ASSE, Eugène (1830-1901) : Jules de Rességuier- Paris : Librairie Techener, 1898.- 79 p. ; 23 cm.- (Les petits romantiques).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (17.VII.1999)
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[suite et fin]
 
 
Jules de Rességuier
par
Eugène Asse
 
 
V

Quelle idée doit-on avoir, à cette date de 1834, du talent de Jules de Rességuier comme poète ? C'était un esprit très fin, enchassant dans un vers soigné, élégant, des pensées délicates, des sentiments généreux et purs. La force, l'imagination, n'étaient pas ses qualités dominantes. Il est de ces poètes, peut-être plus aimés que d'autres dont ils n'ont pas l'éclat, qui sans aspirer aux hauts sommets, préfèrent rester à mi-côte dans un joli site, bien choisi, où ils mettent tout leur coeur et leur talent. Ainsi fut Sainte-Beuve. Jules de Rességuier, modéré en tout, le fut aussi dans ses théories littéraires. Le nouveau, il le chercha sans doute, mais sans esprit d'école, de cénacle. Ce n'est ni exclusivement un classique, ni exclusivement un romantique : il tient des uns et des autres. Sa théorie poétique, il nous l'a ainsi donnée :

        Que dans la vérité le poète demeure ;
        Qu'il marche au même but par un nouveau chemin ;
        Qu'il soit bien de son temps, de son jour, de son heure,
        Et moins d'hier que de demain.
 
        Des deux écoles donc, quelle est la différence ?
        Ce sont d'aimables soeurs, leur âge n'y fait rien :
        L'une est le souvenir et l'autre l'espérance,
        Leur intérêt commun est de s'entendre bien.
 
        Qu'entre jeunes et vieux la guerre soit finie ;
        Tout système devient très bon par le talent ;
        Pour que le plus mauvais soit le plus excellent,
        Une chose suffit.... c'est un peu de génie !
 
        La gloire est à Bouvine ainsi qu'à Marengo :
        Immortalisez-vous par une ode superbe.
        N'importe après cela qu'on se nomme Malherbe,
        Jean-Baptiste ou Victor Hugo.

Cependant tout le monde ne pensait pas ainsi sur lui, et pour les anciens amis du Conservateur littéraire, de la Muse française et des Annales romantiques, il resta toujours grâce à quelques illusions d'optique, plus romantique qu'il ne l'était vraiment. Ainsi en fut-il pour Auguste de Saint-Valry (37), qui, tout en le mettant un peu à part des romantiques de cape et d'épée, a dit de lui en d'agréables vers :

        Toute autre est ta manière à toi, Rességuier !
        La pourpre comme un roi t'enveloppe en entier.
        Tu ne saurais paraître au tournoi poétique,
        Sans un ajustement d'une grâce magique,
        Ni sans que le blason de tes nobles aïeux
        Ne brille, malgré toi, dans tes chants glorieux.
        C'est toi qui fais rêver nos belles châtelaines
        A leurs plaisirs passés, à leurs fêtes prochaines,
        Le monde, les splendeurs de la grande cité,
        Le charme des beaux-arts, l'amour et la beauté,
        Voilà ce qui te rit, voilà ce qui t'inspire
        Et la sphère où ta Muse a placé son empire !
        ...................................................
        D'un siècle policé c'est la fille éclatante,
        Son désert est Paris, un salon est sa tente,
        Ses chants ce sont le bal, l'amour, Almaria,
        Chants heureux où la verve à l'art se maria,
        Et qui sont, dans leur grâce animée et coquette,
        De notre esprit de France une image parfaite !
        Et cependant ce monde, où tu règnes vainqueur,
        Est loin, Jules, bien loin de posséder ton coeur !...
        Que de fois un vers triste, un soupir de ton âme,
        Montrent le but plus haut où tend sa noble flamme !...

VI

Sept ans s'étaient écoulés depuis le succès des Tableaux poétiques, sans que Jules de Rességuier se fut adressé de nouveau au public, sinon par quelques pièces de vers ou quelques articles dans des Revues, comme le Boulevard, dans les Annales Romantiques de 1831 (p.18). Quand il rompit ce silence en 1835, ce fut pour publier un roman, dont l'annonce parut dans la Bibliographie de la France du 15 août, n° 4297.

Almaria | par | le Comte Jules de Rességuier. | Paris | Allardin, libraire-éditeur | 13, Place Saint-André-des-Arts. | 1835, | in-8. Prix : 7 fr. 50.

VIII ff. pour le faux-titre (au verso : Imprimerie de Félix Locquin, 16, rue N.-D.-des-Victoires), le titre et la Préface ; plus 346 ff. ch., dont 24 pour les Notes, et 2 pour la Table des chapitres. - En tête et hors texte, gravure sur bois, signée H. Brown, représentant la présentation d'Almaria par le duc d'Hermandarez, son père, à sa famille (p. 9) (38) - Au verso du faux-titre sont annoncés : Du même auteur : Tableaux Poétiques, 4e édition. - Pour paraître prochainement : Un nouveau volume de Poésies. - A la fin du volume se trouve 8 pp. d'annonces de librairie : Histoire des Francs, par M. le Comte de Peyronnet, 2 vol. in-8. Prix : 16 fr. - Histoire de Deux Soeurs, par Jules Chabot de Bouin, auteur d'Elie Tobias, 2 vol. in-8. Prix : 15 fr. - La Dixième Muse, par Jules Sandeau, 1 vol. in-8. Prix : 7 fr. 50. - Cinq mois en Italie, Scènes de terre et de mer, par A. Jal, 2 vol. in-8 - Le baron d'Holbach, par Claudon, 2 vol. in-8. Prix 15 fr. - Un Secret, par Michel Raymond, 2e édit. 4 vol. in-12. Prix 10 fr. - Mademoiselle de La Vallière, par Mme Laure Bernard, 1 vol. in-8. Prix : 7 fr. 50.

L'auteur a divisé son récit en dix-sept chapitres, ayant pour titres : La Famille, Scrupule, La Mer, Malheur, le Chevalier de Malte, le Prisonnier, l'ambassade, Mikaëla, le Chemin, le Récit, Retour, Tunis, Lettre d'Almaria, Impressions, Mohamed, Sacrifice, Conclusion. Dans une courte préface, après avoir rappelé au lecteur que le nom d'Almaria, n'est pas autre chose que le nom chrétien de Marie, précédé de l'article arabe, il explique ainsi le but moral qu'il s'est proposé :

«Si les personnages de ce livre sont d'invention, leurs passions sont réelles : chaque jour les voit renaître, et le coeur de l'homme, qui ne change pas comme nos systèmes, en est secrètement et incessamment tourmenté. - A ceux qui pleurent, nous voudrions qu'il fut donné de trouver, dans leur délaissement, les asiles que Fernand et Almaria ont trouvés.» (39)

Jules de Rességuier se flattait en croyant qu'Almaria était un livre de passion ; c'est précisément la passion qui lui manque le plus. Quant à la couleur locale, il y en a à peu près autant que dans la Zaïde de Mme de La Fayette, c'est-à-dire pas du tout. Le nom, pas plus que la chose, ne viendrait à la pensée, si l'auteur, à propos d'un passage où il représente son héros - vers 1645 - «s'égarant dans des pensées errantes et confuses, comme les légers nuages de fumée qui s'échappaient de son cigare», n'avait écrit cette note :

«A l'époque dont nous parlons, le tabac avait été depuis longtemps importé en Europe. Nous aurions cru manquer à ce qu'on appelle la couleur locale, si nous n'avions montré un Espagnol avec un cigare... Cette petitie vapeur brulante qu'on respire presqu'à son insu, jette l'âme dans une sorte d'extase qui dispose à l'inspiration et à la rêverie».

Ce cigare, s'il n'ajoute guère à «la couleur locale», prouve du moins que Jules de Rességuier était un fumeur, qui ne dédaignait pas de chercher l'inspiration et la rêverie dans ce narcotique. Mais il ne les a guère trouvées dans la circonstance.

