CORNETZ, Victor (18..-19..) : De l'utilité du faux bruit (1919).

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Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux : nc) du Mercure de France. N°496 - T. CXXXI, 16 février 1919, 30e année.
 
DE L'UTILITÉ DU FAUX BRUIT
par
V. Cornetz

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La foule, enfant qu'apaise une innocente ruse.
LUCRÈCE.

Aux intéressantes pages consacrées dans cette revue par M. A. Dauzat aux faux bruits et légendes de la guerre (1) je me permettrai d'ajouter quelques remarques en me plaçant à un point de vue spécial, celui de l'utilité et de la nécessité biologique du faux bruit (2). Pour certains lecteurs au courant des belles études philosophiques de Jules de Gaultier j'aurai probablement l’air d'enfoncer une porte ouverte, mais peut-être pas pour beaucoup d'autres.

Je commencerai par déduire l'utilité du faux bruit en partant de la légende, puis je citerai quelques exemples, ensuite je n'aurai que quelques mots à dire sur la biologie du faux bruit, car sa genèse a été exposée pour le principal par M. Dauzat. Ceci m'amènera à parler de la foule, être collectif, et enfin du rôle du mirage mental dans la vie de l'homme.

Il est incontestable que certaines belles légendes de l'histoire sont éminemment utiles. Une grande partie des ouvrages qui s'intitulent « la Morale en actions » est faite de légendes. Autour d'un brin de réalité la légende se cristallise.

Voyons, par exemple, celle de Cambronne. On n'est aucunement d’accord sur ce qu'a dit ou sur ce qu'aurait dit le brave général à Waterloo, et il peut même n'avoir rien dit du tout. il n'en est pas moins certain que cette légende, née probablement très peu après la bataille, est d'une grande utilité militaire et sociale. Elle glorifie, à juste titre, tous les vaillants qui, en réalité, dans le cours de l'histoire, ne se sont pas rendus, et il importe peu que cela soit réel ou non pour Cambronne en particulier. La légende les donne en exemples.

J'en reviens maintenant à sa cristallisation et j'imagine le phénomène comme suit : Le brin de réalité, c'est la bravoure reconnue de Cambronne. Après la bataille, des grognards auront dit « Et Cambronne ? Qu'a-t-il fait ? Qu'a-t-il dit ? » Leur réponse constitue le premier dépôt, le faux bruit. Les particules toutes semblables de ce premier dépôt proviennent de quelques centaines de cerveaux de soldats, cerveaux ayant de nombreux points de ressemblance, esprits sans cesse orientés dans le même sens. « Les mêmes causes produisent les mêmes effets (Dauzat, ibid.). Mais pourquoi le même effet encore plus tard ? Pourquoi un effet identique sur les millions de cerveaux des contemporains et descendants, cerveaux si divers, esprits et caractères très dissemblables ? Pourquoi la même réaction ? Pourquoi, la cristallisation dans un même système, avec des axes de même direction ? Parce que tous ces cerveaux se trouvent momentanément, au récit de Waterloo, dans un même état psychologique le besoin de glorification des héros. Dans bien d'autres cas, c'est le besoin de consolation qui constitue l'état commun à une multitude de gens de tempéraments et de caractères très divers. Ici on voit poindre le rapport entre la foule, être collectif, et l'enfant, rapport que je développerai plus loin.

Le brin de réalité, la brindille de Stendhal (3), recouvert d'un premier dépôt, c'est le noyau de la légende. Si donc il y a des légendes éminemment utiles et qui se conservent pendant des siècles, ou seulement pendant des mois, on en déduit que leur faux bruit, leur fait naissant, doit être utile. Mais ce n'est là qu'une présomption. En effet, ce petit objet encore informe, brindille légèrement recouverte, peut fort bien, par exemple, n'avoir aucune utilité comme beau modèle de dessin alors que la légende qui s'en suivra sera une magnifique et brillante masse cristalline digne de figurer dans une vitrine du musée de l'histoire. La déduction n'étant donc pas rigoureuse, il faut procéder en sens inverse, par l'observation directe de cas particuliers et par leur rapprochement.

