NADAUD, Marcel & PELLETIER, Maurice Les Fusillés de Vingré (1926).
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (02.X.2014)
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Texte établi sur un exemplaire de la médiathèque (BM Lisieux : nc) , coupures de presse extraites du Petit Journal du 5 mars 1926. Série "Nos enquêtes : les grandes erreurs judiciaires".
 
LES FUSILLÉS DE VINGRÉ
par
Marcel Nadaud, & Maurice Pelletier

~ *~



Un coup de main

Plan de la tranchée de la Maison détruite (Vingré) Pour peu expérimenté que l’on fût en 1914 en matière de guerre de position, on en savait assez pour, en s’inspirant d’inattaquables principes, ne laisser en toute première ligne, qu’un rideau de guetteurs. Aussi le sous-lieutenant Paulaud de la 19e [?] compagnie du 298e R.I., à qui, le 27 novembre, était confiée la garde de la tranchée de la Maison détruite, en avant de Vingré, décida-t-il de ne laisser dans l’élément de droite de la tranchée qu’un petit poste de cinq sentinelles doubles, des 3e et 4e escouades ; à la gauche de cette ligne, deux autres escouades étaient aux créneaux, la 5e, caporal Floch, la 6e, caporal Venat.
 
Sur le coup de 16 heures 30, la corvée apporte la soupe. Les cuillers jouent encore dans  les bouteillons, qu'un cri éclata :

— Les boches ! V’la les boches !

L'ennemi, à la suite d'un bombardement, avait enlevé le petit poste et son caporal et poursuivait son avance.

Recul dans le boyau jusqu'au P.C. du lieutenant Paulaud.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que c'est ? Les boches ! Vite, à la tranchée de résistance !

A quoi obéissent les 5e et 6e escouades, plus les 7e et 8e qui attendaient dans une tranchée-abri, creusée un peu au-dessous de la cagna du lieutenant Paulaud.

L'ordre fut-il exécuté vite et bien ? Il paraît en tous cas que cet officier arriva des premiers à la tranchée de résistance où son commandant de compagnie, le lieutenant Paupier, l'accueillit de belle façon :

— Eh bien ! Paulaud ; c'est du joli ! Allez immédiatement reprendre votre position. Et   vous les hommes, suivez, hein ! et plus vite que ça !

A quoi tout le monde obtempéra Et cinq minutes après, toute la ligne était à nouveau réoccupée. Autant de blessés que de tués, personne de mort comme dit l'autre ; de pertes, aucune que les cinq sentinelles doubles et leur caporal, condamnés pour au temps à l'usage du pain K. K. ; ce dernier incident signalé à la division, qui, à son tour, la signale au corps.
 
Le corps d'armée demande d'urgence des renseignements à la division qui en réclame de toute urgence à la brigade, qui en exige d'extrême urgence du régiment. Le régiment informe la brigade, etc... du mouvement de repli des 5e et 6e escouades.
  
— Mais voilà qui est des plus graves, rugit l’Olympe, Il nous faut de renseignements complémentaires.

A quoi le chef de bataillon commandant le 5e est chargé de pourvoir. Il commence son enquête par convoquer le lieutenant Paulaud.

Celui-ci, qui a vu venir le coup, a commencé par sermonner ses bonhommes. Il a pris, un par un, les hommes de sa section et il les a dûment chapitrés.

— Ne dites rien. Ne parlez pas de l’ordre de repli. On pourrait compromettre des camarades. Dites qu'il y eu panique. Tout s'arrangera.

Sur quoi, convoqué chez le commandant, il raconta que, sortant de son abri, il avait vu refluer en désordre dans le boyau un groupe d’hommes venant des tranchées de première ligne. Toute son autorité appuyée par celle du lieutenant Paupier, commandant de compagnie, fut nécessaire pour les faire remonter en première ligne. Autrement dit, lui, sous-lieutenant Paulaud, était irréprochable !
 
Certains autres témoins furent convoqués, à qui il fut ordonné de se taire. D’autres, enfin, demandèrent à se faire entendre, comme le sergent Grenier. Le commandant les renvoya à… Dache.

Des exemples

A la division, c'est le tumulte. Vingt-quatre hommes occupaient une tranchée. Ces vingt-quatre hommes l'ont abandonnée ! Comment, pourquoi, sur quel ordre ? Peu importe. Ils seront fusillés, tous les vingt-quatre. Sur ce point, le témoignage de l'abbé Dubourg, aumônier divisionnaire est formel. Le 30 novembre, cet ecclésiastique croise un groupe d'officiers dont le colonel Pinoteau, commandant le 298e.

— Monsieur l'aumônier, lui dit-il, prenez-vos mesures. Nous allons avoir vingt-quatre exécutions.

— Vingt-quatre !

— Vingt-quatre… peut-être douze… On ne se sait pas encore...
  
Quelques mimutes après, le colonel Pinoteau rencontre le lieutenant Paupier.
 
— Eh ! Paupier ! On va fusiller une escouade.

— Une escouade, mon colonel, mais c'est douze hommes !

— Douze hommes... On en fusillera au moins six !

Vingt-quatre… douze… six !... Depuis quarante-huit heures, entre le corps et la division, entre la division et la brigade, entre la brigade et  le régiment, une discussion se poursuivait âpre et drue, ceux-là voulant un exemple, ceux-ci hésitant à meurtrir des Français.