Almaria n'intéresse, en effet, ni par les événements, ni par les passions. L'héroïne est une jeune et belle Espagnole qui, élevée au couvent des Carmélites d'Avila dès l'âge de six ans, est rappelée tout à coup par ses parents, le duc et la duchesse d'Hermandarez, après la mort de leurs deux fils, tombés le même jour sur le champ de bataille de Rocroi. Sans héritier mâle désormais, son père et sa mère désirent la marier à un jeune parent éloigné, mais du même nom, Fernand d'Hermandarez, déjà célèbre par ses exploits, beau parmi les jeunes hommes, comme elle est belle entre les jeunes filles, et qui de plus est passionnément épris de sa cousine. Ce mariage semblerait devoir être un mariage autant d'inclination réciproque, que de convenance et d'intérêt de famille. Mais Almaria, dans un élan d'enthousiasme religieux, s'est promis, si elle ne l'a pas encore juré au pied des autels - car elle n'en avait pas encore l'âge - de n'être qu'à Dieu, et malgré son penchant pour le jeune époux qu'on lui offre, elle résiste au désir de sa famille. Elle n'est même qu'à demi persuadée par un vieil et saint ermite, qui l'a baptisée et conduite le premier dans les voies du Christ, et qui, la déliant du voeu prématuré qu'elle a fait, lui commande d'obéir à ses parents en acceptant l'époux de leur choix. Le roman finirait là, par la vieille phrase des contes d'autrefois «Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants», si Almaria, en revenant par mer de sa visite au saint homme, n'était prise par des pirates, à point nommé pour fournir de nouveaux chapitres au romancier. Conduite à Tunis par ses ravisseurs, elle est vendue au roi, vieillard généreux autant que passionné, qui, follement épris de sa nouvelle esclave, l'épouse et partage son trône avec elle. Pour une ex-carmélite d'Avila, c'était une dure aventure ; et Almaria ne s'y résigne que par la pensée du bien qu'elle fait, et aussi, neuf mois plus tard, pour l'enfant, un fils, qu'elle a mis au monde. Cependant, en Espagne on croit à sa mort dans un naufrage ; le duc et la duchesse d'Hermandarez tombent dans un désespoir profond, Fernand, la mort dans l'âme, voulant rester à jamais fidèle à la mémoire de celle qu'il a aimée, se fait chevalier de Malte. Il y a déjà quelques années qu'il combat glorieusement sur les galères de l'ordre contre les Infidèles, lorsqu'un prisonnier arabe qu'il a sauvé de la mort, lui apprend en voyant un portrait d'Alméria qu'il couvre de ses larmes, que la reine de Tunis est comme une vivante copie de ce portrait. Mis ainsi sur les traces d'Almaria, Fernand lui fait parvenir un billet, dans lequel il l'engage à une fuite pour laquelle il a tout préparé. Almaria qui déjà se reproche les pensées qu'involontairement elle a laissé trop souvent aller vers son ancien fiancé, refuse de quitter son époux, d'ailleurs presque mourant, mais elle envoie à sa place son fils, dont elle veut mettre la foi chrétienne à l'abri de tout danger. Le roi de Tunis meurt, Almaria, devenue reine et qui a abdiqué, retourne en Espagne ; mais ses scrupules religieux, le voeu téméraire qu'elle a autrefois formé, l'empêchent d'être la femme de Fernand, qui devrait d'ailleurs se faire relever de ses voeux. Ces deux martyrs du serment achèvent leur vie séparés l'un de l'autre, elle dans le cloître d'Avila, lui à Malte et sur les galères de son ordre.

Voici quelques extraits de ce roman : ils donneront une idée du style de Rességuier, comme prosateur.

Il décrit ainsi dona Almaria, son héroïne.

«Cette enfant joignait à des traits nobles et purs, des grâces naïves et élégantes ; elle se montrait digne de soutenir par son éclat la réputation de sa famille ; et son caractère ferme ne démentait pas le sang qui roulait dans ses veines...

Et quand, retirée du couvent d'Avila, elle est présentée par son père à sa famille et à ses amis :

«Elle releva sa mantille, découvrit une taille pleine de majesté, et ses yeux laissèrent voir un regard angélique... Ses cheveux noirs étaient régulièrement partagés sur son front candide, et ses grands cils tombaient de ses paupières, comme si la nature avait voulu l'accoutumer au voile...

Et ailleurs encore :

» Un jour qu'elle passait seule dans une galerie où, à travers les stores baissés, le soleil animait les statues, colorait les arabesques, et se prolongeait dans l'éclat des glaces, elle s'arrêta devant un grand miroir de Venise, et vit toute sa personne, depuis son petit pied mince et bombé jusqu'à ses longs cheveux plus noirs et plus brillants que le jais de sa ceinture ; elle regarda sa taille haute et flexible, la pose harmonieuse de son cou, ces sourcils doux et prononcés, ce feu des physionomies arabes qui animait la régularité de ses traits moulés sur un type grec. Elle s'admira - Les voilà, dit-elle, ces charmes si doux aux yeux du monde. Eh bien ! je serai fière de les lui cacher : ce n'est qu'aux yeux de Dieu que je veux être belle.» (40)

La France Littéraire, dans un article de Théophile de Ferrière, sous le pseudonyme de Samuel Bach, apprécia ainsi ce roman :

«Ce qui caractérise le comte Jules de Rességuier, c'est une grande élégance de style ; un style coquet, limé, lavé, parfumé, massé, comme la peau d'une sultane ; dans les vers une rime riche ; dans la prose une phrase ciselée ; dans l'ensemble une merveilleuse, et peut-être minutieuse unité de composition.
Le comte de Rességuier était le seul poète qui, après avoir répandu les couleurs arabes et espagnoles, musulmanes et chrétiennes sur son roman, pût se croire obligé à résumer cette double teinte par un nom à la fois occidental et oriental : Almaria.
Dans ce mot Almaria, nous avons tout le comte de Rességuier.
D'une part, élégance : est-il dans aucune langue un vocable plus mélodieux ?
Et de l'autre, unité de composition, puisque ce nom sert d'enveloppe au drame, en même temps catholique et musulman, espagnol et mauresque.
Sous cette forme élégante et harmonieuse, le comte de Rességuier garde une pensée toujours chaste, une foi toujours pure à l'honneur, à l'amour, à la religion !» (41)

VII

Almaria n'eut pas un succès assez grand pour engager plus avant Jules de Rességuier dans la voie du roman : il revint aux vers, qui étaient vraiment sa langue et à quelques collaborations dans des revues ou dans des publications collectives. Aux Annales romantiques, il donne, en 1836, l'Amour d'une femme ; des vers encore aux Annales de la Littérature et des Arts ; Tours et Tourelles, au Livre de Cent et un (1833, t. XV, p. 305) ; le Marchand de Venise, aux Femmes de Shakspeare ; de nombreux articles au Journal des Jeunes Personnes ; au Livre des Conteurs (Paris, Allardin, 1832) ; à La Mode ; aux Souvenirs du vieux Paris (1835) ; aux Français peints par eux-mêmes (1840-1842).

Enfin, en 1838, parut son oeuvre poétique la plus considérable avec les Tableaux poétiques. Elle fut annoncée dans la Bibliographie de la France du 10 février, n° 699.

Les | Prismes poétiques | par | le comte Jules de Rességuier. | Paris | Allardin, libraire, quai de l'Horloge, 57. | 1838, in-8°. Prix : 8 fr.

3 ff. n. ch. pour le faux-titre (au verso :Paris, Imprimerie des fonderies de Jules Didot l'aîné, Boulevard d'Enfer, n° 4), le titre (encadré) et la préface. Plus 279 pp. ch., dont 3 pour la table. Couverture imprimée, vert pâle. Le faux-titre porte : Les | Prismes poétiques | . Poésie II. Ce volume, en effet, devait former le IIe volume des Poésies de l'auteur, dont son précédent recueil aurait été le tome Ier. L'annonce suivante imprimée au revers de la couverture, nous donne elle-même cette explication :
Ouvrages du même auteur. | ALMARIA. | Un volume in-octavo, troisième édition . |
Sous presse : | TABLEAUX POÉTIQUES, | POÉSIE. TOME I. | Un volume, cinquième édition . | (42)

En cette même année, parurent Psyché, par Théodore Carlier ; la Comédie de la mort Paris, Desessart, par Théophile Gautier ; Ludibria ventis, par Joseph Autran ; A travers champs et les Cinq cordes de la lyre, par J. Soulary ; le Myosotis, par Hégésippe Moreau ; Première Salazienne, par H. Lacaussade ; la Chute d'un ange, par Lamartine ; les Boréales, par Elim Mestscherski ; les Hymnes sacrées, de Turquety.

