[Henri IV, roi de France] : Lettres d'Henry IV à Corysande : 1585-1597. - Paris : Maximilien Vox, 1945. - 56 p. ; 17 cm. - (Brins de plume ; 9).
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Lettres
d’
HENRY IV
à
CORYSANDE
(1585-1597)

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Lettres d'Henry IV à Corysande : 1585-1597

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                                7 décembre 1585

IL n’est rien de si vray qu’ils m’apprestent tout ce qu’ils peuvent. Ils pensoient que j’allasse de Grenade vous voir ; il y avoit au moulin de Montgaillart cinquante arquebusiers qui prirent mon laquais et le retinrent jusques à ce qu’ils eussent sceu que j’estois party de Grenade pour venir icy. Ne craignés rien, mon ame. Quand ceste armée qui est à Nogaro m’aura monstré son dessein, je vous iray voir et passeray sur les ailes d’Amour, hors de la cognoissance de ces miserables terriens, aprés avoir pourveu, avec l’aide de Dieu, à ce que ce vieux renard n’execute son dessein.

Il est venu un homme, de la part de la Dame aux chameaux, me demander passe-port pour passer cinq cens tonneaux de vin, sans payer taxe, pour sa bouche ; et ainsy est escript en une patente. C’est se desclarer ivroignesse en parchemin. De peur qu’elle ne tombast de si hault que le dos de ses bestes, je le luy ay refusé. C’est estre gargouille à toute oultrance ; la Royne de Tarvasset n’en fit jamais tant. Si je me croyois, toute ceste feuille seroit remplye de bons contes ; mais la crainte que j’ay que ceulx de Saint-Sever y participassent me fait finir, en vous suppliant croire que je vous seray fidele jusques au tombeau.

Sur ceste verité, ma chere maistresse, je vous baise un million de fois les mains. Ce 7e, à dix heures du soir.

                                9 décembre 1585

Mon ame, ce lacquais qui me revint hyer fut prins prés Montgaillard. Mené à M. de Pouyanne, qui luy demanda s’il n’avoit point de lettre, il luy dit que ouy : une que vous m’escriviés. Il la print et l’ouvrit, et la luy rendit après. Le sieur du Plessis est arrivé et le reste de ma troupe, de Nerac. Je vous iray voir de façon que je ne craindray la garnison de Saint Sever. Il y a encore un homme qui vient de l’armée estrangere à Casteljalous, qui arrivera ce matin. Je vous porteray toutes nouvelles, et le pouvoir de faire vuider les forts.

Dimanche il se fit prés Moneurt une jolie charge qui est certes digne d’être sceuë. Le gouverneur, avec trois cuiraces et dix harquebusiers à cheval, rencontra le lieutenant de la Brunetiere, gouverneur du Mas d’Agenois, qui en avoit douze et aultant d’arquebusiers tous à cheval. Le nostre, se voyant foible et comme perdu, dict à ses compagnons : « Il les fault tuer ou perir ». Il les charge de façon qu’il tue le chef et deux gendarmes et en prend deux prisonniers, les met à vauderoute, gagne cinq grands chevaulx et tous ceulx des arquebusiers et n’eut qu’un blessé des siens. Je fais anuit force depesches. Demain à midy elles partiront, et moy aussy pour vous aller manger les mains. Bonjour, mon souverain bien. Aimés Petiot. 9e décembre.

Faites tenir, s’il vous plaist, la lettre à Tach. Je luy mande de se treuver chez vous ; j’ai affaire à luy.

Il ne se parle point du mareschal.

                                25 mai 1586

La maladie commence tellement à prendre parmy nos troupes, qu’elle nous fera plus tost quicter la campaigne que les ennemiz. Je suis sur le poinct de vous recouvrer un cheval qui va l’entrepas, le plus beau que vous vistes jamais et le meilleur, force panache d’esgrette. Bonyere est allé à Poictiers pour acheter des cordes de luc pour vous. Il sera à ce soir de retour. J’eus hier des nouvelles de la Court ; M. de Guise y est encore. Le prince de Parme ayant assiegé une ville, il a esté contrainct par les Anglois de la quicter. Le combat a esté grand. Il est mort deux mille cinq cens hommes : quinze cens Espagnols naturels, d’où il y a vingt et deux capitaines ; le reste, des Anglois.

Je ne me porte gueres bien et crains fort de tomber malade. Le mareschal de Biron fait ce qu’il peut pour assembler des forces. Il ne nous fera quicter la campagne, s’il ne luy en vient de France ou Gascogne. Mon cœur, souvenés-vous toujours de Petiot. Certes, sa fidélité est un miracle. Il vous souhaite mille fois le jour dans ces allées de Lyranuse ; vous pouvés penser s’il ne vous y baille pas Rosambeau pour vous guarder d’ennuyer. Certes, il faudroit que le lieu fust bien sauvage, où vous vous ennuyeriés ensemble. Ceulx que nous cherchions hier s’en sont allez ; ils se sont encore eschapez.

A Dieu, mon cœur, je te baise un million de fois les mains. Aymés-moy plus que vous-mesmes. Ce XXVe, de Lusignan.

                                17 juin 1586

Il vient d’arriver un de vos laquais qui a esté prisonnier dix jours au Brouage. L’on luy a retenu vostre lettre et de ma sœur. Toutes fois craignant la façon dont Saint Luc s’est asseuré que je m’en ressentirois, il me les renvoye par un des siens qui ne doibt arriver que ce soir. Le vaisseau où estoit venu ce porteur part dans une heure, qui me le faict renvoyer, ayant retenu Esprit pour des raisons dont vous oyrés bientost parler.

J’eus hier des nouvelles d’Allemagne ; notre armée sera, le dernier jour de juillet à l’ancien calcul, à la place montre qui est en France. La charge de cheval de blé, en Champagne et en Bourgogne, vault cinquante livres ; à Paris, trente. C’est pitié de voir comme le peuple meurt de faim. Si avés besoing d’un cheval de coche, il y en a un dans ma troupe tout comme les vostres, fort beau.

