DUBOSC, Georges (1854-1927) :  L'Étendard de Normandie (1927).
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm GF) de La Normandie Illustrée : revue de tourisme et d'art, n°16 - Juillet 1927.


L'ÉTENDARD DE NORMANDIE
par
Georges Dubosc
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Il est question d'arborer à nouveau, à propos des fêtes en l'honneur de Guillaume le Conquérant, le rouge étendard de Normandie, qui fut la parure flamboyante du Millénaire de Normandie en 1911. Il nous souvient qu'un jour, quelque temps avant ces belles fêtes rouennaises, l'original marquis de la Rochethulon, président du Souvenir normand, demandait à Jean Revel étonné où il pourrait se procurer un bel étendard normand !... « Allez aux Nouvelles Galeries, lui dit-il en désespoir de cause ! » Le marquis s'y rendit et commanda un immense étendard, la « bannière aux deux lions », comme dit Gaston le Révérend, et l'arbora au balcon de son hôtel. En même temps, les Nouvelles Galeries mirent en vente de nombreux étendards, en forme de pennons trifides, qui partout flottèrent sur nos maisons et nos monuments.

D'où viennent ces couleurs, et d'où vient l'étendard de notre province. Il est bien certain que la bannière des premiers Normands était rouge, d'un rouge de flammes rutilantes.

Cil porta gonfanon d'en drap vermeil d'Espagne

dit Robert Wace, dans le Roman de Rou, en décrivant l'étendard qui flotta sur les murs de Rouen, en 946. De même, au temps de la Conquête des Lieux Saints ou de la Sicile, l'étendard normand était rouge. Albert d'Aix, dans son Histoire de Jérusalem, dit que l'étendard de Bohémond était rouge, « rouge comme le sang ». Partout, en tous les endroits où l'arborèrent les Normands, l'étendard comme les boucliers suspendus aux flancs des drakkars ou au grand mât, était rouge, d'un rouge ardent, brillant, cramoisi, invariablement rouge.

Et les léopards d'or ? Ils sont l'emblème très anciennement adopté des ducs normands, leur signe particulier, transmis par eux aux comtes d'Anjou et aux rois d'Angleterre. Parfois, ils sont confondus avec les lions, et, sous cette forme, on retrouve à Saint-Etienne de Caen, à Falaise, dans l'église Saint-Gervais, dans la cathédrale de Bayeux, construite sous l'épiscopat d'Odon, le frère de Guillaume le Conquérant. En Angleterre, après la conquête, les lions apparaissent avec les Plantagenets. L'un d'eux, Henri III d'Angleterre, changea les lions en léopards. D'après Mathieu Paris, ce changement se fit sur les armoiries en 1285 et il ajoute « les léopards d'or étaient bien l'insigne des ducs de Normandie ».

Lion ou Léopard ? A première vue, il n'y a pas l'air d'exister une bien notable différence. Et cependant il en existe une pour les héraldistes, gens fort minutieux. Dans le blason, le lion est toujours représenté rampant, c'est-à-dire dressé sur ses pattes de derrière, la patte dextre de devant élevée et la patte senestre de derrière, posée en arrière. Il a de plus la tête de profil, la langue saillante, la queue levée - et retenez bien ce détail capital - la queue se recourbant vers le dos.

Le léopard, au contraire, est toujours figuré passant, c'est-à-dire avec la tête de face, marchant horizontalement, la queue levée mais se recourbant au dehors. Il est vrai qu'il y a, même avec le blason, des accommodements et qu'on vit des lions léopardisés ou encore des léopards lionnés. On inventa aussi au seizième siècle de figurer, au dire de Vulson de la Colombière et de Gilbert de Varennes, en azur la langue et les ongles des léopards normands.

Souvent, on s'est demandé pourquoi deux léopards seulement figuraient dans les armoiries ducales normandes, tandis qu'il y en est représenté trois dans les armoiries anglaises. Il semble que le léopard de... supplément soit tout simplement l'emblème héraldique de la province française de Guyenne, qui se rattacha longtemps à la couronne d'Angleterre. Sur le tombeau de la reine Eléonore d'Aquitaine, figure l'écu de son mari Henri II, à deux léopards d'or « qui est Normandie » et celui d'Eléonore à un seul léopard d'or « qui est Guyenne ».

Est-il besoin d'ajouter que lorsque la Normandie revint à la couronne de France, l'emblème des anciens ducs disparut pour faire place aux fleurs de lys de France ? Cependant, nombre de villes normandes, en souvenir du blason provincial, conservèrent le léopard d'or sur ce champ de gueules flamboyant qui fut toujours la véritable couleur normande.

Parmi les armoiries urbaines, le léopard de Normandie figure encore dans les armes de Bayeux, dans celles de Coutances, dans le grand sceau de la commune de Rouen jusqu'en 1260, dans les armoiries de Verneuil, dans celles des abbayes de Saint-Etienne et de la Trinité de Caen, de Bonport, de Beaubec, de Fécamp du Valasse, des prieurés de Bonnes-Nouvelles, de Saint-Lô de Rouen, de Saint-Vigor, près Bayeux. On les retrouve aussi sur une foule de sceaux de vicomtés, à Caen, à Bayeux, à Falaise ; à Caen, sur le sceau de la Faculté des Sciences ; on les retrouve même ailleurs que dans la province, parmi les quatre écussons placés au côté de la Vierge, sur le sceau de la Faculté des Arts de l'Université de Paris en 1513, où se trouvent les armes de la nation normande.