Une des plus belles cristallisations nées de la guerre, c'est l'ensemble des histoires à propos du mirifique obus Turpin. Sur une brindille réelle à deux branches l’existence certaine de Turpin, d'une part et, d'autre part, le fait certain que quelquefois des combattants sont tués, sans blessures apparentes, par la commotion très proche d'une explosion, le faux bruit naît dans des milliers d'esprits. C'est l'idée : « Le nouvel obus Turpin tue à grande distance. » Ce faux bruit a réconforté, encouragé un grand nombre de personnes de l'arrière. Il leur a donné de l'espoir. Ensuite, il a convenu à tant de gens parce qu'il était à rayon élastique, si je puis dire, et cela suivant le tempérament, le degré d'information, le caractère de chacun. 800 metres ! 50 mètres !  10 à 15 mètres ! J'ai cru, comme tant de personnes, au nouvel obus Turpin dans ces dernières limites de 10 à 15 mètres, limites que je qualifiais alors de raisonnables ( !)  Les lettres que j'ai lues étaient précises. Un brigadier d’artillerie écrit : «Mon capitaine a visité l'usine de fabrication. Elle est dans les Pyrénées. On ne peut pas produire beaucoup à la fois, car les ouvriers ne peuvent pas travailler plus de deux heures de suite à cause des exhalaisons dangereuses. Ils sont obligés de boire beaucoup de lait, etc...» — Une autre lettre, plus scientifique, dit : « L'explication est simple : un obus à mélinite ancien tue sans lésions externes, rien que par la commotion, à un mètre ou deux, et de par la brusque différence de pression artérielle. Turpin a pu étendre l'action efficace à 10 mètres et on espère bientôt arriver à 50 mètres. » — M. Dauzat dit fort bien « Le faux succès, une fois démenti, cause une désillusion aussi déprimante que l'action d'une catastrophe ou d'un revers (4). » C'est exact dans bien des cas, par exemple lors de la fausse nouvelle d'un corps d'armée allemand capturé à Guise, lors de la grande retraite de 1914. Mais ce n'est plus le cas lorsqu'il s'agit d'un faux espoir basé sur un faux bruit destiné de par sa nature à ne pas être démenti avant une date lointaine et vague. A -t-on vu plus tard une désillusion suivie d'abattement chez tous ceux qui avaient cru à l'histoire de l'obus Turpin? — Lorsque l'on venait à en parler en 1915, tous s'esclaffaient : « Etions-nous assez jobards! » — Voilà ce que l'on entendait dire ; cependant je vais trop loin en écrivant « tous », car dans certaines couches inférieures de la foule et du public certaines parties de la légende resteront en conservant la dureté du cristal. Ainsi l'histoire de l'état-major ennemi tué en train de dîner dans la salle à manger d'un château. Chaque convive tenait encore qui son verre, qui son couteau, etc... Un obus Turpin avait éclaté dans la cour, à une quinzaine de mètres ! Cette légende, avec ses pittoresques détails, sera perpétuée par certaines publications populaires et à bon marché.

Le faux bruit de trahison, ce noyau des classiques légendes de trahison de l'histoire, a pour brindille centrale une idée générale vraie « Dans toutes les guerres il y a quelques traîtres. » Ce faux bruit « consolateur » est très utile comme calmant. Il explique simplement un phénomène en réalité bien trop complexe pour des milliers d'esprits. Les explications forcément très longues et touffues qui, par l'accumulation consciencieuse des documents et par leur comparaison, cherchent à serrer de près l'insaisissable réalité qu'est par exemple une grande bataille, ne conviennent qu'aux gens qui ont le temps de lire et qui peuvent les comprendre. Elles sont plus ou moins différentes les unes des autres, généralement partiales volontairement ou non, et même quelquefois contradictoires, parce que ce sont des produits individuels de spécialistes, d’historiens. Lorsque l'une d'elles nous donne une belle impression de vérité, ou de vraisemblance, c'est qu'un historien de talent a su avec art dégager les grandes lignes du phénomène, celles qui s'imposent presque unanimement comme les plus probables. Le faux bruit de trahison, considéré dans sa fonction explicative, apparaît par contre comme un produit naturel sans art ni artifice. C'est comme un inconscient processus de guérison de l'être collectif blessé. Après l'explication par une trahison, explication si piètre pour l'esprit calme et au courant de l'histoire des peuples, après la brusque et brève colère collective qui s'en suit, le calme s'établit dans la foule. Elle est satisfaite, parce qu'elle croit avoir compris. Mais il y a là quelque chose d'autre encore que le besoin de sauvegarder l'amour-propre national, quelque chose de noble et de généreux au héros reculant après une magnifique défense, défense, foule crie « Seule la trahison a pu te vaincre ! » Elle glorifie à juste titre le héros.

Une remarque intéressante a ici sa place un être collectif, foule ou public, bien constitué, qui parvient à supporter plusieurs années de guerre, prend de l'expérience, ce qu'il n'aurait pas fait en temps de paix et pour cause. Beaucoup de ses illusions successives auront disparu en leur temps, comme tombent les écorces du fruit. L'esprit d'un enfant, bien constitué, peut aussi mûrir au cours de quelques années de dures vicissitudes. N'est-il pas curieux de constater qu'il a fallu encore à une certaine époque et à une multitude de personnes une explication par la trahison à propos de la surprise de Verdun (fin février 1916 ; voir Dauzat, ibid.), alors que les mêmes gens s'en sont fort bien passé à l'occasion de surprises de bien autre envergure en mars et en mai 1918 ? Il n'empèche que la foule aura toujours la faculté de se faire d'autres mirages.

