MONTREUIL, Mathieu de (1620-1691) : Stances, madrigaux, lettre de Monsieur de Montreuil. - Paris : à la Sirène, [s.d.]. - 47 p. ; 16 cm. - (Les Muses oubliées ; 3).
Saisie du texte : Aurélie Duval pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (15.III.1999)
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Stances, madrigaux, lettre
de
Monsieur de Montreuil

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MADRIGAL
Pour Madame la Marquise de Sévigné
en jouant à Colin-Maillard.

De toutes les façons vous avez droit de plaire,
Mais surtout vous savez nous charmer en ce jour,
Voyant vos yeux bandez on vous prend pour l'amour,
Les voyant découverts on vous prend pour sa mère.

 

MADRIGAL

Hier je rencontray ma charmante Philis
Les yeux étincelans & la bouche allumée,
Elle avoit sur son teint cent roses contre un lys,
Et de mille désirs paraissoit enflâmée.
Son mary qui dormoit sur le pié de son lit,
Fit qu'à l'oreille elle me dit :
Aujourd'huy je commence à sentir que je t'aime.
Hélas! depuis long-temps mon ardeur est extrême,
Lui repondis-je aussi tout bas.
Mais si nous estions seuls, que feriez-vous,Madame?
Elle, avec un regard languissant, plein d'apas,
Comme une femme qui se pasme,
Me dit en soûpirant, ah! nous n'y sommes pas.

 

AIR

Tout le monde vous dit tant
Que je suis un inconstant,
Eprouvez là vos yeux doux,
Faites mentir tout le monde,
C'est un coup digne de vous.

Quand on aime vos beaux yeux,
Où chercher pour trouver mieux?
En se rangeant sous vos loix
On est inconstant, Sylvie,
Mais pour la derniere fois.

 

STANCES

Nous aurons trop de temps pour amasser des fleurs,
Ménageons ce moment, adorable Sylvie,
Ta jalouse est absente, & ta soeur l'a suivie.
Avant qu'elle revienne, allege mes langueurs.

Laisse-là tous ces lys, ces oeillets & ces roses,
A quoy voudrais-tu t'amuser?
Croy-moy, ce sont deux douces choses :
Tromper ta mere, & nous baiser.

Ne me laisse pas davantage
A la mercy des maux que me donne l'amour,
Je suis dans ce jardin devant le point du jour
Afin de t'attendre au passage.

Je sçay que si matin je ne t'y verrai pas ;
Mais ce lieu m'est plus doux que le lit où je couche,
Et je ne puis souler ny mes yeux ny ma bouche
De voir et de baiser la trace de tes pas.

En t'attendant icy tout charme mes esprits,
Tout me paroist avoir je ne sçay quelle grace,
Ce petit tapis vert que nous avons fait gris,
Et cette herbe sechée aux lieux ou je t'embrasse.

Ce fossé qui s'éboule à l'endroit où je passe,
Renouvelle en mon coeur un doux ressouvenir ;
Et ce gazon tombé me plaist mieux qu'en sa place,
Parce que c'est par là que tu dois revenir.

Mais que mal à propos mon amour t'entretient!
Sylvie, approche-toy, que je t'en fasse excuse.
Je te pressois tantost, à présent je m'amuse,
Et je ne songe pas que ta mere revient.

 

MADRIGAL

Ne me reprochez pas tant de fois ma folie
Vous seule me semblez jolie,
Vos petites façons m'ont tout à fait charmé.
Pour souffrir vos mépris, je confesse moy-mesme
Que je quitte un party, dont je seray blâmé :
Mais quand la passion va jusques à l'extrême,
Il vaut mieux mourir où l'on aime
Que de vivre où l'on est aimé.

 

MADRIGAL

La dame de ce lieu n'a pas mauvaise grace,
Elle me fait toûjours quelques petits presens,
Me dit mille douceurs & me meine à la chasse.
Des soûpirs que je pousse & des maux que je sens
Elle croit estre cause, & s'accuse elle-mesme.
En effet elle est belle, elle a beaucoup d'apas.
Mais malgré tout cela mon chagrin est extrême.
Qu'une femme qu'on n'aime pas,
Console mal d'une qu'on aime.

 

MADRIGAL

Ne cherchez point ailleurs, Beauté trop adorable.
Je suis pour vous servir plus propre qu'on ne croit.
Assez jeune pour estre aimable,
Assez vieux pour estre secret.

 

AUTRE

La justesse de votre danse
Ces pas si bien d'accord, cet air, cette cadence
A laquelle il ne manque rien
Vous écarte si viste & si-tost vous rassemble
Que ceux du métier voyent bien
Que vous vous entendez ensemble,

 

MADRIGAL

Je sçay ce qui vous gaste & ce qui fait ma peine,
La Cassandre & Cyrus vous rendent un peu vaine,
Vous vous imaginez pour estre vôtre Amant.
Qu'il faut estre parfait comme ceux d'un Romant,
Et qu'on doit vous servir comme on sert une Reine.
Jugez de vous plus sainement :
Ne vous arrestez pas au premier qui vous louë,
Je ne suis point Heros, pour cela, je l'avouë,
Mais mettez-vous à la raison,
Vous n'estes point non plus merveille incomparable ;
Vous estes une fille aimable
Que l'on appelle Louyson.

 

MADRIGAL

Pourquoi me montrer vostre sein,
Puisqu'un fâcheux jaloux s'oppose à mon dessein?
Cela ne fait qu'accroistre une flâme amoureuse,
Vostre bonté me tuë autant qu'elle me plaist.
Mes yeux sont trop heureux, ma bouche malheureuse
Et pour mon pauvre coeur, il ne sçait ce qu'il est.

 

REMONTRANCE

Vous faites des faveurs à de certaines gens
Qui ne vous donnent rien que de vaines paroles.
Demandez-leur force pistoles,
Et ménagez vos jeunes ans.
Se donner à credit pendant qu'on est si belle,
Et pendant qu'on pourrait amasser des tresors,
Ma fille, proprement, c'est là ce qu'on appelle
Faire folie de son corps.

 

MADRIGAL

Philis voulant se corriger
De mille mots Bretons qui me font enrager,
Et dont elle enrage elle-mesme ;
Me demandoit tantost s'il faut dire en François
Je vous haïs, ou je vous hays.
Evitez l'un & l'autre avec un soin extrême,
Luy répondis-je alors, tous deux sont fort mauvais,
Gardés-vous devant moy de les dire jamais,
Dites seulement, je vous aime.