J’arrivis arsoir de Maran, où j’etois allé pour pourvoir à la garde d’iceluy. Ha ! que je vous y souhaitay ! C’est le lieu le plus selon vostre humeur que j’aye jamais veu. Pour ce seul respect suis-je aprés à l’eschanger. C’est une isle renfermée de marais boscajeux où, de cent en cent pas, il y a des canaulx pour aller chercher le bois par bateau. L’eau claire, peu courante ; les canaulx, de toutes largeurs ; les bateaux, de toutes grandeurs. Parmi ces deserts mille jardins où l’on ne va que par bateau. L’isle a deux lieues de tour, ainsin environnée ; passe une riviere par le pied du chasteau, au milieu du bourg qui est aussi logeable que Pau. Peu de maisons qui n’entre de sa porte dans son petit bateau. Ceste riviere s’estend en deux bras, qui portent non seulement grands bateaux, mais les navires de cinquante tonneaux y viennent. Il n’y a que deux lieuës jusques à la mer. Certes, c’est un canal, non une riviere. Contremont vont les grands bateaux jusques à Niort, où il y a douze lieues ; infinis moulins et mestairies insulées ; tant de sortes d’oiseaux qui chantent, de toute sorte de ceulx de mer. Je vous en envoye des plumes. De poisson, c’est une monstruosité que la quantité, la grandeur et le prix ; une grande carpe trois sols, et cinq un brochet. C’est un lieu de grand trafic et tout par bateaux. La terre très pleine de bleds et très beaux. L’on y peut estre plaisamment en paix et seurement en guerre. L’on s’y peut resjouir avec ce que l’on aime et plaindre une absence. Ha ! qu’il y faict bon chanter !

Je pars jeudy pour aller à Pons, où je seray plus prés de vous, mais je n’y ferai gueres de sejour. Je crois que mes aultres laquais sont morts, il n’en est revenu nul.

Mon ame, tenez-moy en vostre bonne grace ; croyés ma fidelité estre blanche et hors de tache : il n’en fut jamais sa pareille. Si cela vous aporte du contentement, vivés heureuse. Vostre esclave vous adore violamment. Je te baise, mon cœur, un million de fois les mains. Ce xvij juin.

                                25 juin 1586

Je m’estois acheminé dans ce lieu de Montguyon, pensant faire quelque bel effect sur nos ennemys. Il a faict un temps si enragé qu’il a rompu tous nos desseins. Je m’en retourne annuict coucher à Barbesieux et demain à Pons.

Que vous me faites plaisir d’aller à Pau ! Ha ! ma chere maistresse, combien achepterois-je m’y pouvoir trouver ! Un tel contentement est hors de prix. Je vous envoye les copies des lettres que la Royne d’Angleterre escrivit au Roy et Royne sa mere, sur la paix de la Ligue. Vous y verrés un brave langage et un plaisant style.

Mon cœur, je ne la puis faire plus longue, parce que je vais monter à cheval. Bonjour, ma vie. Je te baise un million de fois les mains. Ce xxve juin, de Montguyon.

                                22 mars 1587

Plus je voys en avant, et plus il semble que vous taschiés à me faire paroistre combien peu je suis non seulement en vostre bonne grace, mais encores en vostre mémoire. Par ce laquais vous avés escript à vostre fils et non à moy. Si je ne m’en suis rendu digne, j’y ay faict tout ce que j’ay peu.

Les  ennemis ont prins l’isle de Marans devant mon arrivée ; de façon que je n’ay peu secourir le chasteau, ce que j’y amenois de Gascogne n’estant arrivé. Vous oirrés dire bientost que je l’auray reprins, s’il plaist à Dieu.

Croyés que vous n’aurés jamais un plus fidele serviteur que vostre esclave qui vous baise un million de fois les mains. Ce 12e mars.

                                8 décembre 1587

Monglas vient d’arriver. Il me haste plus que les autres, et avec des raisons qui sont fort à craindre et qui ne se doibvent escrire. Il vous seront dites. Il n’y a eu nul combat depuis celuy d’auprés Montargis. Le duc du Mayne s’est retiré à son gouvernement, et monsr d’Aumale chez luy. Paris n’a voulu recevoir les Souisses du Roy, n’y monsr de Guise aussy, qui s’est presanté au fauxbourg.

J’ay l’ame fort traversée et non sans cause. Reguardés si la rençon de Navailles pourroit estre moderée par vostre faveur. Je vous supplie, employés-vous-y, pour l’amour de Rack et de moy. Ce porteur passe par St Sever, et y repassera au retour. Tenez-moy en vostre bonne grace comme celuy qui vous sera fidele esclave jusqu’au tombeau.

Du Mont, ce viije décembre.

J’ay deux petits sangliers privés et deux faons de biche. Mandés-moy si les voulés.

                                14 janvier 1588

Il ne se saulve point de lacquais, ou pour le moins fort peu, qu’ils ne soient desvalisez ou les lettres ouvertes. Il est arrivé sept ou huict gentils-hommes de ceulx qui estoient à l’armée estrangere qui asseurent (comme est vray, car l’un est M. de Monlouet, frère des Rambouillets, qui estoit un des desputez pour traicter) qu’il n’y a pas dix gentils-hommes qui ayent promis de ne porter les armes. M. de Bouillon n’a point promis. Bref, il ne s’est rien perdu qui ne se recouvre pour de l’argent.

M. du Mayne a faict un acte de quoy il ne sera guere loué. Il a tué Sacremore luy demandant récompense de ses services à coups de poignard. L’on me mande que, ne le voulant contenter, il craignit qu’estant mal-content il ne descouvrist ses segrets, qu’il savoit tous, mesmes l’entreprise contre la personne du Roy, dequoi il estoit chef de l’exécution. Dieu les veult vaincre par eux-mesmes, car c’estoit le plus utile serviteur qu’ils eussent. Il fut enterré qu’il n’estoit pas encore mort.

