JANIN, Jules (1804-1874) : Discours de réception à la porte de l'Académie française.- Paris : Jules Tardieu, 1865.- 35 p. ; 16,5 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (12.X.1999)
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Texte établi sur un exemplaire du deuxième tirage (Bm lx : br norm 705).
 
Discours de réception à la porte de l'Académie française
par
Jules Janin

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M. Jules Janin a répondu au récent verdict de l'Académie française, par un Discours qui a été acclamé comme un chef-d'oeuvre de grâce, d'éloquence, d'atticisme, de fine et courtoise raillerie. C'est une des plus heureuses inspirations de l'écrivain.
Ce bijou littéraire ne pouvait rester perdu dans les colonnes d'un feuilleton. Nous avons sollicité la faveur de le reproduire sous la forme d'un petit volume. L'édition que nous offrons aux Bibliophiles a été revue par l'auteur.

J.T.

Mai 1865

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Un rêve académique

... Longique perit labor irritus anni. (VIRGILE)

Il était minuit ; par un ciel rayonnant d'étoiles, dans le grand silence, aux bruits du fleuve emporté vers l'Océan, entre les deux lions de granit dont la gueule ouverte jette avec tant d'effort un mince filet d'eau, image parlante de la poésie aux abois, il me sembla que soudain les portes de l'Institut étaient ouvertes, et que des voix confuses m'appelaient sous les voûtes solennelles de l'Académie française, au milieu d'une assemblée indulgente et sympathique.
Alors, prenant mon courage à deux mains, j'improvisai mon discours de réception, mêlé parfois d'un murmure approbateur :

Messieurs !

Je commencerai par vous rendre humblement mes actions de grâces, d'abord de m'avoir choisi pour être un des vôtres ; en second lieu, de confier à mon peu d'éloquence la suprême louange du dernier né des grands poëtes de l'an de grâce 1830, M. le comte Alfred de Vigny. Non pas que vous ayez mesuré cette fois, le mérite et le talent du nouveau venu aux grandes choses qu'il avait à dire, mais parce qu'en effet, j'étais à vos yeux le témoin le plus fidèle et le plus ancien des heures fécondes où la poésie moderne accomplissait ses plus rares merveilles. Après une longue et bienveillante délibération, vous avez arrêté qu'il était juste et prudent de me confier le résumé du récit même que j'ai fait toute ma vie, arrivant, sans y manquer, même un seul jour, dans l'espace de quarante années (quarante ans de zèle et de travail, Messieurs !) juste au moment où le drame allait commencer.

Arrivé le premier, je sortais le dernier de l'arène ouverte à toutes les intelligences, et le lendemain je racontais fidèlement, honnêtement, personne ici ne pourrait me démentir, les grands efforts de ces esprits rares et charmants, parmi lesquels l'illustre auteur d'Éloa et de Chatterton tenait une place heureuse et choisie. Et vous avez bien fait, Messieurs, si vous vouliez un historien fidèle, attentif et plein de respect, même dans son blâme, de choisir l'écrivain qui n'a pas quitté les sentiers des nouveaux maîtres. Il dirait volontiers que leur vie est la sienne ; ils sont du même âge.

Une fois que le grand roi demandait à Despréaux : «Quel âge avez-vous, Despréaux ? - Sire, je vins au monde, une heure avant Votre Majesté, pour raconter les merveilles de son règne».

En ce moment, le plus beau de ma vie, où pour moi tout s'achève, où, grâce à vos bontés reconnaissantes, voilà ma récompense atteinte après tant de labeurs, je me souviens (on dirait que c'était hier) de la froide matinée d'hiver par laquelle je quittais mon père et ma mère (ô chers absents de cette heure glorieuse !). hélas ! pour ne plus les revoir qu'au lit de mort. Le vent était glacé, le ciel couvert ; le Rhône, notre fleuve bien-aimé, ce diantre de Rhône (un mot de Mme de Sévigné), jetait sur la rive désolée sa vapeur et sa colère. Arrivés aux quatre acacias gémissants sous la brise, à certain coude que fait l'onde orageuse, nous nous arrêtâmes tous les trois. Ma mère, incapable d'aller plus loin, me tenait dans ses bras sans mot dire ; mon père, immobile et silencieux ; mais que d'éloquence en ce silence, et que de sages conseils !

