Louis Pergaud
Louis PERGAUD, instituteur et romancier français né à Belmont (Doubs) le 22 janvier 1882 et mort à la guerre le 4 avril 1915 lors de la bataille de la Woëvre (Meuse).
Oeuvres principales : De Goupil à Margot, histoires de bêtes (1910), La guerre des boutons, roman de ma douzième année (1912), Le roman de Miraut, chien de chasse (1913),...
Les textes présentés sur cette page font partie du recueil posthume La vie des bêtes : études et nouvelles (1923).
Textes établis sur un exemplaire (Bm lx 25103) du recueil Drames des champs et des bois : pages choisies dans l'oeuvre de Louis Pergaud publié à Paris en 1949 par les éditions Nelson

Le lièvre fantôme : "Il passait pourtant quelque part, à moins qu'il ne fondît et s'évanouît comme une poudrée de neige au soleil du printemps, ce roi des capucins du Fays, ce maître oreillard qui savait tous les tours, ce prince des bouquins qui roulait depuis des saisons et des saisons des générations de chiens. Cette fois, il avait à ses trousses Miraut, le plus fameux chien de tout le canton, et Lisée, le braco, un riche fusil, qui prenait bien des permis mais chassait quand même en tout temps, et ces deux gaillards-là allaient lui donner du fil à retordre..."

Un drame dans la haie : "La grande haie de la Combe était morne depuis des jours et des jours ; nul chant, nul pépiement, nul froufrou d'aile n'émouvaient avec le sang des aurores ses loges de verdure, ses corridors feuillus, ses terrasses suspendues ou flottantes que parfumaient comme tous les ans les mêmes fleurs du bel été. Il en était ainsi depuis de longs soleils déjà et le petit peuple ailé qui avait voulu cet isolement et réalisé cet abandon savait qu'il en serait ainsi longtemps encore. L'hiver seul, en coupant de ses ciseaux de gel les frondaisons maudites, pouvait exorciser le charme maléfique planant sur cette solitude, et endormir et abolir les ressouvenances au coeur des oiseaux..."

La dernière heure du condamné : "Les monte-en-l'air, haut pattus, porteurs des bâtons qui tuent, et leur horde familière de hurleurs poilus venaient, à la suite d'un faible course et avec des cris terribles, de grands beuglements rauques (rires et abois), de faire halte devant le trou où Tasson, le vieux blaireau, se terrait depuis quatre ou cinq neiges. Tasson, dans son abri, écoutait. La terre, martelée à grands coups, tremblait, et les vibrations qui lui parvenaient, contrairement à ce qui s'était passé à toutes les précédentes chasses, ne s'atténuaient point : elles semblaient même s'amplifier, devenir plus nourries, plus intenses, plus fortes. C'était grave assurément.."

L'imprudente sortie : "Miraut fit «bouaoue ! bouaoue ! bou» au bas du remblai des Cotards, dans les prés frais et verts où la rosée alourdit les lances de l'herbe fine et résiste jusqu'à midi au soleil qui s'évertue de tous ses rayons à sonder le mystère matinal de ce coin solitaire. Goupil, le renard, le vieux rôdeur du canton des Bougeottes qui finissait sa tournée (c'était le matin) en flânant, repu, dans les sentiers étroits des raies d'un champ de betteraves, leva subitement à ce cri son nez inquiet tout barbouillé de terre..."

La Fontaine et la psychologie animale : "Ah ! que les fabricants de préfaces sont ennuyeux ! Contemporains admirateurs importuns ou démarqueurs pillards à tant la ligne, ils vous campent, avec quelques récits plus ou moins exacts, des réputations qui résistent aux siècles et n'ajoutent rien à la gloire de celui qu'elles prétendent servir. Et c'est pourquoi, ouvrant les fables de La Fontaine, vous êtes prévenu dès la première page que vous avez affaire à un bonhomme distrait, naïf et en même temps (ce qui paraît bien un peu contradictoire) observateur scrupuleux, attentif et passionné de la nature et des animaux..."

L'hypocrisie du chat ? : "Il était une fois trois amis : Miraut, chien ; Mitou, chat, et Lulu, gosse. Ils avaient bien six ans pour les trois, c'est-à-dire que, si les deux premiers comptaient environ douze mois d'âge chacun, le troisième, lui, marchait gaillardement, tantôt à deux, tantôt à quatre pattes, vers son quatrième anniversaire. A eux trois, ils emplissaient l'appartement, la cour et le jardin de leurs cris et de leurs jeux, et c'était dans la maison une joie et une fête perpétuelles..."

Le rire du chien : "Comme je passais la main dans les cheveux, je veux dire dans les poils de son chien, mon «bougnat», avec qui j'entretiens des relations de bon voisinage, m'a glissé confidentiellement : - Je gage que vous ne savez pas pourquoi nous marchons sur deux pattes au lieu de nous servir, comme toutes les autres bêtes, de nos quatre membres ? - Je l'ignore, en effet, répondis-je du ton du citoyen qui attend une histoire. - Eh bien, reprit mon interlocuteur, sachez donc que c'est à un chien et à un Auvergnat que les hommes sont redevables de ce genre de locomotion..."

Le miracle de Saint Hubert : "En ces temps-là, le Val des Hiboux, qui s'appelle maintenant la Grâce-Dieu, était un lieu sinistre où l'Audeux roulait ses ondes torrentielles entre deux murs sombres de roc que gardaient d'immenses forêts s'étendant du Val de la Loue au coude du Doubs. Du ponant au levant, cette large bande touffue s'étalait dans son ampleur royale, sombre en été, rousse en automne et, sous le mystère ondoyant de ses frondaisons, abritait les tribus innombrables des bêtes : vieux solitaires au dur boutoir, madrés goupils à longue traîne, lièvres malins et rapides, et les hardes de cerfs et de chevreuils, et des familles de loups, des assemblées d'écureuils, et des clans sombres de corbeaux, des caravanes de ramiers et de geais et des choeurs de pinsons qui faisaient de cette immense cité libre un paradis de chansons, d'amour et de batailles..."


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