L'espèce de préface - elle n'en porte pas le nom - placée à la tête de ce second recueil, indique la pensée, ou plutôt l'impression sous l'empire de laquelle il a, comme le premier, été écrit.

«J'ai nommé mon premier livre de poésies : Tableaux poétiques ; je nomme celui-ci : Les Prismes poétiques. Chacun de ces titres rappelle les effets de la couleur ou de la lumière ; et cette sorte de fraternité indique les rapports qui existent entre les deux ouvrages.
La poésie éclaire d'un jour nouveau les objets qui sont autour de nous, et les sentiments qui sont en nous-mêmes. Elle colore tout ce qu'elle voit ; son oeil est un prisme. Qu'elle soit faible ou forte, ce privilège lui appartient ; et les prismes peuvent être des diamants ou des morceaux de verre».

Les Prismes poétiques se composent de 72 pièces, chacune avec un titre de départ. Aucune n'est précédée d'épigraphe : en 1838, la mode commençait à s'en passer. Quelques-unes seulement sont datées. Les dédicaces, assez rares, portent les noms de Charles Nodier, Victor Hugo, Madame de Girardin, S.A.R. Mademoiselle, Cte de Peyronnet, de Lamartine, A. de Beauchesne, Emile Deschamps, Reboul, Prince Elim Mestscherski, du curé de Saint-Roch (M. Olivier).

Les pièces de ce recueil se suivent ainsi :

    La Prière. A***. Vers de 12 pieds.

La pièce est dédiée à la comtesse de Rességuier, comme le prouvent ces derniers vers :

        Et lorsque s'élevant vers ton front qui se penche,
        Pour la seconde fois ta petite main blanche
        Aura fait sur ton sein le signe de la croix,
        Et qu'un de nos enfants, le plus jeune des trois,
        Accoura pour te dire, avec sa voix qui pleure :
        «Vous venez de parler au bon Dieu plus d'une heure ;
        «Oh ! pourquoi restez-vous si longtemps à genoux ?»
        Je lui dirai : «Mon fils, elle priait pour nous».

    Paris. Strophes de 8 vers, de 12 pieds.

Au Paris mondain et révolutionnaire, l'auteur oppose le Paris littéraire et religieux :

        Et si mon orgueil aime à vous voir sans rivale,
        C'est surtout par les arts et par la charité.

A ma petite Maison. Strophes de 5 vers, de 8 pieds :

Cette petite maison est le château de Sauveterre, près des Pyrénées, vieille demeure patriomonale des Rességuier, d'où la pièce est datée (1836), et que le poète décrit ainsi :

        Adieu, ma petite maison,
        Etroite, longue et toute blanche,
        Où l'on dort bien mieux sur la planche
        Qu'ailleurs sur la molle toison.

    Les Chevaux de poste. Vers de 12 pieds. Datée d'octobre 1832.

Le poète a trouvé le port dans le mariage. Il ne courra plus le monde. S'il manque jamais à ce serment, qu'il soit maudit :

        Que le sort soit toujours contraire à mon envie,
        Que l'eau manque à ma soif, et l'amour à ma vie !

    Oh ! vrai ? Strophes de 4 vers, de 12 pieds.

On devine, dans ces vers, la fiancée qui deviendra l'épouse à laquelle la première pièce est dédiée.

        Oh ! vrai ? Vous aimeriez, vous aimeriez le chaume,
        Qui couvrirait l'asile où nous serions tous deux.

    Attendez. Vers de 12 pieds.

Cette pièce paraît avoir été inspirée par Mlle Delphine Gay, comme plusieurs du recueil précédent. On y reconnaît celle qu'on appelait la dixième Muse, la Muse française, si blonde, si souriante, si triomphante, qui semblait défier le malheur :

        Jeunesse, espoir, amour, ces perles de la vie,
        Sur vous comme un collier se posent grain par grain,
        Pour goûter le bonheur, il vous manque un chagrin.

Une Leçon. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

Union. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

Joli tableau d'union conjugale.

        Il faut que vieux on se rassemble
        Pour se chauffer au même feu,
        Et toujours adorer ensemble,
        Un même autel, un même Dieu.

    L'Absence. Vers de 12 pieds.

Ecrit pendant un voyage, dont les enchantements,

        Et pourtant sur mes pas que de beaux paysages !
        Que de fraîches couleurs ! que de charmants visages !

n'ont pu lui faire oublier celle qu'il a laissée au logis :

                    ... Que me fait tout cela ?
        Mon coeur, triste, partout sent que tu n'es pas là ;
        Et partout dans ma joie ou ma mélancolie
        Je t'aime, et tu n'es pas de celles qu'on oublie !

    Mes Montagnes. Strophes de 6 vers, de 8 pieds, le dernier de 4.

    Un Livre. Vers de 12 pieds.

    Les Désenchantements d'une Jeune Fille. Strophes de 8 vers, de 12 et de 8 pieds.

        Il m'a trompé, il ment : je sais tous ses mensonges.
        Je croyais à son coeur, et je doute du mien.
        Les chansons, les serments, les prodiges, les songes,
            Hélas ! je ne crois plus à rien.

Paru d'abord dans Keepsake Français, Paris, Giraldon-Bovinet, 1831, petit in-4, p. 292, sous le titre : Crédulité d'une jeune fille.

    L'Age. Vers de 12 pieds.

C'est l'élégie de la quarantaine, avec circonstances atténuantes :

        Mais l'amour nous resta quand ce malheur nous vint,
        C'est que nous en avons seulement... deux fois vingt...
        C'est qu'au son de la voix, de la lyre et du cor,
        Nous avons tous les deux un coeur qui bat encor ;
        C'est que la fièvre vient quand s'approche la muse ;
        Après un désespoir, c'est qu'un rien nous amuse,
        Et qu'un enfant se plait à jouer avec nous,
        Et que nous le berçons longtemps sur nos genoux...

Et ces vers, d'une belle jeunesse de coeur dans leurs voeux.

        Que mon être tombant jour à jour, pièce à pièce,
        Connaisse le grand âge et non pas la vieillesse ;
        Car pour l'homme être vieux n'est pas les bras tremblants,
        Le corps voûté, la tête avec des cheveux blancs ;
        Mais l'âme à tout amour devenue insensible,
        Et dans la veine un sang coulant froid et paisible ;
        Et comme un palmier mort au tronc matériel,
        De ne plus s'agiter à tous les vents du ciel.

    LES COINS DU FEU.

         I. Une Nuit d'hiver. Vers de 12 pieds.
        II. L'Invitation. Vers de 12 pieds.
        III. La Soirée. Vers de 12 pieds.
        IV. L'Album. Vers de 12 pieds.
         V. Ma Chambre. Vers de 12 pieds.
        VI. Quelques Poètes à mon foyer. Vers de 4 pieds.

Cortège de poètes amis, assez mélangé ; ce sont les deux Deschamps, Beauchesne et Victor Hugo ; Nodier et Lamartine ; Sainte-Beuve «Muse à la fois naïve et neuve» ; Peyronnet «esprit jetant au loin sa flamme» ; Belmontet - «au ciel d'Isaure, on dit encore l'air qu'il chantait» ; - de Latouche, «embellissant tout ce qu'il touche» ; Saint-Valry, à «la voix poète» ; Jules Lefèvre «qui, nuit et jour, a sur sa lèvre un chant d'amour» ; Alfred Musset (sic) et Saint-Félix, «qui dans l'onyx boit l'ambroisie de poésie» ; Gaspard de Pons et Mennechet «qu'aux Tuileries de lys fleuries, on recherchait» ; Roger «qui court comme il écrit» ; Brifaut «pur dans son style, pur dans sa foi» ; Berryer «lançant sa lave» ; d'Arlincourt «à la verve prompte» ; Nugent aux «chants de barde» ; Boulay-Paty, Gout-Desmartres, Meliot de Chartres, Turquety, Julvecourt, Blaze, Roger de Beauvoir, «jeunesse, extase et gai savoir» ; Eugène Sue - «j'aime sa chambre où l'on sent l'ambre et le goudron» ; Charles et François de La Bouillerie, de Falloux, de Ferrière, «touchant le but à leur début dans la carrière» ; Barbier «sans frein» ; Brizeux «qui prie pour sa patrie et pour Marie» ; de Vigny - «poème, histoire, à toute gloire, répond Alfred» ; - Guiraud «que jamais rien ne peut distraire du beau, du bien» ; Soumet, «qui brille avec sa fille au premier rang». - Comme on le voit trop, Rességuier était loin d'exceller dans ces fantaisies aux vers courts et sautillants, où Musset et Hugo ont si bien réussi. Mais cette liste d'amis est curieuse par son mélange, qui nous parait singulier, et qui l'était moins quand la postérité n'avait pas fait son classement et mis chacun à sa place.