«Mon enfant, m'eût-il dit de sa voix prophétique, on vous envoie, encore bien jeune, à Paris, la ville des grandeurs et des miracles. Vous la verrez bientôt, cette Athènes vantée, légitime berceau des chefs-d'oeuvre, le séjour enchanteur des plus grands esprits et des plus belles renommées de ce bas monde. Après tant d'orages, que la France a dignement supportés, la royauté légitime nous a rendu la paix de la France avec l'Europe, avec l'éloquence, avec la liberté, avec tous les beaux-arts de la paix. Soyez sans crainte, on a besoin, là-bas, de jeunesse et d'intelligence. Il s'agit de tout reconstruire, au milieu de tant de ruines. Allez, et bon courage ! En ce lieu splendide, vous apprendrez, par quels sentiers les hommes habiles vont à la fortune, et les hommes heureux à la renommée. A chaque pas vous rencontrerez les souvenirs féconds des temps et des empires qui ne sont plus, et dans l'étonnement de tant de gloire, mêlée à tant de misère, vous puiserez une confiance illimitée aux prospérités de l'avenir. Allez, mon fils, soyez studieux et soyez honnête homme, et vous rencontrerez peu d'obstacles, au milieu de ce nouvel univers, fondé sur la bienveillance des vieillards lassés de tout, même de l'espérance, et sur l'activité des jeunes gens destinés à porter un fardeau qui nous est déjà lourd. Alors vous pourrez étudier, et de très-près, mais que Dieu vous en garde, les passions et les ambitions de la grande cité, orgueil, exemple, émulation de l'Europe. Alors vous approcherez de plain-pied les renommées naissantes, les poëtes du nouvel Olympe et les historiens inspirés du génie et de l'éloquence ardente de la Révolution française. En même temps vous serez un des juges du camp, comme un sage et modeste comparse de toutes les grandes batailles qui vont se livrer, éloquentes et superbes, à la Sorbonne, au Collége de France, à l'Académie, à la Chambre des députés, au Luxembourg, à Notre-Dame de Paris, dans la chaire éloquente et renouvelée où prêchait le grand Bossuet.

«Partout l'invention, l'ardeur à bien faire, l'effort généreux des chercheurs de nouveaux mondes ; partout les nouveaux venus, poussés par la conquête : au Théâtre-Français, à l'Opéra, dans les écoles, dans la presse ardente et souveraine de chaque jour. Écoute, admire, obéis, contemple, espère ! et si quelque parcelle de cet esprit, errant dans la nue, à l'heure où nous sommes, t'échoit en partage, apprends, ô mon fils, à t'en bien servir !...» Voilà comment il m'eût parlé sans doute, et moi je compris tous les conseils, dirai-je aussi les prières ? enfermés dans son dernier regard.

Voilà comment je vins à Paris, et je ne crois pas que jamais se soit présentée au jeune homme ambitieux des grands spectacles, une plus belle occasion de conquérir les droits de cité dans une ville capitale. Athènes, au temps de Périclès, n'était pas plus impatiente d'activité, de nouveauté, de chefs-d'oeuvre éclos d'hier ; elle honorait les anciens poëtes par habitude ; elle attendait les nouveaux venus, avec une impatience ineffable. Athènes, non plus que Paris, n'a jamais porté patiemment la lassitude de la vieillesse des poëtes. La France en ceci est semblable à l'ancienne Grèce ; elle a besoin de ses jeux olympiques ; elle veut voir de ses yeux, elle veut couronner, de ses mains, les vainqueurs de la guerre et les vainqueurs de la paix ; elle veut toucher aux soldats des Perses pour les combattre, aux mages de l'Orient pour les comprendre. Un instant, peut-être, elle va se contenter de bâtir, de forger, de semer, de creuser, de fabriquer, de voyager... Soudain, lasse et comme honteuse de cette vile fortune, elle s'arrête pour applaudir aux terreurs de Sophocle, aux larmes d'Euripide, ou pour couronner Hérodote, le père de l'histoire, donnant le signal à un fils plus grand que lui. Le jeune Thucydide pleurait de joie aux récits du vieillard : «Tu es heureux, disait Hérodote au père du jeune Thucydide, tu es heureux, car ton fils aime la gloire». C'est le nom que nos anciens donnaient à la vertu.

Eh bien ! même au temps de Périclès, quand le Lycée et le Portique étaient dans toute leur éloquente floraison, la cité de Minerve ne comptait pas de plus grands maîtres que notre immortelle Sorbonne, épouvantée et charmée aux leçons des trois maîtres de la génération nouvelle, obéissant librement à l'inspiration qui les poussait : éclat, véhémence et bon sens !

L'un, qui était un maître orateur, un Athénien, nous parlait à la façon d'un inspiré, des grands écrivains d'Athènes, de Rome et de Paris. Il allait, par mille sentiers connus de lui seul, de Démosthènes à Bossuet, de Sophocle à Corneille, et du divin Virgile au divin Racine. Il s'enivrait, avec nous, ses disciples, des bruits enchanteurs et des grâces correctes de la langue savante. Autour de cette chaire inspirée, aux bruits plus durables que les bruits même de la tribune, il nous tenait émus, passionnés, attentifs. Il attirait à ses doctes leçons les plus fermes intelligences, tantôt M. Royer-Collard, tantôt le général Foy, M. de Chateaubriand lui-même... Ainsi dans les Églogues de Virgile, un dieu s'arrête aux chansons du berger.