C'est un faux bruit de trahison qui a donné naissance à la curieuse légende de la vieille femme de Dixmude. C'est à cette vieille « qui s'était appuyée au bras de nos soldats et qui avait mangé à leur gamelle » qu'était dû le repérage par l'ennemi de la distillerie abritant nos canons. Au départ, « son cadavre gisait au pied des ruines de la distillerie et sous ses jupes apparaissait un uniforme allemand » (5) ! Pour que le Temps, journal fort bien fait et qui sait ce qui convient au public, ait publié cette explication consolatrice, c'est qu'il l'a jugée très utile, dans le moment. La censure a laissé l'historiette intacte, malgré un détail vraiment peu flatteur pour le soldat français, en réalité né malin, et qui serait incapable, d'après cette légende, de reconnaître un Allemand déguisé en femme alors qu'il a vécu avec lui. Elle sait fort bien ce qu'elle fait, la censure, lorsqu'elle ne touche pas à des faux bruits créateurs d'espoirs ou consolateurs ne risquant pas d'amener après eux désillusion et accablement. On se représente facilement le début de la cristallisation pour ce cas. La vieille femme a dû exister, car les cas sont nombreux de vieilles gens n'ayant pas voulu quitter leur cave malgré bataille et bombardement. Les soldats ont dû lui donner à manger. Après l'abandon de l'endroit, lequel abandon a dû se faire probablement de façon hâtive, certains auront demandé : « A propos, et la vieille ? Quelle vieille ? — Notre vieille, celle qui mangeait avec nous. » — Après quoi il aura suffi de quelques loustics qui auront lancé : — « Ça devait être un espion boche, votre vieille ! » Et le reste se comprend.

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Le fait qu'un grand nombre de faux bruits peuvent se classer comme créateurs d'espoirs et d'autres, fort nombreux aussi, comme consolateurs, amène à voir un rapport entre la foule ou le public, être collectif, et l'enfant. En y regardant de plus près, on voit que la foule comprend comme des étages, comme des publics divers, pouvant avoir des points de comparaison avec des enfants de différents âges. Quelquefois même, à propos de certaines questions, on peut voir tous ces publics manifester ensemble une même opinion tout à fait enfantine. Pourquoi tout cela ? Pourquoi l'ignorance, la faiblesse de jugement, l'émotivité sont-elles communes à la foule, être collectif, et à l'enfant ? Un peu d'observation donne la réponse à cette question. Causons au cours de la vie, par exemple, avec des citadins, et entendons-les causer. Ce seront des artisans, des employés, des marchands, etc... Beaucoup d'entre eux sont entrés dans la vie pratique après leurs études primaires, d'autres un peu plus tard ; avec eux, on peut considérer bien des hommes appartenant aux professions dites libérales, lesquels une fois leurs études terminées ne se sont plus occupés que de leur spécialité et qui lisent tout au plus leur journal du matin (6). Depuis le début de la guerre, tout ce public est composé, pour la grande majorité, des gens d'âge et d'expérience. Eh bien, nous serons frappés d'un fait général : chacun de ces hommes est bien devenu un homme dans sa spécialité et dans ce qui s'y rattache, mais, s'il s'agit d'autre chose, il a à peu près la mentalité d'un bon élève du certificat d'études primaires ou d'un jeune lycéen. Certes, dans la vie ordinaire du temps de paix, beaucoup de ces hommes, par prudence, réserveraient leur jugement à propos de questions auxquelles ils ne peuvent pas comprendre grand-chose ; pour beaucoup d'autres, c'est tout simplement parce qu'ils n'éprouvent pas alors le besoin de penser, d'anticiper, d'imaginer. Mais en temps de guerre, leur émotivité est tout autre. A ce propos, certaines personnes diront : « C'est effrayant comme la bêtise du public a augmenté depuis la guerre. » Ce jugement est superficiel. Ce qu'ils appellent la bêtise, cette chose faite principalement d'incapacité de jugement, d'ignorance et d'inexpérience, ne varie que très lentement en temps ordinaire, si tant est qu'alors elle varie. En temps de guerre, elle est beaucoup plus apparente, voilà tout. La chose est bien compréhensible, car une foule de questions diplomatiques, militaires, économiques sont alors forcément exposées au public, lesquelles en temps de paix restent réservées à une élite de spécialistes, et étant donné son émotivité du moment le public forcément réagit, imagine, anticipe. J'ai fait remarquer plus haut qu'à l'encontre du jugement superficiel précité, le public prend quelque expérience au cours d'une longue guerre.
 
