RENKIN, Jean-François (1872-1906) : Chroniques (1895).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06.IV.2006)
Relecture : A. Guézou.
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) des Ecrits wallons de François Renkin , traduits en français par Emma Lambotte et publiés à Liège en 1912 chez Robert Protin avec des ornements d'Auguste Donnay. [Version originale[Bibliographie]
 
Chroniques
par
Jean-François Renkin

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Message du 9 Février 1895

QUE ferait-on bien pour passer la soirée ?
 
On ne peut pas toujours parler, on ne peut pas toujours boire, et l'on ne peut pourtant pas lire tout le temps les gazettes, surtout qu'elles ne sont pas si plaisantes et qu'on ne sait vraiment plus qu'y mettre pour noircir le papier.

Celui qui est marié trouve aisément à passer la soirée, quand les enfants sont allés dormir.

Il a quelqu'un avec qui causer : tout en fumant sa pipe, il écoute sa femme lui raconter ce qui s'est passé le long de la journée.

Mais ceux qui sont garçons n'ont pas cet amusement-là.

Amusement, dis-je, c'est encore à voir. Chaque jour du bon Dieu, faire la même chose, il n'est pas certain que ce soit si joyeux qu'on veut le dire !
 
Oh ! si nous étions dimanche ou jeudi, il n'en serait pas de même, et nous ne serions certes pas dans l'embarras.
 
Ces deux jours-là, les soirées paraissent trop courtes, n'est-ce pas, mes, enfants ? On ne se demande pas ce qu'on ferait bien pour passer le temps.
 
Ce sont les jours où l'on courtise. Dés qu'on est revenu de l'ouvrage, on soupe au galop, on enfile un sarrau propre, et, vite, en route, pour aller voir Mayon !
 
Mais les autres jours, pour l'amour du bon Dieu, que ferait-on bien ?

Heureusement que les cartes n'ont pas été faites pour les chiens et que, quand on s'ennuie, on peut jouer quelques parties.
 
A deux, on choisit le piquet, mais si la chance veut que l'on soit à quatre, on joue un match. (1).

Pour mon compte je ne connais pas de jeu plus amusant que celui-là.

N'est-ce pas vrai, peut-être ?

Savez-vous rien de plus joyeux que quatre bons camarades qui jouent un match ?
Ils sont là, assis à la table, leur tas de petits sous devant eux, ils ont chacun leur pipe aux dents, et la chambre est toute bleue de fumée.

A tous moments, ce sont des éclats à n'en plus finir. C'est l'un d'eux qui fait double, un autre qui mêle deux fois de suite, un sou qui n'a pas été payé, l'as appelé qui se fait re-couper ou bien le speetch (2) qui ne tombe pas au premier pli...
 
Et le temps passe sans qu'on ne s'en doute tant on s'est bien amusé.

Vers dix heures, on va dormir, content de la soirée.

On a perdu ou gagné trois sous et l'on n'a pas dit du mal de son prochain, ce qui est rare aujourd'hui !...
 
Chaque fois que l'on voit deux personnes s'arrêter pour causer on peut quasiment affirmer qu'elles médiront d'une troisième, et que, sur dix camarades que l'on a, il y a neuf mauvaises langues.

« Et savez-vous bien ceci, et savez-vous bien cela ? et avez-vous entendu dire de Fifine ? Vous a-t-on raconté que le grand Louis avait battu sa femme et que le fils de Garitte ne lui a rendu que douze francs pour son mois ? ne dites pas que c'est moi qui l'ai dit, savez-vous, ne me mettez pas au jour pour rien ; je ne veux pas être mêlé à tous ces vilains commérages ! »

N'est-ce pas ce que l'on entend toujours dire et n'est-ce pas ainsi tout le long du chemin ?

C'est assez malheureux, allez, de voir tant de bonnes gens n'ayant que ce plaisir-là, passer les trois quarts de leur vie à jeter le poison sur les autres, ils tâchent de savoir ce qui se passe dans les ménages, d'apprendre ce qu'on fait, ce qu'on dit, ce qu'on boit, ce qu'on mange et ce qui cuit dans la marmite.
 
C'est un bonheur pour eux de constater que quelque chose ne va pas.