Le lendemain venait le tour de l'intrépide, austère et superbe historien. Ces jeunes âmes, que son confrère attirait à lui d'une façon clémente, il les prenait violemment, et les faisait entrer, de plain-pied, dans l'histoire. Il y avait dans cet orateur (même à la tribune il n'a trouvé qu'un rival !) des prières, des plaintes, des affirmations, des menaces, des promesses qui faisaient trembler jusqu'en ses fondements, l'antique Sorbonne. Il parlait, non pas pour narrer, mais pour convaincre, et, la preuve à la main, il nous poussait dans les plus rares vérités.

Et l'autre enfin, le troisième, nourri du miel de l'Hymette. Il venait en droite ligne, du cap Sunium ; il assistait aux banquets où Socrate, à ses convives, enseignait une âme immortelle. Intelligence, esprit, domination. Et si vaillante et hardie était sa parole ! Un jour que l'attention de ce petit peuple semblait languir, soudain il s'arrête, et s'écrie : «Eh bien ! non, nous n'avons pas été battus à Waterloo !» Nous n'avons pas été battus à Waterloo ! Jugez, Messieurs, de la joie immense et de l'applaudissement universel. Et nous, alors, de nous lever en criant : Victoire ! et des palmes dans les mains, des couronnes sur nos fronts : «Vive à jamais la France ! Elle a gagné la bataille de Waterloo !» Ainsi, nous avons été les premiers à déchirer les traités de 1815, dont les lambeaux misérables sont devenus le jouet des quatre vents du ciel.

Et les autres, nos maîtres bienveillants, qui nous révélaient si tendrement cet ancien monde, habité par une race de génies que le genre humain ne produira plus. Ainsi nous parlait, déjà consumé par la fièvre qui devait l'emporter si vite, le philosophe Jouffroy. Nous allions à sa suite ; il nous montrait la Thessalie et la Doride, une douce vallée arrosée du Céphyse ; il nous disait l'Arcadie et tous les grands noms, l'honneur des grands poëmes : Argos, Corynthe entre ses deux mers, et Trézène, et Sparte, et l'Élide. Il nous expliquait ces Républiques de seigneurs : Argos, Épidaure, Égine ; il allait ainsi, fidèle, enthousiaste et grand poëte, en tous ces souvenirs, qui étaient pour nous, jeunes gens, une fête ineffable, jusqu'à ce qu'enfin il rencontrât, dans ses improvisations et dans ses respects, la ville de Minerve, Athènes, et cette histoire arrangée à la façon d'un poëme épique, où l'on découvrirait tant de grands hommes et tant d'illustres histoires que l'Iliade et l'Odyssée en seraient éblouies.

Quel bonheur à l'entendre expliquer la royauté abolie, Dracon vaincu, Solon, digne descendant de Codrus, Salamine perdue et reprise, Épiménide encourageant les Athéniens, et la religion mystérieuse de la politique se mêlant aux dogmes sacrés ! Quoi encore ? la misère des paysans, l'assemblée du peuple et les majestés de la justice ! Enfin l'esclavage, une force ! et plus tard une plaie, arrivant à son heure, à son tour. Ces terribles questions ne sont pas encore résolues, mais que nous étions fiers de les entrevoir et de les comprendre. O les heures fécondes ! les passions contenues ! les rumeurs vivantes de nos libertés à venir ! Jamais rencontre pareille d'esprits si divers et si charmants, d'éloquence plus entraînante, unie à plus de bon sens, de respect pour le passé et d'espérances pour l'avenir ; jamais jouteurs plus jeunes en un champ de bataille plus semé de progrès, de dangers et de révoltes ! Or, tout ce drame, à trois ans de 1830, à vingt pas de votre tombe, illustre et terrible cardinal de Richelieu ! notre éminent fondateur... dont nous ne parlons plus !

Parfois, au sortir de ces grandes leçons, nous cherchions, dans l'ombre où se plaisait son doux génie, un grand philosophe appelé M. de la Romiguière. Il se tenait caché dans un coin de la bibliothèque où peu de gens savaient le découvrir ; à ses côtés vous eussiez vu, plongé dans les plus vieux livres, Alexis Monteil, l'auteur de l'Histoire des Français des divers États ; l'Académie aura bien souvent regretté ses injustices envers ce maître-historien, perdu dans un cimetière de village ! Enfin, c'était de toutes parts un bruit immense, un murmure énorme, une espérance infinie. On pressentait le grand jour, aux premières clartés de la nouvelle aurore... Silence ! et prêtons l'oreille à la nouvelle génération !

