La Descouverture du style impudique des courtisannes de Normandie à celles de Paris, envoyée pour estrennes de l'invention d'une courtisanne angloise.- A Paris, chez Nic. Alexandre, 1618. (Réimpr. par J. Lemonnyer, Rouen 1880, coll. curiosités bibliographiques n°11, IV-7 p. ; 18,5 cm.).
SAISIE DU TEXTE : Sylvie Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (18.07.1996, v2. : 17.06.2000) - TEXTE RELU PAR : Anne Guézou - ADRESSE: Bibliothèque municipale - BP 216 - 14170 Lisieux cedex - TEL : 31.48.66.50 - MINITEL : 31.48.66.55 - E-MAIL : 100346.471@compuserve.com

AU LECTEUR

Amy lecteur, l'une des copies de ce discours m'estant tombée entre les mains, j'ay estimé que je ferois très ingrat si je ne le faisois voir au jour, pour servir d'avertissement à ceux qui sont tellement abandonnez à leurs appetits charnels, & quy le plus souvent se laissent aller aux charmes & feintises de ces bêtes envenimées, quy ne s'estudient, comme il paroist par ces salles & impudiques discours, que pour attraper ceux quy par trop aiment leurs salles & deshonnetes plaisirs, & quy le plus souvent, par le moyen de ces canailles, perdent le corps & l'ame. C'est pourquoy je m'en estonne si Aristote disoit que nature a faict les femmes plus belles & tendres que les hommes ; aussi les a-t-elle faict plus fines, cauteleuses & malicieuses. Cela occasionna Codrus à dire que le ciel ne contenoit tant d'estoiles, ne la mer tant de poissons, que la femme couvoit de fraude & de malice dans son ame pleine de curiosité & de desirs. Chiron disoit qu'il estoit meilleur d'ensevelir une femme que de l'espouser. La femme chaste, pudique & vertueuse, se fait bien cognoistre & respecter sans mot dire.

La fille de joye porte preuve de son deshonneur en ses gestes & en sa contenance, disoit l'ancien tragique Eschylian, dans Athènes.

C'est le propre de la femme de se laisser tromper, dit sainct Hierosme, & de tromper les autres. Aussi, si la première femme ne se fust mise du party du diable, le diable se desesperoit de venir à bout du premier homme. Il suit encore son premier train, dont il s'estoit bien trouvé. Tu es la porte du diable, disoit Tertulian à sa femme, &c. La première qui a mis la main au fruict desfendu, la première qui a abandonné Dieu, & avec si peu de peine a faict perdre l'homme, quy est l'image de Dieu, que le diable n'avoit osé aborder. J'auroi recours, disoit ce malin, dans Origènes, quand il vouloit s'aider de la femme, j'auroi recours à mes anciennes armes, disoit-il, pour vaincre l'homme.

Les Sybarites convioient les femmes au festin un an avant le jour, afin qu'elles eussent le loisir de se parer de vestemens & joyaux pour y venir & s'y presenter. Ces festins sont aussi ruyneux à la bouche que les plaisirs charnels à ceux quy les frequentent.

Vous semblez aux tombeaux, peinturez au dehors ;
Au dedans l'on n'y voit que pourriture & morts,
Où repaissent les vers leur extrême famine ;
Vos visages sont feintz, vernissez & fardez ;
De mille clouds luisans vos habits sont parez,
Mais vos corps sont remplis de puante vermine.

Vous fardez vos discours afin de nous flechir,
Vous emplastrez vos cols, afin de les blanchir,
De graisse & d'argent vif encorporez ensemble ;
Puis, nous livrant l'assaut, vous laschez vos boutons,
Afin de nous monstrer vos estranquez tetons,
Que vous faictes enfler au moyen d'une sangle.

Vostre miroir vous fasche en disant verité ;
Vous accusez le ciel pour n'avoir de beauté ;
De vermeil & de blanc vous forcez la nature ;
Vos visages fumez, barbouillez & rouillez
Semblent des parchemins de lescive mouillez
Quand d'un fard espagnol vous raclez la peinture.