Tous les hommes dont je viens de parler sont les éléments qui constituent l'être collectif, foule ou public, ou l'un de ses étages. Pendant le cours de leur journée, tous vivent de leur vie spéciale et de leur vie intime, ils pensent et agissent comme individus, en hommes d'expérience dans leur spécialité ; pendant ce temps l'être collectif dort. Lorsqu'ils lisent leur journal le matin, puis, lorsqu'à certaines époques de la guerre, ils prennent connaissance du communiqué, alors ils ne sont plus dans leur spécialité, ni dans leur intimité ; ils pensent comme éléments de foule, l'être collectif est réveillé (7). Chacun de ces éléments est alors, en fait de capacité de jugement et d'anticipation, à la hauteur du certificat d'études primaires ou des premières années de lycée. Ainsi donc, si l'ignorance, la faiblesse de jugement, l'émotivité, etc... sont communes à la foule — ou au public — et à l'enfant, c'est parce que l'homme une fois entré dans la vie pratique ne se développe, en général, que dans un seul sens. Personnellement je me revois aujourd'hui assez bien comme élément d'un être collectif à certaines époques (guerre russo-japonaise, guerre des Balkans, révolution russe, etc...). Je dis « aujourd'hui », parce que, bien naturellement, dans le moment on ne se voit pas. Par rapport au mirifique obus Turpin j'avais la mentalité du lycéen de 13 à 14 ans, lecteur de Jules Verne, discutant avec des amis de son âge la question de la conformation intérieure de la terre (Voyage au centre de la Terre) ou celle de la vitesse d'un obus capable de quitter notre globe (De la Terre à la Lune). Lorsque j'y réfléchis aujourd'hui, je comprends que je n'étais pas plus capable d'émettre une opinion raisonnable à 50 ans qu'à 13 ans sur la très difficile question de la possibilité d'augmentation du rayon d'efficacité d'un explosif.

Ainsi la foule pense comme l'enfant, elle chante, rit, pleure, tempête et casse, comme lui. Elle est souvent ingrate et oublieuse comme l'enfant, quelquefois perspicace comme lui. Tout récemment le vers de Lucrèce que j'ai mis en tête de ces remarques vint à ma connaissance ; c'est ce qui me décida à les rédiger, parce que ce vers du génial poète est une justification.

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Revenant aux deux principales classes de faux bruits, je laisse maintenant de côté le faux bruit consolateur; son rôle se joue par rapport aux événements du passé et j'ai dit qu'il y avait là, comme une manifestation de guérison chez l'être collectif. L'autre classe comprend tous les faux bruits créateurs d'espoir ; ceux-ci ont trait à l'avenir. Etant de leur essence amplificateurs, ils appartiennent à la catégorie de l’illusion. Dans les moments où l'individu pense ou manifeste en tant qu'élément de foule ou d'un public, par exemple lors de la lecture du journal, il y a illusion collective. J.-H. Rosny dit fort bien : « L'homme est essentiellement créateur de mirage (8). » Pour ce qui suit j'ai besoin de préciser et de dire « créateur d'illusions » ; c'est du reste très probablement ce qu'a eu dans l'esprit ce penseur en disant « mirage ». En effet, en disant mirage mental, chose qu'il ne faut, bien entendu, pas confondre avec hallucination (9), on introduit forcément par l'emploi du mot « mirage » le rapport avec mirage physique.

Qui dit « mirage » dit « amplification d'une réalité ». Donc le mirage, au mental comme au physique, est formé d'une part de réalité et d'une part d'illusion. C'est seulement cette dernière part que l'homme crée.

