DEVILLE, Etienne (1878-1944) :  Introduction au cinquième tome du Catalogue des livres antérieurs au XIXe siècle de la Bibliothèque de M. Etienne Deville (1929-1938).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.II.2006)
Relecture : A. Guézou.
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Texte établi sur l' exemplaire manuscrit de la Médiathèque.  
 
Introduction
au cinquième tome
du
Catalogue des livres antérieurs au XIXe siècle
de la
Bibliothèque de M. Etienne Deville

 ~ * ~

Le 25 février 1929, je terminais la transcription de l’introduction de mon quatrième volume de Catalogue, et le cinquième – celui-ci – était déjà en préparation depuis le mois d’Août 1928.

Dix ans ont passé depuis et le nombre des ouvrages s’est tellement accru que ce volume en comprend plus de quatre cents. Mes notices s’amoncelaient dans un dossier, qui prenait chaque jour plus d’importance et je me demandais si j’aurais un jour le courage d’en entreprendre la rédaction définitive. Ce courage, je l’ai eu enfin et la transcription commencée le samedi 16 avril 1938 a été terminée le jour de la Pentecôte, le dimanche 5 juin suivant.

Je n’ai plus aujourd’hui les mêmes raisons que précédemment, de m’attarder longuement à décrire avec soin des volumes que je ne possède plus et pourtant ce volume a été préparé et rédigé avec autant de précision et de soin que les précédents. Je n’ai pas à revenir ici sur ce que j’ai exprimé en tête du premier volume de mon Catalogue général, je me bornerai tout simplement à dire que si j’ai écrit ce cinquième volume, c’est pour conserver le souvenir des absents que je ne reverrai plus, ceci soit dit sans le moindre regret.

C’est toujours le même mobile qui m’a guidé dans le choix des livres composant ce catalogue. Evidemment le choix des textes a toujours prévalu, mais j’ai de même en vue le côté curieux des volumes, leur provenance, leur aspect extérieur, les souvenirs qui s’y rattachent soit pour leurs qualités purement bibliographiques, soit par leurs origines de propriété.

Tout cela se trouve condensé dans les Tables qui terminent ce volume, que j’avais cru devoir être le dernier alors que déjà – comme précédemment – un sixième volume est commencé.

Le véritable collectionneur ne s’arrête pas ainsi ; il cherche toujours et sa curiosité, sans cesse en éveil, trouve sans cesse de quoi l’entretenir sans toutefois le satisfaire.

Pourtant, je reconnais que je n’ai plus le même enthousiasme qu’autrefois. J’ai été favorisé, je le reconnais, j’ai eu entre les mains de fort beaux volumes, mais que me reste-t-il ? Bien peu de chose assurément, en comparaison de ce que j’avais, mais ce que j’ai encore ferait la joie d’un bibliophile novice, même un peu exigeant.

L’amour des livres n’est pas, chez moi, exclusif au point de me faire tout oublier ; les faits que je pourrais citer prouveraient tout le contraire.

Seulement, je sens que je ne vibre plus comme autrefois devant une belle reliure, un livre rare ou de provenance illustre, cela m’a causé tant de déceptions ! Au moment où j’avais, en partie, réalisé mon rêve, j’ai cru devoir sacrifier quelques unes de mes plus belles pièces pour rendre service à des amis qui n’ont peut-être pas compris ce qu’il m’en avait coûté… (je laisse, volontairement, cette phrase inachevée.)

Les vieux livres exerceront toujours sur moi une attraction pressante, mais je ne veux plus céder à la tentation d’en recueillir comme autrefois. Je saurai modérer mes convoitises, sans me priver radicalement  d’une si légitime satisfaction.

Qu’on ne s’attende donc pas, en tête de ce volume, à trouver, comme dans les précédents, une sorte d’exhibition, qui pourrait sembler la préparation d’une vente prochaine, ou la sotte gloriole d’un vaniteux s’adressant à un profane, croyant l’influencer par un étalage de vaine science qui ne surprend jamais personne.

Au contraire, je serai volontairement discret, laissant à ceux qui liront ces pages, la joie de la découverte que procure toujours une trouvaille spontanément faite. L’admiration sur commande me répugne, surtout quand il s’agit de soi ou de ce qu’on possède. Susciter l’envie me parait une faute et une maladresse ; c’est renouveler inutilement le supplice de Tantale, sans aucun profit, ni pour l’un, ni pour l’autre.

J’ai fait de la bibliographie, rien de plus.

Au risque d’être taxé d’égoïste, je m’en tiens à cette formule, la plus simple et la plus vraie : décrire mes livres sans prétention, tels qu’ils sont, sans autre souci que d’en conserver une image fidèle à défaut de la réalité.