En ces temps fabuleux, tout vivait et combattait ; tout agissait, espérait, rêvait. Ceux-là mouraient qui n'avaient plus de tâche ici-bas ; ils mouraient désespérés de ne pas assister à l'enfantement de tant d'oeuvres et d'aventures que le genre humain pressentait en germe. Ils n'étaient plus nécessaires dans ce mouvement sympathique des faits et des idées. Qu'ils fussent vieux avant l'âge, ou qu'ils fussent en effet accablés sous le poids des années, ces braves gens déblayaient, par leur mort, le nouveau chemin des lettres, de la philosophie et de la politique ; et les nouveaux suivaient sans regrets ces funérailles. La jeunesse (elle est sans pitié !) trouvait déjà que M. de Chateaubriand, dans tout l'éclat de sa gloire (un des vôtres l'appelait naguère un grand journaliste), était un vieillard ; elle obéissait à des passions, à des systèmes, à des volontés, à des colères, à des paradoxes sans limites. - Jeunesse éclatante et pétulante, active et féconde ; on dirait, à la voir resplendir sur ces fronts inspirés, les rayons tordus avec lesquels le dieu forgeron forgeait les foudres de Jupiter. Ces poëtes naissants dont le nom circule ici même, et que vous cherchez du regard, près de vous, loin de vous, de la Seine à l'Océan, représentaient un énorme entassement, sans forme et sans fin, d'extases, d'ambitions, de délires, de misères, d'espérances, de désespoirs. Les uns et les autres avaient la fièvre, et, poussés par l'émeute intérieure, ils s'abandonnaient sans retenue et sans frein à ces tumultes, à ces délires, à cette abondance inépuisable, et dans le plus merveilleux pêle-mêle : odes et chansons, antiennes et fanfares, élégies, tragédies et romans cyclopéens.

Ces hommes superbes, impatients du joug, produisaient aujourd'hui, demain, toujours. Figurez-vous, dans ma ville natale, une des ces grandes machines obéissantes à la vapeur, qui leur fait accomplir à chaque minute un miracle ; seulement il faut supposer que la machine est folle, et qu'elle va toujours fabriquant à la fois le ruban de soie et le sabre d'acier, la gaze et la tôle... elle serait tout ensemble une forge, un orgue, un métier.

Cette jeunesse épique était une ardente fournaise où tous les éléments, conjurés l'un par l'autre, se contrariaient, se heurtaient, se brisaient, se confonfaient dans cette écume, et si bien qu'à la fin de chaque jour apparaissaient toutes sortes de produits inattendus : pamphlets, comédies, chansons, romans, chartes, évangiles, gouvernements.... Dans ce tohu-bohu de tentatives, d'essais, de préfaces, de théories, de rhétoriques ; dans ce pandémonium inspiré, tout allait, venait, hurlait, doutait, croyait, criait, affirmait avec une bonne foi, une raillerie, une autorité, une omnipotence incroyables ; et ni frein, ni règle, ni commencement, ni milieu, ni rien qui fût semblable à quoi que ce soit dans les choses connues, réglées, acceptées, divinisées. Tout bouillait et bouillonnait au grand feu de ces émancipés de la veille. On n'entendait dans cette foule intrépide et digne fille d'Encelade ou du géant Adamastor, que le bruit des sceptres, le choc des couronnes. On se saluait de ces mots fatidiques : «Tu seras roi, Macbeth !» Celui-là était dieu qui voulait être dieu.

Et toujours, sans cesse et sans fin, ces conquérants sonnaient la charge en soufflant de toutes leurs forces, d'un poumon généreux dans leurs grandes trompettes d'airain, qui faisaient un bruit à ne pas entendre le tonnerre. Eh ! quoi d'étrange ? ils avaient pris sa foudre à Jupiter.

C'est pourquoi les vrais critiques (au dire de Platon ils sont frères des poëtes) ne sauraient trop s'étonner qu'à la fin, et par la force irrésistible de la logique, ornement et gardienne de tous les Parnasses, ces révoltés se soient imposé à eux-mêmes la règle et le frein. Après bien des tentatives impuissantes, des espérances trompées, ils ont compris que pour réussir dans ces grands arts dont le bon sens est le maître, et dont l'ordre est la première loi, il faut posséder la toute-puissance, avec la volonté. «Avant la mer, avant la terre, avant ce grand tout qui recouvre le ciel, il y avait... le chaos».

Ceci soit dit à la louange impérissable du comte Alfred de Vigny ; tout de suite il s'est échappé du chaos, tout de suite il a compris le bonheur de l'ordre, et le charme ingénu du bon sens. Sa première oeuvre échappe à toutes les oeuvres d'alentour par je ne sais quelle élégante simplicité. La peine et le travail se font sentir même dans ses pages les plus faciles ; il sait que la lime est un outil comparable à la plume ; il se méfie (il a raison) des pages qui coûtent peu, des vers faits trop vite, des compositions du hasard. Même, à sa façon de tenir la plume, on voit qu'il a tenu l'épée, et comme il savait commander, il avait appris à obéir !

Lui, et M. de Lamartine, ils appartenaient à une race de soldats royalistes. Ils avaient pris le mousquet, à l'heure où le roi Louis XVIII composait sa maison militaire ; l'un et l'autre ils avaient monté la garde au palais de Saint-Cloud, sous les fenêtres du roi, et nous ne saurons pas de monarque ici-bas, en comptant tous les rois de toutes les monarchies, qui ait pu se vanter d'avoir été gardé par deux poëtes semblables à l'auteur des Méditations poétiques, au digne traducteur d'Othello.