Pour moi, quand je rencontre un individu de cette espèce qui m'arrête pour médire, je m'en vais tout de suite ; sinon, je me fâcherais - et je taperais dessus !...
 
Il y a encore d'autres gens pour lesquels il nous faut des trésors de patience. Je veux dire ceux qui, sans déchirer personne, se mettent à nous raconter leurs malheurs, leurs guignons, leurs ennuis, et tout ce qu'ils ont subi de triste durant leur existence.
 
Si, d'aventure, vous les rencontrez, où que ce soit, sur les routes, dans le train, à un enterrement ou à une vente, - il faut que tout le chapelet y passe. Et les trois quarts du temps, ils ne sauraient raconter leur vie sans pleurer.
 
C'est pourtant assez pénible d'entendre ces bavardages-là. Ils sont sans fin et, l'on peut bien prendre courage : celui qui raconte ses malheurs et ses misères n'a pas vite fini !

On a pourtant assez de peine et de tourments soi-même, sans s'embarrasser des sou-cis des autres.

Ainsi voilà moi : j'avais une bonne-amie, il n'y en avait pas de plus gentille. Et croiriez-vous qu'un jour.....

Vous voyez bien, j'allais me mettre moi-même à raconter tout ce qui m'est arrivé de triste.

Et sûr qu'il n'y aurait pas eu assez de place dans tout le Mestré (3) car j'ai passé les sept croix, savez-vous, moi !

C'est le moment de me taire. J'ai beaucoup parlé pour ne rien dire, mais je ne veux pas laisser le débat ainsi sans vous donner deux bons conseils.

Le premier, c'est celui-ci : quand l'un ou l'autre vous dira du mal de quelqu'un, fût-ce d'un étranger, répondez tout bonnement que vous ne vous souciez pas de ce que font les autres et que vous n'avez pas le temps d'écouter des bêtises.

C'en sera assez.

Voici le deuxième, et il vaut encore mieux ! Quand vous entendrez un homme, ou même une femme, se plaindre et dire qu'elle est malheureuse sur la terre, dites-lui d'emblée : « Lisez le Mestré et vous ne songerez plus à tout cela ! »

Message du 30 Mars 1895

CETTE fois-ci, nous pouvons être sûrs que le bon temps va revenir : la semaine dernière j'ai vu repasser les grues et j'ai rencontré des vélocipèdes sur les routes.

Pour les grues, c'est chaque année la même chose. Mais pour les vélocipèdes, il y en a toujours davantage ; c'est étonnant ce que cette clique pullule de tous côtés. C'est encore pire que les lapins !

Heureusement qu'elle ne fait pas autant de tort aux habitants de la campagne. Maintenant, en été, par les beaux jours, si vous faites un tour, vous rencontrez à tous moments des hommes à roulettes. Les routes en sont couvertes et, à l'instant où vous entendez l'alouette chanter en s'élevant, c'est soudain derrière vous des « tutûtes » (4), " tutûtes „ qui vous font sursauter ; et, comme la foudre, c'est un homme à roulettes qui passe à vos côtés.
 
Je ne veux pas de mal aux vélocipèdes, bien loin de là. Mais cela me fait de la peine de les voir gâter le paysage.
 
Avant l'invention de ces mécaniques-là, les campagnes, le dimanche, étaient endormies au soleil ; on n'entendait que les oiseaux et les ruisseaux.
 
Comme il faisait bon se promener alors, un livre à la main ou une bonne amie à son bras !

Pour se reposer, on entrait boire du lait dans la première ferme venue. C'était bien meilleur que le verre de bock qu'on trouve dans toutes les maisons des villages depuis qu'il passe des vélocipèdes ; les paysans savent bien que le bock est le lait des hommes à roulettes!
 
Oh oui! ils gâtent la campagne, car ils ont fait changer jusqu'aux enseignes des cabarets : on n'y lit plus, à présent, que des « Repos des cyclistes » ou bien « Aux vélocipédistes ».

Elle est bien au diable, allez, la vieille branche de sapin pendue au dessus de la porte et qui jadis servait d'enseigne aux cabarets. Mais laissons-là les hommes à roulettes, car je commencerais à en dire du mal...

Parlons d'autre chose.

Mais de quoi parler, pour l'amour de Dieu? En tous les cas, pas des Flamands, parce que je me fâche tout de suite quand il s'agit d'eux.
 