Ces six morceaux que l'auteur à réunis sous ce titre général, Les Coins du feu, sont de jolies petites toiles d'intérieur, agréablement touchées, où il y a du sentiment, de la simplicité, et qui peuvent se ranger à côté de celles que la Musa pedestris inspira aussi à Sainte-Beuve. Ce genre, créé par Joseph Delorme, nous l'avons vu aboutir, avec un accent plus marqué, aux Humbles de François Coppée.

Quoique les six pièces suivantes ne soient pas rangées sous un titre général, elles se rattachent aux précédentes par une semblable inspiration, mais avec un accent plus mondain, qui rappelle bien l'époque de la Restauration et des dix premières années du Gouvernement de Juillet. Pour l'histoire des moeurs, c'est presque un document.

    Je n'ai pas de ces renommées. - Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

Dans de jolis vers, faciles et harmonieux, l'auteur s'adresse à une femme aimée, sans doute Mme de Rességuier, et y développe très ingénieusement ce thème, que l'on aime ce que l'on possède :

        Je n'ai pas ces voix qui font taire
        Le rossignol au fond des bois,
        Je n'ai pas ces chants que la terre
        Trouve aux cieux et dans votre voix,
        Et pourtant c'est moi qu'à tout autre
        Vous préférez, je le soutiens.
        C'est qu'un autre n'est pas le vôtre
        Et que moi je vous appartient !

    La Duchesse de***. Vers de 12 pieds.

Il nous fait, en des vers d'une touche mondaine très heureuse, le portrait d'une belle indifférente, rencontrée dans un de ces voyages qui lui ont inspiré l'Absence. Italienne sans doute, car il nous la montre au milieu des chefs-d'oeuvre de l'art antique,

        Et tous ces marbres-dieux, témoins de notre gloire,
        Qu'un moment parmi nous a conduits la victoire.

Il semble qu'on entende un écho de Vigny (Dolorida) ou de Musset, dans ces vers :

        Quand le jour vient rouvrir ses beaux yeux, ce qu'elle aime
        C'est, devant son miroir de répandre elle-même
        Dans le fond d'un émail transparent, les parfums
        Dont elle va baigner ses cheveux longs et bruns ;
        C'est de respirer l'air enivrant que la rose
        Verse autour de la couche où sa beauté repose,
        Et d'attacher longtemps ses amoureux regards
        Sur le luxe enchanté des merveilles des arts.

    Madame de***. Vers de 12 pieds.

Ici ce n'est plus seulement une indifférente élégante ; c'est une franche coquette, une Célimène en manche à gigots et en taille courte, à la mode de 1838 : comme une comtesse d'Agoult ou une Marquise de Boisgelin, une comtesse Lehon ou une Comtesse de Castries, par exemple :

Dans ces tableaux mondains, ces tableaux de la société française à cette époque, Jules de Rességuier est supérieur, et presque unique ; sans mélange d'accent andalous, italien, ou anglais, comme dans d'autres poètes de la même date. Il y a dans son élégance poétique assez de précision, pour qu'elle donne la sensation du réel, du vu, du vécu.

        Il n'es rien d'élégant que n'adopte son goût.
        Elle aime la campagne et la ville beaucoup,
        L'hiver et ses bijoux, le printemps et ses roses ;
        Mais pour aimer quelqu'un elle aime trop de choses...
        Il lui plait de vous voir rêveur, à ses genoux,
        Essayant de ces mots qui disent : «Aimons-nous» ;
        Le parfum des bouquets et des lettres ambrées...
        Il lui plait de vous voir accourir sur ses pas...
        Et tout cela dit bien qu'on vous aime ? - Non pas.
        Non, cette femme veut qu'on la trouve jolie.
        Elle veut seulement qu'on l'amuse.

    La Femme à la mode. Vers de 12 pieds.

Cette femme à la mode fait surtout la critique des salons où la politique devient trop envahissante, au détriment de la conversation et des tendres aparté. Ici, les vers de Rességuier confinent à la satire, satire un peu pâle, et qui n'a rien de l'iambique Barbier, ni même du vigoureux Boileau :

        Il m'a fallu danser toute la nuit. - Pourquoi
        Ces jeunes gens toujours s'adressent-ils à moi ?...
        Et ce matin, il faut faire de la musique ;
        Chanter les vers nouveaux d'un auteur romantique ;
        Ces vers sont jeunes, frais, même assez éclatants ;
        Mais l'auteur romantique a bientôt quarante ans ;
        Son coeur bat en secret un peu pour la fortune ;
        Il est fort amoureux... mais c'est de la tribune ;
        Et la tribune, moi, je l'ai dans une horreur
        Qui passe toute idée...
        On parle de crédit, de commerce, de guerre,
        Et de nous, hors du bal, on ne s'occupe guère.
        Les femmes, aujourd'hui, dans un appartement,
        Ne sont qu'une parure et qu'un riche ornement...

    La Désoeuvrée. Vers de 6 pieds.

    La Femme occupée. Strophes de 9 vers, de 8 pieds.

Après ces deux autres caractères de mondaines, on pourrait croire que Jules de Rességuier aspirait à la gloire d'un La Bruyère poétique. Voici comment ce nouveau et du reste anodin La Bruyère nous décrit la journée d'une désoeuvrée, mettons d'une élégante vers 1840 :

        Vingt mots à répondre,
        Choisir des tissus
        En secret de Londres
        A l'instant reçus.
        Allez chez Daguerre (43)
        Voir le ciel et l'air
        Chez Vernet la guerre,
        Chez Gudin la mer.
        Dans toutes les sphères
        Egarer ses pas...
        Oh ! qu'on a d'affaires,
        Quand on n'en a pas.

La femme occupée de 1840 n'avait rien de la femme positive qui a paru depuis : elle avait encore quelques loisirs pour le rêve et la poésie. Ainsi :

        Alors, quand toute chose est prête,
        Trouvant le temps toujours trop court,
        Elle brode une collerette,
        Met à sa robe une paillette,
        A son corsage un brandebourg ;
        Et sa voix au hasard répète
        Un chant des chefs-d'oeuvre du jour,
        De Moïse, de la Muette,
        de Stradella, du Giaour...
        Et sa grande âme de poète,
        Fuyant ce terrestre séjour,
        S'en va de planète en planète
        Au fond des cieux, et se reflète
        Dans les soleils qu'elle parcourt.

Les six pièces qui vont suivre sont dans un genre qui nous reporte tantôt au pseudo Moyen âge en faveur sous la Restauration, tantôt aux Contes d'Espagne et d'Italie de Musset (1830) :

    Peppa. Strophes de 7 vers, de 8 pieds.

C'est plus qu'une imitation, c'est un pastiche de l'Andalouse de Musset.

        J'aime Peppa, mon Espagnole,
        Mon Espagnole à l'oeil plus clair
        Que le bronze de l'espingole,
        Oh ! ma Peppa, dont le pied vole
        Jetant des paillettes dans l'air...
        Mon amoureuse de Valence
        Cache son front sous un réseau ;
        Son col ploie avec indolence ;
        Au moindre accord elle s'élance,
        Chante, bondit...

    La Châtelaine de la Vendée. Strophes de 8 vers, de 3, de 8 et de 12 pieds.

Un récit d'autrefois qui contient, il semble bien, une espérance :

Châtelaine
Vendéenne,
Quand finira le temps de peine,
Au milieu d'un cortège éclatant se verra ;
Et, sur un cheval blanc, le vainqueur saluera
De sa main jeune et souveraine
Châtelaine
Vendéenne.