Ny du foudre éclatant l'épouvantable bruict,
Ny les affreux demons qui volent jour & nuict,
Ny les crins herissez de l'horrible Cerbère,
Ny du Cocyte creux la rage & le tourment,
Ny du pere des dieux le sainct commandement,
Ne sauroit empescher la femme de mal faire.

Un demon, une femme, sont tous deux compagnons :
L'un est maistre en malice, l'autre en inventions.

***

A CELLES DE PARIS

Chères Soeurs, puis que l'amour, ce clairvoyant aveugle, cet argus clairvoyant qui, avec ses yeux bandez, se glisse insensiblement dans les ames des courtisanesques, etant charmé des traicts de nos perfidies inventées, de la poison de nos malices, desquelles, comme compatriotes, nous vous envoyons ce petit narré pour vous instruire en cas de nécessité, pour user des moyens qui vous feront très-utiles pour cacher les infirmitez de celles de votre confrairie, pour attraper & abuser ceux qui ordinairement sont en vos quartiers, en cas qu'ils veulent être si valeureux champions que de vouloir combattre seul à seul soubz la cornette de Vénus, lequel style nous vous prions de recevoir pour vos agreables estreines, vous asseurant qu'usant d'iceluy, vous cognoistrez que cet enfant, cet insigne voleur, ce grand détrousseur des ames, ce brigand renommé quy s'enrichit des dépouilles d'autruy & qui endommage indifferemment tout ce qu'il rencontre, fera voir, par ce moyen, vos charmantes feintises, lesquelles, par les moyens cy-après specifiez, penseront avoir quelque belle nymphe amadriade, auront le plus souvent la mère des dieux : & pour ce faire, chères compaignes, vous serez adverties & advertirez celles à qui nature n'a tant donné de perfection, qu'il est necessaire pour jouer au reversis, & qui, plus souvent, par faute d'intelligence, demeure cazanière, gratant les cendres à leur foyer ; c'est doncques à elles à qui ces preceptes pourront être utiles & nécessaires ; est qui suit :

PREMIEREMENT. -Celles quy, par faute de devotion, n'auront jeûné le caresme souvent, & qui auront la face grosse & grasse, ce quy est fort mal séant d'être comme des mamulères, elles y pourront obvier & se faire paroistre poupines, moyennant qu'elles portent leurs fraises & collet plus grands & plus larges que d'ordinaire, & aussi leur coiffeure comme leur perrucque & moulte estroits ; & pour l'ornement d'icelles, il est nécessaire, si leurs propres cheveux ne sont ni beaux ni longs, elles auront recours aux fausses perrucques, lesquelles, étant bien agensées de roses de diverses couleurs & des plus voyantes, sans y oublier la poudre de Chypre, qu'elles pourront y applicquer avec une houppe de soie qu'elles tiendront pour cet effet ordinairement dans leurs petites boites, & surtout que, si tant est qu'elles aient recours aux fausses perrucques, comme il n'est pas que quelqu'une n'est fait quelque voyage au royaume de Suède, & pourront avoir passé la forêt de la Pellade, qu'elles appliquent ces susdits cheveux revenant à leurs sourcils.

ITEM. - Celles quy auront le visage blanc de trop, ainsi que pasle, trop rouge ou trop triste, elles pourront, pour la blancheur, y appliquer le vermillon destrempé sur la rondeur de leurs joues ; & pour la rougeur, le blanc d'Espagne deslayé assez clairement, qu'elles appliqueront très doucement sur leurs visages, & sans oublier la petite mouche noire sur leurs tempes & la plume orangée pastel, meslée avec vert naissant, & puis après voilà un cheval de louage.

ITEM. - Celles quy auront le bouche belle & coraline, il ne faut qu'elles portent leurs masques longs, ains courts & fort relevés, à icelle fin qu'elles paroissent & soient à la vue des regardans, & que par ce moyen leur fasse envie d'en désirer des baisers.

