COLET, Louise (1810-1876) : Diane, fragment d'un roman inédit (ca 1850).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (15.III.2006)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 3026) de L'Élites, livre des Salons publié à Paris par Mme Veuve Louis Janet sous la direction du Bibliophile Jacob (Paul Lacroix).
 
Diane
Fragment d'un roman inédit
par
Louise Colet

~*~

Elle dit au cocher de la conduire au cimetière du Père-Lachaise. La voiture roula rapidement ; l’air, le mouvement, la pensée toujours présente de Frédéric chassaient toute impression funèbre de l’esprit de Diane. Elle allait prier sur la tombe de sa grand-mère, mais son amant serait près d’elle ; ce coeur qui l’adorait serait là vivant près de cet autre coeur glacé qui l’avait aimée. Malgré le souvenir tendre qu’elle gardait à son aïeule, malgré l’image si récente de son agonie, la mort en cet instant, par un miracle de l’amour, était vaincue par la vie ; la douleur et le deuil, par la radieuse ivresse du bonheur pressenti. Que de trésors de consolations la Providence a mis dans les coeurs épris !

Lorsque Diane arriva au cimetière, la neige avait cessé de tomber ; sa couche épaisse, durcie et brillantée par un froid vif, couvrait la terre d’un linceul uniforme. Ce vaste enclos semé de sépultures était désert ; les monuments funéraires, couverts d’un blanc manteau de frimas, ressemblaient à des spectres qui à cette heure matinale, s’étaient levés de leurs tombeaux et erraient dans la froide enceinte sans craindre la rencontre des vivants.

Diane, accompagnée par un gardien, fut longtemps avant de pouvoir reconnaître le lieu réservé où avait été déposée sa grand’mère ; le tombeau n’était point terminé : un treillis en bois et des fleurs maintenant couvertes par la neige occupaient la place destinée au marbre du monument. Diane s’agenouilla ; Frédéric n’était pas encore arrivé. Le gardien s’éloigna et la laissa seule. Couverte de ses vêtements de deuil, immobile sur la terre glacée, la tête penchée sur sa poitrine en signe de recueillement, sa sombre silhouette se détachait telle qu’une statue de marbre noir sur le fond blanc du sol. Elle avait fermé les yeux comme pour échapper à toute distraction extérieure : elle s’efforçait même, mais en vain, d’éloigner l’image de Frédéric et d’élever tout entière son âme vers l’âme de sa grand’mère, qui, pensait-elle, se préoccupait dans un autre monde des sentiments qu’elle lui gardait. Elle se rappelait avec attendrissement les soins maternels dont elle avait entouré son enfance, sa jeunesse écoulée auprès d’elle, si sereine ; elle revoyait Valcy, ses frais paysages, son joli château ; elle replaçait dans ce salon qui s’ouvrait sur le parterre sa grand’mère élégante, aimable et bonne, et qui lui avait fait de si belles, de si insouciantes années ; puis ses souvenirs se reportaient à ce fatal mariage consenti un peu légèrement par l’aïeule mondaine, mais sur lequel elle avait été la première à gémir et à pleurer. Diane s’était vue consolée et soutenue par sa tendresse durant ses années d’épreuve, et elle ne l’avait jamais accusée. Dans cette âme un peu faible, mais si affectueusement dévouée, elle avait épanché toutes les douleurs et toutes les joies de sa vie. Il y a huit jours encore, elle lui faisait l’aveu de son amour pour Frédéric, et maintenant cette âme n’était plus là pour l’entendre ! Diane cherchait en vain à se remettre en communication avec elle ; ses aspirations les plus ardentes ne pouvaient la rappeler, ses sanglots n’éveillaient plus la voix aimée qui s’était éteinte dans la mort.

Quel désespoir dans l’impuissance de celui qui survit et qui voudrait en vain ranimer, ne fût-ce qu’un instant, l’être aimé qui n’est plus ! Nos désirs, nos larmes sont superflus ; la mort est inerte et muette, et semble railler par son silence éternel l’illusion de la douleur. Alors la douceur se rattache aux derniers échos de cette vie disparue sur laquelle on pleure.

C’est ainsi que Diane, agenouillée sur la tombe de son aïeule, pensait à ses suprêmes paroles, à cette nuit d’agonie où elle l’avait entendue la bénir et lui dire : « Sois heureuse, ma fille, heureuse avec celui qui t’aime ; je vais près de Dieu intercéder pour votre bonheur. » Ces paroles, les dernières sorties d’une bouche vénérée avaient été pour Diane une sorte de consécration de son amour ; et maintenant que l’heure approchait où elle allait s’abandonner tout entière à cet amour, son âme implorait, pieuse et attendrie, l’appui de cette âme protectrice qui veillait sur elle près de Dieu.

