DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Les Théophilantropes à Rouen (1905).
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Première parution dans le Journal de Rouen du 16 juillet 1905. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là : études d'histoire et de moeurs normandes, 1ère série, publié à Rouen chez  Defontaine en 1922.

Les Théophilantropes à Rouen
par
Georges Dubosc

~*~

La crise religieuse amenée par la séparation des Eglises et de l'Etat a provoqué la fondation de divers comités comme celui « de la célébration des fêtes humaines » qui semblent vouloir reprendre les différents essais de religion civile, tentés par la Révolution française, avec Chaumette, avec Robespierre ou avec les Théophilanthropes sous le Directoire.

Cette dernière tentative, qui vient d'être très minutieusement étudiée par un professeur d'histoire du Lycée de Caen, M. A. Mathiez, fut peut-être l'effort le plus intéressant de la Révolution pour remplacer par une religion naturelle les religions révélées. S'efforçant, comme l'avaient demandé jadis les orateurs de la Convention, de donner un point d'appui solide à la morale, la Théophilanthropie voulut résumer toutes les idées religieuses en un credo fort court, en une foi tout à fait ordinaire et en un culte d'une simplicité primitive. Du dogme, elle ne prit « que un couples d'idées », - comme disait drôlement Lareveillère-Lepeaux, qui fut son grand protecteur : un Dieu et une âme. Ce fut une doctrine de fraternité très simple, très modeste, très raisonnable, basée sur une morale cherchée partout, dans tous les temps et chez tous les peuples, de Confucius à Socrate. Elle pouvait convenir à tous les pays, à toutes les époques, à tous les gouvernements.

Ainsi l'avaient voulu ses fondateurs, Chemin-Dupontès, homme sans éclat, prudent, respectueux, sorti des loges franc-maçonniques où s'était élaborée sa doctrine, et Valentin Haüy, le protecteur des aveugles, esprit plus vaste, plus emflammé et plus ardent.

Inauguré pour la première fois, le 15 janvier 1797, dans la petite église de Sainte-Catherine, à Paris, le nouveau culte, qui compta rapidement de très nombreux adhérents, Bernardin de Saint-Pierre, Dupont de Nemours, Creuzé-Latouche, se répandit surtout après le coup d'Etat du 18 fructidor, et grâce à l'appui des cercles constitutionnels, gagna la province.

En notre pays normand, il devait prendre une certaine importance, et dès ses débuts, il reçut l'adhésion de plusieurs Normands : Goupil de Prefeln, le député de l'Orne au Conseil des Anciens, l'ancien constituant, « le patriarche des Théophilanthropes » ; l'abbé Michel, de Coutances, qui fut l'un des premiers orateurs du nouveau culte et qui composa ses premières hymnes ; Lecoulteux de Canteleu, le grand banquier de Rouen, l'ancien député du Tiers aux Etats-Généraux, alors député de la Seine au Conseil des Anciens, et qui devait mourir pair de France.

A Rouen, le grand propagateur de la Théophilanthropie fut une homme actif, intelligent, Etienne-Vincent Guilbert. Comme d'autres adeptes de la religion naturelle, comme Chassant, vicaire de Saint-Germain-l'Auxerrois, comme Parent, ancien curé de Boissise-la-Bertrand, près de Melun, comme Latapy à Bordeaux, comme J.-B. Chapuis, prêtre marié, comme Léger à Châlons, comme Julien, de Toulouse ou Malfusson à Sancerre, anciens ministres protestants, Guilbert était un ancien prêtre. Né à Saint-Jean-sur-Cailly, paroisse aujourd'hui réunie à Saint,-André-sur-Gaiilly, il avait été vicaire de l'ancienne église de Saint-Vigor, puis à la Révolution s'était fait homme de lettres, créant une imprimerie et diverses publications : la Vedette normande, le Répertoire universel, la Semaine. Il avait publié de 1793 à 1804 l'Almanach des gens de goût et collaboré avec Servan, l'ancien avocat général au Parlement de Grenoble, aux Lettres philosophiques. En dépit de son libéralisme, il avait obligé [été] de se réfugier en Suisse en 1793 et sur un arrêté du département avait été incarcéré quelque temps. Esprit large, il avait participé au mouvement encyclopédique d'où était sortie la Société d'Emulation et avait même présidé cette association nouvelle où il se rencontra avec nombre d'écrivains et de savants. Ses opinions philosophiques semblaient donc le désigner pour présider à l'introduction de la nouvelle religion à Rouen.