Parfois même, dans la monarchie française, quand un prince de sang royal était donné comme duc à la province, on voyait réapparaître les armoiries et le sceau ducal aux léopards substitués aux fleurs de lys. C'est le cas en 1333 quand Jean, fils aîné de Philippe le Valois, est couronné comme duc de Normandie. C'est aussi le cas, quand le prince Charles, frère de Louis XI, est fait duc de Normandie. Dans certaines grandes occasions, les armoiries normandes jusqu'en notre temps ressuscitent aussi souvent. Quand Henri IV fait son entrée à Rouen en 1599, sur le pont-levis de la première porte du grand pont, on a figuré une statue en ronde bosse, représentant une femme gisante sur des ruines avec deux léopards derrière elle. Cette femme qui tend les bras vers l'effigie du Roi, c'est la Normandie et ses deux insignes. Quand le souverain fait plus tard, en 1603, son entrée à Caen, il trouve partout, mêlées ou séparées, la représentation de ses armes de la Normandie et de la ville de Caen.

Ne les voit-on pas encore sculptées au fronton de la porte de l'ancien Hôtel de la Présidence, aujourd'hui l'Hôtel des Sociétés Savantes, rue Saint-Lô.

L'étendard de Normandie que nous venons de décrire n'est pas resté invariablement le même. A partir de Guillaume, il n'a plus le privilège exclusif sur l'étendard ducal.

D'après Willement, l'étendard représenté sur la figure équestre du grand sceau de Guillaume serait divisé en raies horizontales. Il serait fascé ou burelé en dix bandes, dépassant le nombre héraldique qui était de sept.

D'après une description, contenue dans la généalogie de la reine Elisabeth, conservée à Buckingham, les émaux seraient d'azur ou d'argent. Ces burelés que Canet n'admet point seraient le blason de Flubert de Falaise, grand-père maternel du duc Guillaume, avant la conquête.

Dans la Tapisserie de Bayeux existent encore plusieurs types d'étendards ou de drapeaux normands : Voici tout d'abord la fameuse bannière envoyée à Guillaume par le pape Alexandre II. Le vexillum Sancti Petri apostoli. On a cru la reconnaître dans une scène de la Tapisserie entre la maison incendiée et le départ des Normands pour la bataille. Orderic Vital l'a dit blanche et placée au bout d'une lance.

Ele aurait été bordée d'or, avec une figure ronde au milieu et se serait terminée par trois banderoles bleues. Guillaume de Malmesbury, d'après Léchaudé d'Anisy, a dit qu'on l'avait plantée près du duc-roi de manière à être vue pendant le combat, mais le texte de Malmesbury semble plutôt se rapporter à la bannière d'Harold, qui représentait un guerrier combattant, brodé en or et relevé de pierrerie.

Dans ses observations sur la Tapisserie de Bayeux, Hudron Gurney affirme que la bannière normande est invariablement d'argent avec bordure bleue, sur une croix d'or. On la retrouverait d'après lui dans la guerre contre Conan, aussi bien qu'à Pevensey et à Hastings. L'abbé Delarue a combattu cette opinion et dit que les moines de l'abbaye Saint-Etienne de Caen, dans leurs manuscrits, l'ont représentée de gueules à la bande échiquetée d'argent et d'azur, sans banderoles.

Les interprétations de l'étendard sur la Tapisserie ne sont pas souvent identiques ; la bordure est généralement bleue et la croix d'or est sur champ d'argent. C'est un peu la même opinion que Gurney.

Outre leur bannière principale, les ducs en arboraient une seconde sur le front de leur armée, c'était l'étendard au dragon, souvent adopté par différents peuples. La Tapisserie de Bayeux en montre plusieurs même dans l'armée d'Harold. « On voit, dit l'abbé Delarue, le dragon du Conquérant porté à sa suite par Robert Bertrand, au moment où l'armée normande s'avance. Il ne parait déployé qu'à moitié, sa couleur est blanche, mais son corps est orné de pointes rouges et aiguës. Ordinairement, sa tête était un métal scintillant. » Quand le drapeau était développé, le dragon paraissait remuer ; parfois, il était chargé d'un oiseau, mouette ou aigle, comme sont certains dragons des empereurs d'Allemagne. Cet étendard qui rappelle les drapeaux japonais ou chinois est fixé souvent à une lance. C'était une sorte de monstre fabuleux orné de griffes d'acier et d'une queue de serpent destiné à jeter la terreur chez les ennemis. D'après la chronique manuscrite de Gervasius, Tilberriensis, rapportée par Dueange, le dragon de Richard Creur de Lion, avait une tête d'or et cette bannière fut terrible pour les païens pendant toute la croisade. Paganis in ultramontanis partibus terribile. Quand la Normandie fut remise à la France l'étendard au dragon fut conservé par l'Angleterre : on le déployait dans les attaques sévères et cela indiquait qu'on ne voulait faire aucun quartier à l'enemi. On rencontre dans l'histoire d'Angleterre ont le titre de porte-dragon.

Reste encore une enseigne qui figura plusieurs fois dans l'armée normande, bien que d'origine germanique, c'est la bannière blanche ornée du corbeau noir d'Odin. C'était un second étendard comme le dragon.

Ici doivent se borner ces notes rapides sur les étendards normands remis en honneur par la commémoration glorieuse des temps de la Conquête et des Conquérants.

Georges DUBOSC.


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