HOUEL, Éphrem (1807- 1885) : Projet d'établissement de courses de chevaux au trot dans la Normandie (1837).
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Texte établi sur un exemplaire (BmLx : br norm 850) de l'Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie, année 1837 (pp. 338-342), publié par l'Association normande à Caen.
 
Projet d'établissement de courses de chevaux au trot dans la Normandie
par
Ephrem Houel
agent comptable du haras de Saint-Lo.

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La Normandie avait autrefois le privilège de fournir des chevaux au luxe de la France et même de l'Europe. A cette époque, le service que l'on exigeait de ces animaux, la position de ceux qui les employaient n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui : il suffisait qu'ils fussent de forte taille, de formes brillantes, et qu'ils eussent cette beauté luxuriante que donne l'herbe abondante des molles vallées normandes. Quant à l'éducation, on ne leur en demandait point ; les piqueurs et les écuyers des princes et des riches se chargeaient de leur instruction, qui était d'ailleurs beaucoup plus compliquée que celle que l'on demande maintenant. Quoi qu'il en soit, ces habitudes n'existent plus, le luxe a adopté les modes anglaises : il faut que les chevaux soient nés de races énergiques, soient nourris au grain dès leur jeune âge, et dressés au moins en partie, au service de la selle et de la voiture. Il semblerait alors que les éleveurs dussent se conformer à ces exigences, et élever les chevaux qui conviennent à leur époque. Il n'en est pas ainsi : la routine, les préjugés, la crainte de perdre, font continuer aux éleveurs leurs anciens usages. On ne leur achète donc plus de chevaux, le luxe se remonte à l'étranger ; des capitaux énormes sortent de France, et une des plus belles et des plus fécondes industries de la Normandie languit et dépérit chaque jour. Comment remédier à cet état de choses ? comment faire entendre aux éleveurs qu'en agissant ainsi, ils compromettent leurs intérêts et ceux de la France entière ? Ce n'est pas chose facile : leur dire, leur expliquer, ils ne vous croient pas ; et si, pour leur malheur, quelques-uns isolément consentent à bien faire, ils n'en ont le plus souvent pour récompense qu'une amère déception ; car l'habitude étant prise d'acheter des chevaux étrangers, et la chose étant convenue qu'un cheval normand ne peut être qu'une rosse, l'éleveur qui aura fait des sacrifices, qui aura bien élevé et dressé ses chevaux, ne trouvera pas à les vendre, ou du moins ne rentrera pas dans ses frais : cela s'est vu. Si donc on trouvait un moyen de forcer la masse des éleveurs, par l'appât de quelque argent présent, à élever convenablement : d'un autre côté si l'on forçait l'amateur à reconnaître que ces chevaux qu'il méprise, valent ceux qu'il achète à l'étranger, et cela non par des raisons verbales ou écrites, mais par des épreuves faites sous ses yeux ; ce moyen ne serait-il pas avantageux ? On a pensé que les courses ou épreuves au trot, établies à époques fixes, principalement vers les grandes foires, offriraient ce résultat. C'est ce qu'il faut examiner.

La Normandie est principalement destinée par la nature à fournir des carrossiers. L'allure habituelle des chevaux de cette espèce est le trot. Mais il ne suffit pas qu'un cheval ait de beaux mouvements d'épaules, qu'il trotte droit et franchement, il faut encore qu'il puisse soutenir cette allure ; il faut qu'il le fasse étant attelé ou monté. Si des courses étaient établies, tous ceux qui voudraient y prendre part, devraient de longue main y préparer leurs chevaux ; une nourriture convenable, des soins appropriés leur seraient donnés, et le cheval, en état de soutenir la lutte, serait de fait et par cela seul, le cheval de commerce prêt à être acheté par le luxe. On comprendrait enfin par-là que tout le mérite d'un cheval ne consiste pas dans sa graisse et sa corpulence, mais dans ses moyens et ses allures. C'est ainsi que, par des moyens détournés, on viendrait à bout de vaincre une routine et des préjugés que l'on ne vaincra pas directement. L'espoir d'obtenir le prix de ces courses, l'amour-propre, moteur de beaucoup d'actions, encourageront les éleveurs à faire des dépenses qu'une triste expérience les empêche de faire. La castration de jeune âge serait aussi déterminée par cette institution : on pourrait ne permettre l'entrée aux courses qu'aux chevaux hongres et aux juments. Ce serait encore un moyen prompt et certain de faire disparaître ces deux affreuses maladies qui affectent si communément les chevaux normands, et qui donnent tant de crainte à ceux qui les achètent : je veux dire la pousse et le cornage ; on pourrait être certain, après une course de fond et de vitesse, de la santé et de la respiration de ses chevaux. D'un autre côté enfin, les amateurs venus eux-mêmes aux foires verraient les chevaux tels qu'ils se conserveront au service, et seraient, à même d'apprécier leur mérite. L'Angleterre, dont nous devons tirer notre instruction chevaline, nous offre des exemples analogues : outre les courses au trot, qui y sont fort nombreuses, il y a aussi des chasses au renard et des chasses au clocher, où les jeunes fermiers viennent étaler aux yeux des acheteurs le mérite de leurs chevaux. Ces genres d'épreuves sont à-peu-près impraticables chez nous. On pense donc que des courses au trot pourraient les remplacer avec avantage.

Une autre considération, qui n'est pas à négliger, c'est que ces courses, appropriées aux besoins présents, pourraient fort bien par la suite déterminer l'établissement de courses de vitesse, et par-là augmenter encore nos ressources en chevaux de race pure. En effet, les hyppodromes une fois prêts, le goût des chevaux et de l'équitation étant un peu revenu chez nos amateurs, il est impossible que quelques-uns ne soient pas tentés de faire courir des chevaux qui pourraient ensuite paraître au Pin et à Paris.

Il s'agit maintenant des moyens d'exécution. La première et, pour bien dire, la seule difficulté qui se présente, est celle des fonds qui doivent être accordés en prix. Mais d'abord, comme c'est ici une institution purement industrielle, c'est à l'industrie de se mettre en avant. On suppose donc qu'une fois le projet mis en évidence, une souscription sera formée parmi les éleveurs et amateurs : on suppose encore que les conseils généraux de département, reconnaissant l'avantage immense qui en résulterait pour leur pays, feraient aussi des fonds destinés à y être joints. Enfin, si M. le ministre du commerce approuvait le projet, peut être jugerait-il convenable d'y ajouter encore quelque argent du budget des haras. D'ailleurs, les prix par eux-mêmes n'étant pas le but unique de ces épreuves, n'ont pas besoin d'être très-considérables, pour les premières années surtout.

Quant aux règlements à faire à ce sujet, pour les divers chevaux admis à courir, l'âge, le poids, les courses, par pelotons ou au chronomètre, les chevaux montés ou attelés, cela sera l'objet d'un travail spécial.

Nota. Depuis que l'exposé de ce projet a été lu à l'Association normande, des courses au trot, dirigées par M. Eph. Houel, ont eu lieu à Cherbourg, et ont réussi complètement. Les journaux de Cherbourg en ont, rendu compte, et ont offert à M. Eph. Houel l'expression de la reconnaissance publique pour le zèle qu'il a mis dans l'exécution de son utile projet.


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