 

STANCES

C'est un Amant, ouvrez la porte.
Il est plein d'amour et de foy.
Que faites-vous, estes-vous morte,
Ou ne l'estes-vous que pour moy?

Si vous n'estes pas éveillée,
Je ne veux point quitter ce lieu.
Si vous n'estes pas habillée,
Que je vous voye, & puis adieu.

Voulez-vous qu'icy je demeure
Demy mort, tremblant et jaloux?
Hélas! s'il vous plaist que je meure,
Que ce soit au moins devant vous.

Quelqu'autre Amant remply de gloire
Me fait-il perdre icy mes pas?
Je ne scaurais vivre & le croire,
Et ne puis ne le croire pas.

Ah! vous ouvrez : Belle farouche,
J'entends la clef, c'est vostre voix.
O belle main, o belle bouche!
Que je vous baise mille fois.

 

MADRIGAL

Enfin adorable Sylvie,
Ta bouche est sous ma bouche & mes yeux sur tes yeux ;
Je me trouve en un lieu qui m'a tant fait d'envie
Et me fera tant d'envieux.
Quand on a deux beaux jours une fois en sa vie,
On n'est pas toûjours malheureux.

 

AUTRE

J'ai pris vostre éventail, Madame,
Mais n'en soyez pas en courroux,
Songez à mon ardeur, considerez ma flâme,
Vous verrez que j'en ay plus de besoin que vous.

 

MADRIGAL
A une fille de seize ans

Je n'ay jusqu'à present servy que des Coquettes
Aussi n'ay-je point eu pour elles de secret ;
Mais je scay vostre humeur, je connois qui vous estes,
Faites-moy des faveurs, je deviendrai discret ;
Vous n'en avez jamais sçeu faire,
Moy, je n'en ay jamais sçeu taire,
Et si vous me faites du bien,
Pourveu que je n'en dise rien,
Sans doute ma faveur égalera la vostre,
Vous ne me pourrez pas reprocher ce bienfait,
Nous ferons tous deux l'un pour l'autre,
Ce que nous n'avons jamais fait.

 

MADRIGAL

On m'a fait un fort mauvais tour,
Quand on vous a juré que j'avois de l'amour,
Que je parlois partout de mon cruel martyre.
Je sçay trop le respect qu'on doit à vos appas,
J'aimerois mieux mourir cent fois que de le dire.
Pour le penser, je ne dis pas.

 

AUTRE

Philis, lors que je voy cette bouche animée,
Ces yeux noirs et battus, et ce teint enflâmé,
Je jurerois, Philis, que vous estes aimée,
Je ne jurerois pas qu'on ne fut point aimé.

 

EPIGRAMME

Cloris a vingt ans estoit belle,
Et veut encor passer pour telle
Bien qu'elle en ait quarante-neuf,
Elle prétend toûjours qu'ainsi chacun l'apelle.
Il faut la contenter la pauvre Demoiselle,
Le Pont-neuf dans mille ans s'apellera Pont-neuf.

 

AUTRE

Je la voy tous les jours venir en ce saint lieu,
J'en voudrois bien sçavoir la cause.
Je ne croy pas qu'elle aime Dieu
Assez, pour l'empescher d'aimer quelqu'autre chose.

 

LETTRE SUR LE MARIAGE DE LOUIS XIV
ET DE L'INFANTE MARIE-THERESE.

A MADEMOISELLE **

Le Mercredy vingt-sixiéme May, je partis à trois heures apres midy pour aller encore une fois coucher à S. Sebastien. J'avois avec moy un de mes amis qui parloit fort bien Espagnol. Quand nous eusmes traversé Fontarabie, nous arrivâmes à un gros Bourg fermé de portes & de murailles, nommé la Renterie. Quelques-unes des maisons ont esté ruinées & brûlées par les guerres, lors que nous assiegeâmes Fontarabie. On voit bien qu'elles estoient magnifiques, de belle pierre de taille, les rues pavées comme les beaux jeux de paume de Paris. Mais, Mademoiselle, ce ne sont toûjours que de beaux restes, c'est une chose bien triste que cela. Songez à vous pendant que vous estes jeune. Voilà comme vous serez dans trente ans, & moi dans vingt. Nous trouvâmes dans un carrefour de ce Bourg un François qui nous fit grand des-honneur, c'estoit un Tresorier de... il estoit si yvre, qu'ayant mis l'épée à la main sans sujet, il tomba de cheval,& fit assembler une troupe d'Espagnols autour de luy. C'est une chose si extraordinaire en Espagne de voir un homme s'enyvrer, que c'est à peu prés comme si on voyoit en France un fils tuer son pere, ou une fille aussi aimable, aussi sage, & aussi spirituelle que vous coucher avec un grand garçon. Quiconque s'est enyvré une fois seulement, n'a jamais aucune charge. Ils montrent bien en cela qu'ils sont plus raisonnables que nous, puisqu'ils ne permettent pas qu'on perde la raison mesme un moment sans perdre l'honneur. J'entens à force de boire ; car à force d'aimer c'est autre chose. Deux Dames & un Prestre dans deux diverses portes, nous offrirent à boire si obligeamment que nous ne pûmes nous en défendre. Il n'y avoit rien de plus propre que leurs verres en forme de tasse, la neige entouroit toutes les sou-coupes. Leur boisson est aussi froide que leur coeur est chaud, & la plupart des femmes de ce païs là ne sçauroient vivre sans glace et sans amour. Ils craignent la sterilité de glace, comme nous craignons celle de vin & de bled. Tel moine qui resiste à l'austerité des jeûnes, des cilices et des haires, ne sçauroit supporter celle de boire chaud ; & on nous montra deux jeunes Cavaliers qui avoient quitté les Recolets de Burgos, parce que dans l'année de leur noviciat la glaciere avoit manqué. Les païsannes sont pour la pluspart plus belles, plus propres & mieux habillées qu'en France, leurs cheveux sont de deux façons, les unes ont deux ou trois cordons nattez & pendans sur les deux costez, & par derriere, les autres pliéz seulement en deux, plats & unis sans autre artifice. Telle villageoise estoit si ajustée, d'une taille si belle & si majestueuse, que si nous n'eussions veu que son corps & son visage, & qu'on nous eust caché ce qu'elle portoit sur sa teste, au lieu de deviner que c'estoit un panier, nous eussions juré que c'estoit une Couronne. Leur jupe de dessous est plus longue que celle de dessus, afin qu'on la voye, tant il est vrai que le noble orgueil de cette Nation s'étend mesme jusqu'aux plus basses conditions. Pour les dents, elles les ont fort belles, selon la coustume de tous les pays chauds. J'entens parmy les pauvres gens, car les femmes & les filles de qualité, mesme les Bourgeoises un peu coquettes, les ont un peu gâtées, à cause de leur fard. On diroit qu'elles ne sçavent pas que c'est un bijou qui se doit nettoyer, & je pense qu'elles s'imaginent qu'elles ne servent qu'à manger, & qu'elles ne sont pas faites pour être baisées, & pour être veuës. Je ne suis pas de leur avis, je ne suis jamais bien pris si je ne suis pris par les dents, & on ne me tient pas bien, si on ne me tient par là. Presque tous les yeux sont noirs, brillants, amoureux, & dés-là fort beaux. Les chemins y sont tous pavez où il faut, remplis de grosses fascines & de troncs d'arbres coupez dans les endroits perilleux. Les fontaines revétuës de pierre de taille & de mousse avec propreté, les ponts ont des gardes-fous où il est besoin qu'il y en ait. Enfin tout y fait son devoir, & cela me fait juger qu'une fille qui est passionnément aimée, aime aussi de la mesme sorte. Helas, Mademoiselle! ce n'est pas comme en France. Les lames d'épées sont toutes de la mesme longueur, & un Fourbisseur seroit puny s'il en avoit vendu une plus longue que l'autre. Cette Loy devroit estre partout, on ne devroit attaquer les gens qu'avec armes égales. Le jour que je fus vaincu, vos yeux... mais ne parlons plus de cela. Le commencement de la nuit me prit à une lieue de S. Sebastien. Quand je vis le Soleil couché, je consideray de plus prés les Pyrenées, les valons, les bois de haute fûtaye, les fleurs, les herbes de senteur, les jasmins communs, les genets d'Espagne doubles. Que tout cela m'eût semblé beau sans la réflexion que je faisois de temps en temps sur votre absence!