Je pense que la formation de l'illusion est un phénomène d'adaptation aux circonstances de la vie et je crois qu'on peut faire voir cela dans le cas de l'homme qui lutte. D'une part, cet homme amplifie le résultat qu'il est destiné à atteindre, résultat futur qui n'est autre chose que l'ensemble des réalités possédées par lui au début de l'entreprise, mais un ensemble transformé d'autre part, il amplifie dès le début ces réalités, et en particulier sa valeur personnelle. Un exemple rendra cela plus clair. Considérons un jeune homme qui entreprend quelque chose par exemple un bon ouvrier installant une petite industrie ou un magasin. Il a pour lui sa valeur réelle, puis, éventuellement, un petit capital et peut-être quelques véritables amis. Notre homme entrevoit dans l'avenir une belle réussite, sinon une grande tout au moins une moyenne fortune. Revoyons-le dix ans plus tard le résultat obtenu, le réel, c'est qu'il a abouti tout au plus à faire vivre plus ou moins bien sa famille ainsi que lui et en arrivant peut-être à mettre quelque argent de côté. S'il avait pu voir par avance cette réalité il y a dix ans, il en aurait fait bien moins et se serait contenté de vivre au jour le jour, sans entreprendre, à la façon de certains tempéraments faibles et atones, lesquels sont sans illusion parce qu'incapables de former des mirages, c'est-à-dire d'avoir un idéal quelconque. Ainsi donc, pour obtenir le résultat au bout de dix ans, il a fallu la réalité du début, valeur personnelle, etc. choses réelles qui se retrouvent transformées dans ce résultat, plus l'illusion ; il a fallu le mirage, somme des deux choses. Or la vie de cet homme nous montre que la partie illusoire du mirage l'a puissamment soutenu, aidé, et stimulé, dès le début et en cours de route. L'illusion est créatrice d'effort (10), comme la réalité. L'homme dont je parlais plus haut dira mélancoliquement et souvent même en cas d'assez belle réussite : « Certains de mes espoirs ne se sont pas réalisés. » Il ne voit pas que sans ces espoirs stimulants, enfants de son illusion, il ne serait pas arrivé à obtenir le résultat. Les efforts provenant de l'illusion furent nécessaires dès le début et en cours de route à cause de l'imprévu, de l'imprévisible, des accidents, des obstacles nouveaux surgissant çà et là, etc... Si l'illusion n'avait pas été là, si ce mirage mental qu'est l'idéal ne s'était pas produit, le pauvre petit résultat, en général si modeste, n'aurait pas été réalisé. On voit donc qu'il s'agit d'une transformation d'énergie, d'une question de mécanique pratique. Pour tout ce que l'homme entreprend, dans l'ordre physique et dans l'ordre mental, il met plus et beaucoup plus d'énergies, dès le début et dans la suite qu’il ne retrouvera dans le résultat (11).

L'homme est créateur d'illusions parce qu'il est un transformateur d'énergie. Chez l'homme qui entreprend et chez l'enfant en particulier, on constate une surabondance d'énergie vitale ; elle tend à se dépenser, à se transformer, comme toujours lorsqu'il y a surabondance. Il me paraît que c'est cette surabondance qui se traduit dans le mental sous forme d'illusion (projets plus ou moins ambitieux, belles et riantes perspectives, etc…) Tout au début, ce n'est qu'un phénomène accompagnateur, mais bien vite l'illusion joue un rôle analogue à celui des idées-forces conscientes. Mais comment l'homme connaît-il une telle loi de mécanique pratique ? Il ne la connaît pas (12) il la possède et lui obéit. Dans une quantité innombrable d'actes de la vie, par exemple lorsqu'il soulève un poids léger, lorsqu'il écarte un obstacle, etc..., la nécessité l'oblige à faire un effort toujours un peu plus grand et cela pour la rupture de l'équilibre. Mais, en général, il fait un effort beaucoup plus grand encore. Si l'on vérifiait mon effort au dynamomètre de précision lorsque je prends un livre sur ma table, on trouverait cet effort toujours très exagéré. L'homme possède donc la loi par habitude, l'enfant par habitude ancestrale, car l'individu est le sommet d'une pyramide d'êtres. L'homme est bourré d'automatismes (A. Forel). D'où les a-t-il, encore enfant, si ce n'est de sa lignée ?

 D'après tout ce qui précède, la création d'illusions serait un phénomène d'adaptation aux circonstances de la vie individuelle et ancestrale. En résumé, il y aurait comme condition première une surabondance d'énergie chez l'homme qui entreprend ; elle tend à se dépenser et cela se fait conformément à la loi des transformateurs, loi que l'homme possède de par une longue habitude. Mais, dira-t-on peut-être, « que d'illusions dangereuses, que de mirages néfastes, que de non-réussites, que d'erreurs » ! Je crois bien ! Croirait-on que l'adaptation de l'homme et des sociétés se fasse toujours au mieux ? Elle se fait tant bien que mal. Parce que l'homme possède une loi de mécanique pratique, cela ne veut pas dire qu'il s'en serve au mieux. Dans le choix d'un but, dans l'emploi de ses énergies, dans la direction donnée à ses efforts, il erre et gaspille souvent (13).

