Naissance de Monseigneur Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné, Duc de Bordeaux, Fils de France, né à Paris, le 29 Septembre 1820, à deux heures trente-cinq minutes du matin.- Caen : Chez A. Le Roy, Imprimeur du Roi, 1820.- 8 p. ; 20,5 cm.
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NAISSANCE

DE MONSEIGNEUR

HENRI-CHARLES-FERDINAND-MARIE-DIEUDONNÉ,

DUC DE BORDEAUX,
FILS DE FRANCE,

NÉ A PARIS, LE 29 SEPTEMBRE 1820, A DEUX HEURES
TRENTE-CINQ MINUTES DU MATIN.


MADAME LA DUCHESSE DE BERRY s’était promenée la veille, selon sa coutume, sur la terrasse du bord de l’eau, au jardin des Tuileries. Rentrée dans son appartement, elle sentit quelques douleurs légères ; mais, trompée par son courage, elle ne crut pas que le moment fut encore arrivé. Toutes les personnes attachées à son service se couchèrent comme à l’ordinaire. Sur les deux heures de la nuit la Princesse éprouva de nouvelles douleurs qui lui firent présager sa prochaine délivrance. S.A.R. ayant sonné ses femmes, elles accoururent ; ce fut alors que le travail de l’enfantement s’annonça : il fut si heureux, qu’un quart d’heure après l’enfant était arrivé. Il a été reçu par madame Bourgeois, femme de chambre ordinaire de la Princesse. Avec une présence d’esprit admirable, S.A .R. appela aussitôt les personnes qui devaient servir de témoins ; mais les grands dignitaires désignés par le ROI n’arrivant pas assez vite, la Princesse ordonna de faire entrer les gardes nationaux de service. Le premier qui se présenta fut M. Lainé, marchand épicier et grenadier du quatrième bataillon de la neuvième légion de la garde nationale, qui se trouvait alors en faction à la porte du pavillon Marsan ; il fut suivi de l’officier, du sergent et de plusieurs gardes nationaux du poste ; sur ces entrefaites M. le Maréchal Suchet, duc d’Albuféra, désigné comme témoin par le ROI, était accouru. « VENEZ DONC, M. LE MARÉCHAL, s’écria, en le voyant, la courageuse Princesse, LE DUC DE BORDEAUX VOUS ATTEND. Vous voyez, ajouta-t-elle, en lui montrant le noble rejeton encore attaché à sa Mère, Mon fils et moi ne faisons qu’un. » En effet, par une prévoyance et un courage dignes d’admiration, la Princesse n’avait pas voulu que le cordon ombilical fût coupé avant l’arrivée des témoins.

Le sexe de l’enfant ayant été reconnu par M. le Duc d’Albuféra et les autres assistans, l’opération fut faite par M. Deneux, chirurgien-accoucheur de S.A.R. le ROI, MADAME et les Princes étaient arrivés successivement, et partageaient les joies ineffables de l’auguste Accouchée. La DUCHESSE DE BERRY était radieuse.

Le ROI, en mémoire de ce qui s’est passé à la naissance de Henri IV, dont le DUC DE BORDEAUX doit perpétuer le nom et le souvenir, lui a frotté les lèvres avec une gousse d’ail, et lui a fait boire quelques gouttes de vin de Jurançon : l’un et l’autre, assure-t-on, avaient été envoyés par la ville de Pau, dans une boîte adressée à Monsieur, et portant cette suscription : « A Charles-Philippe-d’Artois ; Monsieur, pour être employé dans le château des Tuileries au même usage que dans le château du Roi de Navarre, à Pau, en 1550. » Ainsi que le Béarnais, le petit Prince a supporté cette opération sans jeter un cri, ni faire la grimace. Madame la DUCHESSE DE BERRY, témoin de ce que faisait le ROI, a dit, avec un sourire mêlé de regrets : Pourquoi ne sais-je pas l’air de la chanson de Jeanne d’Albret ? Je me sens le courage de la chanter. S.A.S le DUC D’ORLÉANS, S.A.S. madame la DUCHESSE D’ORLÉANS, se sont reouvés à cette scène intéressante, et ont adressé, avec leur famille, à l’AUGUSTE MÈRE les plus affectueuses félicitations.