Dormez, sire ; à votre porte heureuse veille sur votre sommeil, un cortège infini, charmant, de passions, de poëmes, de parfums, de tendresses, de beautés ineffables. Dormez, sire, et si vous entendez quelque chant mélodieux pénétrer sous les voûtes royales, ne dites pas : C'est l'alouette ou c'est le rossignol !... C'est mieux que l'alouette et le rossignol, c'est un poëte inspiré de toutes les muses de la jeunesse et de l'amour, qui va donner à votre règne une auréole, à votre siècle une couronne, une louange éventuelle à votre nom !

Un jour que passait dans la rue un de ces conquérants couverts de gloire à qui rien ne résiste, une jeune femme, à travers la foule, accourut, et, regardant le héros face à face, elle lui dit d'une voix sérieuse : «Ah ! monseigneur ! pardonnez-moi, mais, avant de mourir, j'ai voulu voir, de mes yeux, un héros vivant !» Cette dame était juste et faisait bien. Un héros vivant ! un poëte vivant ! Comptez donc, Messieurs, combien nous en avons vus de nos jours, et combien nous en voyons encore ! Ceux qui ne sont plus nous ont laissé leur exemple et leur souvenir ; ceux qui restent nous encouragent et nous approuvent. En ce moment nous nous rappelons ces beaux vers du poëte, un de ces grands écrivains dont la définition est sans réplique (1) :

«Laissez-moi vous le montrer tel que je voudrais le peindre et tel que je le vois, le grand poëte. Il dédaigne les sentiers frayés ; il aurait honte de s'abreuver à la source commune ; son vers n'est pas cette vulgaire monnaie exposée à toute empreinte banale : âme libre d'envie, exempte d'amertume, elle aime les retraites sacrées, elle se plaît au doux loisir ; elle s'abreuve aux flots de vos fontaines, chastes nymphes d'Aonie !»

Dieu soit loué ! ces grands génies ne meurent pas pour leurs contemporains. Chaque jour encore une voix fraîche et jeune chante aux étoiles charmées les poëmes du jeune homme, Alfred de Musset. Le comte Alfred de Vigny, même au fond de ce cercueil ouvert avant l'heure, ne saurait tout entier disparaître ; il est resté là, sous nos yeux, et je le vois encore, tel qu'il était, vivant et souffrant, patient et souriant, tel que j'eus l'honneur de le saluer, trois jours avant sa mort. Je lui fus conduit par son fils adoptif ; il nous attendait sur son lit de repos ; il s'était enveloppé dans son manteau militaire, et sa noble tête, où toutes les douleurs étaient empreintes, faisait face au portrait de Regnard, peint par Largillière.

Il était parent de l'auteur des Folies amoureuses ! Contraste inattendu, ces deux cousins, Regnard, dont le rire a dépassé le rire même de Molière, et c'était trop ; Alfred de Vigny, l'auteur des Consultations du Docteur noir ! Cependant, à l'entendre, à le voir, on n'eût pas dit qu'il allait mourir. Il parlait, en les regrettant, de ses belles années ; il nous rappelait les grandes batailles ; enfin, le dirai-je ? il se souvenait, non pas sans quelque amertume, des cruautés d'un grand seigneur qui lui avait gâté, disait-il, un des plus beaux moments de sa vie. A la fin il nous congédia, espérant bien (c'est lui qui parle) qu'il serait remplacé par le compagnon et le témoin de tous ses labeurs... Je ne l'ai plus revu. Il est mort comme il avait vécu, dans un orgueil silencieux. Le jeune et digne héritier de ses oeuvres complètes, le digne confident des poésies, ornement précieux de son tombeau, eut l'honneur de lui fermer les yeux. (2)

Quand on ouvrit son testament, on vit que son premier soin avait été de se défendre contre la cruauté des oraisons funèbres ; et moi je me rassure en songeant que, par mes déférences, mon admiration et mes respects, je n'ai pas démérité de ce grand poëte et de ce grand prosateur. Il a vécu mécontent de ses oeuvres et rêvant un idéal qui s'enfuyait toujours ; toujours en lutte avec lui-même, et souvent avec les autres, il représentait mieux, que personne, deux grandes qualités du dix-neuvième siècle : la pensée et l'action. Agir et penser sont véritablement les deux conditions essentielles de toute initiative et de toute nouveauté.