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Ces remarques peuvent-elles avoir quelque conclusion pratique ? Par exemple à propos de l'attitude à prendre vis-à-vis des faux bruits de la guerre ? — faut voir ce qu'il en est advenu après quatre ans. Beaucoup sont morts de leur belle mort après avoir produit leur office de calmants. Lors de l’offensive de Champagne (1915), un brave homme m'avait apporté une lettre contenant une abracadabrante explication par trahison. Si je lui avais déclaré que son explication me paraissait absurde, tout en n'ayant sur le moment rien pour la remplacer, je n'aurais fait que l'exaspérer. Quelques mois plus tard, me trouvant un peu documenté, je lui en parlai à nouveau, sur quoi il me répondit : « C'est effrayant ce que l'on croit de blagues. » Quelquefois des histoires de ce genre contiennent des précisions nominatives, mais c'est l'exception ; elles peuvent alors compromettre faussement quelqu'un, pendant un temps seulement. Alors l'important est qu'elles ne paraissent pas « imprimées ». Il n'y a qu'à s'en remettre aux soins d'une certaine personne aux grands ciseaux que facilement on représente sous les traits d'une vieille parente grinchue et ennuyeuse. Vieille si l'on veut, c'est une sage veille ; elle sait ce qui convient aux enfants, petits et grands. Ainsi, lorsque paraissent dans la presse à certains moments des nouvelles et des exposés optimistes où, d'après la forte expression de M. Dauzat, « le possible est présenté comme réel » ou comme très probable, comme très proche, elle se garde bien d'en entraver la propagation (14). Mais il y a certains faux bruits nettement décourageants dans de tels cas il faut intervenir de suite, ainsi que du reste le fait remarquer M. Dauzat. Cependant, dans le cas qu'il cite des midinettes condamnées pour avoir déclaré que le canon-monstre tirant sur Paris n'existait pas, la punition n'était peut-être pas exagérée. Ne serait-ce point qu'elles auraient ajouté : « Ce sont des canons ordinaires et l'ennemi est près de Paris » ? Ainsi, un monsieur ayant dit en société « Un canon portant à 120 kilomètres est une impossibilité technique, par conséquent on nous cache que les Allemands sont à 30 ou 40kilomètres de la capitale », on lui fit dire discrètement qu'en cas de récidive de sa part, on se ferait un devoir de le dénoncer au commissaire de police. Cette mesure vraiment pratique fut beaucoup plus efficace que n'auraient été de longues discussions. Mais que faire à l'égard des mirages mentaux en général ? Quand et comment doit-on aider la nature et quand l'entraver ? Quelle est la bonne dose de réalité et d'illusion ? A ce propos je me contenterai de citer les paroles d'un sage « Le monde est plein d'erreurs obstinément maintenues, parce que l'homme redoute de changer les illusions familières pour d'âpres vérités chargées d'inconnu. Et qui sait, après tout, dans ce douloureux conflit du monde vrai avec le monde imaginé, dans quelle mesure un séduisant mirage peut venir en aide à la faiblesse humaine pour l'achèvement de sa journée ? » (G. Clemenceau.)