Tout d'abord, sous le titre de Principes fondamentaux de la Religion des Théophilanthropes, Guilbert réimprima dans l'imprimerie qu'il avait installée rue Nationale, n° 29, sur l'emplacement de l'ancien couvent des Cordeliers, tout le Manuel, l'Instruction élémentaire et le Recueil de cantiques de Chemin, puis groupa autour de lui un certain nombre d'adhérents, qui partageaient son engoûment pour les nouvelles doctrines. Il est à remarquer, comme l'indique fort justement M. Mathiez, qu'à Rouen se trouvèrent réunis dans la société théophilantropique, nombre d'anciens adversaires, réconciliés dans la religion « naturelle ». Guilbert qui n'avait pas prêté serment à la Constitution civile du clergé, qui avait pris la défense du roi dans le Journal du Commerce, en reproduisant un article assez violent d'un journal parisien La Révolution de 1792, et qui de ce fait, avait vu sa feuille supprimée ; Guilbert qui avait en l'an VI dirigé des accusations contre certains terroristes comme l'instituteur Hubert, accepta le concours et l'aide de ce mêmes terroristes pour établir à Rouen la Théophilanthropie.

Autour de lui, en effet, on voit figurer Clavier qui, après avoir été officier municipal sous les municipalités modérées Rondeaux et de Fontenay, devint membre actif de la Commune réorganisée par Legendre, Louchet et Delacroix ; Elie Gueroult, qui fut arrêté par la réaction thermidorienne, en l'an III ; Grandcourt, le vinaigrier de la rue des Bons-Enfants, qui fit, lui aussi, partie de la Commune et fut désarmé en 1793 ; Le Roy, autre terroriste. Il faut aussi citer le chimiste Descroizilles, ancien girondin, qui fut dénoncé comme fédéraliste et arrêté en 1793.

La première manifestation du culte n'eut pas lieu à Rouen, mais dans la banlieue, au Mont-aux-Malades, qui était alors le chef-lieu du canton de Sotteville. La vieille église romane de Saint-Thomas-le-Martyr de l'ancien prieuré des chanoines, avec sa nef et ses deux collatéraux, fut affectée au culte théophilanthropique dès le 31 décembre 1797. Aignan, Boisguillaume, Martin-du-Vivier, Déville, Maromme étaient affectés au culte catholique.

Le bonhomme Horcholle, fervent catholique, qui n'est point suspect de tendresse pour la nouvelle secte, mais qui' a noté ses débuts à Paris et a même assisté, dit-il, à une réunion théophilanthropique à l'église Saint-Roch, n'a garde d'oublier, dans son manuscrit sur la Révolution, l'introduction de la religion nouvelle dans la région.

« Cejourd'hui dimanche, 31 décembre, écrit-il, la nouvelle société établie à Paris n'ayant pu encore obtenir d'église à Rouen, s'est emparée de l'église du Mont-aux-Malades et y a fait l'ouverture de ses exercices, qui consistent à saluer l'Eternel, lui offrir des carottes, navets et autres légumes, des herbes, des fleurs et des fruits suivant la saison. Ensuite, on fait une lecture ou un discours dans la chaire à prêcher. Après quoi, on chante des hymnes patriotiques. L'infâme Guilbert, ex-prêtre, apostat, jacobin, terroriste, y a débité un discours exécrable contre JésusChrist, la Vierge, les saints et la religion catholique... Tous les spectateurs et curieux ont été scandalisés. »

Ailleurs, Horcholle racontera que Guilbert, dans une de ces réunions, proposa la création d'un impôt de dix francs sur chaque hostie servant aux communions. En dépit de sa singularité, le nouveau culte avait conquis d'assez nombreux adhérents, puisqu'en ventôse an VI, les Théophilanthropes adressaient une pétition à la municipalité de Rouen, pour obtenir l'ancienne église Saint-Eloi.