A une heure après midi, la famille royale a traversé la galerie vitrée pour se rendre à la chapelle, et l’enthousiasme du public, réuni sous les fenêtres du château, a été porté à son comble lorsqu’on a vu passer le ROI. La chapelle du château était remplie de fidèles qui rendait grâces à Dieu du bienfait nouveau qu’il vient d’accorder à la France ; Le sacrifice de la messe a été célébré ; ensuite le jeune PRINCE a été présenté pour être ondoyé, et le ROI lui a donné les noms de HENRI-CHARLES-FERDINAND-MARIE-DIEUDONNÉ, DUC DE BORDEAUX. Après la cérémonie de l’ondoiement un Te Deum a été chanté en action de grâces.

Au retour de la messe, S.M. accompagnée de LL.AA.RR. MONSIEUR, MADAME et MONSEIGNEUR le DUC D’ANGOULÊME, s’est arrêtée sur le balcon de la galerie vitrée. Le public, dont le concours était immense, s’est approché jusqu’au bas de la galerie, et les plus vives, les plus joyeuses acclamations ont, pendant long-temps, fait retentir les airs. Alors le ROI a fait un signe de la main pour annoncer qu’il voulait parler. Le silence le plus profond a régné de toutes parts, et S.M. a prononcé ces touchantes paroles :

« Mes amis, votre joie centuple la mienne ; il nous est né un enfant à tous… »

Ici de nouvelles acclamations ont interrompu le ROI ; bientôt le même silence s’est rétabli, et S.M. a repris :

……. « Cet enfant deviendra un jour votre père : il vous aimera comme je vous aime, comme vous aiment tous les miens. »

On peindrait difficilement l’émotion et l’attendrissement que ces paroles du ROI ont inspirés au public. S.M. s’étant bientôt retirée, a été suivie des mêmes acclamations qui l’avaient accueillie.

Dans l’après-midi, MONSIEUR a présenté plusieurs fois à la foule immense qui environnait les Tuileries, l’AUGUSTE ENFANT appuyé entre ses bras. MADAME, duchesse d’Angoulême, en a fait autant, Madame la DUCHESSE DE BERRY a fait approcher son lit de sa fenêtre, s’est soulevée doucement et s’est montrée au peuple attendri jusqu’aux larmes, en serrant sur son sein celui qu’elle appelle son HENRI.

A trois heures le pavillon Marsan a été ouvert au public : chacun a pu entrer et voir le jeune PRINCE que sa nourrice tenait entre ses bras. Plus de quinze mille personnes ont été successivement admises à traverser les appartements.

Il serait impossible de peindre à ceux qui n’en  ont pas été témoins la profonde sensation de joie que la naissance du Duc de Bordeaux a produite à Paris. Dès la pointe du jour les Tuileries et toutes les rues qui y aboutissent étaient remplies d’une foule immense ; chacun se félicitait, s’embrassait et adressait tout haut des remercîmens à la Providence. Des seuls cris de joies et de loyauté se faisaient entendre.

Une autre partie de la population s’était porté dans les églises, et adressait des prières au ciel. Les curés de Paris et les bureaux de bienfaisance ont reçu des aumônes considérables de personnes charitables qui ont voulu que les pauvres pussent  participer à la joie publique.

Aussitôt après l’heure du marché, les dames et les forts de la halle se sont rendus en corps à la paroisse de Saint-Leu et y ont fait chanter un Te Deum. C’est le premier qui ait été chanté après celui des Tuileries.

Le soir il y eu illumination générale ; dans les quartiers les plus pauvres on voyait des lampions jusqu’aux fenêtres des cinquièmes étages.

Afin de satisfaire à l’empressement du peuple, répandu dans le jardin des Tuileries, S.A.R. Madame la duchesse de Berry, plusieurs fois dans la journée, a fait rouler son lit près de la fenêtre, et s’est montrée à travers les carreaux de la vitre, à la foule avide qui se pressait sur cette partie de la terrasse pour la contempler. Il était très-facile de distinguer les traits de S.A.R. Elle prenait tour à tour des mains de madame la vicomtesse de Gontaut, placée à côté de son lit, le royal enfant et la jeune MADEMOISELLE, et les présentait au peuple. Ce spectacle touchant a fait éclater les acclamations unanimes et réitérées de Vive le Roi ! Vive le duc de Bordeaux ! Vive la duchesse de Berry !