Perdue dans une sorte d’aspiration extatique, elle avait oublié jusqu’au lieu où elle se trouvait ; elle semblait se dérober par degrés aux sensations physiques : le froid l’avait insensiblement engourdie ; elle était pâle, glacée et immobile comme si la mort se fût emparée d’elle. Les images flottantes qui traversaient sa pensée luttaient seules contre l’anéantissement de son être ; il lui semblait que son âme se détachait de son corps, attirée doucement vers l’âme souriante de sa grand’mère, et qu’elle traversait des régions où régnaient une paix et une mansuétude inconnues ici-bas. Elle entendait des voix qu’elle croyait reconnaître pour celles qui lui parlaient autrefois en rêve durant ses belles années écoulées à Valcy ; son âme montait toujours, mais tournée vers la terre et ne pouvant se détacher de l’âme de son amant, qui, à son tour, déployant tout-à-coup ses ailes, la rejoignait et se perdait avec elle dans ce monde surnaturel où les voix qui l’avaient appelée répétaient : « Montez, montez encore, venez au sein de Dieu abriter votre amour. » Elle eut durant quelques instants la vague perception de ce rêve, puis tout s’effaça et elle ne sentit plus rien qui laissât des traces dans son souvenir ; elle était complètement évanouie. Frédéric venait d’entrer dans le cimetière ; il avait cherché Diane et n’avait pas tardé à la découvrir dans l’attitude de la prière. Il s’était approché d’elle, mais n’osant la troubler dans son recueillement, il s’arrêta à quelques pas de sa tombe et la contempla avec émotion. Tout-à-coup, étonné de son immobilité, il l’appelle ; Diane ne répond point ; il s’élance vers elle, elle ne tourne pas la tête, elle reste agenouillée, affaissée, sans mouvement. Il la saisit dans ses bras ; il pousse un cri déchirant : dans ce lieu tout lui parlait de mort, et un instant il fut foudroyé par l’horrible pensée que la mort l’avait frappée !... Mais non, son coeur bat, sa bouche respire… Il la soulève dans ses bras, traverse en courant le cimetière et va la déposer dans la voiture qui les attendait. Réchauffée par les baisers de son amant, Diane se ranime, rouvre les yeux, et ses joues se colorent des teintes de la vie. Oh ! fuyons, s’écria Frédéric qui ne pouvait maîtriser sa terreur ; fuyons ce lieu sinistre. Pourquoi attrister notre amour par des images de deuil et des pressentiments de malheur ? Diane, il faut vivre l’un pour l’autre ; Diane, il faut que nous soyons heureux, heureux par notre amour, heureux par l’enthousiasme, heureux de tout le bonheur que donnent la jeunesse et la vie !... Laissons les morts ; les morts sont jaloux, ô ma bien-aimée !... Je devins pusillanime, superstitieux, fou, à la seule pensée que je pourrais te perdre.

- Me perdre ? Jamais ! dit la jeune femme avec un mélancolique sourire. Nous étions réunis là-haut comme ici-bas… Elle voulut lui raconter son rêve.

- Non, non ! dit-il en étouffant ses paroles sous ses caresses, plus de ces pensées désormais, Diane, plus de désir d’un monde meilleur. En est-il un qui vaille la terre, quand on a l’amour ? La terre est un séjour splendide et heureux. Que de sites variés, que de paysages sublimes elle va dérouler sous nos yeux ! Nous allons parcourir ses plus riantes contrées, voir ses cités les plus célèbres ; les hommes sont bons, généreux, nous les aimerons comme des frères ; nous leur donnerons une part de notre bonheur, nous verserons sur eux le trop plein de notre amour : Diane, je suis transformé, je ne me sens plus le même homme ! Que je suis fort et ardent, mon amie, à présent que j’ai l’assurance que tu es toute à moi pour toujours !... Je ne suis plus le rêveur incomplet qui plaçait ses jouissances dans des songes ; mon amour, mon admiration sont pour toi qui vis, pour toi qui me regardes, pour toi qui seras ma femme !... Et tant de passion et de jeunesse débordèrent dans ses transports, que Diane en fut presque épouvantée. - Mon Dieu, murmurait-elle, si ce bonheur allait ne pas durer ! - Oh ! ne parle pas ainsi ! répliqua-t-il avec un regard suppliant. Vois, cette voiture nous emporte chez nous ; encore quelques minutes et nous serons réunis dans ma riante mansarde ; seuls, heureux, enivrés. Ce soir, enfermés dans une chaise de poste, nous fuyons à la frontière ; nous doublons les guides du postillon afin que, joyeux malgré la rigueur du froid, il nous conduise plus vite. Te peins-tu les délices de cette première nuit passée en voiture ? et demain, demain, libres ! hors de France ! le monde est à nous ! Plus de craintes, plus d’entraves. Oh ! tu le vois bien, notre bonheur est durable ; n’a-t-il pas sa source dans notre amour !... Diane se laissait gagner par la joie naïve de son amant ; comme lui elle espérait la réalité du bonheur. Son sang refluait vers ses joues, son coeur battait plus vite, elle sentait comme une surabondance de vie.

Le soleil avait percé les brumes du matin ; ses rayons se jouaient maintenant sur la neige comme pour illuminer ce jour qui s’était levé si sombre. La voiture venait d’entrer dans Paris. Le mouvement des passants, le bruit des voix, et le murmure vivace de la foule chassaient bien loin les funèbres images du cimetière. Arrivés près de la rue de Rivoli, Frédéric ferma les stores par prudence ; Diane baissa son voile, et quand la voiture d’arrêta devant la porte de l’hôtel du général, elle put se glisser sans être vue jusque sous la porte cochère. Frédéric donna ses derniers ordres pour son départ, puis il rejoignit, en courant, Diane, qui franchissait avec crainte les premières marches de l’escalier. Ils parvinrent sans rencontre jusqu’au sixième étage, et lorsqu’enfin la porte de la mansarde du poëte se fut refermée sur eux, ils s’écrièrent : Sauvés ! heureux ! - Oh ! mon Dieu, je vous remercie ! s’écria Frédéric dont la joie éclata par un élan de reconnaissance vers la Divinité. Et il embrassait Diane en répétant : Sauvés ! heureux !

LOUISE COLET.


Diane par J.W. Wright et W.H. Egleton (316 ko)

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