Seulement il faut prendre garde à ne pas pousser trop loin la pensée et l'action. Modération ! c'est le mot d'ordre à qui veut durer longtemps. De cette sagesse et de cette prudence, nous avons eu de grands exemples dans notre siècle : Casimir Delavigne et Béranger, Goethe et Walter Scott. «Comment faut-il s'y prendre, disait Goethe, un de ces modérés, pour se connaître soi-même ? - Il faut bien agir, se répondait-il à lui-même. Fais ton devoir, tu sauras ce que tu vaux, et ce que tu renfermes !» Il disait aussi : «Gardez-vous d'exagérer votre activité ; toute activité sans relâche se dénoue par la banqueroute ; tout ce qui affranchit l'esprit, sans nous rendre maîtres de nous-mêmes, est pernicieux... Il faut que l'art soit la règle de l'imagination pour qu'elle se transforme en poésie. Rien de plus terrible que l'imagination privée de goût». Avant tout, c'était sa gloire ; le comte Alfred de Vigny était un écrivain sérieux ; il en avait toute la modestie. Il méprisait la popularité à bon marché, la gloire au rabais ; il ne voulait pas de hâte au succès ; il disait, avec l'un des vôtres, M. le marquis de Saint-Aulaire, qu'il ne faut pas entrer, par effraction, dans le temple de la gloire. Artiste amoureux de son oeuvre, inquiet et patient, pour rien au monde il n'eût consenti à se séparer de ses chères créations, tant qu'il ne les sentait pas arrivées à la perfection qu'il avait rêvée. Un pareil homme est, de nos jours, un oiseau rare. Pendant que ses confrères s'abandonnent au tapage, il cherche le silence et la solitude ; en vain autour de lui les impatients se produisent, se fatiguent, soulevant autour d'eux la poussière, l'écume et la fumée... il se cache, il se fait humble et petit ; il rêve, il médite, il songe, il meurt, cherchant encore une certaine perfection qui s'en va, fuyant toujours. «Hélas ! disait-il en songeant à son maître, à Shakespeare, il a gardé pour lui tout le secret que j'envie, à savoir, le secret de la gaieté qui pleure, et des larmes qui rient.» Sa grande fête était de s'incliner devant ses maîtres ; il avait souvent à la bouche cette belle parole d'un ancien : «Ces chantres sont de race divine, ils possèdent le seul talent incontestable dont le ciel ait fait présent à la terre !»

Aux premiers jours de sa jeunesse, il avait souvent chanté ces beaux vers de Joseph Delorme en l'honneur du Cénacle :

Oui, le siècle est à nous !
Il est à vous ; chantez, ô voix harmonieuses,
Et des humains bientôt les foules envieuses
Tomberont à genoux.

Hélas ! que la jeunesse est peu de chose, et surtout la jeunesse des poëtes ! Aux premiers jours du printemps, elle s'empare hardiment de l'humanité tout entière. Elle pousse à la gloire ; elle agrandit le devoir ; elle est la foi et l'espérance ; il faut l'aimer, il faut la craindre ; elle a des récompenses sans bornes, elle a des châtiments sans limites, puis, soudain, le nuage et l'ombre... Et pourtant, quoi de mieux, avec la poésie, la jeunesse ? Ardente à vivre, à produire, elle accroche son fil doré, comme fait le ver à soie, à la première branche, et tant quelle a de la soie, elle file, appelant à la parure de sa bien-aimée toutes les couleurs de l'arc-en-ciel : le bleu de l'espérance, le blanc de la jeunesse, le violet de la courtoisie, l'incarnat de la bonne grâce ! O jeunesse enamourée ! elle croit filer, en sa poésie, un manteau pour la fée... elle file un suaire ! Elle croit réchauffer un agneau, elle réchauffe une couleuvre. Elle est semblable à la Fortune, dans la tragédie latine, semant ses faveurs à l'aveugle :

Spargitque manu
Munera cæca, pejora favens
.
Son plus beau voile enfin n'est qu'un linceul.

Mais c'est le privilège de la poésie : elle est immortelle. Elle peut vieillir dans la nation présente ; inévitablement, elle verra l'avenir. Ainsi, Messieurs, dans ces retours si fréquents du silence et du bruit, les grands artistes se consolent :

Consolez-vous, vous êtes immortels !

Seul, le petit artiste est à plaindre ; l'écrivain de peu de chose a peut-être un instant d'éclat, mais sitôt que son heure a sonné, pas un ne se souvient qu'il a vécu. Après les heures volages, une seule chance heureuse reste au plus habile de ces diseurs de riens sonores ! C'est de rencontrer quelque glorieux piédestal dans votre Panthéon, sur lequel vous lui permettiez d'écrire un instant son nom, moins durable que l'airain.

Voilà pourquoi je m'estime un homme heureux et bien récompensé d'avoir parlé chez vous, maîtres vénérés, d'un poëte honorable entre tous, rare et charmant. Si j'ai manqué de modestie en rêvant un pareil honneur, je n'ai pas manqué de prudence. Prenez garde ! avancez à pas lents, vous marchez sur des sables mouvants, vous foulez des cendres qui recèlent un incendie ; enfin, rappelez-vous ce que disait Cicéron à son digne Atticus : «Nous ne mangerons pas cette année encore des figues de Tusculum». Voilà ce qu'on me disait de toute part, chacun pressentant quelque triumvirat formidable.