Le Jeudy vingt-septiéme May, jour de la Feste-Dieu, comme je n'estois revenu à Saint Sebastien que pour voir l'extraordinaire ceremonie du jour, je m'en allay droit à la Paroisse. Pour arriver jusqu'au pied de l'Autel, il y a quarante marches toutes couvertes de tapis de Turquie ou de Perse. Le Tabernacle est petit, & de bois doré seulement : mais derriere il y a cent degrez fort estendus en long qui s'elevent jusqu'à la voûte, chargez d'un million de cierges, qui comme autant d'estoiles éclairant & frapant ces degrez de bois tous couverts de talc d'auripeau & de chandeliers vermeil doré, font le plus magnifique & le plus éblouyssant éclat que les yeux puissent soustenir. Leurs cassolettes sont d'un parfum ce me semble au dessus des nostres, leur musique, leurs orgues, leurs luths, leurs clavessins, font de certains écos à voix perduës qui s'en vont dans les airs, assez agreables, mais qui pourtant ne vallent pas ce me semble ce que font nos Musiciens. Leur musique de ruelle vaut encore moins. Sur les dix heures le Roy d'Espagne arriva, on luy avoit dressé une maniere de tente quarrée soustenue sur quatre piliers, le tapis de pied, le dais, les rideaux, le fautueil, tout cela de drap d'or. Il n'y a point de prie-Dieu, & je n'en ay point veu en Espagne. L'Infante n'y vint point. Elle entend toûjours la Messe chez elle, aussi bien que la plus part des grandes Dames d'Espagne, qu'on ne void jamais sinon de loin aux balcons & à la promenade. On nous refusa mesme de voir dîner l'Infante. Les Grands d'Espagne estoient derrière le Pavillon du Roy ; & si-tost qu'il y fut entré seul (quoy que cela soit plus large & plus long que deux lits) on referma les rideaux, & on ne le vit plus. Eux au nombre de cinq se mirent sur un banc, y demeurerent assis, & se couvrirent aussi bien que le Roy à diverses reprises, pendant la moitié du temps que dura la Messe, c'est à dire toutes les fois que l'Evesque de Pampelune qui celebroit, mettoit sa Mître. Cét Evesque de Pampelune n'est de guere plus gros que feu Monsieur de Vaune, par le corps, mais par la teste, il l'est deux fois autant, & plus haut de demy-pied. On ne trouveroit pas son pareil en toute l'Espagne, aussi est-il de la Franche-Comté. Il ne se trouve presque pas un Espagnol naturel qui soit gros. Les Grands & autres Seigneurs d'Espagne causent à la Messe comme en France, mais un peu plus bas. Quelques-uns avoient des habits en broderie, mais fort au dessous de nos courtisans. Il est vray que quatre ou cinq avoient des cordons de chapeau de diamans de vingt-cinq et trente mille écus. Pour la mine, j'en vis deux qui l'avoient si bonne, que toute fiere que vous estes, c'est tout ce que vous pourriez faire que de garder vostre coeur devant eux. Presque tous les chapeaux de gens de qualité sont gris, quoy qu'ordinairement leurs habits soient noirs. Leurs rotondes & leurs manchettes sont de trois doigts de hauteur,& du prix environ de quinze souz ; le bas peuple porte du passement, mais dont nos laquais ne voudroient point. Leurs souliers sont pointus & sans talon, ils croyent estre assez relevez d'eux-mesmes sans emprunter leur grandeur d'un petit morceau de cuir. Apres que la Messe fut finie, le Roy d'Espagne sortit du Pavillon, & fut un quart-d'heure sans pouvoir sortir de l'Eglise, ny toute la Procession. La raison estoit, qu'il falloit attendre que les danseurs et les machines qui font une partie de cette Procession, fussent passées. Je pris ce temps pour m'en aller à un balcon de la maison où j'avois couché à vingt pas de l'Eglise. En y allant je m'arrestay vis-à-vis du balcon de l'Infante, qui ne devoit paroistre que pour salüer le Saint Sacrement & le Roy son pere quand il passeroit. Cependant voyant une douzaine de François assez bien faits, & quatre ou cinq Dames de la Cour de France avec des capelines de plumes, l'impatience la prit, & elle s'y vint montrer deux ou trois fois. Son balcon estoit de fer peint de bleu avec des roses blanches attachées par des rubans bleus sur toute la bordure d'appuy. Sous ses pieds elle avoit un tapis de velours plein cramoysi, & cinq ou six carreaux de drap d'or à l'entour d'elle. Elle estoit seule dans le balcon. Quand je fus arrivé au balcon que mon Hostesse me gardoit, je vis passer d'abord environ cent hommes habillez de blanc, dansans avec des épées & des sonnetes aux jambes, chaque bout d'épée dans la main gauche de son camarade. Elles sont épointées exprés pour ce sujet. Apres cela dansoient cinquante petits garçons avec des tambours de basque, & ceux-là & ceux-cy avec des masques de papier & de parchemin, ou de tavaïoles à clair-voye. En suite marchoient sept figures de trois Rois Maures, chacun sa femme derriere luy & un Saint Christophe, le tout de la hauteur de deux piques, de sorte qu'on voyoit des testes grosses comme un demy-muy qui alloient du pair avec les toits. Il sembloit que vingt hommes n'eussent pas pû porter la moins lourde. Cependant deux ou trois hommes cachez dedans les faisoient danser. Elles sont d'osier & de toile peinte, mais si estrangement, que cela donne d'abord de la frayeur. Dix ou douze petites & grosses machines suivoient, pleines de marionettes. Entr'autres je remarquay un dragon gros comme une petite baleine, sur le dos duquel sautoient deux hommes avec des postures & des contorsions si extravagantes, qu'ils sembloient estre possedez. Tous les porteurs de ces machines, & generalement tous les hommes d'Espagne qui passent vingt ans, soit Cordonniers, soit Cabaretiers, quoy qu'ils fassent, quittent rarement l'épée & le poignard qu'en se couchant. Les tapisseries y sont admirables, & à quatre rangs, c'est à dire les unes sur les autres jusqu'au dernier estage. La plus part des Seigneurs tendent des couvertures de mulet en broderie. Medina de las torres en a cent, dont la moindre vaut deux mille livres. Leurs Reposoirs sont si miserables, que le plus beau n'approche pas du plus mediocre de Paris. Leurs peintures ne sont que de la détrempe, & je n'y ay veu qu'un Saint Sebastien qui eût forme humaine. Les honnestes gens n'y ont point de plumes, ou ce sont quelques Flamans qui ont charge chez le Roy. Je pense que la raison est, que comme ils voyent que les plumes sont fort legeres, ils auroient peur que cela fist tort à leur gravité.