Parmi les signataires au nombre de vingt-sept, on relèvera les noms de Delozier, de François Barjolle, qui appartenait à une famille d'entrepreneurs rouennais, de Christophe [H]ermier, ancien membre ardent de la Société populaire ; d'Hamon, de Bertin, de Blondel le jeune, de Le Couturier, de Friquenot. L'administration municipale consentit à cette concession de l'église Saint-Eloi, par une délibération du 4 germinal, mais l'administration centrale, dans sa séance du 7 germinal, révoqua l'arrêté en alléguant qu'antérieurement elle avait mis l'église Saint-Eloi à la disposition de l'autorité militaire.

Provisoirement, les Théophilanthropes continuèrent à chanter leurs hymnes sous les voûtes de l'église du Mont-aux-Malades, jusqu'en vendémiaire an VII, où ils réclamèrent pour leur culte l'église Saint-Patrice, qui servait alors au culte catholique. Si invraisemblable que parût ce partage des édifices du culte entre différentes religions, il existait déjà antérieurement même à la Révolution et Grégoire, dans son Histoire des Sectes, a cité les églises où se rencontraient, les catholiques et les protestants d'Alsace, séparés seulement par un voile et rappelé que l'évêque de Québec avait permis qu'on tint un prêche dans sa cathédrale.

La municipalité de Rouen permit donc, par un arrêté en date du 23 vendémiaire an VII aux Théophilanthropes « d'exercer leur culte à l'église Saint-Patrice tous les jours depuis midi très précis, jusqu'à trois heures également très précises », c'est-à-dire à partir de la dernière messe. Horcholle indique du reste le motif de cette fixation. « On a fixé cet instant, dit-il, afin que les citoyens qui se trouvent aux exercices qui se font le jour du decadi dans le temple décadaire, puissent se réunir avec eux et que  lorsque le decadi tombe un dimanche, le curé « intrus schismatique de Saint-Patrice puisse avoir fini sa  messe ». L'arrêté de la municipalité autorisant les Théophilanthropes déterminait du reste assez minutieusement les droits des deux cultes en présence. Tous les objets dans l'église, stalles, autels, statues, ne pouvaient être sous aucun prétexte dérangés. Ils pouvaient cependant les voiler pendant leur réunion. Ils pouvaient également se servir de la sacristie pour y déposer.les inscriptions, l'autel et les costumes. La garde des clefs était confiée à un dépositaire désigné par l'association théophilanthropique dont le nom devait être indiqué à l'administration municipale.

Ces précautions prises, l'administration centrale ratifia la décision municipale et les Théophilanthropes purent inaugurer leur culte en l'église Saint-Patrice, le 10 brumaire an VII. En quoi consistaient les cérémonies de la « religion nouvelle » et quel était l'aspect de leur temple. Sur ce point, une gravure de Mallet représentant l'intérieur d'un temple théophilanthropique, fournit quelques renseignements intéressant ce que pouvait être l'aménagement de l'église Saint-Patrice.

De grands rideaux séparaient la nef du choeur réservé aux catholiques, tandis que de nombreux écriteaux portant les maximes philosophiques ou morales étaient apposés sur les piliers. C'était une des obligations spéciales du culte nouveau, qu'on retrouve un peu partout, dans les villes et dans les centres où il s'était propagé, comme à Auxerre, à Sens, à Bourges, où le culte théophilanthropique se maintint longtemps. On y lisait des maximes qui rappelaient un peu celles du Décalogue : Nous croyons à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme. - Adorez Dieu. Chérissez vos semblables. Rendez-vous utiles à la Patrie - Femmes, voyez dans vos maris les chefs de vos maisons - Maris, aimez vos femmes, et rendez-vous réciproquement heureux.

Au milieu de la nef était disposée une sorte de petit autel bas et circulaire, enguirlandé de fleurs. Dans plusieurs villes, on voit que cet autel était souvent formé par un tonneau couvert de draperies. En face, se dressait une petite tribune en forme de pupitre, dissimulée sous un tapis où prenait place le ministre ou l'officiant, quand il ne montait pas dans la chaire du culte catholique. Quant aux assistants, tête nue, ils restaient assis sur des chaises, placées sans ordre, entourant la tribune des musiciens, qui souvent comme à Saint-Patrice étaient remplacés par les organistes, soit Delaporte, un aveugle-né, soit Broche, le maître de Boïeldieu, qui fut un des premiere théophilanthropes rouennais.