    La Châtelaine du Languedoc. Strophes de vers, de 12 pieds, entremêlées de strophes de 10 vers, de 8 pieds.

C'est un hommage à Clémence Isaure, fondatrice des Jeux floraux de Toulouse.

    Madame Agnès de Picardie. Distiques de 8 pieds.

La mieux réussie de ces pièces moyenageuses ; une jolie figure que cette Madame Agnès :

        Depuis le jusques à l'ut,
        La plus habile sur le luth ;
        A la danse la plus folâtre,
        La plus rêveuse auprès de l'âtre ;
        La plus fidèle à son devoir
        Et la plus dangereuse à voir.

    Les Brigands espagnols. Strophes de 4 vers, de 12 pieds, et de 7 vers de 6 pieds.

Tout à fait dans le genre romance, Moine et Bandit, par exemple :

        Nous détournons nos pas
        De la route battue ;
        Nous ne vieillissons pas...
            On nous tue.

Les Balancelles. Vers de 8 et de 12 pieds.

Les Inséparables. - A Mesdemoiselles A. de R. et C. de L. Datée du 31 janvier 1824. - Vers de 12 pieds.

Touchant tableau de deux amies que l'anniversaire de la mort de leur protectrice, Amicie,

        Celle dont les conseils avaient tant de douceur
        Qu'on eut dit que c'était ou leur mère ou leur soeur,

conduit prier sur un tombeau.

    Les Jours de mai. Strophes de 8 vers, de 8 pieds.

    Trois Rêves. Vers de 12 pieds, et strophes de 4 vers de 8 pieds.

Cette pièce nous ramène aux souvenirs de voyages de Rességuier, à l'Italie, à la Sicile, à la mort d'une jeune fille dans tout l'éclat de la beauté et de la jeunesse :

        Gaieté napolitaine, abandon de créole,
        Secret de poésie, amour, gloire, auréole,
        Charme toujours présent et toujours imprévu,
        Au devant de mes pas elle vient...
        J'ai vu la même femme...
        Deux bras la soutenaient, son corps était tremblant,
        Sur son sein tout à coup son front pâle retombe ;
        Déjà s'ouvre pour elle et le ciel et la tombe.

    Le Galop. Strophes de 6 vers, de 8 pieds.

Cette pièce doit prendre place parmi les tableaux mondains que nous avons vus plus haut, avec quelque touche du Musset andalous :

        C'est ma valseuse rose et blanche,
        Elle s'élève, elle se penche,
        Redouble d'élan indompté ;
        Comme en faisant flotter sa rêne
        Un coursier blanc fuit dans l'arène,
        Au bruit du clairon emporté.

A rapprocher du Bal, de Vigny. L'élan, le mouvement est plus grand que dans la pièce du poète d'Eloa. Comme poète mondain, Rességuier le distance.

    SONNETS.

    I. Silvio Pellico.

        Ame faite aux tourments et pour le ciel choisie,
        Que deux ailes de feu, la foi, la poésie
        Emportent des cachots à l'immortalité.

    II. A Charles Nodier.

Rességuier y loue la fraîcheur, la jeunesse des écrits du maître qui recevait les romantiques à l'Arsenal ; mais c'est bien plus en l'honneur de Mlle Nodier qu'est fait ce sonnet, qui prend place à côté des vers de Musset, de Fontaney, d'autres encore, adressés à la même Muse inspiratrice :

        Pourquoi cette harmonie et ces fraîches couleurs ?
 
        C'est qu'une jeune fille au doux nom de Marie,
        Qui chante comme toi, qui pour toi veille et prie,
        Fait tomber sur ton front ses baisers et ses fleurs.

    III. A. M. Victor Hugo.

Sonnet curieux par l'explication que l'auteur donne de la naissance du romantisme, après avoir proclamé son culte pour les classiques :

        Certes, grands et petits, nous le confessons tous,
        Mais ceux qui s'élançaient vers leur sphère divine
        Ne montaient qu'aux clameurs des critiques jaloux.

Hugo n'était sans doute pas du même avis ; mais il dut être content de la chûte du sonnet :

        Et la Muse hardie accepta le cartel.
 
        La haute question alors fut résolue.
        Et depuis ce jour-là l'Europe te salue
        Poète, enfant sublime et jeune homme immortel.

    IV. A Madame de Girardin (Delphine Gay). En vers de 8 pieds.

Petite statuette, où Mme de Girardin est saisie dans l'attitude de la Muse, attitude qu'elle prenait volontiers :

        Sa main de sa tête inspirée
        Soutient l'ovale harmonieux.
        De sa voix pure et mesurée
        Tombe un chant mâle ou gracieux.
 
        Alors de la nue azurée
        L'éclat semble inonder ses yeux ;
        On dirait la Muse entourée
        D'éclairs et d'astres radieux.

    V. Un Second Enfant. A M.A. Méliot.

A rapprocher de la pièce célèbre des Contemplations, le Revenant, dont il est comme une première ébauche. Peut être la pensée y est elle plus naturelle, quoique l'exécution soit bien inférieure.

Ta bouche est sa bouche vermeille, Dans tes yeux de teinte pareille Le même doux regard a lui. Nous t'appelons aussi le nôtre Tu n'es pas tout à fait un autre, Et cependant tu n'es pas lui.

M. A. Méliot, est le même dont nous avons vu figurer le nom plus haut, dans Quelques Poètes à mon foyer.

    VI. A mes Enfants.

Ce beau sonnet, nous apprend que les enfants de Jules de Rességuier, eux aussi, cultivaient la poésie.

        Je descends, vous montez : quand vous serez au faîte,
        D'en bas j'écouterai vos chants mélodieux.
        Je suis l'arbre d'hiver ployé par la tempête ;
        Vous, la fleur du soleil qui regarde les cieux.

Malgré quelques beaux vers, on ne peut pas dire que Rességuier ait réussi dans le sonnet. Il y faut une vigueur de pensée, une précision de forme qui ne sont pas ses qualités dominantes en poésie.

Les sept pièces qui suivent ne se rattachent à aucune idée générale, et sont très variées d'inspiration : légendes romantiques, comme la septième et la huitième ; scènes modernes, comme la première, la seconde, la troisième, la quatrième, la Bouquetière.

    Une Pauvre femme. Vers de 12 pieds.

Elle aurait pu être intitulée, une Chapelle dans les cintres de l'Opéra. L'auteur visite sur ces hauteurs,

        Sous le toit, une femme infirme, pauvre, âgée,
        Et par un crucifix dans son lit protégée ;
        Tout l'Olympe païen que renferme ce lieu
        Est ainsi dominé par l'image de Dieu.

    Napoléon et la Fille de la Légion d'honneur. Strophes de 4 vers, de 12 et de 8 pieds ; de 4 vers, de 8 pieds.

Ce titre promet plus qu'il ne tient ; ou du moins le tient autrement. C'est une série de compliments, fort gracieux et élégants, adressés à une femme du monde, ancienne élève de la Légion d'honneur. On ne peut s'empêcher de trouver quelque disproportion dans ce parallèle :

        Au rocher d'une île lointaine
        Le destin marqua son tombeau ;
        Mais pour vous point de Waterloo,
        Et pour vous point de Sainte-Hélène.

    Fée ou Péri. Strophes de 6 vers, de 6 et de 4 pieds.

Inspirée par quelle enchanteresse de salon :

        Fée ou Péri, que sais-je ?
        Dieu fit ton sein de neige,
            Ton coeur de feu.
        Ton oeil ardent ressemble
        A l'étoile qui tremble
            Dans un ciel bleu

    La Musique. Vers de 4 pieds.

Même inspiration mondaine, d'une époque, la Restauration, où la harpe était encore en honneur dans les salons - on y revient aujourd'hui. Eloge de la musique, à l'occasion de la musicienne :

        Que ta main tende
        La harpe d'or,
        Et que j'entende
        Du chant encor.

    Vers écrits sur l'album de Madame de***. Vers de 12 pieds.

Cette madame de *** était grand'mère, mais si jeune encore, et si charmante, que

        Nous dirons à présent : «Il n'est plus de grand'mère»
        Comme on disait jadis : «Non, il n'est plus d'enfant !»