Je ne parlerai pas des femmes ; je n'ai pas le temps ; ni des maladies, car on n'a entendu parler que de cela ces temps derniers et j'en suis fatigué. D'abord nous avons assez de peine, et de tracas pour qu'il nous faille parler des Flamands, des femmes et des maladies, qui sont bien, à mon sens, les trois plus grandes plaies de la terre !
 
Essayons de trouver quelque chose de plus joyeux... parlons un peu du premier avril, car c'est déjà lundi ; comme le temps s'en va, n'est-ce pas, mon Dieu ! c'est triste.

Il y en aura encore beaucoup de bafoués, da, lundi prochain ! Bien des gens de la bonne année vont être envoyés de l'un à l'autre à la recherche d'huile de bras, d'une manne d'eau ou de cinq litres de vapeur !

Le premier avril devrait être appelé le jour des innocents : c'est bien ce jour-là qu'on reconnaît ceux qui méritent de passer pour tels.

Et comme on rit de bon coeur ; quels éclats quand celui qu'on a chargé d'une commission revient tout penaud ou tout fâché parce que l'on s'est moqué de lui !

Le plus beau du jeu, c'est que tout le monde se laisse prendre. Pourtant, personne ne veut passer pour innocent.
 
Ainsi, voilà moi, qui ne suis pas plus bête qu'un autre, il n'y a pas tant d'années, j'ai cherché jusqu'à tomber mort, durant trois heures, dans toutes les boutiques de Huy, un demi-kilog. de cuir de poisson que mon vieux cousin le cordonnier m'avait demandé d'acheter pour lui.

Depuis, je me suis toujours méfié, et, pour être plus sûr, le premier avril, je ne sors pas de ma maison. Oh ! non cela, je ne me mettrais pas en route pour un empire ; pas même pour aller voir un combat de coqs.
 
J'en suis amateur, savez, pourtant. Je ne connais rien au monde de plus amusant que de voir se battre deux vieux coqs. C'est défendu, direz-vous. Je le sais bien. Mais c'est justement pour cela qu'on s'y amuse tant. On est là, tous ensemble, autour du treillis. On fume sa pipe, on dit des bêtises, on rit et l'on blague.

Tout d'un coup, on ne rit plus : on vient de mettre les combattants dans l'enceinte. Comme la foudre, les bêtes se précipitent l'une sur l'autre et commencent à s'éperonner.

C'est alors qu'il faut entendre le brouhaha !

Les parieurs crient au plus fort. Et celui qui n'est pas au courant de cela se demande comment tous ces aboyeurs peuvent se comprendre et se retrouver dans leurs paris.
 
Pendant ce temps-là, les deux coqs, tout ensanglantés, ne font que se lancer l'un sur l'autre s'excitant à coups de bec et d'éperon !

Beaucoup trouvent cela méchant, et ne conçoivent pas comment on peut aimer de tels plaisirs. A ceux-là, je ne dirai qu'une chose : c'est qu'il s'agit d'un coq se battant contre un coq, tandis que des gens, qu'on ne trouve pas méchants, tirent aux pigeons pour se distraire.
 
Je n'ai pourtant jamais entendu dire qu'un pigeon se fût revengé.

Message du 24 Avril 1895

NOTRE camarade, le vigoureux Spirou, (5) disait l'autre jour, qu'il avait une bonne nouvelle à annoncer à ses lecteurs : que la Société liégeoise de littérature d'accord avec quasi tout le monde, allait demander et tâcher de fonder une « Académie Wallonne ». Dommage, seulement, d'apprendre cette nouvelle le premier Avril.

Sinon, je crois que nous aurions été tous bien contents de savoir qu'on allait enfin se remuer un peu et pousser ensemble à la roue pour faire marcher un peu mieux les affaires.
Il n'y aurait certes aucun mal.

Car il est temps que nous mettions le holà, si nous ne voulons pas qu'un beau jour - ou, plutôt, un laid jour ! - les flamingants nous viennent manger l'âme.
 
Ah ! si la Société liégeoise avait voulu, comme elle aurait bien mené le mouvement! N'avait-elle pas tout ce qu'il fallait pour cela ? des hommes instruits, des gens riches et toutes sortes de choses qu'il est inutile d'énumérer.
 