Ces marques de dévouement et d’amour de la part du peuple se sont renouvelées à quatre heures, lorsqu’après un entretien d’une heure avec S.A.R. Madame la duchesse de Berry, le Roi s’est aussi montré près de la croisée de l’appartement des augustes enfans : on voyait S.M. tenant dans ses bras le duc de Bordeaux ; S.M. le berçait en le couvrant de baisers. S.A.R. MONSIEUR tenait sa petite-fille. Les acclamations du peuple ont cessé un moment, lorsqu’on a vu que Sa Majesté allait parler. « Vous et moi, a dit le Roi, en s’adressant au peuple, et en embrassant le petit Prince, nous l’aimerons toujours bien ! » Et après de nouvelles caresses : « Adieu, mes amis, je vous porte dans mon coeur. » S.A.R MADAME est entrée un moment après, et les plus transports ont éclaté de nouveau, lorsque cette princesse prenant les petites mains de MADEMOISELLE, lui faisait envoyer des baisers au peuple.

A ces cris d’allégresse se mêlaient les paroles les plus touchantes, les voeux les plus ardents ; et la pureté du ciel, la douceur de la température, fournissaient à chaque instant l’occasion de parler de la protection visible de la Providence, et de ses desseins sur la famille de nos rois ; ces sentimens étaient exprimés avec tout l’éloquence du coeur, et répétés à haute voix comme si les personnes augustes à qui ils s’adressaient avait pu les entendre.

Le Prince qui nous fut promis est né. Il continuera cette race auguste, sous le sceptre de laquelle la France marche depuis tant de siècle à tous les genres de gloire, de liberté et d’illustration. Pour apprendre les vertus qui font les rois et les héros, il n’aura qu’à lire l’histoire de ses ancêtres ; soit qu’il faille défendre l’Etat, et verser sur un champ de bataille son sang pour la France, soit qu’il faille gouverner dans la paix, protéger les libertés publiques, encourager les arts, et maintenir le royaume des lis à la tête de la civilisation européenne, c’est dans sa dynastie depuis Saint-Louis jusqu’à Louis XVIII qu’il trouvera des exemples et des modèles.

Il sera juste, car il est un témoignage vivant de la justice éternelle ; il sera clément, car il est l’oeuvre de la clémence divine ; il sera fort, car il est lui-même un miracle de la toute-puissance de Dieu ; il sera sage, car l’esprit de Saint-Louis veille sur son berceau ; il sera généreux et brave ; il aura toutes les vertus d’un héros, car la mort héroïque de son père sera la leçon de toute sa vie ; enfin il sera grand des souvenirs de HENRI et de FERDINAND ; il sera grand des exemples et des pensées de sa royale mère ; il sera grand de toutes les espérances religieuses qui se sont réfugiées en lui !

Nous terminerons cette courte relation par quelques traits particuliers.

On sait que dans les premiers mois de sa grossesse Madame la duchesse de Berry vit en songe Saint-Louis qui lui annonçait la naissance d’un fils. Et depuis ce moment elle n’a pas douté un seul instant qu’elle ne dût accoucher d’un enfant mâle. Elle s’exprimait, à cet égard, avec une confiance et une certitude qui parfois allait jusqu’à alarmer son auguste famille, dans la crainte de la commotion morale qu’elle ne pouvait pas manquer d’éprouver, si son espoir venait à être trompé. Un jour monseigneur le comte d’Artois cherchait à la préparer à l’événement  opposé à ses voeux. « Mon père, lui dit la Princesse, en l’interrompant, Saint-Louis en sait plus que vous là-dessus. »

Une femme bonne royaliste, mais un peut superstitieuse, avait assisté dans la matinée à l’Office divin en actions de grâces pour l’heureuse délivrance de Madame la DUCHESSE DE BERRY. Elle avait partagé vivement l’émotion de tous les assistans. En se retirant elle disait tout haut : « Ah ! que c’est heureux ! ah ! que c’est heureux ! Il est cependant dommage que notre petit DUC soit né un vendredi. » Un ecclésiastique qui la suivait l’entendit : « Rassurez-vous, bonne femme, lui dit-il, Jésus-Christ est mort un vendredi pour le salut de tous les hommes, et Monsieur le DUC DE BORDEAUX naît un vendredi pour sauver la France. »

Les marchés étant les seuls endroits de Paris fréquentés au moment où le canon se fit entendre vendredi matin, il s’est passé dans ces quartiers de la ville plusieurs scènes touchantes dont nous aimons à rapporter les détails.