Pour revenir à l'ordre de la Procession, je pense que vous voyez bien qu'à ce qui estoit passé jusque-là, un Turc qui eût esté à mon balcon, n'eût pas pû juger si c'estoit une mascarade ou une ceremonie d'Eglise. Enfin l'Evesque parut avec le Saint Sacrement, quatre Seigneurs portoient le dais. Le Roy suivoit, & on ne pouvoit dire qui marchoit plus gravement : ou celuy qui portoit nostre Seigneur,ou Philippe quatriéme ; ceux qui disoient qu'il n'avoit point d'autre majesté que celle qu'il se donne avec sa lenteur, ses pas contez, & ses yeux immobiles, ont tort ; car il est de fort belle taille ; & quoy que son visage soit maigre & un peu maladif, qu'il n'aye que fort peu de cheveux, on remarque qu'il a été admirablement bien fait en sa jeunesse. Il ressemble plûtost à un Flamand qu'à un Espagnol, aussi le Roy son pere estoit petit-fils de l'Empereur Charles Quint natif de Gand. L'Infante ressemble à la Reine-Mere sa tante, elle a les yeux admirables, les lévres d'un rouge si beau, que ceux qui ne s'y connoîtroient pas, soupçonneroient qu 'il eust esté mis par ses propres mains, & non pas par les mains de la nature. Elles sont un peu relevées, c'est à dire belles à voir : mais bien meilleures encore à baiser, pour un Roy cela s'entend. Le teint d'un blanc à éblouyr, une douceur et un charme inexplicable dans la moindre de ses actions ; ce que j'en estime le plus, c'est une fleur de santé sans égale.

Sur les quatre heures apres midy Monsieur ... apporta une Lettre du Roy de France à l'Infante. Elle luy fit force complimens pour la Reine de France Mere du Roy, & comme Monsieur ... luy demanda une & deux fois si elle ne vouloit rien luy dire pour dire au Roy, elle luy dit. Hé, mon Dieu ! vous avez grand tort, ne vous ay-je pas dit trois fois que vous disiez à la Reine ma tante, que je meure d'envie de la voir, allez dites cela seulement. Toute la Cour trouva ce compliment-là si spirituel & si fin, qu'on eust pû soupçonner (quelque esprit qu'ait l'Infante),si le porteur eust esté Monsieur le Marechal de Clerambaut, qu'il luy auroit fait dire cela : mais pour Monsieur ... on le connoist, on sçait bien qu'il est trop homme d'honneur, & qu'il n'est point homme à l'avoir inventé.

Quand nous fusmes retournez à Saint Jean de Lus (ce qui fut à onze heures du soir) on nous dit que sur les neuf heures à la veuë de la Cour, trois fort bons nâgeurs s'estant fiez à la marée, s'estoient noyez ; cela fit pitié aux Dames qui se promenoient dans les carrosses sur le bord de la mer ; mais Madame du ...( vostre Maman vous dira sa devotion ) les fit rire, quand sur la fin de cette avanture, elle se mit à genoux sur le sable, faisant un ex voto à Saint Antoine de Padouë avec la mesme hardiesse, que si elle eust esté le mieux du monde avec luy.

Samedy vingt-neufiéme May, il ne se fit rien de remarquable. Il y eut Comedie Espagnole, à l'issuë je fis une chose dont je vous demande mille pardons. Je fus demy heure sans songer à vous ; Otheman joüa de la viole autant de temps. Mais ne vous en fâchez pas, l'Infante fut oubliée aussi bien que vous, & le Roy écoûta cét illustre aussi attentivement que moy.

Dimanche trentiéme May, le Roy d'Espagne quitta Saint Sebastien, & arriva à Fontarabie avec l'Infante.

Lundy trente-uniéme May, rien du tout.

Mardi premier Juin, Monsieur le Cardinal alla à la Conference; & là avec Dom Louys de Haro, le dernier article fut conclu & signé. Pendant la Conference, Monsieur le Cardinal donna la musique et la colation aux Espagnols. Les Espagnols de leur costé ont donné peu à manger à quelques Dames & Seigneurs François, & mesme ce peu là, rien qui vaille: mais pour ce qui est de boire, ils ont fait une profusion d'eaux de liqueurs, de Vins d'Espagne, parfumez et glacez comme si c'eut esté de l'eau commune. Ils n'ont point de violons, je croy ; & je n'ay rien veu que des manieres de harpes & des guitteres dont ils se servent mesme pour danser & pour les entre-actes.