Sur ce mot vient d’arriver Morlans et un laquais de mon cousin, qui ont esté desvalisez de lettres et d’habillement. M. de Turenne sera icy demain. Il a prins autour de Figeac dix-huict forts en trois jours. Je feray peut-estre quelque chose de meilleur bientost s’il plaist à Dieu. Le bruit de ma mort allant à Hajetmau a couru à Paris, et quelques prescheurs, en leurs sermons, la mettoient pour un des bons-heurs que Dieu leur avoit envoyés.

A Dieu, mon ame, je vous baise un million de fois les mains. De Montaulban, ce xive janvier.

                                22 janvier 1588

Depuis que le lacquais de ma sœur partit hyer, il m’est venu advis de l’extremité en laquelle est une ville du hault Languedoc nommée Burgueroles, qui est assiegée par le grand-prieur de Thoulouse, qui est frere du feu duc de Joyeuse.

Les eglises de M. de Montmorency m’ont fort pressé de leur assister de mes troupes, et, pour m’y convier, m’ont asseuré que l’ennemy est resolu de donner plustost une bataille que quitter le siege. Mon debvoir et ce mot de bataille m’ont faict promptement resoudre à y aller.

Je pars demain avec trois cens chevaulx et deux mille harquebusiers pour y aller en diligence, faisant suivre le reste des troupes aprés. Me joignant aux troupes qu’a là M. de Montmorency, nous serons six ou sept cents chevaulx et cinq mille hommes de pied. Les ennemys sont mesme nombre. Dieu nous aidera en l’endroict du cadet comme il a faict de l’aisné. Je n’oublieray, par mesme commodité, de parler au comte de Quermaing. Envoyés-moi Licerace.

Je vous manderay par luy les extresmes peines où je suis ; je ne sçay comme je les puis supporter. Croyés que vostre esclave vous sera fidele jusques au tombeau. A Dieu, mon ame. Je vous baise un million de fois les mains. C’est le xxije janvier.

                                20 février 1588

Dieu a beny mon labeur ; j’ay prins Damasan sans perdre qu’un homme. Je monte à cheval pour aller recognoistre le mas d’Agenés ; je ne sais si je l’attaqueray. Mon cousin prend le temps cependant d’aller à Navarrens. Reguardés où il vous semble que le deviés voir, ou avec ma sœur ou chez vous, car il fait estat d’y passer et de vous voir. Mon opinion est que ce doit estre avec ma sœur. Il ira demain, qui est dimanche, coucher à Hagemau.

Briquesyeres vous aura dict le desir que j’ay d’estre en vostre bonne grace ; je continueray toute ma vie en ce desir. Sur cette verité, je baise, ma chere maistresse, un million de fois vos blanches mains. De Casteljalous, ce xxe.

                                23 février 1588

Vous ne trouvés point les chemins dangereus pour faire plaisir au moindre de vos amis ; mais s’il me fault escrire pour me donner du contentement, les chemins sont trop dangereux. Voilà les tesmoignages que j’ay de la part que je possede en vostre bonne grace.

J’escris la lettre à Meritein que demandés et vous l’envoye toute ouverte. Je crois qu’il se mescontentera, mais j’aime mieux vostre bonne grace que la sienne. J’avois bloqué le mas d’Agenés, mais je n’y avois mené l’artillerie, craignant que l’armée du mareschal ne me la fist lever de devant en diligence, le grand-prieur de Toulouse estant joinct avec l’armée de Languedoc à luy. Je vais monter à cheval avec trois cents chevaulx et donneray jusques à la teste de leur armée. Ce sera grand cas si je n’en fais quelque chose.

Je finis, croyant certainement que ne me voulés poinct de bien. Il est en vous de m’en donner telle impression qu’il vous plaira. Je vous baise un million de fois les mains. Ce xxiije febvrier.

                                Ier mars 1588

J’ai receu une lettre de vous, ma maistresse, par laquelle vous me mandés que ne me voulés mal, mais que vous ne vous pouvés asseurer en chose si mobile que moy. Ce m’a esté un extresme plaisir de sçavoir le premier ; et vous avés grand tort de demeurer au doubte qu’estes. Quelle action des miennes avés-vous cognu muable ? Je dis pour vostre reguard. Vostre soupson tournoit, et vous pensiés que ce fust moy. J’ay demeuré toujours fixe en l’amour et service que je vous ay voué ; Dieu m’en est tesmoing.

Vous avés opinion que l’homme de delà est piqué ; aussi est-il, mais c’est de force. Il fait gloire d’avoir atteint la perfection de dissimuler ; je luy rabats ceste opinion tant que je puis. Il ne le fault estre qu’en affaires d’Estat, encores la faut-il bien accompagner de prudence.

Hier, le mareschal et le grand-prieur vinrent nous présenter la bataille, sachant bien que j’avois congédié toutes mes troupes ; ce fut au haut des vignes, du costé d’Agen. Ils estoient cinq cens chevaulx et prés de trois mille hommes de pied. Après avoir esté cinq heures à mettre leur ordre, qui fut assés confus, ils partirent, resolus de nous jeter dans les fossés de la ville ; ce qu’ils devoient veritablement faire, car toute leur infanterie vint au combat. Nous les receumes à la muraille de ma vigne, qui est la plus loin, et nous retirames au pas tousjours escarmouchant, jusqu’à cinq cens pas de la ville où estoit nostre gros qui pouvoit estre de trois cens arquebusiers. L’on les ramena de là jusques où ils nous avoient assaillis.

C’est la plus furieuse escarmouche que j’aye jamais veue, et du moindre effect : car il n’y a eu que trois soldats blessez tous de ma garde, dont les deux n’est rien. Il y demeura deux des leurs, dont nous eusmes la despouille, et d’aultres qu’ils retirerent à nostre veue, et force blessez que nous voyons amener.

Mon ame, tenés-moy en vostre bonne grace, c’est ce que je desire le plus au monde. Sur ceste verité, je vous baise un million de fois les mains. Ce premier mars.