Sur la place de la Fontaine des Innocens, au bruit du premier coup de canon, toutes les ventes cessèrent, une immobilité générale saisit toutes les personnes présentes ; chalans et marchands se regardaient avec une impatience difficile à décrire ; pendant les sept ou huit secondes qui s’écoulèrent entre le douzième et le treizième coup, l’anxiété fut extrême ; chacun semblait retenir sa respiration pour ne point perdre le signal du bonheur de la France : lorsqu’il eut retenti, la joie et le plaisir ne connurent plus de bornes ; les embrassemens, les serremens de mains et les cris de vive le Roi ! vive la Duchesse de Berry ! empêchèrent d’en entendre davantage. Un grand nombre d’habitans de environs de Paris se hâtèrent de vendre au rabais les denrées qui leur restaient encore, afin d’être plutôt de retour dans leur communes pour y porter la nouvelle de la naissance d’un Bourbon. Nous reviendrons ce soir, disaient ces braves gens, voir les illuminations avec nos femmes et nos enfans. L’un de ces bons paysans s’écria au moment de l’ivresse générale : C’est un Duc de Bordeaux ! qui l’aime me suive ! et pour régaler tous ceux qui se présentaient, il dépensa en moins d’une heure le double de ce qu’il peut gagner en un mois.

Les dames de la Halle ont remarqué que le DUC DE BORDEAUX est venu au monde le jour de saint Michel. Tant mieux, disait l’une d’elles, il terrassera les méchans.

La joie n’a été ni moins vive ni moins franche dans les casernes. Tous les soldats, au bruit du canon, se sont levés, ont illuminé leurs chambrées, et dansé des farandoles aux cris de vive le Roi ! vive le Duc de Bordeaux ! Ils ont été admis, dans la matinée, comme tout le public, à voir le PRINCE nouveau-né ; et plusieurs ont témoigné leur enthousiasme par des mots vraiment français : quelques uns ont été recueillis.

Un vieux grenadier de la garde royale qui s’est approché du berceau, s’est agenouillé et s’est écrié : Je te bénis, Fils de France, et je signe pour toi six en de plus d’engagement.

Un autre grenadier, nommé Archambault, a trouvé un moyen bien délicat et dans ses habitudes militaires, de témoigner sa reconnaissance et son dévouement à la Princesse qui lui montrait son enfant : Ah ! Madame, lui dit-il, que ne peut-il nous passer en revue dès aujourd’hui !

Un autre, c’était un lancier, en saluant le berceau royal, a pris un accent noble et prophétique, et s’est écrié : vive notre Colonel !

Un cuirassier, vieilli sous le harnois, s’exprimait avec toute l’énergie d’un soldat en voyant la belle constitution de l’enfant : tout à coup il s’aperçoit que S.A.R. MADAME est derrière lui : il se retourne et paraît confus de ce qui lui est échappé : Mon ami, lui dit Monseigneur le DUC D’ANGOULÊME, avec cet accent qui est si bien entendu des braves, tout est permis aujourd’hui.

On a célébré dans tous les spectacles, par des couplets qui on été applaudis avec transport, l’heureux événement du jour. Il y a eu relâche au Français ; la Comédie et l’Opéra réunis ont joué Athalie avec les choeurs de la salle Favart. Il est inutile de dire que toutes les allusions qui naissent du sujet de cette admirable tragédie, comparé à la circonstance, la conservation miraculeuse de l’enfant en qui tout Israël réside, le prodige qui a ranimé le flambeau éteint de David, le récit de l’horrible massacre auquel a échappé  l’unique espoir de son peuple, et une foule d’autres passages, qu’il nous est impossible de citer, ont excité un enthousiasme qui s’est constamment manifesté par les cris de vive le Roi ! vivent les Bourbons ! vive la Duchesse de Berry ! vive le Duc de Bordeaux !

Parmi les couplets qui ont été chantés sur les petits théâtres, et qui tous ont été accueillis avec enthousiasme, parce que les sentimens qu’ils exprimaient se trouvaient dans tous les coeurs, nous citerons les suivans :

AIR : Du premier pas.

C’est un Bourbon, France, qui vient de naître ;
C’est de tes Rois l’auguste rejeton,
Dès le berceau, ce faible enfant doit être
L’espoir du brave et la terreur du traître….
C’est un Bourbon !

C’est un Bourbon qu’appelaient tes alarmes ;
Le ciel t’exauce et t’en fait l’heureux don.
Il soutiendra la gloire des armes ;
Des malheureux il sèchera les larmes….
C’est un Bourbon !

C’est un Bourbon ! heureuse mère, oublie
Et ton veuvage et ton triste abandon :
C’est ton époux qui renaît à la vie ;
Ce noble enfant le rend à la patrie….
C’est un Bourbon !

C’est un Bourbon ! lègue ton diadème,
Heureux Monarque, à cent Rois de ton nom.
Comme Henri, grand roi, comme toi-même,
Il régnera sur un peuple qui l’aime….
C’est un Bourbon !


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