Mais non, elle reste où elle est ; pour rien au monde on ne lui ferait faire un pas de plus. C'est malheureux ; mais voilà, il faudra bien marcher sans elle.

 Malgré moi, quand je considère le mouvement wallon, je songe en voyant les auteurs, les sociétés, les théâtres et les gazettes, je songe, dis-je, aux petits ruisseaux qui courent dans les prés, en chantant, et qui font plus de bien aux campagnes que le grand étang immobile, resserré dans les roseaux.
 
A parler de ruisseaux et d'étang, je pense que ceux qui habitent le long de la Meuse ou de l'Ourthe, l'ont encore échappé belle cette année.
 
Si toutes les pluies des jours derniers étaient tombées quelques semaines plus tôt, au moment du dégel, ç'aurait encore été plus affreux qu'en l'an 1880.
 
Un monsieur, tout en bavardant, me disait l'autre jour: « Oh! les grandes eaux, ce n'est rien : elles ne sauraient faire que du bien aux bouteilles de Bourgogne ! » Il faut vraiment ne pas savoir ce que sont les grandes eaux pour parler ainsi.

Je dis moi, que c'est, de beaucoup, plus terrible que le feu.

D'abord, le feu, même le plus fort, ne brûle jamais que deux ou trois maisons : on parvient toujours à le maîtriser en quelques heures.
 
Mais les grandes eaux ! Elles ne se contentent pas de détruire quelques maisons ; elles ravagent, en même temps, maints et maints villages, et ce n'est pas en peu d'heures qu'elles se retirent ; il leur faut quelquefois huit jours !
 
Et, quand elles sont parties, le danger ne l'est pas, lui. Car, bien souvent, des boues et des limons abandonnés par les eaux, s'exhalent des poisons qui répandent la maladie parmi les habitants de ces maisons humides. Dirait-on jamais, en été, quand on se promène le long de l'eau et qu'on regarde la belle Meuse, toute reluisante de soleil, porter les petites nacelles et courir sans bruit, comme la plus paisible des eaux, dirait-on jamais qu'elle a été déjà - et qu'elle peut encore être un jour ou l'autre - si méchante et si dangereuse ?
 
Elle est encore plus fausse qu'une bonne-amie ! Plus fausse qu'une bonne-amie, ce n'est pas peu dire, pourtant. Car, dans cette espèce-là, la plus honnête ne vaut rien au monde ; et quand la plus franche et la plus gentille vous dira quelque chose, si même vous êtes sûr que c'est vrai, eh bien ! méfiez-vous tout de même !
 
Il ne faut pas croire, savez, pourtant, à m'entendre parler ainsi, que je ne les vois pas volontiers : vous vous tromperiez, car je suis aussi sot et aussi innocent que les autres !

Mais j'ai bien choisi, - et je ne puis mal - moi, avec la mienne.

D'abord, elle est muette, ce qui fait que je n'ai jamais à me plaindre de ses bavardages. Puis, elle n'est pas trop maligne, ce qui fait que nous nous entendons toujours bien. Et, comme elle est aussi laide que le péché, je ne redoute personne, et cela ne m'inquiète pas de la laisser toute seule à la maison quand je vais par monts et par vaux.
 
Aussi, quand je dois donner quelques bons conseils à un jeune homme qui veut se marier, je lui dis toujours : Mon garçon, si vous voulez garder votre femme, prenez-en une laide.

  Si vous ne voulez pas passer pour une bête, prenez une femme qui ne soit pas aussi maligne que vous : peut-être, en cherchant bien, en trouverez-vous une. Puis, si vous voulez être son maître, à la première raison déplacée, tapez dessus ! De cette manière, le ménage peut encore être quelque chose d'assez plaisant pour celui dont c'est le goût.

Mais, je le dis, il ne faut pas avoir peur de se faire de la peine ni de se donner du mal pour trouver une femme qui convient.
 
Ce n'est pas pour le temps que cela prend, car on est toujours attrapé assez vite.

Message du 13 Juillet 1895

C'EST ce mois-ci que les examens commencent à l'Université. Je suis bien sûr que les trois quarts des étudiants ne songent plus qu'aux laids moments qu'ils auront à passer dans quelques jours.