    Si la Femme savait ! Vers de 12 pieds.

Conclusion : Femmes méfiez-vous de l'amour.

        Si la femme savait qu'en aimant elle est triste
        D'un mal qui la vieillit et doit la consumer,
        Qu'elle abandonne tout, ses jeux, ses chants d'artiste,
        Et sa beauté si chère... oserait-elle aimer ?

Ne s'agirait-il pas de Delphine Gay, devenue Mme de Girardin en 1831 ?

    Légende de la Bretagne. Strophes de 4 vers, de 12 pieds.

C'est bien plus une élégie qu'une légende, suivant le mot de l'auteur dans une note où il nous apprend qu'il en a emprunté le sujet à Emile Souvestre. Il s'agit d'un fiancé qui vient de perdre sa fiancée, dont on lui laisse pressentir le destin par des sous-entendus pleins de délicatesse et de poésie.

        Mon fils, vous reverrez ces mêmes clairs de lune,
        Vous reverrez les fleurs aux maisons s'enlacer,
        Et nos filles encor sous nos arbres danser ;
        Mais déjà pour la ronde, hélas !... il en manque une.

    Raymond. Strophes de 4 vers, de 10 pieds.

Histoire d'un brigand qui s'éprend de la femme qu'il a sauvée. Ce Raymond est un frère très affaibli du Moor de Schiller.

        Ce qu'il avait ne se pouvait comprendre,
        Nul ne l'a su, du moins nul ne l'a dit ;
        Dans les forfaits c'était un rêve tendre,
        Un amour pur au fond d'un coeur maudit.

    La Bouquetière. Strophes de 4 vers, de 5 pieds.

Genre romance, probablement écrit à cette intention. Rien des petites bouquetières du boulevards :

        Je vends anémone,
        Jacinthe, lilas.
        Mon coeur, je le donne
        Et ne le vends pas.

    Pensée douce. Strophes de 12 pieds.

Se rattache aux poésies inspirées à Rességuier par les sentiments de famille qui ont laissé tant de traces dans ses vers. Il s'agit, pensons-nous, de son fils. Les trois strophes se terminent chacun par ce simple cri du coeur : Je crois bien.

        Pour ce fils, votre orgueil, lui pourtant si modeste,
        Pour ce fils, de vos pas l'élan et le soutien,
        Vous donneriez vos jours, le peu qu'il vous en reste,
        Pour ajouter aux siens, à l'instant ? - Je crois bien !

    On dit, mon Ange. Strophes de 4 vers, de 4 pieds.

Madrigal sautillant, qui se termine par une belle pensée :

        L'amour qui change
        N'est pas l'amour.

    Un Précepte. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

Il faut rendre le bien pour le mal : tel est le précepte, ancien, mais rajeuni par trois comparaisons poétiques qui mériteraient de prendre rang dans une anthologie :

        Le coquillage que la brise
        A fait rouler hors de son lit,
        D'un torrent de perles remplit
        La main qui l'ouvre et qui le brise.
 
        Le bloc d'agate rose et blanc,
        Aux nuances capricieuses,
        Orne de pierres précieuses
        Le poignet qui frappe son flanc.
 
        L'arbre d'automne qui reflète
        Au soleil ses fraîches couleurs
        En versant des fruits et des fleurs
        Répond aux pierres qu'on lui jette.

Seulement on ne comprend pas que cet arbre d'automne porte encore des fleurs, et que s'il porte des fleurs il donne des fruits.

FRAGMENTS. I. La Duègne - II. Une Prière - III. L'Insomnie - IV. Conversation. - Vers de 12 pieds.

Sauf le premier, qui doit être rangé parmi les scènes espagnoles de l'auteur, ces fragments semblent inspirés par des sentiments personnels et faire partie d'un poëme intime de famille. Ainsi, dans la Prière, ce portrait :

        C'est qu'aucune autre femme, aucune sur la terre,
        N'enferma dans son coeur un si divin mystère ;
        C'est qu'aucune jamais n'eut la bonté qu'elle a.
        Oh ! pour nous et pour vous, mon Dieu, protégez-la !
        Car son âme encor plus que son charmant visage,
        Son âme ardente et pure est faite à votre image...
        Pour son front qu'à touché le souffle du génie,
        Pour son regard d'amour, pour sa voix d'harmonie,
        Et son coeur d'espérance et son âme de feu,
        Mon Dieu ! protégez-la.

    Chodkiewicz. 1621. Chant Polonais. Mélange de vers de 12 et de 8 pieds. Avec cette note :

«Ce chant fait partie de la Vieille Pologne, ouvrage publié par M. le Major Forster».

    A.S.A.R. Mademoiselle. Mélange de strophes de 4 vers, de 12 pieds ; et de strophes irrégulières, de vers de 12 et de 8 pieds. Daté, mars 1832.

Dans ces vers adressés à la fille du duc de Berry, soeur du duc de Bordeaux, plus tard duchesse de Parme, que la Révolution de 1830 venait de jeter avec leur aïeul, le roi Charles X, sur la terre d'exil, à Holyrood, Rességuier témoigne de sentiments royalistes, qui ne faiblirent jamais en lui, et dont la plupart des pièces suivantes sont aussi empreintes. Mademoiselle, née le 21 septembre 1819, avait alors treize ans et était pleine de vivacité, de grâce, d'élan. Rappelant le souvenir de Marie Stuart, le poète dit de la noble enfant exilée :

        Comme elle, l'on vous voit dans les jours orageux
            Sur la balustrade appuyée,
        Regarder vers la France, et reprendre vos jeux
            Après une larme essuyée.

    Louise à M. le Baron de Sèze. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

A propos d'un joli mot de la même princesse, au sujet de «pauvres petites filles» qu'elle soutenait autrefois de ses dons.

Ce trait touchant de la vie de Mademoiselle a également inspiré un autre poète, ami de Rességuier, Adolphe de Saint-Valry, dans sa pièce : Aux pauvres petites filles de Mademoiselle. Voir Fragments de Poésie, Paris, Dentu, 1833, in-12, p. 91.

        Aujourd'hui même elle imite l'apôtre
        Qui donnait, à défaut de joyau et d'argent,
        Jusques à son manteau pour vêtir l'indigent.
        Du fond de son exil, Louise vous envoie
        Sa robe d'innocence et vous l'offre avec joie.

Dans une note qui accompagne ces vers, on lit :

        «La robe de la jeune exilée fut tirée au sort à une brillante
        soirée chez Mme la Csse de R... (44), dont ces vers furent en
        quelque sorte le programme».

Nous n'analyserons pas les pièces suivantes qui, sauf quelques-unes, sont des vers politiques ou de circonstances :

    Les Princesses de Naples à la frontière d'Espagne. Novembre 1829. Strophes de 4 vers, de 12 et de 8 pieds.

Sur la rencontre, au pied des Pyrénées, de la Duchesse de Berry et de sa soeur la reine d'Espagne, se rendant d'Italie dans son nouveau royaume.

    Au Comte de Peyronnet. 1827 et 1832. Vers de 12 pieds.

Sur son portrait, exposé au Louvre en 1827.
Les vers de 1832 sont adressés à M. de Peyronnet, alors enfermé à Ham.

    A M. de Lamartine. 1830 et 1833. Vers de 12 pieds.

Déjà, en 1830, Rességuier pouvait dire de Lamartine lors des journées de Juillet :

        Quand un peuple rugit dans l'ivresse du crime,
        Qu'il demande du sang en criant : Liberté !
        Vous avez le courage, avec un chant sublime,
        De vous montrer en face à ce peuple irrité.

C'est ce qu'on dira encore de lui en 1848.

    Les Petites filles de l'Ecole des soeurs. A. M. le curé de Saint-Roch. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

    Un Breton. A. M. A. de Beauchesne. Vers de 12 pieds.

    A un Elève de l'Ecole militaire de Fontainebleau, qui m'a adressé des vers charmants sans signature. Strophes de 4 vers, de 12 et 8 pieds.

    La Poésie. A. M. Emile Deschamps. Vers de 12 pieds.