ITEM. - Celles quy ne l'auront belle & bien faite, & leurs lèvres pasles, il leur sera nécessaire de porter leurs dicts masques tant soit peu plus longs & leurs mentonnières un peu largettes, nonobstant leurs masques un peu relevés, pour suivre l'usage qui se pratique de les porter de la façon.

ITEM. - Celles quy auront la gorge blanche & bien taillée & les tetons blancs & bien relevez, qu'elles se donnent bien de garde de mettre rien de leurs affutages au devant, qui empeschent la vue des regardans, mais leur fassent souhaiter de s'en servir de coucinets.

ITEM. - Celles quy l'auront au contraire ci-dessus, qu'elles mettent de larges paremens à leurs collets & robbes, & n'en fassent paroistre que des eschantillons.

ITEM. - Celles quy auront une espaule plus grosse que l'autre, & seront bossues, par le moyen d'un corps de cuirasse & force garnitures à leurs robbes les feront paroistre esgalles & cacheront cette imperfection.

ITEM. - Celles quy sont d'une grosse stature & grossiere taille, portent d'amples manches & de grands vertugadins, ou, pour mieux dire, cachebastards, qui relevent fort par derrière. Par iceluy moyen, on ne verra point cette défectuosité.

ITEM. - Celles qui auront soufflé l'alquemie devant le siège de Soissons, quy seront maigres & descharnées, il faut pour cela faire paroistre d'une assez bonne façon, portant leurs coiffeures fort estroictes, & leurs collets assez petits, & leurs robbes moderement garnies.

ITEM. - Celles quy seront boiteuses, il leur est necessaire de porter un soulier plus haut que l'autre.

ITEM. -Celles quy seront d'une petite stature, & quy seront restées dans lla race des Pygmés, pourront estre en un instant, sans esternuer, ne leur dire que Dieu les croisse, se faire de la riche taille par le moyen d'un soulier d'un demy-pied de liège de haut, quy sera caché par leurs longues robbes, & par ainsy, ou la nature a denié la bienseance, il est necessaire de la trouver par artifice.

De plus, il vous est necessaire, chères compatriotes, qu'outre la bienseance des habits il se faut estudier à former vos actions, afin que l'un corresponde à l'autre, & que par cemoyen vous puissiez parler sans dire mot : & pour ce faire, vous employerez les yeux de quelque vieille matrone qui aura fait son cours en la phylosophie cyprienne, devant laquelle vous cheminerez, pour estre asseurées si votre allure est trop prompte, trop lente, trop affectée, trop niaise ou trop grave, afin de la former selon votre taille, votre air & votre naturel, pour ce qu'il faut laisser toujours quelque chose de sa nature, qui veut avoir bonne grace.

Plus, pour votre dernier style, pour voir ce que nous avons specifié vous estre convenable, vous aurez recours à un miroir pour y puiser vos secrets, & apprendrez par iceluy à regarder si votre visage est trop gay, trop triste, trop doux ou trop soucieux, & y reformerez & adjoutterez ce que vous y trouverez necessaire. Par ce moyen, vous instruirez vos yeux à donner des regards doux, & vos bouches à former en un instant des petits souris pourles accompagner, & apprendre à jeter de rudes oeillades, & quelquefois de douces à ceux qu'il vous plaira ; & suivant ces instructions, nous sommes asseurées, chères compatriotes, que jamais l'ambre n'attirera tant à soy que vos feintises amoureuses attireront à vous autres ces pauvres malheureux errans. Voilà donc ce que pour le present, à ce nouvel an, nous vous pouvons envoyer, que nous vous prions de recevoir d'aussy bon coeur que nous sommes à tout jamais vos chères compatriotes & humbles servantes.

De Rouen, aux fauxbours de Soteville, fripant la crème :

Ce premier jour de l'an mil six cens dix huïct.


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