V. CORNETZ.


NOTES :
(1) Mercure de France du 16 juillet 1918.
(2) Celui qui voudrait entreprendre l’étude approfondie des bienfaits et des méfaits des faux bruits et fausses nouvelles de la grande guerre aurait, je pense, deux choses à faire. D'abord une classification des documents, ensuite une évaluation, un bilan, pour chacun d'eux. Cette deuxième partie du travail exigerait un long temps. Par la lecture d'un grand nombre de journaux, par une enquête verbale faite dans les milieux les plus divers, il faudrait établir l'effet et la durée d'un faux bruit, les impressions et répercussions qui s'en suivirent. Voici un exemple Dès le début de 1915, une idée germa dans des milliers d'esprits et c'était « Cela ne peut pas durer, cette guerre de tranchées, il va y avoir un grand coup et puis la fin de la guerre dans six mois. » De là le faux bruit du « grand coup », bruit qui se fit entendre ensuite de nombreuses fois. Cette idée « cela ne peut pas durer » s'accompagnait d'une représentation simpliste et enfantine d'une guerre brève se terminant par une immense bataille courte et décisive. Les gens qui çà et là venaient parler d'une longue suite de nombreuses batailles et opérations d’usure étaient fort mal reçus. Le mauvais effet de ce faux bruit fut que bien des travaux ne furent pas faits qui auraient pu être entrepris de suite. Beaucoup de gens restèrent dans le provisoire, attendant la fin très proche, au lieu d'agir et de produire. D'autre part, cette croyance fit prendre et reprendre patience à bien des personnes qui n'auraient pas pu supporter l'idée d'une guerre longue de quatre à cinq ans. Mais il y a quelque chose de plus important encore à mettre en balance. Sans la dite croyance, beaucoup de gens disposant d'argent auraient employé tous leurs efforts et toute leur ingéniosité à faire des provisions. Il y aurait eu de brusques hausses de prix, beaucoup d'objets et de denrées peu périssables auraient disparu de la circulation, et l'on se représente facilement les formidables colères de tous ceux qui, manquant d'argent comptant, n'auraient pu en faire autant. Pour la classification, il y a deux grandes divisions qui me paraissent s'imposer : 1° La formation collective, selon la bonne expression de M. A. Dauzat ; c'est celle dont j'ai esquissé la nature au cours de cet article ; 2° La formation individuelle : ce sont les fausses nouvelles, les canards, les ballons d'essai, etc. …, bref toutes les formations provenant d'un individu plus ou moins ingénieux. On serait amené ici à collectionner aussi les formations provenant de plusieurs personnes se concertant, par ex. conseils de gouvernement, cénacles influents, etc…. et à les englober toutes sous le nom de « version ». La « version » destinée au public lui donne un aspect de la réalité d'un événement, aspect choisi de telle façon que certaines choses restent dans l'ombre alors que d'autres, bien éclairées, apparaissent au premier plan. Les documents de la première division se caractériseront pour l'observateur en ce qu'ils donnent une impression de naturel, de naïveté, de volition inconsciente,  de non-calculé. Ce sont les faux bruits proprement dits, émanations de foules ou de public. Les documents de la deuxième classe donneront l'impression d'artificiel, de fabriqué, de voulu conscient, de calcul.
(3) Il est bon de rappeler que l'introduction du terme « cristallisation » en psychologie est due à Stendhal, l'historiette qui en est le point de départ n'étant peut-être plus présente à la mémoire du lecteur. D'après le souvenir que j'en ai, Stendhal visitant des grottes souterraines en compagnie d'une belle dame d'Italie voit des cristallisations. Ils rencontrent un jeune officier autrichien qui tombe amoureux de la dame. C'est le coup de foudre !  Alors l'amoureux magnifie extraordinairement tout ce qui a trait à la belle personne. De là l'ingénieux et utile rapprochement. Il est fécond.
(4) Mercure de France du 16 juillet 1918, p. 251.
(5) Je cite de mémoire et à quatre ans de distance je me demande si ma mémoire est bien fidèle en ce qui touche la source. Cette très pittoresque historiette a paru dans le Temps quelques jours après l’abandon de Dixmude. Je la revois en première page, au haut de la dernière colonne à droite et imprimée en petits caractères.
(6) Voir Dauzat, ibid. Le cas du médecin-major.
(7) Il ne faut pas confondre cette conception d'un être collectif vivant d'une vie intermittente, faite de longs sommeils et de courts réveils, avec la vie générale de l'individu en tant qu'élément d'une même nation ou d'un même peuple. Cette dernière vie n'est pas intermittente, car dans celle-ci l'individu vit constamment, à chaque instant, très consciemment soumis aux lois et aux mœurs. Tolstoï écrit : « La vie de l'homme est double : l'une, c'est la vie intime, individuelle, d'autant plus indépendante que les intérêts en sont plus élevés et plus abstraits ; l'autre, c'est la vie générale, la vie dans la fourmilière humaine, qui l'entoure de ses lois et l'oblige à s'y soumettre. » On pourrait donc dire que la vie de l'homme est triple.
(8) Mercure de France du 18 juillet 1918.
(9) Au Sahara, un voyageur fatigué et malade peut éprouver une hallucination visuelle que ses compagnons n'ont pas. Par contre, la vue de tous les membres d'une même caravane est affectée lorsqu'il y a mirage. Dans ce dernier cas, il existe toujours un objet réel qui peut même être en réalité au-dessous de l'horizon. Lors d'un mirage, l'image très amplifiée est quelquefois encore agrandie par une image renversée. Si l'on utilise le phénomène physique du mirage en le transposant dans l'ordre des idées et que l'on dise « mirage mental », en parlant ainsi au figuré, on doit conserver la relation entre la figure que l'on fait et le phénomène physique qui l'a suggérée. Un mirage mental aura donc toujours sa partie réelle et sa partie illusoire, par définition.