Emile Deschamps a répondu à ces vers dans sa pièce : A Jules de Rességuier (Oeuvres, Paris, A. Lemerre, 1872, I, p. 239).

    A. M. Reboul, de Nîmes. Vers de 12 pieds.

    Au Prince Elim Mestscherski (45). Vers de 12 pieds.

        Un barde dont la voix chante avec assurance
        Des vers harmonieux dans la langue de France...
        Son oeil jette un éclair des rayons du Midi,
        Et l'on voit sur son front la tristesse secrète
        Dont le Ciel a marqué chaque front de poète.

    Après avoir entendu de beaux vers sur la translation des statues du pont Louis XV à Versailles. Vers de 12 pieds.

    A Lamartine, après la lecture de «Jocelyn». Vers de 12 pieds.

    Prions. Strophes de 4 vers, de 8 pieds.

        Tout, jour à jour, nous abandonne,
        Ce que nous cherchons fuit nos pas ;
        Nous voulons que ce monde donne
        Un bonheur, hélas ! qu'il n'a pas.

VIII

Jules de Rességuier se tenait trop éloigné, sinon du monde des lettres, du moins des partis littéraires et de leurs ardents débats, trop enfermé dans son groupe d'amis intimes, pour que l'apparition d'un nouveau recueil poétique de lui, devint un événement littéraire : les Prismes poétiques, furent donc plus appréciés des délicats qu'acclamés par le grand public. On en aima certainement l'homme un peu plus, on fut ému de sentiments si purs, si généreux, si délicatement, si noblement exprimés, mais son nom ne prit pas place à côté de ceux qui occupaient bruyamment la renommée. Ni son bonheur, ni sa quiétude ne furent troublés par ce que d'autres auraient pu considérer comme un déni de justice. Jules de Rességuier avait placé plus haut le but et l'ambition de sa vie : la religion lui faisait entrevoir d'autres palmes que celles de la gloire. Il y avait trois ou quatre ans que son dernier recueil avait paru, lorsqu'un grand changement se fit dans sa vie. Parti en 1842, pour passer, comme chaque année, quelques mois à Sauveterre et à Toulouse, ce séjour qui devait être passager, se prolongea indéfiniment : Jules de Rességuier ne revint plus à Paris. Il rompit alors si bien avec l'esprit de retour dans la capitale, qu'iil n'y posséda même plus un pied à terre. Ses raisons pour renoncer à une société où il se plaisait et où il était si bien accueilli, à des amis qui lui étaient toujours chers, il n'en laisse rien percer dans ses écrits ultérieurs, et nous ignorons complètement la cause de cette soudaine et irrévocable résolution. Ce que nous savons, c'est que ni ses habitudes de vie élégante et studieuse, ni la sérénité de sa vie et de son langage ne s'en ressentirent. Le salon de Toulouse remplaça celui de Paris, Sauveterre fut plus souvent, plus continuement habité, ce fut tout. Nous ne sachons pas que ni les événements politiques de 1848, ni l'élection de son fils Albert à l'Assemblée Nationale, où il fut un des députés distingués de la droite, aient rappelé, si ce n'est peut-être très passagèrement, Jules de Rességuier à Paris. Sa vie à Sauveterre était devenue presque patriarcale : en 1861, il eut le bonheur de célébrer les noces d'or de son heureuse union. La poésie ne s'était pas retirée de lui, mais il ne publiait plus rien, sauf à ces fêtes des Jeux Floraux auxquelles son affection était restée fidèle ; et c'était pour venger la Muse :

    On proscrit l'idéal, on soumet chaque chose.
        A la mesure du compas ;
    Tout est à l'industrie, au calcul, à la prose... ;
        - Grâce à Dieu ! je le crois pas !
 
    On n'aime plus les vers. - ô mensonge ! hérésie !
        Aveugle, on n'aime plus le jour ;
    Et sourd, on n'aime plus les chants, la poésie ;
        Et vieux, on n'aime plus l'amour !
 
    Mais si nous conservons la jeunesse en notre âme,
        A la gloire nos coeurs ouverts ;
    Nous sentirons toujours en nous l'ardente flamme
        Et de la musique et des vers.

La mort fut douce envers lui, comme elle devrait l'être à tous ceux qui n'ont connu d'autre passion que celle du beau, du bien et du juste, qui ont toujours vécu dans la sérénité de l'âme et la paix de la conscience. Entouré des siens qu'il ne cessait de consoler, elle vint, le 7 septembre 1862, l'affranchir des liens terrestres, après quelques jours seulement d'une maladie qui lui laissa toute sa lucidité d'esprit, tout son charme de parole. Il fut remplacé à l'Académie Jeux Floraux par un pieux et éloquent religieux, le R. P. Caussette qui y prononça son éloge en 1864. Voici comment le R. P. Caussette, et M. Dugabé, chargé de le recevoir, ont apprécié dans leurs discours le Comte Jules de Rességuier, l'homme et l'écrivain :

«M. de Rességuier était le type du vrai gentilhomme ; il portait son titre et son nom, sans raideur et sans morgue, avec l'aisance et la simplicité d'un légime possesseur. Son urbanité était parfaite, sa politesse exquise. Il avait pour tous une bienveillance égale, qui répandait autour de lui, dans ses discours comme dans ses actions, un charme indicible ; au lieu d'être importune, sa supériorité le faisait aimer davantage, tant il mettait d'application à ne pas la faire sentir. Il avait de l'esprit pour tout le monde et il semblait emprunter l'esprit des autres.» (46)

«En lui l'esprit n'était que la parure de la bonté. Tandis qu'un bon mot est souvent une parole méchante, et que le sel de la conversation en exclut la douceur, l'inoffensibilité de Jules de Rességuier était encore plus louée que son originalité piquante. Tolérant pour les partis comme s'il avait eu besoin de leur indulgence, optimiste envers les hommes comme s'il n'en avait trouvé que de bons, il mettait dans ses rapports une nuance de sympathie et de politesse, qui tend à disparaître avec les représentants de l'ancienne société.» (47)

«Il est vrai que l'auteur des Prismes poétiques et des Tableaux poétiques n'exerça point d'influence sociale, et ne poussa guère de ces notes sonores qui font vibrer l'âme d'un peuple. Il chanta moins pour la gloire que pour le plaisir de ses amis. Sa famille était pour lui un auditoire. Le sourire de sa femme et de ses enfants l'inspirait mieux que les applaudissements de la foule... Reconnaissons qu'il maria, dans un genre qui lui fut propre, le sentiment de Lamartine à la libre facture d'André Chénier.» (48)

IX

Sur son lit de mort Jules de Rességuier avait semblé d'abord vouloir donner aux siens quelques instructions touchant les manuscrits qu'il laissait non publiés, mais il s'était brusquement arrêté, ajoutant : «Non, non, il vaut mieux qu'il en soit ainsi». La modestie du poète et le détachement du chrétien lui avaient imposé silence. Les siens, cependant, - et ils ont eu raison - ont publié deux ans après sa mort, en 1864, un recueil posthume sous ce titre :

Dernières | Poésies | du | comte Jules de Rességuier. | Toulouse | Imprimerie de A. Chauvin | rue Mirepoix, 3. | 1864, in-8.

8 pp. pour le faux-titre, le titre et la préface, et 203 pp. chiff.. dont 3 pour la table. Couverture imp., encadrement à double filet, papier glacé gris perle (49).

Voici une partie de la Préface que l'on peut supposer écrite par sa famille, bien qu'elle ne soit pas signée :

«Nous croyons les dernières poésies du comte Jules de Rességuier supérieures à celles dont la publication, déjà ancienne, a jeté sur son nom un éclat littéraire qui se rattache au grand mouvement intellectuel des trente premières années de ce siècle.
L'éloignement de Paris, la retraite au sein des jouissances et des devoirs du foyer domestique, l'âge lui-même, n'ont amoindri ni la sensibilité du poète, ni la délicatesse de l'artiste, ni le tact de l'homme du monde. Ces qualités originales et caractéristiques de son talent se sont, au contraire, développées et affermies, en s'imprégnant de plus en plus de la couleur religieuse et de l'élément chrétien, qui n'ont fait défaut à aucune des compositions de sa jeunesse.
Malgré quelques légères imperfections que l'auteur, plus exigeant en cela que qui que ce soit, avait le projet de faire disparaître, ce recueil posthume nous semble très digne de prendre place à côté des oeuvres poétiques les plus achevées. Ce n'est pas cependant tout à fait au public que nous le destinons. Nous ne le faisons, quant à présent, imprimer qu'à un très petit nombre d'exemplaires, et seulement pour quelques amis qui ont bien voulu le réclamer.
... Nous ne voulons, en ce moment du moins, confier cette chère mémoire qu'à ceux qui s'associent au culte que nous lui rendons, et qui ont aimé et apprécié l'ami plus encore qu'ils n'ont admiré le poète.