Eh ! pourquoi, répondais-je à ces trembleurs, pourquoi voulez-vous, mes amis, que je tombe en ces abîmes ? Je suis vieux ; je suis au bout de ma course, et j'attends ma récompense ; elle me viendra, j'en suis sûr, de tous les lettrés mes confrères, de tous ceux qui savent la peine et le labeur littéraire, la prudence et l'attention sur soi-même, et comme il faut veiller, jusqu'à la fin des derniers jours, sur sa moindre parole. A peine écrite, irrévocablement, la voilà partie on ne sait où, et si vous avez, une seule fois, commis un grave attentat contre la justice et le devoir, si vous avez refusé vos louanges les plus sincères à toutes les choses révérées des honnêtes gens, ne parlez pas de récompense ; et, courbant la tête, entrez, malheureux, dans le gouffre honteux des vanités et des chimères dont Milton a parlé... Inania regna.

Au contraire, si tu as été fidèle à toutes les amours de ta jeunesse, et si ta fidélité, dégagée même de la reconnaissance, est une fidélité d'instinct ; si ta vie et tes oeuvres parlent pour toi (3), pourquoi donc redouter le moment de la justice ? Et qui donc voudrait, parmi tous ces hommes qui t'ont vu à l'oeuvre, et qui seraient les premiers à te rendre un vrai témoignage, attrister le jour qui te revient ? Non, non, c'est impossible ! Ils t'ont vu, dans leur voie, essuyer la poussière de ton front ; ils t'ont vu, dans leur gloire, applaudir à leur fortune, et plus d'une fois, ont-ils reconnu à leur suite l'écrivain de si petites choses qui semblait trop heureux de les signaler après la victoire, et de les pleurer dans leur défaite. - Certes, si quelqu'un d'eux, un seul, avait de ta petite oeuvre un mauvais souvenir, tu serais le mal-avisé de t'exposer à ses rancunes ; mais quand ils en sont tous à reconnaître à quel point tu leur fus un ami dévoué, désintéressé, fidèle à ce qu'ils ont aimé et défendu, pourquoi donc hésiter à leur : «A votre tour, aidez-moi ?»

Grâce à vous, Messieurs, mes terreurs sont dissipées ; vos bontés et vos souvenirs m'ont ouvert ces portes de fer, après quarante ans de travail. Ainsi le bon Sédaine, accablé de fatigue et tremblant, lui aussi, sur la vanité de ses travaux, implorait vos ancêtres : «Permettez, leur disait-il, que mon cercueil traverse au moins la cour du Louvre !» Il fut accepté tout d'une voix ; un seul d'entre vous, un saint évêque, en eut quelque regret, mais il fut bien vite apaisé. Plus tard, M. de Vigny, le poëte que nous pleurons, vint en aide à la fille de ce bon Sédaine, et lui fit une vieillesse honorable. Ainsi, vous avez permis que je fusse un instant le collègue heureux et glorifié de ces maîtres dont je parlais tout à l'heure. Vous avez permis que je fusse assis aux côtés de ces grands historiens de France et d'Angleterre, à côté du traducteur d'Horace, du successeur de Buffon et de l'héritier de Royer-Collard. Je montrerai désormais, sur le plus beau rang de ma bibliothèque, mes deux confrères : le Vase étrusque, et les États de Blois, et tous ces grands orateurs, l'honneur de la tribune moderne : M. Dupin, M. le duc de Broglie et M. Berryer ! Soyez les bien remerciés ! vous avez donné à mon humble demeure un rayon tout nouveau ; vous avez jeté sur mes vieux livres, charmants compagnons d'une vie heureuse et studieuse, un éclat qui doit les suivre, au moment où l'homme étant mort, ces vieux amis s'en vont chercher l'abri d'un nouveau maître. O mes chers confrères et mes juges, soyez loués aussi pour tant de grâces et de faveurs !

L'un des plus grands écrivains de cette Académie et du grand siècle, au temps du duc de Noailles et de Mme de Maintenon, la Bruyère, après son discours de réception resté célèbre : «On dira, disait-il, que je viens encore d'écrire un caractère». A plus forte raison l'on dira, Messieurs, après ce discours, trop long sans doute, que je viens d'écrire un feuilleton. J'accepte avec un certain orgueil cette honorable censure ! A Dieu ne plaise, en effet, que je te renie un seul instant, ô ma chère création ! mon bon camarade, ami des beaux jours, espérance et consolation des jours mauvais ! Tu n'as jamais manqué, dans ton ombre et dans ton petit bruit, de pitié pour les vaincus, de respect pour l'exilé, d'encouragements au jeune homme et de louanges à toutes les honnêtes pensées, à tous les illustres courages ! A Dieu ne plaise, et même en cette illustre circonstance, que je te renie un seul instant, esprit que j'avais, humble talent cultivé avec tant de soin, infatigable écho de mes pensées les plus cachées, léger dialogue auquel ont répondu, de tous les côtés du monde intelligent, les esprits futiles, je le veux bien, mais les esprits restés fidèles à la poésie, aux chefs-d'oeuvre, à l'artiste, à l'écrivain !