                                8 mars 1588

Dieu sait quel regret ce m’est de partir d’icy sans vous aller baiser les mains ! Certes, mon cœur, j’en suis au grabat. Vous trouverés estrange (et dirés que je ne me suis point trompé) ce que Licerace vous dira.

Le Diable est deschainé. Je suis à plaindre et est merveilles que je ne succombe sous le faix. Si je n’estois huguenot, je me ferois Turc. Ha ! Les violentes espreuves par où l’on sonde ma cervelle ! Je ne puis faillir d’estre bien tost ou fou ou habile homme. Ceste année sera ma pierre de touche.

C’est un mal bien douloureux que le domestique ! Toutes les gehennes que peut recevoir un esprit sont sans cesse exercées sur le mien. Je dis toutes ensemble. Plaignés-moy, mon ame, et n’y portés point vostre espece de torment. C’est celuy que j’apprehende le plus.

Je pars vendredy, et voys à Cleirac. Je retiendray vostre precepte de me taire. Croyés que rien qu’un manquement d’amitié ne me peut faire changer la resolution que j’ay d’estre éternellement à vous ; non tousjours esclave, mais oui bien fort serf. Mon tout, aimés-moy. Vostre bonne grace est l’appuy de mon esprit au choc des afflictions. Ne me refusés ce soustien.

Bon soir, mon ame ; je te baise les pieds un million de fois. De Nerac, ce viije mars, à minuict.

                                10 mars 1588

Pour achever de me peindre, il m’est arrivé l’un des plus extremes malheurs que je pouvois craindre, qui est la mort subite de monsieur le Prince. Je le plains comme ce qu’il me devoit estre, non comme ce qu’il m’estoit. Je suis asteure la seule bute où visent toutes les perfidies de la messe. Ils l’ont empoisonné, les traîtres ! Si est-ce que Dieu demeurera le maistre, et moy, par sa grace, l’executeur.

Ce pauvre prince (non de cœur) jeudy, ayant couru la bague, soupa se portant bien. A minuict luy print un vomissement trés violent, qui luy dura jusques au matin. Tout le vendredy il demeura au lict. Le soir il soupa et, ayant bien dormi, il se leva le samedy matin, dina debout, et puis joua aux echecs. Il se leva de sa chaise, se met à promener par sa chambre, devisant avec l’un et l’autre. Tout d’un coup il dit : « Baillés-moy ma chaize, je me sens une grande foiblesse. » Il n’y fut assis qu’il perdit la parole, et soudain aprés il rendit l’ame, assis. Les merques de poison sortirent soudain.

Il n’est pas croyable l’estonnement que cela a porté en ce pays-là. Je pars dés l’aulbe du jour pour y aller pourveoir en diligence. Je me vois en chemin d’avoir bien de la peine.

Priés Dieu hardiment pour moy. Si j’en eschape, il faudra bien que ce soit luy qui m’ayt gardé. Jusques au tombeau, dont je suis peut-estre plus prés que je ne pense, je vous demeureray fidele esclave. Bon soir, mon ame ; je vous baise un million de fois les mains.

                                13 mars 1588

Il m’arriva hyer, l’un à midy, l’aultre au soir, deux courriers de Saint Jean. Le premier rapportoit comme Belcastel, page de madame la Princesse, et son valet de chambre, s’en estoient fuis soudain après avoir veu mort leur maistre, avoient treuvé deux chevaulx, valant deux cens escus,à une hostelerie du fauxbourc, que l’on y tenoit il y avoit quinze jours, et avoit chascun une malette pleine d’argent.

Enquis, l’hoste dit que c’estoit un nommé Brillant qui luy avoit baillé les chevaulx, et luy alloit dire tous les jours qu’ils fussent bien traictez ; que si il bailloit aux aultres chevaulx quatre mesures d’avoine, qu’il leur en baillast huict ; qu’il payeroit aussy au double. Ce Brillant est un homme que madame la Princesse a mis en la maison et luy faisoit tout gouverner. Il fut tout soudain prins. Confesse avoir baillé mille escus au page et luy avoir achepté ces chevaulx par le commandement de sa maistresse, pour aller en Italie.

Le second confirme et dit de plus que l’on avoit faict escrire une lettre à ce Brillant au valet de chambre qu’on sçavoit estre à Poictiers, par où il luy mandoit estre à deux cens pas de la porte ; qu’il vouloit parler à luy. L’aultre sortit. Soudain l’embusquade qui estoit là le print et fut mené à Saint Jean. Il n’avoit encore esté ouy ; mais bien disoit-il à ceulx qui le menoient : « Ah ! que madame est méchante ! Que l’on prenne son tailleur, je diray tout sans gene ». Ce qui fut faict. Voilà que l’on en sçait jusques à ceste heure.

Souvenés-vous de ce que je vous ay dict d’aultres fois. Je ne me trompe guere en mes jugemens.  C’est une dangereuse beste qu’une mauvaise femme. Tous ces empoisonneurs sont papistes. Voilà les instructions de la dame. J’ay descouvert un tueur pour moy. Dieu me guardera, et je vous en  manderay bien tost davantage.

Le gouverneur et les capitaines de Taillebourg m’ont envoyé deux soldats et escript qu’ils n’ouvriront leur place à personne qu’à moy. Dequoy je suis fort ayse. Les ennemis les pressent, et ils sont si empressez à la vérification de ce faict qu’ils ne leur donnent nul empeschement. Ils ne laissent sortir homme vivant de Saint Jean que ceulx qu’ils m’envoyent. M. de la Trimouille y est, luy vingtiesme seulement. L’on m’escript que si je tardois beaucoup, il y pourroit avoir du mal et grand. Cela me fait haster, de façon que je prendray vingt maistres et m’y en iray jour et nuict, pour este de retour à Sainte Foy, à l’assemblée.

