anciennes limites de la Province de Normandie, garantit, par l’apposition sur ses fromages d’une marque particulière, l’origine normande de ses produits et un quantum minimum de matière grasse, c’est-à-dire de beurre, supérieur à celui fixé par le Congrès de Paris de 1909.

Il donne ainsi aux amateurs de Camembert la facilité de discerner parmi les nombreuses marques qui leur sont offertes, celles qui doivent, par leur origine véritablement normande, leur donner la plus grande satisfaction gastronomique.

                                Maurice HERGAULT.
                                   Secrétaire du Syndicat des Fabricants
                                    du Véritable Camembert de Normandie.



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