(10) Le fait particulier de l'amplification de sa valeur personnelle par l'individu qui lutte est des plus intéressants à étudier par l'observation directe de certaines catégories de gens. Je l'ai fait pour le joueur d'échecs et pour l'escrimeur dans un opuscule intitulé : Un des aspects de l'illusion du joueur d'échecs (Paris, Preti et Delaire, 85, Faubourg Saint-Denis). Dans ce mirage mental qui a soi-même pour objet, il y a donc deux parties : la valeur réelle de l'individu à un certain moment, puis son illusion que l'on pourrait appeler ici la sur-estime. Y-a-t-il des cas et des ensembles de cas où ces deux grandeurs peuvent dépendre l'une de l'autre ? Peut-on établir un aspect de cette illusion en tant que dépendant de la valeur réelle ? Je pense que oui. L'homme de grande valeur réelle n'a qu'une petite illusion, mais il en a toujours quelque peu. L’homme de petite valeur, luttant et ayant obtenu déjà quelques succès, si minimes soient-ils, a une très grande illusion. Entre ces deux extrêmes on peut situer les autres individus. On peut exprimer cette opinion provenant de l'observation par une formule qui trouve son application aussi bien dans le cas d'un seul et même individu observé au cours de sa vie que dans celui de plusieurs individus de valeurs réelles diverses observés à la même époque. Si on désigne par v la valeur réelle, par V la valeur que l'individu s'attribue, alors Vv représente la quantité d'illusion et on aurait Vv =  I /v c'est-à-dire : la quantité d’illusion est en raison inverse de la valeur réelle. A cette règle générale on trouvera facilement bien des exceptions qu'il sera intéressant d'étudier, afin de rechercher pourquoi dans de tels cas, l'individu observé s'écarte de la norme. Un cas d'exception bien actuel c'est celui d'un homme entreprenant une formidable lutte, d'un homme possédant de grandes valeurs réelles de divers genres, mais qui se surestime énormément malgré cela, alors qu'il ne devrait avoir d'après la règle susdite qu'une minime illusion. Il y a ici hypertrophie de l'illusion, cas d'aberration dans la formation du dosage lors du mirage mental. On comprend sans peine de qui je veux parler. Chose curieuse, cet homme a dans sa lancée un proverbe qui dit : « L'orgueil précède la chute. (Proverbe allemand : Hochmut  kommt vor dem Fall.) Lorsque l'homme qui entreprend, ou qui lutte, est encore débutant, c'est-à-dire lorsque sa valeur réelle v est encore très petite, c'est alors sa grande illusion qui est, pour la grande part, déterminante d'effort. Mais, plus tard, quand sa valeur réelle est devenue importante, c'est beaucoup plus le sentiment qu'il a de cette valeur réelle qui constitue son principal soutien. Cependant si fort et si capable qu'il puisse être devenu, on observera toujours chez lui une petite quantité d'illusion. Je ne tiens pas compte, bien entendu, des périodes d'abattement, de ces moments de maladie psychique où l'homme se sous-estime, ni des rares individus ayant la force d'âme d'un Guillaume d'Orange, dont on rapporte que sa devise était « Toujours entreprendre, même sans espoir. »
(11) « La froide réalité, toujours au-dessous de ce qu'on peut en attendre (Tolstoï).
(12) Une illusion reconnue d'emblée comme telle se dissiperait instantanément. « Les illusions s'en vont comme les écorces d'un fruit et ce fruit c'est l'expérience : la saveur en est amère mais réconfortante » (Gérard de Nerval). Normalement, les illusions s'en vont en leur temps et sont remplacées par d'autres. Si on arrache brutalement, prématurément l'écorce, le fruit ne mûrit pas,
 (13) On en voit des exemples dans la vie animale. Les fourmis, dans beaucoup de leurs habitudes, n'agissent nullement au mieux des intérêts de la fourmilière, ni d'elles-mêmes. Ainsi, lors des semailles d'automne, en Algérie, la fourmi de l'espèce dite moissonneuse amasse sans trêve des grains, comme elle le fait en été en utilisant alors les graminées sauvages. Puis, les pluies viennent et toutes les fourmis se retirent pour l'hiver à une profondeur de plus d'un mètre où elles restent inertes et amassées en boules. Les grains, lesquels sont dans des chambres trop proches de la surface du soi, se mettent à germer et l'on voit ensuite çà et là des touffes serrées de graminées qui indiquent les nids de fourmis. L'année d'après, cela recommence. Ces fourmis, dont la force est considérable par rapport à leur taille, amassent énormément plus de grains au cours de leur existence qu'il ne leur serait nécessaire. Elles font cela de par un automatisme ancestral, automatisme de transport qui s'intensifie dans certaines conditions de chaleur, d'humidité, d'électricité, etc... Ainsi se dépense leur grande surabondance d'énergie. La grande quantité des mouvements chez des êtres minuscules comme les moucherons, les mouches domestiques, etc..., s'explique très bien ainsi. L'oiseau-mouche sans cesse bat des ailes pour des motifs analogues ; les dimensions de son cœur, moteur central, sont tout à fait hors de proportion avec celles de son petit corps. — De telles exagérations d'activité ne sont nullement nécessaires pour la continuation de l'espèce. La petite araignée sauteuse, insecte admirablement équilibré dans sa vie, chasse, tue, mange ce qu'il lui faut, après quoi elle fait de longs repos. Or son espèce se perpétue fort bien. Cet insecte est très petit aussi, mais chez lui la grande énergie est tout dépensée en mouvements strictement utiles au cours des difficiles péripéties des chasses, par exemple les bonds et les sauts souvent sans résultat.
(14) Elle a fort bien compris que « la faculté de s'illusionner favorablement vaut mieux que de broyer du noir », d'après la bonne expression de M. Ch. Merki (Mercure de France, 16 août 1918, p. 736).



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