Quelle était la liturgie suivie dans ces réunions de fidèles ? Quelle était la « messe théophilanthropique » ? Si l'on s'en rapporte au Rituel publié par Chemin en l'an VII, et qui rapprochait le culte nouveau des religions positives, au début du service, les enfants de choeur déposaient sur l'autel, la corbeille de fleurs. Après le chant d'introduction, le père de famille, qui remplissait le rôle de ministre, vêtu d'un costume spécial, habit bleu, tunique b1anche et ceinture rose, prenait la parole pour inviter l'auditoire au recueillement. Ensuite il récitait à haute voix l'invocation « Père de la Nature ! »

L'invocation terminée, les assistants procédaient en silence à l'Examen de conscience, sorte de confession tacite, aidée par des demandes faites par « le père de famille ». Après quoi, chacun s'asseyait pour entendre des lectures ou des discours de morale, entrecoupés par le chant de quelques hymnes, ou par l'Invocation à la Patrie. La plupart de ces chants, au nombre de trente et un, étaient empruntés aux odes de J.-B. Rousseau. Les chants des fêtes nationales ou révolutionnaires étaient composés spécialement, tel par exemple l'hymne à la Souveraineté du Peuple, dû à Rallier, un des premiers théophilaritropes, tel l'hymne « Père de l'Univers », de Desorgues :

Peuple, quand tu diras : « C'est de l'Etre Suprême
Que je tiens mon autorité ».
Dans la bouche des rois, ce qui fut un blasphème,
Sera pour toi la vérité.
Tyrans, votre cause cruelle
Se fonda sur la trahison.
La cause du peuple a pour elle
Dieu, la Nature et la Raison.

Tout cet appareil de cérémonies ne présente rien qu'on n'ait rencontré dans les cultes révolutionnaires de la Raison ou de l'Etre suprême. Ce qui fait l'originalité du culte des Théophilanthropes, c'est que pour faire oublier à la nation le christianisme, à l'exemple de l'ancienne église, il suivait l'homme dans les différentes circonstances de sa vie. « Pourquoi, avait dit La Reveillère-Lepeaux, se contenter d'enregistrer l'enfant à sa naissance comme un - ballot à la douane ? »    Et les Théophilanthropes s'étaient empressés d'établir une sorte de baptême civil, sans oublier le parrain et la marraine, qui, devant le père de famille, promettaient d'élever l'enfant dans les principes républicains. A Sens, où le culte naturel fut très développé, l'officiant, avec son doigt trempé dans l'eau, traçait sur le front de l'enfant les lettres C. T. (citoyen théophilanthrope). On mettait également du miel dans la bouche de l'enfant et on plaçait dans ses petites mains quelques fleurettes si c'était une fille, ou un rameau de chêne si c'était un garçon, en prononçant ces mots symboliques ; « Qu'il soit doux comme le miel ! Que le parfum de ses vertus soit plus doux que celui des fleurs ! » et on chantait les strophes :

Dieu bon, d'un crime imaginaire,
Pourrais-tu punir un enfant ?...

On avait aussi imité les cérémonies de la première  communion remplacée par l'examen public passé après un cours de morale. On avait reconstitué le mariage religieux avec un appareil assez pittoresque. Les époux paraissaient à l'autel « enlacés de rubans et de fleurs dont les extrémités étaient tenues de chaque côté par les anciens de la famille », et l'on échangeait l'anneau et la médaille d'union, le tout accompagné de discours. Lors des funérailles, on plaçait dans le temple un tableau sur lequel étaient écrits ces mots : « La mort est le commencement de l'üninortalité », et devant l'autel on mettait une urne entourée de feuillages. C'est ce cérémonial qui fut suivi, par exemple, lors des obsèques de la fillette de Haüy. Le père de famille ajoutait en quelques mots : « La mort a frappé l'un de nos semblables. Conservons le souvenir de ses vertus et oublions ses fautes ».

Il est à penser qu'on ne célébra point souvent à Rouen ces cérémonies d'un symbolisme doux, simple et inoffensif et qu'on se contenta du service ordinaire, ainsi décrit par Horcholle :

Le père de famille est monté dans la chaire à prêcher et y a discouru. C'était un instituteur de la rue Saint-Eloi, Nicolas Foubert. On a fait les offrandes, on a chanté des hymnes patriotiques avec accompagnement de l'orgue qui était touché par le citoyen Delaporte, organiste aveugle, membre de la société. Il y avait des sentences imprimées sur des cartons accrochés aux piliers de l'église.