Mon ame, je me porte assez bien du corps, mais fort affligé de l’esprit. Aymés-moy et ne le faites paroistre ; ce me sera une grande consolation pour moy. Je ne manqueray point à la fidelité que je vous ay vouée. Sur ceste vérité, je vous baise un million de fois les mains. D’Aymet, ce xiije mars.

                                17 mars 1588

J’arrivay arsoir en ce lieu de Pons où il m’arriva des nouvelles de Saint Jean, par où les soubçons croissent du costé que les avez peu juger. Je voirray tout demain. J’apprehende fort la veue des fideles serviteurs de la maison, car c’est à la verité le plus extreme deuil qui se soit jamais veu.

Les prescheurs romains preschent tout hault par les villes d’icy autour, qu’il n’y en a plus qu’un à avoir, canonnisent ce bel acte et celuy qui l’a faict ; amonestent tous bons catholiques de prendre exemple à une si chrestienne entreprinse.

Et vous estes de ceste religion ! Certes, mon cœur, c’est un beau subject et nostre misere, pour faire paroistre vostre pieté et vostre vertu. N’attendés pas à une aultre fois à jeter ce froc aux orties. Mais je vous dis vray. Les querelles de M. d’Espernon avec le mareschal d’Aumont et Crillon troublent fort la Court, d’où je sçauray tous les jours des nouvelles et vous les manderay. L’homme de qui vous a parlé Briquesyere m’a faict de mechans tours que j’ay sceus et averés depuis deux jours. Je finis là, allant monter à cheval.

Je te baise, ma chere maistresse, un million de fois les mains. Ce xxije mars.

                                21 octobre 1588

Dieu a plus faict que les hommes n’esperoient ni moy-mesmes ; mais certes, comme vous verrés par la lettre que je vous escrivis hier, il nous envoya un temps terrible qui estonnoit tout le monde. Mais, d’aultre part, il rendoit les plus braves de ceulx de dedans malades et augmentoit l’estonnement des foibles de cœur ; de façon qu’arsoir il m’inspira, aprés l’avoir prié, de les envoyer sommer, à dix heures de nuict, contre tout ordre de guerre, ayant tiré la journée cinquante coups de canon sans effect. Au premier son de trompette ils parlerent, et nouasmes si bien le traicté qu’à dix heures ils se sont rendus et suis dedans par la grace especiale de Dieu. C’est un lieu de grande importance et fort. Dans mardy nous tenterons, ce croy-je, le grand faict. Celuy, diray-je comme David, qui m’a donné jusques icy victoire sur mes ennemys me rendra cest affaire facile. Ainsy soit-il par sa grace !

Mon cœur, je suis plus homme de bien que ne pensés. Vostre derniere depesche me rapporta la diligence d’escrire que j’avois perdue. Je lis tous les soirs vostre lettre. Si je l’aime, que dois-je faire celle d’où elle vient ? Jamais je n’ay eu une telle envie de vous voir que j’ay. Si les ennemys ne nous pressent aprés ceste assemblée, je veux desrober un mois. Envoyés-moy Licerace, disant qu’il va à Paris. Il y a tousjours mille choses qui ne se peuvent escrire.

Dites la verité : que vous faisoit Castille devant que vous luy voulussiés mal ? Ah ! mon ame, vous estes à moy. Faictes, pour Dieu ! ce que vostre lettre porte. Sera-il bien possible qu’avec un si doulx couteau j’aye coupé le fillet de vos bisarreries ? Je le veulx croire. Je vous fais une priere : que vous oubliés toutes haines qu’avés voulu à qui que ce soit des miens. C’est un des premiers changements que je veulx voir en vous. Ne craignés ni croyés que rien puisse jamais esbranler mon amour. J’en ay plus que je n’en eus jamais.

Bon soir, mon cœur, je m’envoy dormir, mon ame plus legere de soin que je n’ay faict despuis vingt jours. Je baise mes beaux yeux par millions de fois. Ce xxje d’octobre.

                                30 novembre 1588

Renvoyés-moy Briquesieres, et il s’en retournera avec tout ce qu’il vous fault, hormis moy. Je suis fort affligé de la perte de mon petit qui mourut hier. A vostre advis, ce que ce seroit d’un legitime ? Il commençoit à parler.

Je ne sçay si c’est par acquit que vous m’avés escript pour Doysit ; c’est pourquoy je fais la response que voirrés sur vostre lettre. Par celuy que je desire qui vienne, mandés-m’en vostre volonté. Les ennemys sont devant Montaigu, où ils se sont bien mouillez, car il n’y a couvert à demy-lieue autour. L’assemblée sera achevée dans douze jours. Il m’arriva hier force nouvelles de Blois ; je vous envoye un extraict des plus veritables. Tout à ceste heure me vient d’arriver un homme de Montaigu. Ils ont faict une tres-belle sortie, et tué force ennemys. Je mande toutes mes troupes et espere, si la dicte place peut tenir quinze jours, y faire quelque bon coup. Ce que je vous ay mandé de ne vouloir mal à personne est requis pour vostre contentement et le mien. Je parle asteure à vous comme estant mienne.

Mon ame, j’ay une envie de vous voir estrange. Il y a ici un homme qui porte des lettres à ma sœur du roy d’Ecosse. Il me presse plus que jamais du mariage. Il s’offre de me venir servir avec six mille hommes à ses despens, et venir luy-mesmes offrir son service. Il s’en va infailliblement roy d’Angleterre. Preparés ma sœur de loin à luy vouloir du bien, luy remonstrant l’estat auquel nous sommes, et la grandeur de ce prince avec sa vertu. Je ne lui en escris poinct. Ne luy en parlés que comme discourant ; qu’il est temps de la marier, et qu’il n’y a party que celuy-là. Car de nos parens, c’est pitié.

A Dieu, mon cœur, je te baise cent millions de fois. Ce dernier novembre.

                                22 décembre 1588

Vous me pensiés soulagé pour estre retiré en nos garnisons. Vraiment si il se refaisoit encore une assemblée, je deviendrois fou. Tout est achevé et bien, Dieu mercy.