Le Mercredy deuxiéme Juin, rien.

Le Jeudy troisiéme Juin, le mariage fut celebré par l'Evesque de Pampelune, toutes les relations vous en diront les circonstances. Peut-estre pourtant oublira-t'on celle-cy, c'est que Dom Louys de Haro (qui épousoit l'Infante pour le Roy de France) avançant sa main, elle avança aussi la sienne vers la main de Dom Louys de Haro : mais leurs deux mains ne se toucherent point, & tout d'un mesme mouvement, sans baisser la main ny le bras, elle mit sa main dans la main du Roy d'Espagne son pere effectivement, & leurs mains se toucherent. Cela fait, le Roy osta son chapeau à l'infante, & luy fit une reverence ; non plus comme à sa Fille, mais comme à la Reine de France. Le Roy d'Espagne ce jour-là, & tous les trois autres jours que je l'ay veu aux Conferences, m'a parü fort haut en couleur, m'ayant semblé fort pâle à Saint Sebastien à la Procession. Cela paroist estrange ; mais ne vous amusez pas aux gazettes. Tenez-vous à ce que je vous en dis, car je ne dis rien, ou presque rien que je n'aye veu. On vit dîner en suite l'Infante, ce qu'on n'avoit jamais fait encore. Ce que vous avez ouy dire que celuy qui épouse une Reine comme Procureur au lieu d'un Roy doit mettre & met effectivement une jambe dans le lit de la Reine, n'est peut-estre pas faux, & peut avoir esté en usage autrefois. Mais je vous assure que Dom Louys de Haro n'a rien fait d'approchant de cette ceremonie, & que ny dans Fontarabie ny dans Saint Jean de Lus, on n'a point oüy parler de cela.

Le soir je revins à Saint Jean de Lus, parce que je voulois estre au bal pour vous en rendre conte. Tout le bal se dansa sur le mesme échafaut qui sert à la Comedie Espagnole. Le Roy, les Seigneurs & les Dames de la Cour entrerent un quart d'heure apres par une porte de derriere le theatre. La Reine Mere & les Dames de la Cour qui ne vouloient point danser, entrerent par la grande porte, & se mirent sur un échafaut de deux pieds de haut au milieu de la grande sale. Voicy à peu prés le nom de ceux qui danserent : le Roy, Monsieur, Mademoiselle, Mademoiselle Chemeraut, Monsieur d'Armagnac, la Princesse de Bade, le Duc de Crequy, la Duchesse de Valentinois. Mademoiselle qui a beaucoup de grace à toutes choses, en a encore davantage en dansant. Elle est mesme encore plus belle quand elle est parée. Elle porte le deüil, & c'est la seule avec les deux Princesses ses soeurs, du second lit, qui ne l'ont point quitté. Elle avoit vingt rangs de perles en écharpe sous sa gorge, à sa teste, & à ses manchettes. Cela faisoit un petit deüil plus propre & plus cher que vous n'en porterez de vostre vie. Monsieur... prit Madame ... plût à Dieu fussiez-vous aussi prise de moy, qu'ils le sont l'un de l'autre. Monsieur le Comte de Soissons, Monsieur de Turenne, le duc de Boüillon, le Duc de Valentinois, quoy que jeunes, ne danserent ny monterent sur le theatre, soit qu'ils n'aiment pas la danse, soit que quelques-uns d'entre eux ne soient pas d'accord de leurs rangs. Il y avoit cinq ou six jeunes Seigneurs d'Espagne sur le theatre, entr'autres le fils du Duc de Medina, qui fut estimé aussi beau que les plus belles Dames de France. Il n'a pas plus de vingt ans, assez richement couvert : mais les cheveux gras & pendans, & la petite rotonde de quinze sols. Tout conte et tout rabatu (ne vous en rapportez pas à moy, je puis me tromper) ce fut la Duchesse de Valentinois qui ravit mes yeux ; car il est vray qu'elle n'estoit peut-estre pas si belle que Mademoiselle Meneville ; mais elle dansoit mieux. Elle dansoit peut-estre un peu moins bien que Mademoiselle de la Motte, mais elle me paroissoit plus belle, vous la verrez peut-estre quelque jour passer par vostre Ville, & vous remarquerez en elle je ne sçay quelle grace, & de certaines manieres si charmantes,que vous avouërez que ny homme ny femme ne les sçauroient regarder sans émotion. Les hommes qui danserent le mieux, selon mon sentiment (qui peut-estre n'est pas bon à suivre) furent Messieurs de Villequier, Saucour, Gonteri, &c... Je n'ose parler du Roy qui les passa, ce me semble, tous en bonne mine, & à bien danser : comme je suis peu flatteur, je soupçonne toutes les loüanges qui me viennent en l'esprit pour les Rois & pour vous. Mais en cette occasion je sçay bien que je ne cours aucun hazard, & que je dis la verité.

Le Vendredy quatriéme Juin, le Roy de France envoya son present à l'Infante. C'étoit une cassette de la grandeur de vostre petit trictrac, dans laquelle il y avoit pour je ne sçay combien de mille livres de pierreries. Monsieur le Duc de Crequy en estoit le porteur. L' Infante n'ouvrit point la cassette, la donna à sa Dame d'honneur, & en mit les deux clefs dans sa poche. Quand ce present n'eut valu que cent pistoles c'eust esté toûjours un present Royal. Mais il est bon qu'il ait esté Royal en deux façons.