Le commandant Guignot a déposé son rapport. Une cour martiale est convoquée, sous la présidence du colonel Pinoteau, commandant du régiment. Au banc du gouvernement, le lieutenant Achhalme, dans le civil, membre de la magistrature debout. Ils ont eu le temps d'étudier le dossier. Voilà deux jours qu'ils l'ont en mains. Le défenseur, le sous-lieutenant Bode, n'aura, lui, que deux heures pour l'étudier.

Les vingt-quatre hommes sont là, solidaires les uns des autres : deux caporaux, Floch et Venat, et deux fois onze soldats. On entend qui ? On interroge qui ? Peu importe. Quand, au bout d'un quart d'heure, le conseil rentre en séance, il rapporte six condamnations : celles du caporal Floch, des soldats Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durandet. Pourquoi Floch plutôt que Venat ? Pourtant Floch fait prisonnier par les Allemands dans le coup de main, s'en était dégagé. Mais peut-être était-il le remords vivant de ceux qui sétaient laissé emmener, sans un cri, sans un geste… Mais ceci est une explication, Mettons Floch à part. Pourquoi Gay plutôt que... et que... ? Six condamnations, six condamnations...

A mort !

Et le 4 décembre, contre une demi-douzaine de poteaux fut jetée une demi-douzaine de soldats. On les y conduisit, les uns abattus, les autres méprisants. Un bataillon du 216e, un bataillon du 298e, une compagnie du 238e, la 21e, formaient, le carré. Les mains tremblaient sur les crosses, non de peur, mais de fureur. Une seule compagnie est atterrée, la 19e du 298e, à laquelle appartiennent les six condamnés.

Eux, pourtant, les sacrifiés, tête nue, capote dégrafée, ils sont déjà morte au monde. Ils ont fait leurs adieux à la vie. Et je ne sais rien de plus émouvant que leurs ultimes lettres, celles qu'ils écrivirent à leurs femmes, dans la nuit funèbre. Pas de plaintes, ils se courbaient devant la fatalité.
 
On les attache donc. La section à qui est dévolu le rôle sinistre d'exécutrice fait son douloureux devoir...

L'accusateur jugé

Il est inutile de dire que ce simulacre de jugement, loin de terroriser la division, la démoralisa au contraire complètement. On soulignait la suppression de l'ordre d'informer renvoyant les vingt-quatre accusés devant un conseil de guerre composé suivant les prescriptions du décret Millerand, avec toutes garanties pour les accusés : instruction préalable, délai de 24 heures entre la citation et l'audience, cinq juges au lieu de trois, etc... Pourquoi, bien qu'il n'y eût pas flagrant délit, avoir ordonné directement une mise en jugement devant une cour martiale ?
 
Mieux encore : pourquoi le lieutenant Achalme, commissaire du gouvernement, substitut en temps de paix, avait-il omis de relever cette irrégularité ? Pourquoi avait-il requis la mort ! contre tous les accusés, indistinctement, sinon parce qu'il en avait reçu l'ordre ?
  
L'affaire ne pouvait manquer de faire quelque bruit. Aussi bien la capture des sentinelles doubles devait-elle un jour ou l'autre la faire rebondir. Car, si l'on avait fusillé le caporal Floch, on ne pouvait manquer de faire passer en conseil de guerre ces sentinelles doubles faites prisonnières sans résistance.

C'est ce, qu'attendaient les familles, meurtries dans leur, honneur et leur affection. Stupeur ! La guerre terminée et les prisonniers revenus, les poursuites engagées contre eux sont abandonnées !

En 1919, une enquête est ouverte par les soins de la Cour d'appel de Riom. Ses conclusions en sont transmises à la Cour de cassation qui, le 29 janvier 1921, réforme le jugement du conseil de guerre spécial de la 53e division, mais avec de tels motifs, celui-là notamment :

« Attendu... qu'à ce moment, le chef de section, sous-lieutenant Paulaud, sorti de son abri voisin leur avait donné l’ordre de se replier sur la tranchée de résistance ; que cet officier était parti précipitamment et l'un des premiers ns cette direction… »

que cet arrêt innocentant les six fusillés condamnait leur chef direct.

La déposition du lieutenant Paulaud à Vingré devant le conseil de guerre était contraire à la vérité. Il n'y avait pas eu panique, mais lâcheté Il y avait eu ordre de repli, et celui qui l'avait donné l'avait, de l'aveu même de la Cour, exécuté l'un des premiers, et avec quelle maestria !

La réhabilitation des malheureux, surtout après les outrages subis par les veuves, eût été incomplète sans mise en jugement du lieutenant Paulaud. Car si, comme l'établissait l’arrêt de la cour de cassation, il avait donné l'ordre de repli, il s'était donc rendu coupable de certaines dépositions devant la cour martiale, en chargeant à fond de train contre ses hommes.

L'information ouverte en mai 1921 contre cet officier sur l'ordre de M. Barthou, ministre de la Guerre, aboutit, le 6 octobre, à son acquittement par le conseil de guerre de la 13e région. Malgré des dépositions accablantes, le Conseil fit bénéficier du doute l’accusé.

L'affaire des fusillés de Vingré était désormais close, légalement close ; moralement, elle ne le sera jamais.


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