Je m’en vois à St Jean assembler nos troupes pour visiter monsr de Nevers, et peut-estre luy faire un signalé desplaisir, non en sa personne, mais en sa charge. Vous en oyrés parler bien tost. Tout est en la main de Dieu, qui a tousjours beny mes labeurs. Je me porte bien, par sa grace, n’ayant rien sur le cœur qu’un violent desir de vous voir. Je ne sçay quand je seray si heureus. S’il s’en presente occasion, je luy monstreray que je sçay bien qu’elle est cheue.

Je ne vous prieray point de m’aimer ; vous l’avés faict que vous n’en aviés pas tant d’occasion. Il y a deux choses dequoy je ne doubteray jamais : de vous, de vostre amour et de sa fidelité. J’attends Licerace : les bons amys sont rares. Vraiment j’achepterois bien cher trois heures de parlement avec vous.

Bon soir, mon ame, je voudrois estre au coin de vostre foyer pour rechauffer vostre potage. Je vous baise un million de fois. C’est le xxije décembre.

                                Ier janvier 1589

Ne vous manderay-je jamais que prinses de villes et forts ? A nuit se sont rendus à moy St Maixent et Maillesaye, et espere, devant la fin de ce mois, que vous oirés parler de moy. Le Roy triomphe : il a fait garoter en prison le cardinal de Guyse, puis monstrer sur la place, vingt quatre heures, le président de Neuilly et le prevost des marchands, pendus, et le segrétaire de feu monsr de Guyse, et trois aultres. La Royne mere luy dict : « Mon filz octroyés-moy une requeste que je vous veulx faire. – Selon que ce sera, Madame. – C’est que vous me donniés monsr de Nemours et le prince de Genville. Ils sont jeunes, ils vous fairont un jour service. – Je le veulx bien (dict-il), Mada    me. Je vous donne les corps, et en retiendray les testes. » Il a envoyé à Lyon pour attraper le duc du Mayne. L’on ne sçait ce qu’il en est reussy. L’on se bat à Orléans, et encore plus prés d’icy, à Poictiers, d’où je ne seray demain qu’à sept lieues. Si le Roy le vouloit, je les mettrois bien d’accord.

Je vous plains, s’il faict tel temps où vous estes qu’icy, car il y a dix jours qu’il ne desgele poinct. Je n’attends que l’heure de ouïr dire que l’on aura envoyé estrangler la feu reyne de Navarre. Cela, avec la mort de sa mere, me fairoit bien chanter le cantique de Simeon.

C’est une trop longue lettre pour un homme de guerre. Bon soir, mon ame, je te baise cent millions de fois. Aimés-moy comme vous avés subject. C’est le premier de l’an.

Le pauvre Harambure est borgne, et Fleurimont s’en va mourir.

                                mi-janvier 1589

Jeve n’a peu estre despesché à cause de ma maladie, d’où je m’en vois dehors, Dieu mercy. Vous oirés parler bientost de moy à d’aussy bonnes enseignes que Niort. Si vous voulés dire vray, ceste dame qui estoit venue, estoit bien fascheuse ; je crois qu’elle vous a bien importuné.

Je ne puis gueres escrire. Certes, mon cœur, j’ay veu les cieulx ouverts ; mais je n’ay esté assés homme de bien pour y entrer. Dieu se veult servir de moy encore. En deux fois vingt-quatre heures, je fus reduict a estre tourné avec les linceuls. Je vous eusse faict pitié. Si ma crise eust demeuré deux heures à venir, les vers auroient faict grand chere de moy.

Sur ce poinct me vient d’arriver nouvelles de Blois. Il estoit sorty deux mille cinq cens hommes de Paris pour secourir Orléans, menés par Saint Pol. Les troupes du Roy les ont taillés en pieces, de façon que l’on croit qu’Orléans sera prins par le Roy dans douze jours. M. du Mayne ne s’esmeut gueres. Il est en Bourgogne.

Je finis, parce que je me trouve mal. Bon jour, mon ame.

                                8 mars 1589

Mon cœur, Dieu me continue ses benedictions. Depuis la prise de Chastellerault, j’ay prins l’isle Bouchart, passage sur la Vienne et la Creuse, bonne ville et aisée à fortifier. Nous sommes à Montbason, six lieues prés de Tours, où est le Roy. Son armée est logée jusques à deux lieues de la nostre. Sans que nous nous demandions rien, nos gens de guerre se rencontrent et s’embrassent au lieu de se frapper, sans qu’il y ait trefve ny commandement exprés de ce faire. Force de ceulx du Roy se viennent joindre à nous, et des miens nul ne veult changer de maistre.

Je crois que Sa Majesté se servira de moy : aultrement il est mal, et sa perte nous est un préjugé dommageable. Je m’en revoys à Chastellerault prendre quelques maisons qui font la guerre. Dites à Castille qu’il se haste de se mettre aux champs. C’est à ce coup qu’il fault que tous mes serviteurs fassent merveilles. Car, par raison naturelle, avril et may prepareront la ruine d’un des partis ; ce ne sera pas du mien, car c’est celui de Dieu.

Mon ame, le plus grand regret que j’aye en l’ame, c’est de me voir si esloigné de vous, et que je ne vous puis rendre tesmoignage que par escript de l’amour que j’ay et auray toute ma vie pour vous. Ce 8e mars, de Montbason.

Je vous prie, envoyés-moy vostre fils.

                                18 mai 1589 (annoté par Corysande)

Mon ame, je vous escris de Blois où il y a cinq mois que l’on me condamnoit heretique et indigne de succéder à la couronne, et j’en suis asteure le principal pilier.

Voyés les œuvres de Dieu avers ceulx qui se sont tousjours fiés en luy ! Car y avoit-il rien qui eust tant apparance de force qu’un arrest des Estats ? Cependant j’en appelois devant Celuy qui peut tout [ainsi font bien d’autres] et crois que ce sera aux despens de mes ennemys [tant mieux pour vous]. Ceux qui se fient en Dieu et le servent ne sont jamais confus [voilà pourquoy vous y devriés songer].