A deux heures apres midy, la Reine de France arriva à l'Isle de la Conference avec Monsieur. Le Roy d'Espagne avec l'Infante de l'autre costé, y arriverent un peu apres dans un batteau, dont la magnificence passoit tous les batteaux qu'on a jamais veus. Le Roy d'Espagne pancha la teste vers les cheveux de la Reine Mere sa soeur, ce n'estoit pas une embrassade ; ce n'en estoit qu'une demie, mesme qu'un quart. Il ne la baisa point du tout, cela sembla estrange entre frere & soeur apres vingt-cinq ans d'absence : mais il ne faut pas s'en estonner, ce n'estoit point par froideur ny par deffaut d'amitié ; au contraire ils avoient tous deux les larmes aux yeux de la joye de se revoir, mais c'est que la coûtume d'Espagne porte cela. L'Infante se jetta aux pieds de la Reine sa Tante, qui la baisa & embrassa deux ou trois fois. Monsieur salüa l'Infante de plus de trois pas, & ne la baisa point durant toute la Conference, qui dura une heure & demie, pas un mesme des principaux Acteurs ne s'assit ny se couvrit, non pas mesme le Roy. Comme la Conference estoit sur le point de finir, on vit arriver le Roy de France, qui estoit venu au galop luy vingtiéme, il avoit osté son ordre, de peur d'estre connu du Roy d'Espagne. Il demeura à la porte de la Conference, & passant sa teste entre les épaules de Dom Louys de Haro & de Monsieur le Cardinal qui l'occupoient, il regarda l'Infante un bon quart d'heure. Il estoit un peu pâle durant tout le chemin qu'il fit dans la galerie, & quand il vid l'Infante, il acheva de le devenir. L'Infante qui au signe de l'oeil que luy fit Dom Louys de Haro, jetta la veuë sur le Roy de France, se doutant que c'estoit luy, devint presque de la mesme couleur de son costé. Comme il estoit-là incognito, le Roy d'Espagne ne le salüa point, & fit semblant qu'il le prenoit pour un Gentil-homme François. Les Grands d'Espagne passerent de leur galerie dans la galerie de France, & baiserent de bon coeur les filles de la Reine. Ils trouverent Mademoiselle de Meneville la plus belle, & ils trouverent bien. Apres l'entreveuë, je retournay coucher à Fontarabie. Le soir à Soleil couché nous allâmes mon amy & moy promener derriere la maison du Roy, aux fenestres de derriere de l'appartement de l'Infante parurent quelques Demoiselles qui faisoient & recevoient des signes de trois jeunes Gentils-hommes Espagnols, qui estoient au pied de la muraille. Ils tournerent des mouchoirs, ils jetterent des baisers & des oeillades avec la main, & firent des complimens dans lesquels il entra plus de six Soleils, vingt estoiles & trente roses. Mon amy croyant me faire plaisir, se moqua de cette façon de faire l'amour. Pour moy je n'en pus rire de bon coeur, car je suis en estat de faire l'amour un an durant de bien plus loin que cela.

Le Samedy cinquiéme Juin, j'allay pour voir l'Infante durant son dîné, on ne voulut pas nous le permettre. L'Exempt ne nous pouvant faire cette amitié, nous en fit une autre, il nous mena dans un cabinet du Roy d'Espagne. Je me dédis bien alors du jugement temeraire que j'avois fait de leurs peintures. J'y vis trente Tableaux admirables, entr'autres un homme à l'agonie. Sa femme avoit une tristesse peinte sur le visage, qui marquoit qu'elle n'enduroit que par l'esprit, le mourant témoignoit de la douleur en corps & en ame. Sur les yeux & sur le front de dix autres personnes la melancolie estoit si bien diversifiée, qu'on pouvoit distinguer une douleur de Cousin germain d'avec une autre d'un parent plus éloigné. Une nourrice au pied du lit tenoit un petit enfant, une pomme a la main, qui rioit ; ce qui relevoit merveilleusement les larmes des autres. On appercevoit mesme une maniere de douleur dissimulée sur le visage d'une servante qui se contraignoit derriere une porte à faire la triste, quoy qu'elle eût une secrete joye dans l'ame de ce qu'un Notaire lui faisoit signe qu'elle estoit sur le Testament. Comme je m'etonnay de ce qu'il y avoit de si bons Peintres en Espagne, il me dit que tout cela estoit de deux Italiens, Hannibal Carrache, & Raphaël d'Urbin, A deux heures nous pensions monter à cheval pour revenir à Saint Jean de Lus, on nous dit que Dom Louys de Haro n'avoit pas encore achevé de dîner, nous voulusmes voir cela. Veritablement si les reposoirs de la Ville de Saint Sebastien nous avoient parû des buffets de village, son buffet au contraire, nous parut un reposoir de Ville capitale. Il y avoit sans hyperbole, vingt-quatre bassins de vermeil doré, & autant de sou-coupes que de couverts, c'est à dire dix-huit, chacun sa saliere à la mode d'Espagne, qui commence à devenir la nostre.

Le Dimanche sixiéme Juin, fut l'entreveuë des deux Rois. Le Roy d'Espagne arriva une demy heure devant le Roy de France. Le Roy de France salüa le Roy d'Espagne & l'Infante, mais il ne la baisa point. Ce qui sembla étrange, veu qu'elle estoit déjà sa femme. Les Rois, apres quelques complimens, jurerent la Paix et la signerent, ils avoient chacun leur Livre d'Evangile, leur table, leur écritoire ; & ne se servirent pas même du mesme Crucifix, chacun eust le sien qu'il tenoit en main : le tout si égal qu'ils ne se pouvoient distinguer que par la difference des personnes. Monsieur le Cardinal faisoit la charge de Grand Aumosnier, c'est à dire tenoit le Livre des Evangiles au Roy de France ; Monsieur le Cardinal Antoine qui est Grand Aumosnier, n'estant pas en France. La Paix signée & jurée, Monsieur le Cardinal fit le signal pour tirer, c'estoit d'ouvrir la fenestre du Cabinet au bout de la Sale de la Conference. Monsieur de Maupeoux Major du Régiment des Gardes, fit faire la décharge, & recharger trois fois. La decharge des Espagnols répondit de l'autre costé de la riviere autant de fois, & fut meilleure ce me semble que la nostre ; quoy que leurs troupes fussent plus petites deux fois, & moins lestes quatre. Leurs Gardes du Corps & leurs Gardes Valons sont assez florissans, car ils sont deux cens, tous avec des habits & des manteaux de velours jaune, mais le reste me parut peu de chose. Leurs Gardes ordinaires sont si mal-faits, qu'il semble qu'on ait defendu sur peine de la vie à tous les hommes de bonne mine d'y entrer. Quelques-uns ont des plumes, mais tous en devroient avoir pour cacher leurs chapeaux, dont le meilleur ne pourroit servir en France qu'à faire un épouvantail de cheneviere. Toute la Cavalerie Espagnole est infiniment meilleure que la nôtre, j'entens pour les chevaux : car pour les Cavaliers, ce ne sont que des Officiers cassez & reformez, qui sont assez mal en ordre. Deux ou trois chevaux Espagnols ont esté vendus à des François quatre mille francs piece. Le Duc de Ver....nous fit entrer dans une maison sur le bord de la riviere, & nous fit voir la Sommellerie sous ombre que nous devions avoir soif. I1 y eût en son fait plus de vanité, que de charité, & il avoit plus d'envie de nous montrer sa richesse, que nous n'en avions de boire. La moindre de ses boissons passoit l'ambrosie, & son argenterie égaloit celle de Dom Louys de Haro.