Et, ceux qui se sont un peu amusés durant l'année, se cassent la tête, nuit et jour, pour essayer de rattraper le temps perdu et être prêts au moment voulu.

Bien aimé bon Dieu, si on était jamais « busé » (6) quelle vilaine affaire ce serait ! Les parents fâchés, qui vont bouder et serrer les cordons de leur bourse! Les vacances gâtées ! Faire une croix sur le vélocipède et écrire à sa bonne-amie qu'on ne pourra plus la voir d'ici à longtemps ! Voilà tout ce qui tombe sur la tête de l'étudiant qui a eu le malheur d'échouer.

Tout cela ne serait rien, pourtant ; le pis c'est que, plus tard, quand il sera docteur, ingénieur ou avocat, le pauvre garçon qui aura raté un examen, trouvera toujours des gens qui s'en souviendront, et qui ne manqueront pas de le lui mettre sous le nez.
 
Cependant, quand on y songe bien, qu'est-ce que cela veut dire, les examens ?

Rien du tout, me semble-t-il.

Pensez-vous qu'un docteur qui aura passé tous ses examens avec la plus grande distinction aura mieux le tour de guérir quelqu'un que celui qui aura mis huit ans pour obtenir un diplôme?

Non, savez !

Les docteurs, les bons comme les mauvais, parviendront toujours à sauver les gens de toutes les maladies - sauf d'une pourtant : la dernière.
 
Et dire qu'il y en a qui ne jugent les hommes que sur leurs diplômes et leurs certificats !
 
Ils ne voyent pas, les innocents, que, bien souvent, ceux qui ont étudié sont beaucoup plus à plaindre que les autres.
 
Par le temps qui court, je vous le demande, ne vaut-il pas cent fois mieux pour un jeune homme qui n'a pas de rentes, de mener la charrue ou de faire des souliers que de savoir lire le latin et d'avoir misère ! Comme ils mentent, ceux qui disent que l'instruction mène les hommes à tout !

Qu'ils voient un peu où sont les trois quarts des diplômés.
 
Ils sont là, tous ensemble, à se presser l'un sur l'autre pour entrer le premier dans un bureau, où est vacante une place de neuf cents francs.
 
La grande cause de tout cela, c'est que l'on répète sans cesse aux petits enfants qui sont à l'école, et qu'on leur met en tête quand ils sont encore jeunes : que celui qui est le premier à l'école, restera le premier dans la vie.
 
Et le sot, ma parole, qui croit cela, s'épuise à étudier pour monter toujours plus haut.

Et, quand, à vingt-cinq ans, il dégringole et retombe au ruisseau, sa seule consolation est de souffrir beaucoup plus qu'un autre qui n'aurait pas tant étudié.
 
Quand je pense bien à tout cela, je vais encore plus loin. Et je me demande sérieusement si les études rendent les gens plus malins.

Il me semble que non.

Car bien souvent je vois autour de moi des avocats, des docteurs, des ingénieurs qui ne savent rien, mais rien au monde, qui parlent de tout avec n'importe qui, parce qu'ils ont passé leurs examens à l'Université.
 
Il y avait encore l'autre jour dans mon jardin un avocat qui me disait que j'avais de belles carottes, et, cela, en me désignant six rangs de betteraves !
 
Vous voyez bien que ce n'est pas le tout d'être avocat.
 
Et il y a encore d'autres preuves.

Regardez : voilà moi, par exemple. Je voulais être avocat: au premier examen, j'ai échoué ; j'ai laissé la chose ainsi ; je voulus entrer au Conservatoire : j'échouai encore. On ne me voulut nulle part où il y avait des examens à passer. Pourtant, je suis bien devenu rédacteur au Mestré.

Et malgré mes échecs, on ne m'a jamais trompé dans mes marchés.

Je parie même que, pour la malice, il n'y a pas un notaire à m'égaler.


Notes :
(1) Jeu où la dame de pique est atout.
(2) Le 7 d'atout.
(3) Titre d'un journal wallon.
(4) Pour le son de la trompette que l'on employait avant les cornes et les timbres.
(5) Ecureuil (titre d'un journal).
(6) Si l'on échouait.

François Renkin d'après une photo de G. Marissiaux (302 ko)

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