Je me porte très bien, Dieu mercy ; vous jurant avec verité que je n’aime ny honore rien au monde comme vous [il n’y a rien qui y paroisse], et vous garderay [l’in]fidelité jusques au tombeau. Je m’en voy à Boisjency, où je crois que vous oirés bientost parler de moy [je n’en doute point ; d’une ou d’aultre façon]. Je fais estat de faire venir ma sœur bien-tost. Résolvés-vous de venir avec elle [ce sera lorsque vous m’aurés donnés la maison que m’avés promise, près de Paris, que je songeray d’en aller prendre la possession, et de vous en dire le grant mercy]. Le Roy m’a parlé de la Dame d’Auvergne : je crois que je luy feray faire un mauvais sault.

Bon jour, mon cœur, je te baise un million de fois. Ce 18e may.

Celuy qui est lié avec vous d’un lien indissoluble.
                                21 mai 1589

Vous entendrés de ce porteur l’heureux succés que Dieu nous a donné au plus furieux combat qui se soit faict de ceste guerre. Il vous dira aussy comme M. de Longueville, de la Noüe et aultres ont triomphé prés de Paris. Si le Roy use de diligence, comme j’espere qu’il fera, nous voirons bien tost les clochers Nostre-Dame de Paris.

Je vous escrivis, il n’y a que deus jours, par Petit-Jean. Dieu veuille que ceste sepmaine nous fesions encore quelque chose d’aussi signalé que l’aultre.

Mon cœur, aimés-moy tousjours comme vostre, car je vous aime comme mienne [vous n’estes à moy, ny moy à vous]. Sur ceste verité, je vous baise les mains. A Dieu, mon ame. C’est le xxje may. De Boijancy.

                                24 juin1589

Vraiment, j’apprehende de vous escrire, car vos lettres me tesmoignent que n’y prenés pas beaucoup de plaisir.

Dieu benit de plus en plus mes labeurs ; nous prismes hier Pluviers et crois qu’Estampes suivra de prés. Ce porteur vous contera si bien comme tout va, que j’aurois peur de vous importuner par vous en escrire le discours. Peguilain, lieutenant de vostre fils, a envoyé vers M. d’Espernon, pour demander pour luy la compagnie. Je m’y trouvay et en rompis le coup ; pourvoyés-y, car le Roy fera servir la dicte compagnie de vostre fils, ou icy, ou auprés du mareschal. Choisissés. Vostre homme n’est encores venu pour le faict de l’evesché.

Quoy que me fassiés, si n’aimé-je ny honoré-je rien que vous au monde. Sur ceste verité, je vous baise les mains un million de fois. De Pluviers, ce xxive juin.

                                14 juillet 1589

J’attends vostre filz qui n’est loin. Toutesfois, ce qu’il a à faire est le plus dangereux. Il s’accompagnera de quelques troupes qui me viennent. Nous sommes devant Pontoise, que je croy que nous ne prendrons pas. L’on l’a attaqué contre mon opinion ; les plus vieus ont été creus. J’ay peur qu’ils revoyent.

Hautefort fut tué hier, qui est perte pour la Ligue. Les ennemys et nous avons esté en bataille tout ce jour d’huy, pele mesle, la riviere entre deux. Leurs troupes ne sont pas eguales aux nostres, ny en nombre ny en bonté. L’Isle-Adam s’est rendu anuy, qui est un pont sur la riviere d’Oise. J’y voy loger demain. Il n’y a plus d’eau entre M. du Maine et moy : il est à Saint Denis. Nous nous joindrons aux Souisses dans six jours. M. de Longueville et de la Noüe les meinent.

Bien que nous soyons jour et nuict à cheval, si est-ce que nous treuvons ceste guerre bien plus doulce : l’esprit y est plus content. Devant hier, je fis voir mes troupes au Roy, passant sur le pont de Poissy. Je luy monstrai douze-cens maistres et quatre mille arquebusiers.

Mon cœur, j’enrage quand je vois que vous doubtés de moy, et de despit je ne tasche point de vous oster cette opinion. Vous avés tort, car je vous jure que jamais je ne vous ay aimée plus que  je fais, et aimerois mieulx mourir que de manquer à rien que je vous aye promis. Ayés ceste créance et vivés asseurée de ma foy.

Bon soir, mon ame, je vous baise un million de fois. Ce xive juillet, du camp, à Pontoise.

                                9 novembre 1589

Mon cœur, c’est merveille de quoy je vis au travail que j’ay. Dieu aye pitié de moy et me face misericorde, benissant mes labeurs, comme il faict en despit de beaucoup de gens !

Je me porte bien, et mes affaires vont bien, au prix de ce que pensoient beaucoup de gens. J’ay prins Eu. Les ennemys, qui sont forts au double de moy asteure, m’y pensoient attraper ; ayant faict mon entreprinse, je me suis rapproché de Dieppe, et les attends à un camp que je fortifie. Ce sera demain que je les verray, et espere, avec l’ayde de mon Dieu, que, s’ils m’attaquent, ils s’en trouveront mauvais marchands.

Ce porteur part par mer : le vent et mes affaires me font finir, en vous baisant un million de fois. Ce ixe septembre, dans la tranchée, à Arques.

                                16 janvier 1590

Mon cœur, vous n’avés daignés m’escrire par Byçose. Pensez-vous qu’il vous siese bien d’user de ces froideurs ! Je vous en laisse à vous-mesme le jugement.

J’ay esté trés ayse de sçavoir de luy le bon estre auquel vous estes ; Dieu vous y maintienne, et me continue ses benedictions comme il a faict jusques icy. J’ai pris ceste place, sans tirer le canon que par moquerie, où il y avoit mille soldats et cent gentils-hommes. C’est la plus forte que j’aye reduicte en mon obeissance, et la plus utile, car j’en tireray soixante-mille escuz.