C'est à ces incidents sans importance que se borna l'opposition faite aux Théophilanthropes rouennais. Tout au plus, le 30 pluviôse an VII, se produisirent quelques farces dirigées contre ceux que la malice populaire avait ornés du sobriquet de « filoux en troupe ou filles en troupe ».

Tout l'exercice se fait dans la nef. Ensuite le « père de famille » et ses associés sont allés dîner au cabaret du Chêne-Vert, en haut de la rue Dinanderie, où tout le monde indistinctement était bien reçu en payant chacun son écot. Parmi les chanteuses, on a remarqué la fille du fameux jacobin Mabon. L'on a tenu banquet jusqu'à cinq heures du matin. On a sorti en groupes et accompagnés d'un mauvais violon, ils ont chanté, crié, hurlé et troublé le repos public.

Ce jour-là, dit Horcholle, quelques jeunes gens dispersés dans le temple s'avisèrent de plaisanter le nouveau culte. Les uns par leurs démonstrations semblaient critiquer ou quelquefois applaudir le père de famille, pendant qu'il instruisait ses auditeurs ou sectateurs dans la chaire à prêcher. Les autres cinglaient de l'eau des bénitiers par la figure de la quêteuse. D'autres dans les chapelles collatérales contrefaisaient le hurlement du chien ou les cris du chat et le propos ordinaire du perroquet en chantant « jaco, jaco », par allusion aux Jacobins qui assistaient à cette cérémonie.

Le commissaire Ernoult saisit au collet un de ces farceurs, lui fit voir son chaperon et, au nom de la loi, l'entraîna hors du Temple. Il se forma un attroupement et il en résulta un esclandre, quand le commissaire tira son pistolet et menaça de faire feu après avoir arrêté trois jeunes gens qui furent jetés en prison. L'un fut élargi le soir même. L'autre était le fils d'un parfumeur de la rue des Carmes, le troisième le fils d'un boucher de la rue de la Savonnerie. Ils furent jugés, condamnés à plusieurs décades de détention et aux frais des affiches. En germinal, le tapage se renouvela et un nommé Gambu fut condamné pour ce fait.
 
Le culte théophilanthropique se répandit-il en dehors de Rouen ? Au Havre, un certain Duclerc, avec quelques jacobins, essaya de fonder un culte théophilanthropique en adressant une circulaire à différents amis, et s'ouvrit de ses projets au Comité de direction de Paris, dans une lettire que Grégoire a publiée, mais on ne trouve point la trace de la réalisation de ce projet. Dans l'Eure, malgré l'hostilité cachée des autorités, il se fonda des sociétés théophilanthropes à Verneuil et à Bernay, en nivôse an VI si on s'en rapporte à une lettre adressée par Mater à l'instituteur Chapuis et publiée par Grégoire dans son « Histoire des Sectes ».

Peu à peu, surtout après le coup d'Etat du 18 brumaire an VIII, la Théophilanthropie alla en décroissant, et en l'an X, un arrêté des Consuls interdisait les réunions dans les édifices nationaux. Vainement, les derniers fidèles protestèrent et le pauvre Chemin-Dupontès, créateur de la secte, fut réduit à colporter ses leçons de latin à travers les rues du Vieux-Paris. A Rouen, depuis longtemps, les derniers Théophilanthropes avaient abandonné la nef de Saint-Patrice, et Guilbert, l'ancien républicain, était devenu le panégyriste enflammé du général Bonaparte parcourant la Seine-Inférieure !

En réalité, la Théophilanthropie, qui fut comme l'a dit l'abbé Sicard, « le plus sérieux essai de religion naturelle » fut une religion trop raisonnable, sans mystères et sans foi, pour pouvoir s'implanter définitivement. « Elle recommandait la vertu avec des écriteaux, ont écrit les Goncourt ; elle enseignait l'immortalité de l'âme avec des pancartes. Elle reposait trop sur une bibliothèque, au lieu de reposer sur un tabernacle ».

GEORGES DUBOSC

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