*
* *

En écrivant ce volume, je me reportais à un demi-siècle en arrière, à l’aurore de ma vocation es choses bibliophiliques ; je me souvenais de l’émotion avec laquelle je feuilletais, chez le père Jean, de vieux bouquins sans valeur mais dont la couverture en veau et les ors atténués par les siècles m’impressionnaient déjà. J’étais heureux alors de pouvoir, pour quelques sous, placer sur les rayons de mon armoire normande - que je possède toujours - quelques uns de ces vieux livres que je convoitais alors.

J’avais déjà le goût des livres, et pourtant, personne ne m’avait dirigé et initié à cela. J’ignorais alors Brunet, Quérard, Frère et tant d’autres maîtres de la bibliographie que j’appris plus tard, à connaître et à aimer. Quand je retrouve dans mes papiers les descriptions que je faisais alors, je demeure perplexe et suis aussi étonné que ce fut le vieux libraire Honoré Champion, à qui je les montrais un jour et chez lequel je passai de si bonnes années au court desquelles je me suis perfectionné dans cette science du livre que je possédais déjà - à l’état latent - au moment où mes jeunes camarades ne songeaient qu’à rire et s’amuser.

J’en ai tant vu de ces vieux livres, j’en ai tant manié et feuilleté que je sais tout de suite à quoi m’en tenir.

Si je reste séduit par la mystérieuse beauté des incunables, mes préférences s’arrêtent pourtant aux livres du XVIe siècle, qui reste pour moi l’âge d’or de la typographie et de la pensée.

J’avais commencé une collection spéciale de ces livres et j’étais presque parvenu à en posséder un de chaque année de ce siècle de lumière.

La beauté des caractères, la qualité du papier, la noble simplicité des reliures gardent pour moi un attrait tout particulier ; mais les textes publiés à cette heureuse époque où l’humanisme atteignit son apogée, me ravissent et m’enchantent.

Ceci ne veut pas dire que je sois exclusif au point de proscrire systématiquement les productions des siècles suivants, non. J’aime un beau livre, même du XVIIIe siècle.

Un beau maroquin bien poli, sur lequel s’étale une belle dentelle posée comme une fine guipure, servant de fond et encadrant des armes de personnages connus, par exemple le duc d’Aumont ou la comtesse de Verme.

J’aime aussi les sobre reliures de Bozérian, Capré, Duru, Chambolle, Niédrée, Thouvenin et tant d’autres artisans qui furent de véritables maîtres dans l’art d’habiller un livre.

Par contre, j’exècre les contemporains, qui sont des gens sans inspiration et sans goût et dont les productions sont bonnes, tout au plus, à épater le bourgeois ou le nouveau riche, cette plaie pour les bibliophiles.

J’ai horreur de ces éditions, soi disant de lux, tirées sur d’affreux papiers, illustrées de soi disant bois qui ne sont, en réalité, que de vulgaires dessins reproduits mécaniquement et sans art et complètement dénués de tout souci artistique.

Pour moi, le XVIIIe siècle reste l’apogée du livre illustré par excellence, on ne fera jamais mieux et - en ce moment surtout - pas même aussi bien.

Le livre du XIXe siècle ne restera pas, encore moins celui du XXe, ils ne supporteront pas l’outrage des ans comme les vieux bouquins de jadis qui ont conservé leur fraîcheur et leur éclat. Il n’y a d’ailleurs à peu près rien à recueillir durant les deux derniers siècles, bien que des prix de ventes fantastiques, imbéciles et idiots, se lisent assez souvent dans les journaux, faisant pâmer d’admiration de naïfs gogos que les prix seuls impressionnent…

Un collectionneur de goût s’arrêtera à la chute de l’ancien régime, car, y a-t-il rien de plus laid que les productions de la presse révolutionnaire !

On a encanaillé jusqu’à l’imprimerie, qui devient la complice inconsciente d’une génération pervertie, vis-à-vis de laquelle on voudrait provoquer notre admiration alors qu’elle mérite, tout au plus, notre mépris.

Plus tard, sous l’Empire, on essaya bien de vouloir rénover l’art du livre, mais les tendances artistiques d’alors ne produisirent que des œuvres prétentieuses, pâles imitations d’une époque morte à tout jamais, que même la volonté d’un Empereur ne parvint pas à faire revivre.

Et puis, de nos jours, c’est encore pire. En volant faire table rase du passé, en ayant la prétention de vouloir faire preuve d’originalité, on en est arrivé, dans tous les domaines à de monstrueuses productions dont il vaut mieux ne pas parler.

J’aime mieux rester sur une bonne impression, au sens propre du mot en bibliophilie, et m’en tenir à ces vieux livres qui enchantèrent ma jeunesse et qui seront, je n’en doute pas, la joie de mes [mot illisible] années, en attendant celles, plus ou moins problématiques, d’une éternité tout à fait incertaine.

Etienne Deville


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