Je vis bien à la huguenote, car j’entretiens dix mille estrangers et ma maison de ce que j’acquiers chascun jour. Et vous diray que Dieu me benit tellement qu’il n’y a que peu ou point de maladies en mon armée, qui augmente de jour à autre. Jamais je ne fus si sain, jamais vous aimant plus que je fais.

Sur ceste verité, je te baise, mon ame, un million de fois. De Lisieux, ce 16e janvier.

                                29 janvier 1590

Mon cœur, j’ay achevé mes conquestes jusques au bord de la mer. Dieu benisse mon retour comme il a faict le venir. Il le fera par sa grace, car je luy rapporte tous les heurs qui m’arrivent.

J’espère que vous oirés bientost parler de quelqu’une de mes saillies ; Dieu m’y assiste par sa grace ! Le legat, l’ambassadeur d’Espagne, le duc de Mayenne, tous les chefs des ennemys sont assemblez à Paris. Les oreilles me devroient bien corner, car ils parlent bien de moy. Je receus hier de vos lettres par l’homme de Revignan ; je fus trés ayse de sçavoir vostre bon estat. Pour moy, je me porte à souhait, vous aimant plustost trop qu’aultrement. J’ay failly à estre tué trente fois à ce bordel. Dieu est ma garde.

Bon soir, mon ame ; je m’en vay plus dormir ceste nuict que je n’ay faict despuis huict jours. Je te baise un million de fois. Ce xxixe janvier.

                                5 avril 1590

Mon ame, depuis que je vous escrivis, il est arrivé des nouvelles. Il paist à Dieu d’estendre le bonheur dont il favorise mes affaires. Le propre jour que je combattois à Ivry, Randan fut tué en Auvergne, qui avoit plus de cinq cens gentilhommes et de l’infanterie en nombre. Il a laissé trois pièces d’artillerie qui ne feront faulte entre nos mains.

C’est effect de la justice de Dieu, qui tesmoigne evidemment ce que doibvent attendre ceulx qui portent les armes contre leur debvoir. Vigne, avec des troupes, n’a eu meilleur sort en basse Normandie. Canisy leur est tombé sus de telle furie qu’il les a couchez tous à plat.

C’eust esté un triomphe complet, s’il ne l’avoit payé d’une seconde balafre en la bouche ; ce qui n’empesche son brave langaige, mais bien disoit il à La Noue de ne le plaindre point, puis qu’il lui en restoit assez pour crier Vive le Roy quand nous serons dedans Paris. Voilà certes, mon ame, un brave serviteur. Que ne m’aymés-vous autant ! Dieu me donnera-il aussy victoire sur vostre cœur ? Ce me sera la plus chere.

Bon soir, mon ame ; je baise un million de fois vos blanches mains. Ce cinq avril.

                                15 juillet 1590

Vous aurés bientost de mes nouvelles par La Vye pour qui j’ay faict en vostre faveur chose de quoy il est content. Saint Denys et Dammartin se sont rendus. Paris est aux abois de telle façon que ceste sepmaine il luy fault une bataille ou des deputez. Les Espagnols se joindront mardy prochain au gros duc ; nous y oirrons s’il aura du sang au bout des ongles. Je meine tous les jours vostre fils aux coups, et le fais tenir fort subject auprés de moy ; je crois que j’y auray de l’honneur. Castille enrage que son regiment ne vient.

Je vis hyer des dames qui venoient de Paris, qui me conterent bien des nouvelles de leurs miseres. Je me porte tres-bien, Dieu mercy, n’aymant rien au monde comme vous. C’est chose de quoy je m’asseure que ne doubterés jamais.

Sur ceste verité, je vous baise, mon ame, un million de fois ces beaux yeux que je tiendray toute ma vie plus chers que chose du monde. Ce 15e juillet.

                                Vers le mois de mars 1591

Madame, j’avois donné charge à Lareine de parler à vous touchant ce qu’à mon grand regret estoit passé entre ma sœur et moy. Tant s’en fault qu’il vous ayt trouvé capable de me croire, que tous vos discours ne tendoient qu’à me blasmer et fomenter ma sœur en ce qu’elle ne doibt pas.

Je n’eusse pas pensé cela de vous, à qui je ne diray que ce mot : que toutes personnes qui voudront brouiller ma sœur avec moy, je ne leur pardonneray jamais. Sur ceste verité, je vous baise les mains.

                                22 septembre 1597

Madame, j’ay commandé absolument au comte de Gramont, vostre fils, que je veulx que le sieur Deschaux, mon conseiller et aumosnier ordinaire, soit receu dans ma ville de Bayonne en qualité d’evesque, et où je l’envoye, m’asseurant que le sieur Deschaux s’acquittera bien et duement de sa charge, et pour vostre particulier qu’il vous servira ez occasions que vous le vouldrés employer nonobstant toutes les impressions que l’on vous a voulu donner de luy au contraire ; lesquelles je vous prie de vouloir effacer pour l’amour de moy : ce que me promettant, Dieu vous ayt, Madame, en sa saincte garde. Ce xxije septembre, devant Amiens.




A trente ans, en 1585, Henri de Navarre n’est encore qu’un vaillant capitaine qui entreprend la lente et patiente conquête d’un royaume déchiré. Il court les routes de Gascogne, de Guyenne et de Saintonge avant de gagner celles de Touraine, de Beauce et de Normandie. Il aime et est aimé. Corysande d’Andouins, comtesse de Guiche et duchesse de Gramont, est la fière amie des jours d’épreuves, et le premier grand et durable amour de celui qui sut résoudre le problème de l’unité française sans trouver la solution de celui de la fidélité particulière. Belles, pures et sincères années !... Corysande sera-t-elle reine, selon la promesse de son amant ? Raison d’Etat… Les douces, pimpantes, gaies et tendres lettres s’espacent et « mon cœur » n’est plus que « Madame ». Mais Corysande avait eu la plus belle part : elle avait été la jeunesse même du Roi.



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