Le Lundy septiéme Juin, toute la Cour de France alla querir l'Infante à la Conference. Le Roy d'Espagne s'y rendit avec elle. Apres deux heures de conversation, il fallut se dire adieu. L'Infante se jetta trois fois aux pieds de son pere avec des larmes & des soûpirs, qui sembloient estre prests à luy oster la vie. Son pere ne pleura point ; mais en récompense il pleura dans l'Eglise de Fontarabie, quand le mariage se fit & l'Infante point. Pour ce qui est du jour que le Roy d'Espagne sortit de Madrid avec l'Infante, Monsieur...dit que le Roy d'Espagne, l'Infante, les peuples, pauvres & riches pleuroient dans les chemins avec tant d'emportement, que luy-mesme (quoy qu'il soit François, quoy qu'il vint en France avec l'Infante) se mit à pleurer avec les autres. Le Roy de France s'excusant au Roy d'Espagne de la peine que ce mariage luy avoit donné en le faisant venir de Madrid, le Roy d'Espagne répondit ; Je serois venu à pied ; s'il eust esté necessaire. Monsieur le Cardinal donna aux Espagnols quantité de bagatelles magnifiques ; le mot de magnifique corrige ( comme vous sçavez il y a long-temps ) celuy de bagatelle, je m'en rapporte à Balsac. Entr'autres il dit au Comte...vostre épée est d'argent & bien cizelée, mais je veux vous en donner une plus belle. Le Comte s'approcha de la fenestre sans rien répondre, & jetta son épée dans la riviere. Un Garde Espagnol courant pour la pescher, un Garde François luy tendit le pied, le fit tomber, se jetta dans la riviere devant luy, & l'eût. On trouva cela fort galand au Comte de ...& ma foy, quoy qu'en quelques choses ils soient au dessous de nous, il y en a d'autres dans lesquelles ils nous passent. Je vous l'ay déja dit, & je vous le repete encore. Par exemple, le Duc de ... a dix carosses qui le suivent, & qui ne servent qu'à mener quatre vingt ou cent valets de livrée. I1 a aimé une femme qu'il a quittée depuis peu, il luy envoya ce billet doux.

J'estime tant mon coeur, que j'avouë que je ne sçaurois vous payer de sa perte ; pour vous en consoler voilà un contract de vente que je vous fais de ma terre de Sarrana, vous sçavez qu'elle vaut cinq mille livres de rente.

Elle luy renvoya son billet & son contract coupez en deux ; & cette réponse. J'estime vostre coeur encore plus que vous ne l'estimez ; car non seulement j'avouë qu'on ne sçauroit me payer de sa perte ; mais je vous feray voir tout le reste de ma vie qu'on ne m'en sçauroit consoler.

On croit que cette generosité le fera revenir, & on juge de ce qu'il fera, par ce qu'il a fait autrefois. A l'âge de vingt-cinq ans il aimoit une Courtisane, il eut quelque soupçon apres en avoir jouy deux ans, qu'elle eust de l'amour pour un Gentil-homme de Madrid, il luy dit un matin : vous sçavez la maison où je vous pris dans Seville, vous pouvez vous y en retourner dans une heure, je vous envoyeray dequoy vous y conduire. Il luy envoya huit cens pistoles, elle dit au Gentil-homme qui les luy apporta : dites au Duc...que j'ay aimé son merite, & non pas sa richesse ; que je ferois conscience de luy causer de la dépense, puisque je ne luy donneray jamais de plaisir. Il ne coûte que sept écus par le coche, je les prens, & je luy renvoye le reste. Voila les clefs de mes deux cabinets, il y trouvera les pierreries & les bijoux qu'il m'a donnez, & tous mes habits ; hors celuy que je porte. Je le luy aurois laissé aussi bien que les autres, si ce n'est qu'il n'est pas bien seant à une femme qui a esté aimée d'un si grand Seigneur, de sortir de chez luy toute nuë. Quand le Duc eust entendu sa réponse, il luy fit apporter vingt mille livres, s'en alla dans sa chambre, luy promit de ne soupçonner jamais sa fidelité, & apres avoir esté amoureux d'elle six ans de suite, l'a richememet mariée l'année du Jubilé. La Cour de France auroit de la peine à fournir un Amant plus honneste homme, & le Marais une Courtisane plus genereuse; & si l'on en vouloit trouver, je pense qu'il seroit bon de les chercher au Palais, dans la Boutique d'Augustin Courbé, ou d'Antoine de Sommaville. Le premier soupé qu'il donna à la premiere femme qu'il ait aimée, fut servy dans des plats de fayance, les tasses, les sou-coupes, les salieres, les assiettes estoient de cristal de Venise. A chaque service on les jettoit par la fenêtre. Il y entre en cela plus d'extravagance que de galanterie, j'en demeure d'accord, mais la jeunesse & l'amour sont deux belles excuses. Plût à Dieu estre en estat de m'en servir à aussi bonnes enseignes & à aussi bon titre que vous, je ferois bien plus des miennes que vous ne faites des vostres. Ordinairement pourtant la pluspart des Espagnols sont chiches, j'en ay veu quatre ou cinq s'arracher les cheveux dix fois en une heure, sans rompre une seule carte, parce qu'il coûte de l'argent pour en avoir d'autres ; & que les cheveux reviennent sans qu'il en coûte rien. Et vous remarquerez que parmy le menu peuple, ce n'est pas celuy qui gagne, c'est celuy qui jette les dez & les cartes qui les paye. Tout cela n'est pas trop à propos, sert peu au recit du mariage, n'a ny suite ny grace. Mais pourveu que je vous divertisse, que m'importe?