Sauveterre, janvier 1864.

Ce recueil se compose de 58 pièces de vers de formes et de mètres variés. Aucune ne porte d'épigraphe. Sous le titre général de Médaillons : Physionomies et caractères de femmes, (douze, pp. 53-87), il nous offre un modèle peut-être unique de poésie à la fois mondaine et religieuse. Une certaine quantité de pièces, comme le Chien d'Orio, le Maréchal de Boucicaut, Charles-Quint au couvent de Saint-Just, Déclaration d'Henri V d'Angleterre à Catherine (Shakspeare), Un mot sur Shakspeare et une scène du «Marchand de Venise», Une Fille de roi, le Vieux roi, A Viva, Au bord de la mer, sont assez fortement empreintes de romantisme, et doivent remonter à des dates plus anciennes ; mais le plus grand nombre sont des tableaux très fins, très émus, de la vie intime, des anciennes amitiés ; parmi ces dernières, nous citerons : A M. de L[amartine], à l'occasion de la Chute d'un Ange (1838) ; Saint-James, le pavillon Beauchesne, qu'il faudra consulter sur ce poète trop oublié, ou plutôt que l'historien de Louis XVII a rejeté dans l'ombre ; le Cloître de Villemartin, où il chante cette création champêtre d'Alexandre Guiraud, qui y écrivit son dernier poëme en lui en donnant le nom ; Le R. P. Lacordaire, souvenir des dernières conférences prêchées à Toulouse par le grand Dominicain. Nous avons fait connaître les pièces de ce recueil où il a célébré sa demeure ancestrale de Sauveterre (Notre maison, la Nouvelle maison), et la vieille servante Sophie. En finissant, nous citerons encore ces vers, si pleins de hautes et religieuses pensées, de la pièce, Ah ! ne nous plaignons pas :

    Sitôt que vient sur nous la souffrance avec l'âge,
    Au pays, mot charmant qui promet la santé,
    Dans le petit vallon, près du petit village,
    Si l'ont peut voir fleurir l'arbre qu'on a planté ;
 
    Si l'on peut moissonner, sans en compter le nombre,
    Des fleurs à chaque pas sur le bord du chemin ;
    Si l'on peut à midi goûter le frais, sous l'ombre
        D'un bois qu'on sema de sa main ;
    Si l'on voit s'élever à la taille des hommes,
    Des enfants adorés qui font tout notre orgueil
    .....................................................
    Ah ! ne nous plaignons pas, quand de la jeune fête
    Tous les élans joyeux sont pour d'autres que nous ;
    Ah ! ne nous plaignons pas, quand ils lèvent la tête,
    Tandis que notre front penche vers nos genoux.
    .....................................................
    Ce n'est plus le printemps ni la terre émaillée
    De toutes les couleurs de la jeune saison ;
    C'est l'automne, et la terre à demi dépouillée
    Ouvrant à nos regards un plus vaste horizon,
    Lorsque novembre vient, et de son souffle cueille
    Les branches et les fleurs, les parfums et le miel,
    A travers les rameaux de l'arbre qui s'effeuille,
        On voit mieux les rayons du ciel.

Cette dernière pensée, si belle, a été reprise par Victor de Laprade dans une pièce de vers de ses Symphonies, qu'elle a rendue célèbre : Feuilles, tombez.

Sans pouvoir le compter parmi les grands poètes de la France, qui ont laissé dans le champ de la poésie un puissant sillon, Jules de Rességuier est un de ceux qui ont eu leur originalité propre, qui sont les représentants d'un genre. Jules de Rességuier fut le poète du foyer élégant. Cette poésie qui en Angleterre a été depuis brillamment cultivée par Coventry Patmore, n'aurait pas eu sans Rességuier de représentant en France. C'est en quelque sorte un Sainte-Beuve aristocratique, un Sainte-Beuve élégant, religieux aussi, ce que ne fut en aucune façon l'auteur des Poésies de Joseph Delorme. Ce domaine, Jules de Rességuier le fit sien, et il brille encore d'assez de beautés pour que les Lettres françaises conservent sa mémoire (50).


Notes :
(37) A. S. Saint-Valry, A Jules de Réességuier (La France littéraire, t. XXIV, p. 374, 1836, t. II).
(38) Bibl. Nat., Inventaire Y2 62074. Quand nous l'avons consulté, la gravure s'y trouvait à l'état de feuille volante, et encore non timbrée. Aucune feuille du volume n'avait été coupée, ce qui n'indique pas un grand succés pour ce volume, entré à la Bibliothèque vraisemblablement dès sa publication, car il porte le timbre avec la couronne royale. - Exemplaire broché mais sans couverture imprimée : ce qui prouve que ce n'est pas d'aujourd'hui que certains éditeurs ont la mauvaise habitude de fournir au dépot légal des exemplaires, sans couverture, et que l'administration a la faiblesse de le souffrir, ce qui n'est légal d'aucun côté.
(39) Almaria. Explication du nom d'Almaria.
(40) Almaria, pp. 5, 9, 11.
(41) France littéraire, 1835, t. XI, p. 442.
(42) Bibl. Nat. Inventaire Ye32040.
(43) Il s'agit du Diorama que Daguerre, qui n'avait pas encore inventé le daguerréotype, exploitait là ou est aujourd'hui la Renaissance. On y voyait l'éboulement de Goldau et la messe de minuit à Saint-Pierre de Rome. Il fut détruit par un incendie en 1839, l'année même où Daguerre s'illustra par la découverte qui a reçu son nom.
(44)La comtesse de Rességuier, sans doute.
(45) Le prince Elim Mestscherski, chambellan de l'Empereur de Russie, né en 1808, auteur des Boréales (1838), des Roses noires (1845), des Poètes russes (1846), mourut à Paris en novembre 1844.
(46) Dugabé, Réponse au R. P. Caussette, qui succéda à Jules de Rességuier comme mainteneur, Recueil des Jeux Floraux, 1864, p. 395.
(47) Le R. P. Caussette, Remerciement, p. 370.
(48) Le R. P. Caussette, Remerciement, p. 371.
(49) Bibl. de l'Arsenal, Poésie, 2839. - A l'occasion de ce volume, le Bulletin du Bibliophile publia un article nécrologique et critique du prince Augustin Galitzim sur Jules de Rességuier, 1864, p. 1102.
(50) Au cours de la publication de cette étude, nous avons recueilli quelques renseignements nouveaux, que nous donnons ici, et qu'il sera facile de reporter aux passages correspondants :
Delphine Gay, a donné pour épigraphe à son élégie : L'une ou l'autre, ce vers de Jules de Rességuier : Pour le malheur d'un autre on manque de courage.
Une note des Euménides, Paris, 1840, d'Edouard d'Anglemont, nous apprend qu'à cette époque, Jules de Rességuier était propriétaire du château du Marais, près d'Argenteuil, où était mort le marquis de Mirabeau, l'Ami des hommes, père du célèbre tribun, p. 263.
On lit dans la préface, vrai manifeste littéraire, qu'Emile Deschamps a placée en tête de ses Etudes françaises et étrangères, Paris, Urbain Canel, 1828, in-8, imprimerie de Goetschy, LXI et 319 pp. : "Si j'ai intercalé dans ce recueil des poésies toutes modernes, quelques extraits d'une traduction inédite des Odes d'Horace, malgré l'espèce de bigarrure qui en résulte, c'est que M. Jules de Rességuier me l'a demandé dans une de ses plus charmantes pièces de ses Tableaux poétiques, LA BAYADÈRE, composition pleine d'harmonie, de couleur et de nouveauté : on concevra qu'il m'était plus aisé de lui obéir que de lui répondre."


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