Plus d'un, même au premier rang de ceux qui t'écoutent, ô mon fidèle ami, se rappellera jusqu'à la fin, que toi et moi nous assistions à leur première victoire. Tu naquis sous les yeux des deux Bertin ; Saint-Marc Girardin et M. de Sacy, tes deux camarades, t'ont reconnu comme un des combattants des longues batailles ; les deux frères, M. Scribe et M. Legouvé, esprits rares et charmants, t'appelaient leur ami. Que de belles journées, toi et moi, nous avons passées ! Te rappelles-tu le jour où François Ponsard, petit-fils de Corneille, nous apporta sa Lucrèce, et le soir où le jeune Émile Augier, tout brillant de sa naissante fortune, fit représenter la Ciguë ! et cette autre journée, entre toutes favorables, où Jules Sandeau nous demandait si nous étions contents de Mlle de la Seiglière, la digne soeur de Marianaa et du Docteur Herbault ? Ami feuilleton, quel orgueil, quand nous avons proclamé, reine entre toutes les filles de Racine, cette enfant de génie appelée Mlle Rachel ! Tu as le droit d'appeler : ma fille ! la grande Adélaïde Ristori. Quelle bataille : Hernani ! quel triomphe : Marion Delorme ! Voilà des fêtes ! voilà des souvenirs ! En remontant plus haut, nous rencontrons, l'héroïque histoire de la campagne de 1812 «et du géant qui ne laissait après lui, d'autre héritier que le genre humain», disait M. de Salvandy, mon illustre confrère. Enfin, dominant toutes ces renommées et toutes ces gloires de la hauteur énergique de ses quatre-vingt-sept ans, nous saluons le poëte tragique et le fabuliste inimitable, éloquence mêlée de satire, esprit qui rit et qui mord, un porteur d'épée appelé M. Viennet.

Si tu parles d'épée, et de valeur, sois brave.

Pardonnez-moi, Messieurs, ce moment de vanité, un peu de vanité est bien permise à l'heure d'un si grand orgueil. La littérature, en son ensemble et dans ses détails, est semblable à quelque grand orchestre où chaque instrument compte, à commencer par la harpe et le violon, à finir par l'ophicléide et le tambour. Que l'on ait l'honneur d'écrire les grands poëmes, ou bien n'allez pas plus loin que la chanson, encore y faut-il du bon sens et de l'art, parfois même du courage, et voilà le beau moment, je n'ai pas dit la gloire du feuilleton.

Frédéric le Grand, qui fut presque un des vôtres, tant il aima Voltaire et d'Alembert, le lendemain d'une grande bataille où son royaume était en jeu, comme il demandait à ses capitaines : «Savez-vous, messieurs, quel fut le plus brave et le plus hardi de la journée ?» ils répondirent en s'inclinant : «C'est vous, sire ! - Oh ! bien, reprit le roi, ce n'est pas moi, c'est un petit fifre. Au plus chaud de la bataille, il n'a pas cessé de souffler dans son turlututu».

Or, Messieurs, le feuilleton et le turlututu c'est même chose. Il ne s'agit, pour mériter le suffrage des grands esprits et les louanges des grands rois, que d'avoir, avec le souffle, un peu de courage et beaucoup d'honneur...

Quand il eut prononcé son discours de réception, à l'instant même où modestement il pensait avoir conquis tous les suffrages, le faiseur de feuilletons entendit grincer dans leurs gonds ces portes formidables avec ces mots sacramentels : Vade retro !

L'horloge de l'Institut sonnait une heure après minuit ; les deux lions, la gueule ouverte, avaient épuisé leur filet d'eau ; la Seine, au loin grondante, emporta dans le pays des songes et des vanités mes rêves, mon discours et mon feuilleton.

Avril 1865.


Notes :

(1) Sed vatem egregium, cui non sit publica vena,
Qui nihil expositum soleat deducere, nec qui
Communi feriat carmen triviale monetâ !
Hunc qualem nequeo monstrare, et sentio tantum,
Anxietate carens animus facit, omnis acerbi
Impatiens, cupidus silvarum, aptusque bibendis
Fontibus Aonidum.

(2) M. Louis Ratisbonne, le traducteur du Dante, a reçu en effet la plus noble et la plus glorieuse part de l'héritage du feu comte Alfred de Vigny.
(3) L'Ane mort, le Chemin de traverse, la Religieuse de Toulouse, les Gaîtés champêtres, Histoire de la Littérature dramatique, les Petits Bonheurs, Rameau, hier encore la Poésie et l'Éloquence au temps des Césars, Horace enfin.


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