L'Isle de la Conference s'appelle l'Isle des Faisans, la riviere qui l'environne Bidassoa : mais je voy bien que c'est une Isle & une Riviere, qui cette année ont fait fortune. Elles vont prendre sans doute le titre d'Isle & de riviere de la Paix, ou quelqu'autre plus auguste ; l'Isle de l'union, la riviere des Rois. I1 me semble que je voy une Nanon ou une Catos à qui il est arrivé quelque heureuse avanture, & qui se fait appeller Madame gros comme le bras. Un peu devant que la Conference finist, je m'en revins au galop à Saint Jean de Lus, afin de prendre une place que Monsieur...me faisoit garder chez Monsieur...pour voir l'Entrée. La gazette vous en dira la magnificence. Presque tous les chevaux avoient des plumes et des aigrettes, les hommes, les chapeaux, les couvertures, les housses, les habits estoient si couverts de broderie, de plumes, & de galands, de harnois dorez, que cela sentoit le grand Cyrus à pleine bouche. Le carosse de la Reine parût apres cela ; dedans il y avoit, elle, le Roy, la Reine Mere, Monsieur, Mademoiselle, Mademoiselle de Valois, Mademoiselle d'Alençon, & une autre que je ne pus voir, quoy qu'il fist aussi clair qu'en plein jour. Ce carosse estoit relevé, quoy que la broderie ne se relève plus guere en France. Depuis quinze jours elle ne fait que se rabaisser, force gens de neant en portent. Dessus l'Imperiale, dedans, dehors, aux mantelets, aux rideaux, aux portieres, je dis dessus & dessous, on n'en sçauroit voir l'estofe. Avec tout cela il n'a cousté que soixante et quinze mille livres. Monsieur le Cardinal, quand on luy dit qu'il y avoit parmy les gens de la Cour pour deux millions de broderie, dit spirituellement.(Il dit tout comme cela) ce n'est qu'un million pour les Courtisans, & un Million pour les marchands. Voulant dire que tout cela avoit esté emprunté par des gens, dont la moitié se trouveroient insolvables. En effet beaucoup de Gentils-hommes mal logez se plaignent d'estre incommodez à S. Jean de Lus, qui le seront bien davantage quand ils seront de retour à Paris ; & je croy vous avoir déja mandé que tel s'est montré si mauvais ménager que de deux moulins il n'a fait qu'un habit.

Le Mardy huitiéme Juin, le Roy, la Reine-Mere, Monsieur & Mademoiselle allerent à la Messe aux Recolets. Le soir Monsieur le Cardinal receut nouvelle que le Roy d'Angleterre s'estoit embarqué à Flessingue (à une autre petite fille qui ne seroit pas vous, il faudroit luy enseigner que c'est un port de Hollande) & qu'on avoit pris un traître qui alloit mettre le feu aux poudres par une méche & une traînée pour perdre le Roy d'Angleterre & qui tenoit un esquif prest pour se sauver. Dans la Lettre où est cette nouvelle, il y a un ruban grisdelin avec ces chiffres. C.2.R.D.C. Cela veut dire, Charles second Roy des coeurs. Je ne sçay pas trop bien faire un coeur, vous le voyez : mais je sçay bien le donner ; plût à Dieu que je sçeusse aussi bien le prendre. I1 faut dans Londres avoir ce ruban à son chapeau, comme il y falloit avoir de la paille durant la seconde guerre de Paris, autrement on seroit assassiné. Excusez si la comparaison cloche.

Monsieur le Cardinal a promis à Monsieur .... d'achever ses affaires aussi-tost que la Cour sera à Fontaine-bleau. J'espere que la fortune en usera encore avec luy, comme elle fit lors qu'il fut nommé Evesque c'est à dire qu'elle s'accommodera à son humeur. Il estoit trop impatient pour l'attendre, elle vint au devant de luy. I1 luy a grande obligation, ce n'est guere sa coustume ; & j'en connois d'aussi grands Seigneurs que luy, qu'elle fait bien attendre. Pour moy, quoy qu'elle m'ait d'abord osté toute espérance,je ne me plains pas trop d'elle. I1 y en a de beaucoup plus mal-heureux, ce sont ceux à qui elle ne l'oste jamais : c'est à dire qu'elle laisse esperer jusqu'à la mort : c'est une pauvre vie.

Le Mercredy neufiéme Juin, on fit le mariage du Roy & de la Reine en propre personne. Il y avoit des balustres dressez avec des piliers de bois & des planches jointes ensemble au lieu de pavé, depuis le logis de la Reine-Mere, ou l'Infante avoit couché les deux nuits passées, jusqu'à la porte de la Parroisse de Saint Jean de Lus, où toute la ceremonie alla à pied. Estant arrivez dans l'Eglise, la Reine & le Roy de France n'eurent qu'un même theatre & qu'un mesme carreau, qui estoit fort grand. La Reine-Mere en eût un à elle seule. Le reste de la ceremonie sera dans la gazette.

J'ay oublié de vous dire que la Reine avoit durant toute la marche, & toute la ceremonie une Couronne d'or sur sa teste. Madame de Noüaille, sa Dame d'atour, la lui soûtenoit par derriere, de peur que la pesanteur ne lui fist mal. Personne n'alla à l'offrande que le Roy & la Reine. Le Roy n'avoit qu'un habit de drap d'or, tout couvert de dentelles noires. Presque tous les Grands Seigneurs en avoient un pareil ; de sorte qu'il n'estoit distingué des autres que par sa bonne mine. Le Roy ne voulut ny Comedie ny bal, & se coucha dans le lit de la Reine, qui s'estoit couchée un peu auparavant dans une chambre qui estoit joignant la sienne. Il a commandé à Monsieur....de le loger toûjours en mesme logis avec la Reine, quelque petit que le logis puisse estre, fut-ce dans un village. Voilà tout.

Le Jeudy dixiéme Juin, le Roy alla à la Messe avec la Reine & la Reine-Mere, & toute la Cour, aux Recolets ; mais le Roy dîna seul dans sa maison, & la Reine seule dans une autre chambre. La Cour part Lundy prochain pour Paris.

Ce seroit à vous une espece d'ingratitude & de lâcheté, si vous laissiez copier la moindre page de ces sottises-là. Tout ce que j'ay ecrit, n'est qu'à dessein de vous plaire : mais souvent on n'est que ridicule en beaucoup d'endroits où on essaye d'estre agreable. Songez que tout le monde n'aura pas la mesme bonté que vous. I1 vous sera facile de m'excuser, car on fait aisément credit d'esprit à un homme dont on tient le coeur. Si Monsieur le President .... le veut lire, tres-volontiers : mais soyez-y presente, autrement point. Adieu, Mademoiselle, peu de gens feront pour vous ce que je viens de faire, & si vous en perdez la memoire, je ne sçay quel jugement on fera de vous.


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